La récente « levée de boucliers » des seuls milieux culturels contre l’éventuelle suppression de la clause de compétence générale est révélatrice de l’absence de vision politique du rôle de la culture, de l’asthénie des professionnels, du désintérêt de nos concitoyens pour le sujet.
Ce débat est dangereux car il enferme l’art et la culture dans un espace strictement institutionnel alors qu’il s’agit d’une véritable question politique. Quelle société voulons-nous pour nous-même et nos enfants : le libre – échange à visée purement commerciale ou un espace régulé qui offre le plus juste équilibre possible entre activités marchandes et non –marchandes ? Un espace public réduit aux seules fonctions de sécurité et de justice ou la promotion d’un nouveau vivre ensemble fondé sur le respect mutuel ? Avant d’être une simple « compétence », le soutien à l’art et à la culture est d’abord affaire de désir, de volonté et d’engagement.
Ce débat est dangereux car il évacue la société civile et ignore le rôle des hommes. Avant d’être objet institutionnel, la culture est d’abord affaire de désir individuel et de volonté collective. Depuis le milieu des années 80, une mécanique infernale s’est mise en mouvement qui exclut progressivement les citoyens de la gestion du service public culturel. Or, c’est précisément l’engagement de militants et de bénévoles qui avait conduit les Collectivités à soutenir des projets et des établissements culturels. Est-il exagéré de regretter que ce lien ce soit progressivement distendu à la faveur du mouvement de professionnalisation des établissements culturels ? N’est-il pas surprenant que des organisations professionnelles prennent la défense des élus locaux, leur reconnaissant ainsi une « compétence » qu’ils contestaient hier encore pour cause d’ignorance ou de populisme ? Quelle part d’opportunisme et de corporatisme dans ce soudain revirement ?
Enfin, cette polémique est inutile car nul ne peut imaginer un seul instant que le Président de la République aille au bout de ce projet sans le consentement des associations d’élus. L’ex – Maire de Neuilly et Président du Conseil Général des Hauts de Seine sait pertinemment que ceci reviendrait à contrevenir fortement au principe de libre administration des collectivités territoriales. Alors pourquoi ce débat ? Il s’agit une fois de plus d’un tour de passe-passe. Tandis que la main gauche menace de supprimer la clause de compétence générale, la main droite fouille les poches des Collectivités. Le gouvernement finira par lâcher sur la compétence tout en les muselant via la réforme de la fiscalité locale. Les Collectivités pourront continuer à financer la culture, mais avec de moins en moins de moyens. Comment l’expliqueront-elles alors aux professionnels venus réclamer leur dividende de la victoire ?
Cette polémique met avant tout cruellement en lumière le manque d’intérêt de nos élites pour l’art et de la culture et le décrochage d’avec une grande partie de la société. Remettre cette question au cœur des préoccupations des Français et aux premiers rangs des enjeux politiques suppose de dépasser le simple cadre institutionnel. Il est urgent de refonder notre rapport aux citoyens, en sommes-nous encore capables ?
Denis Declerck*
*Denis Declerck est directeur de l’action culturelle à la communauté d’agglomération d’Evry Centre Essonne. Avant cela, il a été directeur de théâtres à Vienne (1989-1992) puis à Béziers (1992 – 1999) avant de rejoindre le ministère de la culture : conseiller théâtre et action culturelle à la DRAC Nord Pas de Calais (1999 – 2004) puis inspecteur (2004 – 2009). Il a notamment été le coordonnateur et le rapporteur général des Entretiens de Valois. Denis Declerck est titulaire du Master 2 “Direction de projets culturels” délivré par l’Observatoire des Politiques Culturelles et Sciences – Po Grenoble (1997).
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Très bon papier, je suis d’accord avec vous, mais quel futur alors si au final rien ne bouge !!! Pour reprendre un thème d’actualité est ce qu’on n’est pas en train de laisser un Domenech à la tête de la culture en France, tout le monde sait que ca va mal mais personne ne dit rien jusqu’à l’explosion, la chute et la désillusion ? A quand une reforme en profondeur qui permet à la culture d’entrée dans notre temps ?
Bravo à CEG et Bravo à Denis Declerk de mettre les pieds dans le plat.
Je signale, dans un esprit voisin, le papier de Jean-Michel Lucas » Décentralisation et compétences culturelles des colectivités : vrais et faux débats », on le trouve à cette adresse :
http://www.irma.asso.fr/Jean-Michel-Lucas.
J.C. POmpougnac et sa nouvelle adresse
http://cite.over-blog.com