Si l’impact économique et social de la crise financière prend une tournure cruelle dans la disproportion constatée entre les mesures qui sont prises pour y remédier, il ne faut pour autant pas se tromper dans l’enchaînement des faits qui engendrent des processus en ciseaux. L’étymologie du terme crise est d’ailleurs là pour rappeler le cadre du dilemme à nos responsables politiques et économiques. Dans toute crise, il y a l’idée d’un choix, d’un jugement, d’une décision : sortir de la crise et la dépasser, ou s’y enliser (à noter que l’on retrouve la même idée dans l’étymologie chinoise, où la crise présente à la fois un danger et une opportunité). Si la question est de savoir où sont les moyens et les opportunités aujourd’hui et pour qui sont-ils, il n’en demeure pas moins que structurellement, la question est plus complexe qu’il n’y paraît. Les mécanismes concernés sont en effet particulièrement interdépendants et sensibles.
Lorsqu’on observe certains secteurs de l’économie, on constate que des éléments structurels comme l’investissement sont dans au cœur de la définition du mot crise. Nous sommes en effet désormais confrontés à un danger encore peu traité au niveau médiatique mais nos derniers échanges, rencontres et missions nous ont permis de l’appréhender très directement tout en corroborant les témoignages des professionnels des différents secteurs concernés : une crise de l’investissement et plus particulièrement dans les équipements publics pourrait bien être le générateur d’impacts plus graves encore. L’appareil productif de nos économies dépend en effet en très grande partie de l’investissement. Il est le principal levier pour l’emploi et l’instrument de la stabilité et du développement de nos territoires, il convient donc là aussi de trouver les moyens nécessaires à son soutien.
En Europe, les gouvernements et les administrations tentent de préserver et relancer ce qui peut encore l’être et, même s’il est toujours déceptif de ne voir l’Europe arriver à coordonner ses partenaires qu’en temps de crise, les Etats sont fortement contraints mais relativement unis.
Le modèle tel qu’il est en train d’être repensé au niveau international, fort d’une initiative européenne revigorée par les promesses d’un nouveau partenariat avec les Etats-Unis, génère de très fortes attentes mais il est certain que les changements souhaités et projetés ne peuvent s’opérer si l’application du modèle ne fait pas l’objet de réformes au niveau des politiques intérieures des Etats à partir d’objectifs eux aussi coordonnés. L’Europe peut donc pleinement y jouer son rôle et le bénéfice immédiat est que les tentations souverainistes sont vouées à s’éloigner, au moins pour un temps.
En France, pour faire face à la limitation des marges de manœuvre financières de l’Etat et des collectivités locales, les Partenariats Public-Privé (PPP ou 3P) sont apparus en 2004 non sans générer certaines inquiétudes mais comme un outil capable de donner des moyens aux ambitions et préoccupations des pouvoirs publics.
Le recours aux PPP, qui permet aux organismes publics de confier le financement, la réalisation et la maintenance d’un équipement à une entreprise privée, avait déjà été favorisé par la loi adoptée en juillet dernier, qui étend leur champ d’application. Une loi qui suscitait la polémique, certains -au sein de la gauche notamment- y voyant un tremplin pour les grands groupes du BTP au détriment des PME. Le Conseil constitutionnel avait recadré le texte, rappelant le caractère exceptionnel que se devait de conserver ce type de partenariat.
Le recours aux PPP est encore plus « au cœur de l’actualité en ces temps difficiles aux plans économique et financier », s’est félicité le secrétaire d’Etat chargé des PME, Hervé Novelli, lors des deuxièmes rencontres internationales des PPP qui ont rassemblé pouvoirs publics, entreprises et banques les 29 et 30 octobre au Palais des Congrès de Paris.
Si la France est plutôt bien placée sur la courbe de maturité des PPP, ces derniers connaissent à l’international des difficultés qui sont susceptibles de remettre en cause ou de différer fortement les projets en cours. Ces difficultés appellent des réponses fortes et claires dès à présent car elles sont aussi bien présentes en France. Noël de Saint Pulgent, le président de la mission d’appui aux contrats de partenariat (MAPPP) a annoncé son intention d’ouvrir le dialogue avec les banques pour voir ce qu’il était possible de faire afin que les projets en PPP ne soient pas freinés, et ce faute de financements. « Les PPP ne s’implanteront durablement que si nous faisons preuve d’excellence dans ce domaine. Pour ce faire, nous devons, acteurs publics et privés, faire preuve d’un très grand professionnalisme. Il faudra s’adapter aux nouvelles normes financières, donc nous allons dialoguer avec les banques pour voir ce que nous devons faire. »
Comme l’explique Le Moniteur, le plan gouvernemental de soutien aux banques pour qu’elles laissent ouvert le robinet du crédit aux entreprises « va permettre de relancer les grands projets », a souligné Philippe Germa, directeur général de la filiale environnement et infrastructures de la banque Natixis. Pour sa part, Michel Destot, président de l’Association des maires de grandes villes de France et député-maire socialiste de Grenoble estime que « Le PPP est bel et bien un outil qui permet de dépenser mieux, d’améliorer l’efficacité des derniers publics ». Même si ce « n’est pas une formule magique permettant de contourner le manque de financements ».
Les PPP étant un dispositif contractuel en cours de généralisation dans de nombreux pays et de nombreux pays européens, il est important que l’Europe donne un cap clair et prenne des mesures cohérentes, conformes à son esprit fondateur, nous pensons notamment aux PPP qui mobilisent ou sont amenés à mobiliser des fonds européens.
Cela paraît être de bon sens surtout si l’on considère la nature et les objectifs partagés entre PPP et FEDER.
Échangeant avec un de nos contacts en Belgique, nous évoquions récemment la question du soutien de l’Europe par une garantie des financements des PPP sollicitant le FEDER par exemple. Il serait intéressant de savoir dans quelle mesure le banquier du partenaire privé pourrait obtenir des garanties sur les subventions. En première réflexion, deux questions se posent : la réglementation FEDER autorise-t-elle de telles « cessions » et les réglementations nationales applicables au projet permettent-elles aux organismes publics de céder des droits au partenaire privé avant la construction / mise en exploitation. La réglementation FEDER, elle oblige les bénéficiaires à respecter les politiques communautaires, dont la réglementation des marchés publics. Par ce biais, la question du champ d’application des directives MP se pose de la même façon pour les subventions que pour la légalité du montage. Ceci appelle donc à la plus grande prudence mais en tout état de cause, la crise financière se reporte aujourd’hui plus fortement sur l’argent des collectivités locales et l’Europe doit y faire face, même si pour le moment les déclarations sur la question sont rares au niveau européen.
En France par exemple, les collectivités ont emprunté cette année 105 milliards d’euros dont près d’un quart le sont dans un cadre contractuel complexe selon l’agence de notation Fitch, cadre qui est très sensible depuis la crise des subprime. Certains observateurs avaient pourtant tiré la sonnette d’alarme depuis plusieurs mois en pointant que les banques auraient « légèrement » abusé du produit dit « structuré » et que le client public aurait quelque peu joué avec le feu. À la rentrée, Claude Bartolone avait été le premier élu à rendre public l’épineux problème, problème qui désormais ne peut plus être occulté, notamment après les cas Dexia, Natixis et Caisse d’Epargne. Pour éviter des répercussions plus importantes, il conviendrait de porter au niveau européen cette question pendant les quelques semaines de présidence française de l’Union qu’il nous reste, en particulier pour les PPP institutionnalisés qui sont des entités à capital mixte habituellement créées pour la prestation d’un service au public, notamment au niveau local.
En 2007, les PPP ont été un instrument de croissance qui s’est fortement développé (+37% selon l’étude de DLA Piper. La valeur cumulée des projets PPP ayant atteint le stade de l’appel d’offres culmine à 73 milliards d’euros. DLA Piper estime également à plus de 100 milliards d’euros la valeur cumulée des projets PPP susceptibles d’être réalisés au cours des 3 à 5 prochaines années). En attendant les chiffres de 2008, il faudra suivre de près les déclarrations des pouvoirs publics et de l’Union Européenne.
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Addenda : parmi les derniers éléments d’éclairage sur les PPP et la crise, nous vous recommandons la lecture d’un document canadien intitulé « A matter of time », publié mi novembre par Ernst & Young pour le Canadian Council for Public-Private Partnerships sur un blog dédié. Cette première contribution porte sur les PPP et la crise du crédit. Elle est signée par Daniel Roth de chez Ernst & Young Montréal pour qui, les projets canadiens continueront même dans le court terme, à obtenir le financement nécessaire et à atteindre la clôture financière. Mais les gouvernements doivent adapter leur processus d’acquisition à la situation présente.
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