La révision générale des politiques publiques, dite RGPP, (la réforme de l’Etat dont l’objectif vise à rationaliser les dépenses et améliorer la qualité des politiques publiques), a posé une question simple et récurrente : comment améliorer l’action du ministère de la culture avec moins de moyens ? Désormais cette question ne parvient plus à éluder celle de l’avenir des politiques culturelles.
Question récurrente en effet puisque depuis la LOLF en 2001 (loi organique relative aux lois de finances) une nouvelle architecture budgétaire a été introduite, architecture que le ministère a dû intégrer en cherchant à la fois à mettre en place l’efficience et les programmes d’action et d’objectifs requis par la loi.
Sans rentrer dans les détails du bilan de la LOLF, le mérite de cette nouvelle architecture budgétaire aura été de rendre plus lisible la gestion publique, de responsabiliser le management et d’introduire des mesures d’efficacité. Mais cette meilleure lisibilité aura surtout permis de mettre en évidence les difficultés de financer la culture en France, les difficultés de mise en œuvre des missions du ministère, les difficultés dans la collaboration avec les collectivités territoriales ainsi que certains décalages préoccupants avec les professionnels de la culture et des arts.
Ces difficultés ne résument pas pour autant la réalité quotidienne du travail du ministère et de son administration déconcentrée, bien au contraire et fort heureusement. En revanche, ces difficultés doivent malgré tout être appréhendées en ce sens que le contexte actuel de « refondation des systèmes » pose à nouveau la question du rôle des Etats. Et la mise en œuvre de la nouvelle organisation du ministère de la culture annoncée fin avril 2008 mérite d’être observée car elle augure des conditions d’application du budget 2009.
À l’issue d’un audit piloté par l’inspecteur général des finances François Auvigne, le conseil de modernisation des politiques publiques a rendu publiques les premières orientations fin 2007, qui a débouché sur des projets de réforme au printemps 2008, un ensemble de mesures structurantes a ainsi été programmé pour entrer progressivement en vigueur d’ici 2011.
Comme les autres ministères, la Rue de Valois a dû se plier à l’exercice prospectif, exercice qui a alimenté l’inquiétude des agents. Dans un document que le journal Le Monde s’est procuré fin 2007, il était demandé aux responsables des directions de mesurer les « gains et économies attendus », mais aussi le « risque politique » et « social » de trois scénarios à l’horizon 2009-2011 : une stagnation en volume des crédits et des moyens en personnel, une baisse de 10 % et une baisse de 20 %. Autre question : quel serait l’avenir de tel dispositif « en cas de désengagement de l’Etat » ?
Si la question de la fin de l’ère des subventions est devenue de plus en plus oppressante depuis 2001 et les marges de manœuvre n’ont jamais paru aussi restreintes (c’est ce qu’on nous dit chaque année), il apparaît malgré tout qu’elle n’est que la face émergée de l’iceberg. La question est particulièrement préoccupante car une grande partie de la démocratisation culturelle « à la française » en dépend. C’est toute l’architecture de la doctrine de la culture de la Vème république qui est atteinte en définitive et les reculs successifs devant des réformes pourtant essentielles auraient permis d’éviter les à-coups où les marches trop importantes qui sont aujourd’hui à gravir dans l’urgence. Cette spécificité française est en train de devenir le deuil de toute une certaine école « gestionnaire » de la République, toutes tendances politiques confondues.
Le mouvement désormais enclenché peut être perçu de deux manières. Soit on considère que les économies qui résulteront de la RGPP auront un impact infime sur la dépense et un impact très important sur la vie culturelle, soit on considère qu’il s’agit d’un recentrage et d’une consolidation des missions fondatrices du ministère (entretien du patrimoine, la création, la transmission des savoir) pour pérenniser ce qui peut encore l’être.
En tout état de cause, tout indique (au moins sur le papier) que la structuration sectorielle va disparaître au niveau de l’organisation générale et du management, organisation qui au niveau souverain favorise sans le dire l’instrumentalisation de la culture par le pouvoir tout en assumant une volonté simplificatrice dans le retrait de l’Etat et qui au niveau européen vise à une mise en adéquation avec l’agenda 2009 de la culture.
On s’interroge donc sur le bien fondé de tout cela, d’autant que l’approche politique actuelle analyse que depuis sa création en 1959, le développement du ministère chargé de la Culture s’est caractérisé par une expansion administrative et un primat de la politique de l’offre, pointant les insuffisances connues de longue date et sur lesquelles tous les gouvernements se sont brisés les ailes : déséquilibre persistant entre Paris et les régions, logique toujours plus affirmée de guichets et de projets ponctuels au détriment de la cohérence d’ensemble, la conviction que l’élargissement de l’offre suscitera presque naturellement celle des publics, etc. En ce sens, les politiques culturelles seraient en partie en décalage avec les pratiques et les attentes exprimées par nos concitoyens.
Si le diagnostic peut se partager ou faire l’objet de débats d’arrière-garde, les réponses apportées soulèvent malheureusement encore des questions pour l’avenir. Est-ce un ajustement d’un des ministères les moins enclins au changement, est-ce la création des conditions d’une politique de la demande immédiate, empreinte de vue à court terme et de gestion de crise, est-ce une tentative de découpage de l’exception culturelle à la française, est-ce la découverte d’un cercle réformiste vertueux ?
Force est de constater qu’en l’état, il est impossible de répondre précisément tant il manque des points de repères fondamentaux, une réelle pédagogie de la réforme (mais le dialogue social est-il vraiment possible ne serait-ce qu’au au sein du ministère ?), tant la communication est d’une faiblesse rarement atteinte face à l’importance des enjeux appréhendés et que par ailleurs il manque de nombreuses prises d’initiatives. Sur ce dernier point notamment, on peut s’interroger sur les conséquences de l’absence d’une amplification de la loi sur le mécénat et plus particulièrement de son volet fiscal. Comment l’Etat peut-il maintenir et susciter le désir de culture dans le contexte actuel sans trouver des relais financiers et des partenaires prêts à s’engager ? À l’heure où de nombreuses voix se font entendre sur les dangers de la privatisation et d’une marchandisation de la culture dans le modèle français, il manque dans cette réorganisation du ministère un nombre important de garanties qui permettent de mieux comprendre ce qui se trame.
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