Lors de la présentation du rapport d’étape de la mise en œuvre des 374 décisions prises dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), nous avons pu prendre connaissance le 3 décembre dernier de l’avancement des réformes. Celles qui concernent la culture ont été présentées par le ministère de la Culture et de la Communication et nous les citions récemment sur CEG.
Si de manière globale le rapport d’étape précise que 85% des propositions avancent conformément au calendrier de mise en œuvre fixé, on prend néanmoins la mesure de leur impact et du changement qu’elles introduisent sur l’organisation centrale de la quasi-totalité des ministères. Pour ces derniers, un des objectifs principaux est de mettre en place de nouvelles directions déconcentrées, moins nombreuses et plus opérationnelles.
Il faut tout de même rappeler que si la LOLF avait déjà permis de mettre en place les contrats d’objectifs auprès de chaque directeur d’administration pour assurer l’efficience des politiques sectorielles, la RGPP se conduit dans un contexte particulièrement inquiétant pour les crédits dits d’opérations.
En effet, la notion anglo-saxonne d’efficience qui se définit par la capacité de produire un effet (espéré positif) disait déjà tout d’une certaine lecture de l’état de nos administrations mais elle était malgré tout expliquée et comprise comme la nécessité de faire mieux à moyens constants. Or aujourd’hui les intérêts que l’Etat paie pour ses emprunts représentent près de deux fois le montant des crédits d’opérations engageables par les ministères pour leurs politiques. En d’autres termes la dette publique est à moitié constituée d’intérêts et ne correspond donc pas aux dépenses faramineuses qu’on prête au service public.
La situation s’aggrave d’autant que les tentatives de relance par l’investissement semblent peiner à se mettre en place pour une grande partie du fait l’absence du changement des règles de gouvernance que les finances publiques sont sensées édicter. Les opérateurs financiers et les bailleurs de fonds qui sont encore debout ne jouent pas tous non plus leur rôle de levier de la relance en augmentant la pression du crédit par sa raréfaction et dans certains cas en exigeant des garanties supplémentaires (notamment pour les collectivités).
Le dilemme est donc total de toutes parts puisqu’un d’un côté, on ne peut pas décemment continuer de creuser la dette et la transmettre aux générations futures et de l’autre il devient de plus en plus difficile de financer les crédits d’opérations compte tenu des proportions de cette même dette publique.
Souvenons-nous, et ce n’est pourtant pas si loin que cela, que dans la poursuite de la déconcentration et de la décentralisation que la LOLF encadrait, des transferts de compétences devaient s’opérer pour tenter d’alléger les difficultés liées à la pratique bien installée en France des financements croisés (difficultés auxquelles la commission Balladur s’attaque désormais). Ces transferts de compétences devaient s’accompagner de compensations budgétaires, au moins pour un temps, qui dans la pratique n’ont hélas pas toujours été assurées, ce qui a engendré la grogne des collectivités locales dont l’association des Présidents de Région et l’association des Maires de France ont été très largement les échos.
Sensée prolonger le mouvement tout en l’amplifiant et en le rendant plus cohérent, force est de constater que la RGPP a été avancée en 2007 sur un socle idéologique et politique fondé en 2005 et qui est pour le moins discutable, à défaut d’avoir été débattu suffisamment en profondeur. Et pour cause, puisque cela se fit pour partie dans les « laboratoires » de l’UMP lors de la conception du programme présidentiel.
Trouver dans la gestion du court terme les raisons de complexifier la gestion à moyen terme est décidément une mécanique politique bien rôdée. En conséquence, la RGPP s’affirme comme le changement le plus radical dans la gestion des finances publiques jamais entrepris sous la cinquième République, tant le changement s’est fait attendre. C’est du moins le discours ambiant récurrent. L’effet du discours est à mettre en superposition avec la situation d’urgence dans laquelle la réforme est menée. Le diable est dans les détails mais nous n’avons pas le temps de nous en préoccuper et ceci est fort dommageable.
Si on peut déplorer une perte lente mais certaine des contre-pouvoirs en France, quelques voix se sont tout de même élevées pour tenter de créer un débat qui n’a hélas pas vraiment pris. Le pouvoir législatif subit de plein fouet l’accélération du train des réformes et de nombreuses questions qui méritent débat passent à la trappe. Pendant ce temps-là, les administrations vaquent à leurs occupations et peinent à conserver un cap.
Ne s’agit-il pas au fond d’une absence de renouvellement de la vision française de la gestion des finances publiques qui se met désormais au pas de charge (ou, pour nuancer le propos : d’une difficulté de la spécificité de notre modèle à se moderniser) à la faveur d’une adoption quasi aveugle de l’approche anglo-saxonne ? On finit par ne plus savoir qui est l’alibi dans cette histoire et on y va de son explication franco-française en nous disant :
- que la RGPP est devenue le terrain de prédilection des « cost-killers »,
- qu’il est douteux que Michel Pébereau (auteur du rapport sur la dette en 2005 dont la RGPP émane directement) siégeant au comité de suivi de la RGPP, ne soit pas seulement le président de BNP-Paribas, mais qu’il dirige aussi l’Institut Aspen (l’un des nombreux groupe de « réflexion » de l’oligarchie financière internationale),
- que ce dernier avait décidé en 2006 « d’intervenir dans l’agenda de l’élection présidentielle » en orchestrant une véritable terreur budgétaire grâce à laquelle tout débat sur l’avenir, les investissements publics et les grands projets, avait été exclu de la campagne présidentielle. (Pour celles et ceux qui ont côtoyé le ministère de la culture et les DRAC en 2006-2007, souvenez-vous des déclarations à longueur de dossiers sur « l’année 0 »),
- que l’actuel ministre du budget a été un des associés du cabinet Arthur Andersen pendant six ans (avant l’affaire Enron) et que celui-ci a nommé à la tête de la Direction générale de la modernisation de l’Etat le polytechnicien François-Daniel Migeon, tout frais sorti de chez McKinsey,
- etc.
Des nombreux éléments de ce type ont été identifiés par Philippe Derudder et André-Jacques Holbecq en 2007. Il faut savoir raison garder, ce qui ne nous exonère pas pour autant d’être vigilants.
Mais au fond et autrement dit, le support nécessaire à l’acceptation de la mise en place d’une politique de rigueur au long cours qui ne veut pas porter pas son nom a été fourni depuis 2005, et on s’étonne de la perte régulière de dixièmes de points de croissance… On finit par l’oublier depuis l’arrivée de la crise financière et économique de la fin de l’été. On préfère stigmatiser et hypertrophier les mauvaises pratiques (bien réelles malgré tout) de la sphère de la finance internationale.
Cet après-midi encore, Christine Lagarde déclare devant la représentation nationale que « le langage de vérité a toujours été tenu par le gouvernement vis-à-vis des citoyens » alors que pendant des mois avant la crise, on s’est fendu d’un débat de sémantique plus que regrettable sur le mot « rigueur », mot qu’il ne fallait absolument pas prononcer. Aujourd’hui c’est le « pragmatisme » qui est de rigueur…
Tout cela est tout à fait cohérent et n’est que la suite logique de notre lourd héritage. En fait, nous payons cher notre histoire centralisatrice car nous avons manqué la plupart des grands rendez-vous de la réforme. Trois décennies d’entêtements et de tâtonnements sur une certaine idée de l’exception culturelle française bien arqueboutée sur notre complexe de supériorité bien à nous.
Aujourd’hui la « patrie des droits de l’homme » où ces derniers seraient soi-disant devenus « inutiles » administrativement à la politique de l’Etat a bien du mal à assumer et recrédibiliser sa place dans le concert des nations tant certains décalages sont grands.
Pendant ce temps-là, la société a évolué, les sociétés ont changé. Pour ne parler que de l’Europe, le paradigme à 12 ne peut être le même à 27. Il s’agit pourtant d’un projet de société. Notre vision de l’Europe a-t-elle changée pour autant ? Rien n’est moins sûr.
La question ne serait-elle pas celle de l’habitus français d’affirmer par la négative notre désir de changement ?
Le prochain rapport d’étape de la RGPP est prévu en mars 2009 et nous attendons toujours que le débat soit véritablement public, qu’on nous propose autre chose que du sondage par Internet (voir l’idée qu’on se fait du dialogue social et de la concertation sur le site dédié à la RGPP…) pour solliciter les citoyens et les acteurs des territoires. On nous explique que le « travail très approfondi de mise en œuvre et de dialogue social, que conduisent les ministres et leurs administrations, va se poursuivre et donnera lieu à un nouveau rapport d’étape en mars 2009 ». Attendons donc mars 2009…
Les acteurs de la culture ont entamé leurs entretiens de Valois depuis un moment déjà et, même avec la meilleure des volontés, il est difficile de constater une quelconque prise en compte de leur parole dans les mesures avancées dans ce rapport. C’est sûrement le cas même pour une infime partie. Il serait néanmoins intéressant d’avoir l’intégralité des retranscriptions des entretiens conduits depuis pour cela. Si quelqu’un les possède, les as repérés ou peut les obtenir, qu’il n’hésite pas à en faire part sur CEG.
En attendant, on nous dit que « de ces discussions avec les professionnels du secteur et avec les collectivités locales sortiront des orientations de réforme du soutien de l’Etat en ce domaine ».
Alors, on finit par se demander où se trouvent les débats où les observateurs et les praticiens contribuent par leur retour d’expérience et leur vision à la détermination d’un cadre de politique culturelle qui ne soit pas uniquement administratif et financier mais tournés vers les enjeux des pratiques de la culture.
Les rencontres BIS 2008 qui se sont tenues en janvier dernier à Nantes avaient eu le mérite de voir des professionnels établir de bonnes fondations et de bons diagnostics à travers des échanges brillants. Chacun s’y retrouvait : artistes, acteurs culturels, professionnels du spectacle, collectivités locales, experts, commande publique et institutionnels. Des perspectives fortes ont été tracées pour préserver ce qui peut encore l’être et se projeter dans l’avenir, conscient du travail qu’il reste à accomplir pour établir un équilibre profitable entre offre et demande sur nos territoires.
Les 3èmes journées d’économie de la culture organisées par le DEPS les 2 et 3 octobre à Paris, ont ausculté dans le détail l’état des industries culturelles et créatives en Europe. Celles-ci représenteraient aujourd’hui 3,4 % du commerce mondial (selon le rapport de cette année de l’ONU Creative Economy) et leur part devrait s’accroître dans les prochaines années, où, selon les prévisions, un tiers de la croissance sera dû aux téléphones portables et à Internet. Ceci ne vient pas sans boulerverser les modèles économiques existants mais également socio-économiques.
Le « Davos de la culture » qui s’est déroulé en Avignon des 16 aux 18 novembre derniers a établi que l’économie de la culture (et celle des médias) est en train de changer. En réalité, toute personne observant l’économie de la culture peut affirmer que celle-ci a déjà changé, en France et ailleurs, comme les intervenants l’ont parfaitement démontré, et le philosophe Gilles Lipovetsky a parfaitement résumé la situation : « nous sommes en train de passer de la marchandisation de la culture à la culturalisation de la marchandise ». À condition d’entendre la culture au sens des industries culturelles et créatives, comme ce fut le cas en Avignon.
La culture comme un levier transversal aux politiques sectorielles est un axe important du développement mais il reste encore tant à faire. On voit par analogie à quel point il est difficile de mettre en place des politiques transversales (économie numérique, droits de l’homme, développement durable notamment). À quand le Grenelle de la culture tant réclamé par les professionnels mais refusé par Christine Albanel depuis décembre 2007 ?
On peut alors se demander si les tentatives de « rattrapage » que la RGPP est sensée opérer constituent un pari sur l’avenir. Il faut faire ce pari bien entendu, mais dans quelles conditions et à quel prix ?
Nous sommes donc allés ce lundi, non sans une certaine curiosité, aux « Utopiades » organisées le 15 décembre dernier par l’ARENE au théâtre du rond-point des Champs-Elysées. CEG avait annoncé le caractère prometteur du sujet de cette soirée « Culture et développement durable ». Les enjeux n’ont hélas même pas été posés. La préparation pour le moins insuffisante du thème et le déroulement chaotique de la soirée ne sont pas venus nous rassurer sur l’avenir. L’intention était pourtant là, mais le rendez-vous fut totalement manqué.
Dans la deuxième partie de cet article à paraître dès la rentrée, nous tenterons modestement de faire une proposition sur cette question « culture et développement durable », en revenant malgré tout sur les « Utopiades ». Vos contributions et vos commentaires sont comme toujours les bienvenus.
Alors que nous sommes bel et bien entrés dans l’ère de la fin des subventions, il serait plus qu’utile et légitime de se demander si les conséquences de la RGPP sont susceptibles de rendre les politiques culturelles durables en France.
En attendant mars 2009, échangeons dès maintenant.
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