L’UNESCO a annoncé le 28 juin dernier que 13 nouveaux sites viennent d’être ajoutés à l’inventaire dit du « patrimoine mondial de l’humanité ». Le Comité du patrimoine mondial a aussi inscrit 3 sites sur la Liste du patrimoine en péril en vue d’obtenir un appui international pour leur préservation.
Voici les seize sites :
- La mer des Wadden (Allemagne-Pays-Bas)
- Les Dolomites (Italie)
- Le parc naturel du récif de Tubbataha (extension du Parc marin du récif de Tubbataha, Philippines)
- Le palais Stoclet (Belgique)
- Les ruines de Loropéni (Burkina Faso)
- La Cidade Velha, centre historique de Ribeira Grande (Cap-Vert)
- Le mont Wutai (Chine), montagne sacrée du bouddhisme
- La tour d’Hercule (phare datant de l’empire romain en Galice, Espagne)
- Le système hydraulique historique de Shushtar (Iran)
- La montagne sacrée de Sulamain-Too (Kirghizistan)
- La ville sacrée de Caral-Supe (Pérou)
- Les tombes royales de la dynastie Joseon (République de Corée)
- Le pont-canal et le canal de Pontcysyllte (Royaume-Uni)
- La Chaux-de-Fonds/Le Locle, urbanisme horloger (Suisse)
- De la grande saline de Salins-les-Bains à la saline royale d’Arc-et-Senans, la production du sel ignigène (extension de la Saline royale d’Arc-et-Senans, France)
- Levoca et les œuvres de Maître Paul à Spis (extension de Spisský Hrad et les monuments culturels associés, Slovaquie)
L’inscription d’un site ou d’un monument à l’inventaire du patrimoine mondial de l’humanité est le résultat d’un long processus d’instruction où les critères de sélections sont draconiens, beaucoup plus draconiens que par le passé dira-t-on.
Il faut ajouter à cela qu’être candidat à l’inscription au patrimoine mondial est un travail qui commence plusieurs années en amont car il faut rassembler tous les témoignages et les données qui légitiment la candidature.
Pour autant, cela ne suffit pas pour être retenu, une bonne candidature est un tout où contenus, stratégie, synergie d’acteurs et prise en compte d’une certaine dimension concurrentielle sont incontournables.
Les aspects de « planification et organisation » sont tout aussi essentiels car non seulement ils augmentent la possibilité de voir le dossier aboutir mais ils permettent aussi d’anticiper plus fortement les risques qui menacent le site en question.
Car il faut aussi savoir qu’un site promu peut être retiré de la liste si ce dernier ne suit pas à la lettre le cahier des charges que suppose l’inscription ou si un projet inscrit se trouve modifié par un élément extérieur non anticipé.
C’est le cas de la vallée de l’Elbe à Dresde en Allemagne. Le Comité du patrimoine mondial a décidé de retirer ce site de la liste du patrimoine mondial, suite à la construction d’un pont à quatre voies au cœur de ce paysage culturel, ce qui signifie que le site n’a pas su conserver la valeur universelle exceptionnelle qui lui avait valu son inscription.
Dresde a été inscrite en tant que paysage culturel en 2004. Le Comité a déclaré que l’Allemagne pourrait proposer à l’avenir une nouvelle demande d’inscription concernant Dresde. Le Comité reconnaît ainsi que des parties du site peuvent être considérées comme ayant une valeur universelle exceptionnelle mais qu’il faudrait le présenter selon d’autres critères et avec d’autres limites géographiques.
Dresde est ainsi le second site retiré de la Liste du patrimoine mondial. Le cas s’est déjà produit en 2007 avec le sanctuaire de l’Oryx arabe (Oman). Il convient toutefois de noter qu’il s’agit d’une procédure très rare, ce qui renforce la gravité de l’impact pour les sites concernés.
Le cas du site pourtant si pittoresque de la vallée de l’Elbe semblait faire l’objet d’un consensus général, du moins au départ. Puis, la Ville de Dresde a décidé la construction du pont malgré un fort mouvement d’opposition parmi la population et les intellectuels du pays, entre autres l’écrivain et prix Nobel Günter Grass. Deux tiers de la municipalité étaient toutefois convaincus de la nécessité de ce pont et aucun compromis n’a été trouvé.
S’il est vrai qu’un paysage et un écosystème modifiés à ce point ne peuvent rester sur la liste du patrimoine mondial, nous devrions nous interroger sur la nécessité de mettre en place des protocoles qui permettent d’éviter cette conséquence négative, en particulier pour les sites classés en péril.
La construction d’un pont n’est pas une décision qui se prend à la légère, cela se prépare de longue date. Le site pressenti pour l’édification était repéré (les premières sources remontent à 1998) et à la suite de l’annonce du projet, les 18km de rives de l’Elbe inscrits avaient été classés en péril en 2006. Ce classement n’a pas suffi à interrompre le processus.
Le cas de Dresde devrait inspirer les méthodes de conception, d’instruction et de suivi de ce type de dossier car le « redécoupage » suggéré par le Comité à l’Allemagne pour le site de Dresde risque de prendre un certain temps, temps qui face à la construction de l’ouvrage risque d’être insuffisant pour préserver le site des nuisances, des pollutions, des dégradations et des destructions. L’intérêt du site, même défiguré par un pont, n’a pas disparu pour autant. Il n’est peut-être pas trop tard.
Plus généralement, on peut aussi se poser la question de l’impact positif d’un ouvrage supplémentaire sur un site, si cet ouvrage apporte une contribution supplémentaire à la préservation et à la valorisation dudit site, surtout si cet ouvrage est un ouvrage d’art. Ce n’est peut-être pas le cas de Dresde mais l’intégration en amont des dossiers qui comportent une problématique d’aménagement ou de restauration pourrait aussi être l’opportunité de concevoir des démarches exemplaires qui soient complémentaires et renforcent plus encore la dimension patrimoniale et environnementale.
N’oublions pas en effet que l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité constitue non seulement une importante source de revenus et de fréquentation pour les sites, une valeur ajoutée incontestable pour les territoires, mais aussi la préservation d’une mémoire dont la valeur est considérable et qu’il convient de perpétuer. C’est là toute la noblesse de la mission de l’Unesco et de son Comité du patrimoine mondial.
La France elle compte une trentaine de sites et biens inscrits au patrimoine mondial, ce qui est un atout considérable pour l’image culturelle française et bien entendu son tourisme, par rapport à la plupart des pays du monde qui sont beaucoup moins bien pourvus en sites inscrits.
D’autres sites français préparent leur candidature mais on sent monter l’insatisfaction de certains pays du sud depuis plusieurs années. Ces derniers comprennent en effet de moins en moins la disproportion du nombre de sites par rapport à leur territoire et leur patrimoine. Considérons par exemple que l’Inde n’en possède que 14…
Si dans l’héritage occidental très ethno centré il est admis que la culture et le patrimoine ont constitué un des vecteurs de rayonnement (et de domination), dont il est évident que l’impact fut massif sur le reste de la planète et sur nos échanges, il est en revanche moins aisé de conscientiser le mouvement qui est en marche depuis quelques décennies. Pour certains, il s’agit au minimum d’un rééquilibrage entre le nord et le sud. Néanmoins, de plus en plus nombreux sont les spécialistes qui démontrent et affirment plus frontalement un véritable décrochage de l’occident. Nécessairement l’Unesco doit aussi le prendre en compte mais ne pourrait-on pas convenir que l’enjeu se situe ailleurs ? Cette fameuse question de la diversité culturelle qui a tant fait débat à l’Unesco et qui à fait l’objet de tant de tractations politiques entre les délégués, ne serait-elle pas plus à la hauteur de l’enjeu si nous considérions que c’est la culture de la diversité qui doit nous animer ?
Il y a dans l’appellation « diversité culturelle » un mouvement passif, qu’on l’appelle lutte, préservation ou défense. Promouvoir la diversité culturelle peut s’inspirer d’une vision universaliste mais ne peut réellement l’incarner pour tous. Historiquement cela s’est majoritairement accompli au détriment d’autres cultures. C’est la référence au modèle civilisationnel occidental que nous avons toujours connu, qui après des siècles de lutte parvient à se baser sur l’espoir et la volonté d’une coexistence pacifique entre des cultures aux expressions diverses.
Dans « culture de la diversité », nous nous situons dans une registre sémantique plus ouvert et proactif, où la responsabilisation s’opère dans une dynamique de construction d’un nouveau modèle civilisationnel qui fait de la diversité la ressource grâce à laquelle le modèle se construit et fonctionne dans un processus de socialisation.
En faisant cette distinction, nous serions peut-être plus à l’aise dans notre rapport si complexe aux institutions de gouvernance internationale et le patrimoine mondial de l’humanité ne s’en porterait pas plus mal.
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