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Italie, disette culturelle

La situation des institutions culturelles italiennes est devenue très préocupante ces dernières années et ce à un niveau jamais atteind. La plupart des responsables de ces institutions réclamme en effet une politique, des moyens financiers et des effectifs pour tenter de retrouver une situation saine et sauver ce qui peut encore l’être.

Si les « locomotives » culturelles et partrimoniales ont tendance à être mieux financées, c’est dans un certain désarroi que les sites de niveau intermédiaire constatent leur fragilité et leur précarité. Le musée national de la Préhistoire et de l’Ethnographie Luigi Pigorini de Rome a récemment lancé un appel désespéré par médias interposés et le nombre d’institutions aujourd’hui en péril témoigne de l’incapacité du gouvernement de faire face à la gravité de la situation.

En effet aujourd’hui il y a tant de musées au bord de la fermeture que le gouvernement semble ne pas prendre la mesure de la situation, bien au contraire. Cet été le gouvernement conservateur de Silvio Berlusconi a pris la décision de retirer 1,3 milliards d’euros du budget du ministère de la culture sur les trois prochaines années. Ces coupures budgétaires vont affecter des centaines de musées, sites archéologiques, sites naturels, théâtres, opéras, bibliothèques, monuments historiques et archives, cela ne fait pas l’ombre d’un doute.

Le gouvernement explique ces coupes par la faiblesse de la croissance économique italienne et les contraintes budgétaires fixées par Bruxelles qui contraindraient les Etats membres à réduire le financement public des arts et de la culture. L’opposition travailliste dénonce le fait que ce gouvernement considère la culture comme un simple problème et non pas comme une richesse capitale pour le pays et comme valeur fondamentale pour tous. Les critiques fusent de toutes parts jugeant lourdement la politique à courte-vue du gouvernement italien.

En réponse aux critiques, le ministre de la culture Sandro Bondi a déclarré dans la Stampa de Turin la semaine dernière que la culture est « notre pétrole », soulignant le caractère précieux de cette ressource et que le budget opérationnel aloué à la culture avait été revalorisé de 0,28% du PIB (un des plus faibles d’Europe). La querelle des chiffres aussi célèbre en France qu’en Italie n’en a pas fini. Les hauts fonctionnaires du ministère italien de la culture en arrivent même à sortir de leur réserve. La semaine dernière c’était le tour de Stefano De Caro, directeur général de l’archéologie.

Cette crise du financement de la culture ravive en Italie un débat vieux de 15 ans, celui qui veut que les mécènes privés puissent prendre le relais et remédier aux déficits. Ormis les critiques massives et les inquiétudes d’une privatisation de la culture,  les spécialistes reconnaissent quel que soit leur camp et leur approche que l’Etat ne semble toujours pas offrir assez de garanties et de possibilités de viabilité pour le secteur privé. Les réformes sur le mécénat mises en place en France depuis 2003 sont encore loin d’avoir leur équivalent en Italie. La réduction d’impôt pour les entreprises et pour les particuliers qui aident au financement des restaurations, aux extensions, aux expositions et aux dotations des musées, est en effet encore à l’état embryonnaire. L’évasion fiscale en Italie est devenue si endémique que le gouvernement n’ose même plus récupérer 1% de ce qu’il devrait rattraper en temps normal. Sans combat de l’évasion fiscale il n’y a pas d’incitation fiscale déclarrait Mr Settis, président du Conseil supérieur du ministère.

Les chiffres du mécénat et du sponsoring italiens sont éloquents : 73% des soutiens financiers privés ont été pour le sport et plus particulièrement en direction du football, selon le rapport annuel de Federculture. Ceci s’explique par l’envergure en termes d’image du retour sur investissement qu’offre le football dans le pays.

Derrière la cacophonie du gouvernement et du ministre de la culture qui tiennent tous les discours possibles tantôt pro-actifs tantôt rétrogrades (notamment ces dernières semaines sur la création contemporaine), c’est une réalité beaucoup plus douloureuse qui transparaît. Depuis 1993 (date à partir de laquelle les musées d’Etat ont été autorisés à accueillir des partenaires et opérateurs privés pour les billeteries, les librairies et les restaurants), la dette publique n’a cessé de s’accroître faute de réformes supplémentaires. Le secrétaire général de Civita a déclarré il y quelques jours qu’il n’y a pas d’autre alternative que de prendre en charge la dette publique.

Si certains s’accordent à dire que l’efficience doit être atteinte par une rénovation des modes de management et un désengagement de l’Etat car celui-ci gère trop d’institutions culturelles, d’autres considèrent que c’est en réliant culture et tourisme que des améliorations substantielles peuvent être obtenues car ceci permet une offre partenariale et une approche économique élargies.

La maintenance et l’entretien des institutions étant sérieusement malmenés dans la configuration actuelle, un désengagement trop brutal de l’Etat et non accompagné va entraîner inéluctablement une cassure entre les sites majeurs et les sites intermédiaires. Quels seront désormais les sites prioritaires et les sites secondaires ? On parle déjà de l’existance d’une liste A et une liste B en ce qui concerne les monuments historiques. La restauration du musée Royal de l’Afrique Centrale à Bruxelles et ses 97 millions d’euros fait rêver plus d’un conservateur Italien. Beaucoup craignent qu’il s’agisse de la fin de l’investissement et de l’étatisme dans la culture et les arts en Italie. Que l’Etat soit chef d’orchestre ou ne le soit plus, les perspectives et les marges de manœuvres sont limitées. Les synergies tourisme-culture semblent porter le plus d’espoirs mais certaines voix s’élèvent déjà dans le pays pour dénoncer le risque de marchandisation de la culture. La disette culturelle semble donc vouloir s’éterniser en Italie depuis les controverses entourant l’institution d’un ministère de la culture en Italie au milieu des années 1990, ministère « politique » qui devait se substituer au ministère « technique » institué en 1975. L’émotion et les clivages suscités par ce projet renvoient à des lectures concurrentes de l’histoire politique et administrative de l’Italie marquée par l’épisode fasciste et le souvenir du Minculpop.

Si la tradition interventionniste de l’Etat dans le domaine culturel est le résultat de la construction de l’Etat italien, le caractère alarmant de la situation actuelle démontre une rupture dans le continium politico-historique du pays. Le temps de la nouvelle donne est arrivé et les opérateurs culturels privés ainsi que les mécènes semblent trépigner d’impatience. Il reste à espérer que l’Etat saura accompagner, conseiller et orienter cette nouvelle donne désormais inévitable pour sortir de la disette culturelle.

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