Les réflexions et la vision de Keynes sont de retour dans la plupart des gouvernements qui tentent de trouver une issue à la crise financière, c’est indéniable.
Mais si le retour en force de celui qui a bien des égards est considéré comme le plus grand économiste du XXème siècle et qui a été relégué dans le passé par les tenants de la morosité à une place d’honneur dans l’histoire économique est bien identifié, peu nombreux sont ceux qui connaissent l’importance de son rôle dans le domaine de la culture, des arts et des politiques culturelles.
John Maynard Keynes fut un des plus grands bienfaiteurs de son temps pour les arts, considérant qu’ils constituent un ingrédient tout aussi essentiel à nos vies que l’économie, les incluant à part entière dans l’économie.
Il s’est investi pendant la plus grande partie de sa vie dans le groupe Bloomsbury, la communauté d’artistes et d’écrivains dont Virginia et Léonard Woolf faisaient notamment partie. Au sein de ce groupe, il fut en mesure d’appréhender avec une grande acuité l’importance de l’art en tant qu’expression fondamentale de l’Homme civilisé.
Dans son essai « Economic Possibilities for Our Grandchildren » publié en 1931, il prédisait que dans 100 ans les problèmes économiques seraient résolus, que l’économie serait capable de fournir tous les biens nécessaires, que l’idéologie capitaliste serait abandonnée et que les peuples pourraient se consacrer à la culture de ce qu’il appelle « l’art de vivre ». Les gouvernements éclairés seraient uniquement mus par l’intérêt et le bien public d’une société meilleure où les arts en seraient un des principaux supports.
Ses spéculations n’étaient pas uniquement théoriques, Keynes contribua de manière pratique à mise en place de politiques facilitant la collaboration public-privé dans le domaine artistique en Grande-Bretagne.
Il fut notamment collectionneur d’art et conseilla le Chancelier de l’Echiquier dans la politique d’acquisitions de la National Gallery. Dans les années 30, il fonda la London Artists Association pour encourager les talents prometteurs des arts plastiques ainsi que la diffusion de leurs œuvres sur le marché. Il finança en 1936 la création du Théâtre de Cambridge. En 1942, il fut nommé président du Council for the Encouragement of Music and the Arts (CEMA) dont la mission était de préserver et promouvoir la musique, les arts dramatiques et les arts visuels et d’accentuer la contribution des arts aux pratiques culturelles de la population. Il vit dans cette fonction un moyen d’aller au-delà de la simple appréhension de l’art comme un expédient pour supporter les circonstances terribles de la guerre mais également comme l’occasion de poser les fondations de structures institutionnelles dont le rôle serait de servir les arts et la demande culturelle après la guerre.
En 1945, le CEMA devint le Arts Council of Great Britain, tel que nous le connaissons aujourd’hui. Un an avant sa mort, Keynes eu l’occasion de déployer toute sa vision du ministère britannique de la culture dans une émission de radio où il plaida pour cette nouvelle organisation. Il proposa et formula l’articulation des principes fondant l’action de l’Etat dans le domaine culturel, principes qui demeurent tout aussi éclairants aujourd’hui : créer un environnement pour élever l’esprit, cultiver l’opinion, offrir un stimulus pour atteindre ces objectifs et pour que les artistes et le public puissent s’appuyer mutuellement sur leur union comme ce fut le cas dans les grandes périodes de l’histoire de notre civilisation.
Là où on s’attend également à un Keynes prônant l’interventionnisme de l’Etat, on découvre une vision fondatrice. Une telle vision ne devait pas s’accomplir à travers un contrôle et un financement exclusif de l’Etat mais à travers l’encouragement, la promotion et l’expérimentation, ce vers quoi s’orientent la plupart des ministères de la culture dans le monde.
Sa vision des responsabilités du gouvernement pour renforcer le développement artistique et culturel constitue un héritage politique lui aussi bien présent aujourd’hui. À l’heure où sa vision économique inspire de nombreux pays pour sortir de la crise, cette autre facette de Keynes en est tout aussi éclairante et mérite plus qu’un détour.
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