La nuit dernière (0h17 s’il vous plaît), Jean-Michel Lucas et le Doc Kasimir Bisou nous ont fait le plaisir d’une livraison pétillante : une analyse ultra concise du volume « Culture » des Projets Annuels de Performance (PAP), annexe au projet de loi de finances pour 2011. Impossible de rester indifférent à cette nouvelle contribution au débat sur l’avenir de la culture dont les politiques sont plus que jamais en besoin de régénération. Rien de mieux pour démarrer le dimanche en fanfare.
Bonjour à tous,
puisque dix pages, c’est toujours trop long à lire, le Doc Kasimir Bisou tente la formule twitter améliorée en 78 lignes sur le PAP2011 coté culture :
« Certains d’entre vous se rappellent peut être que dans mes articles sur la LOLF et le PAP de la mission culture, (notamment sur irma.fr) j’avais forcément ironisé sur cet indicateur stupide qui voulait que la BNF soit évaluée par le taux de satisfaction des 1500 passants à qui on demandait s’ils étaient « satisfaits » de la noble institution. L’ironie s’imposait car légitimer 507 000 euros d’argent public par jour par la simple « satisfaction » du premier venu avait un coté « j’m’enfoutiste » qui aurait dû choquer même les rédacteurs les plus obtus des PAP de la LOLF !
(j’en connais encore qui ne savent pas ce qu’est le PAP, projet annuel de performances, qui reste le document nécessaire pour que le ministère de la culture obtienne des crédits du Parlement, ce qui n’est quand même pas négligeable dans une démocratie dont la force vient aussi de son formalisme.)
En lisant le PAP 2011, j’ai constaté que je n’aurai malheureusement plus le plaisir d’ironiser !! Car, enfin, c’est fait : cet indicateur (de la stupidité évaluative) a disparu.
Vous pensez peut être que je tire un peu de fierté de cette disparition aussi définitive que discrète !! Loin de moi cette pensée car dans le PAP 2011, la situation éthique de la BNF est encore pire que ce que je pouvais imaginer !
En effet, la Bibliothèque Nationale de France a changé de mission publique : elle a disparu de la mission « Patrimoine » ! En tout cas, elle n’est pas revendiquée par l’Etat comme le lieu protecteur du patrimoine écrit universel pour l’Humanité, dont les vertus émancipatrices mériteraient à la Malraux un apport d’argent public permettant de couvrir un cout atteignant maintenant 514 000 euros par jour !!). Aucune chance d’imaginer cet argument ! Non, pour ce prix là, il faut être sérieux et faire dans le lourd : la BNF est donc maintenant intégrée à la mission ‘médias livre et industries culturelles » qui n’a qu’une vérité : faire face à la compétition marchande des cultures !
Les premières lignes du PAP 2011 pour cette mission (programme 180) ne mentent pas : la vérité publique n’est plus dans l’œuvre à valeur universelle, elle est dans la concurrence :
« Dans un environnement de plus en plus concurrentiel et marqué par d’importants bouleversements technologiques, les défis auxquels les médias, le livre et les industries culturelles doivent faire face sont nombreux. Le passage au numérique, la modification des modes de consommation, la concurrence internationale accrue et les besoins nouveaux de l’audiovisuel public sont autant de gageures auxquelles les différents bénéficiaires des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » auront à répondre dans les trois prochaines années. »
page 8, signé François Fillon et Frédéric Mitterrand, excusez du peu !
Je le sais déjà : les lecteurs de Frédéric Martel et de ses amis politiques me diront, eux aussi, que c’est la voie du réalisme : la culture, ses acteurs comme ses objets, doivent rapidement s’affronter à la compétition culturelle imposée par tous les marchands du monde. et quand on lit ces vérités sur la puissance du marché pour l’avenir de la culture, on se croirait effectivement ( private joke pour les « personnes » habitant la communauté urbaine bordelaise) dans un colloque sur la « Ville Créative » dont même plusieurs villes de gauche sont friandes!
Sans doute, peut-on considérer qu’il est pragmatique de se concentrer sur la vente des services culturels pour qu’ils deviennent des armes de l’attractivité du territoire, c’est-à-dire rien moins que des munitions de la guerre culturelle de tous contre tous ! C’est une éthique comme une autre, mais est ce bien raisonnable pour les autorités politiques de réduire leur ambition culturelle à cet exercice de vendeurs, agressifs quoique artistiquement rayonnants, de services culturels compétitifs, comme si l’enjeu culturel n’était qu’un enjeu de secteur économique ?
On aurait préféré que les rédacteurs du PAP soumettent cette « éthique du rentable » à l’impératif culturel premier pour la responsabilité politique, à savoir la construction du vivre ensemble de cultures à facettes multiples, nécessairement solidaires les unes des autres en tant que contribuant chacune à la construction de l’Humanité… Sans se contenter d’inverser la donne en mettant le marché en premier et, à la traine, les valeurs culturelles. On comprendrait mieux si les députés rappelaient que la construction de l’Humanité, avec l’extraordinaire hétérogénéité des libertés ( Amartya SEN) qui l’enrichit, ne pouvait se réduire à transformer la BNF en concurrent de Google ! Car j’ai bien lu page 9 du programme 180 :« Le budget de la Bibliothèque Nationale de France sera recentré sur ses missions stratégiques et notamment la mise en place d’une bibliothèque numérique de référence ».
Pour penser le futur du monde dans ses complexités interculturelles, il n’y aurait rien eu d’indécent à considérer que l’enjeu culturel national relevait d’abord de la nécessité de revendiquer le « respect de droits culturels » des personnes, comme premier des droits humains, pour mieux élaborer, à chaque échelle de territoire, la part de culture commune qui rend la vie ensemble vivable.
C’est manqué, c’est cruel car cette éviction de l’éthique culturelle humaniste se lit dans un texte où l’exécutif soumet ses intentions politiques aux élus de la nation, donc dans un texte qui devrait faire honneur à la démocratie dans son formalisme salvateur.
A vrai dire, tout ceci n’a pas d’importance car le PAP qui engage la république n’est lu par personne. Trop long et trop copieux et moins rigolo que le « Mainstream » de Martel qui sait, lui, nous distraire en nous donnant même la couleur des triporteurs de Mumbai ( jaune et noir page 237).
Pourtant quand le PAP 2011 se vante de développer une « nouvelle politique de la lecture publique » pour annoncer que l’Etat y consacre 31,5 millions d’euros ( en cherchant bien) alors que la vérité du texte est de recycler la BNF en concurrente de Google bis pour une somme totale de 206 millions d’euros, on se dit que le rédacteur s’est un peu perdu dans la hiérarchie des arguments !!
Mais comme on n’a pas le temps de tout lire, me disait récemment un député d’opposition, le PAP ne prend guère de risque à manier la langue de bois. Tant pis pour le débat public, tant pis pour la démocratie, tant pis pour l’éthique de la politique culturelle.
Comme vous ne trouverez pas le PAP culture sur le site du ministère ( que je n’ose plus appeler) de la culture, je vous mets en fichier joint le texte des deux missions évoquées. A lire comme le roman d’une démocratie à l’éthique torturée !!!
Quant au genre twitter, ce n’est pas encore pour aujourd’hui, mille excuses,
A la prochaine fois, peut être aux « Métallos » le lundi 11 octobre, avec une rencontre sur « la bataille de l’imaginaire » et un rappel des enjeux de l’éthique de la dignité comme fondement pour reconstruire une politique de la culture en société de liberté.
Bien respectueusement pour ceux qui ont été jusqu’au bout
le doc KB et Jean Michel Lucas
Pour prendre connaissance du PAP Culture 2011, vous pouvez télécharger ses deux volumes dans notre Box Ressources.
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Faire enfin son deuil du système français de la Culture?
Pour répondre à ce texte très rigolo sur les PAP et à l’article d’Irène Tinagli (La Stampa) sur le « brin de chaos », convenons qu’il existe en France des villes qui ont innové, ont fait confiance aux nouvelles compétences, ont pris des chemins de traverse, ont surtout désenclavé la Culture de son superbe isolement..Partout, il faut le remarquer, ce sont des jeunes équipes, à la fois récentes et âgées de 25-40 ans, qui ont pris les choses en main et qui décident. Partout aussi un lien étroit lie en permanence la création et la vie économique locale, les patrimoines matériel et immatériel, le présent et le futur, comme c’est le cas à Lille ou Nantes, au Grand Lyon ou à Montpellier, en Alsace ou maintenant en Corse. Enfin partout ou prend place ce renouveau, on remarquera l’absence de Papes et de PAP, et la discrétion de ceux qui, ailleurs, qui n’ont de cesse, comme au sortir de la révolution, de vouloir « éclairer le peuple », de le « tirer vers le haut » ( il est si bas.. ). Dans d’autres régions, en fait, une élite – pas mal d’ énarques, et beaucoup d’ex-enseignants – se méfie encore du peuple, dans les DRAC ; les cabinets ministériels ou ceux des régions plus conservatrices…L’élite déteste, par exemple, la co-création des contenus ou les réseaux sociaux. Elle ne fait pas confiance.
En fait, en France, si peu d’acteurs en veulent, de ce renouveau, que cela fait peine…Les élus semblent muets, et ont baissé les bras. La plupart d’entre-eux n’en peuvent plus des « acteurs culturels » de l’Etat qui grimpent aux rideaux à la moindre tentative de décentralisation. Ou ils n’en peuvent plus de leur frayeur que la culture soit « utilisée » ou « instrumentalisée » pour le développement économique local. Les autres réseaux professionnels (Entreprises, artisans, commerçants, ingénieurs, ouvriers ou agriculteurs…) ne comprennent pas très bien non plus le « Résistons! » de la Culture, eux qui ont du mal, aussi, en ce moment. Et comment peuvent-ils interpréter ces formules de « Prise de risque artistique » ou cette revendication de « Liberté totale de l’offre » ? Ils ne comprennent pas, dans ce catéchisme, la forme d’exclusivité donnée au « Public de proximité le plus large possible, à commencer par les français », comme l’énonça Malraux en fondant le ministère. Et ils sourient quand ils entendent l’argument suprême, cette « politique culturelle que tout le monde nous envie ». C’est bien normal : quel autre pays a autant de moyens (Personnels et subventions, procédures et statuts…) que le secteur public culturel de notre pays? Aucun, à notre connaissance, pas même l’Italie, qui pourtant a une offre relativement similaire à la nôtre, pour le patrimoine ancien et moderne. Et aucun ne se soucient aussi peu des publics, à notre connaissance, que notre pays.
Des moyens exceptionnels qui n’ont pourtant pas empêché l’échec très cuisant de la démocratisation culturelle. De 1995 à 1998, 0,01% des jeunes défavorisés (Politique de la Ville) ont eu accès aux musées,( Cf Rapport sur ce sujet à Catherine Trautmann, fév.98). Et en 2009, ce pourcentage infime a même baissé pour l’Opéra de Paris ou les théâtres nationaux, a baissé pour les étudiants des écoles d’art, qui semblent « réservées » à la classe moyenne supérieure (Cf.Rapport de la DAP, 2001, sur le profil des étudiants des 47 écoles d’art).Pour les musées et les monuments, il n’y a même plus de statistiques disponibles, comment l’administration publique peut-elle en en évaluer les progrès, en ce cas?
Bref, quarante ans que cela dure, et il faudrait encore espérer ce vivre ensemble, sans changer fondamentalement les procédures ( et pas seulement les PAP), les façons de penser et de proposer de l’action culturelle non pas en vase clos, mais en entrant dans les stratégies d’autres filières, ou dans celles des territoires. Rêver, invoquer le « Vivre ensemble » comme sublime horizon, ou ne rien changer fondamentalement c’est, à coup sûr, reconduire les mêmes résultats. S’obstiner à convoquer sans cesse L’Intérêt Général et la République, plutôt que la démocratie, comme arguments-béton d’un maintien global de ces politiques, on peut être d’accord, à condition qu’on ne les oublient pas systématiquement au moment de la prise de décision financière (Cf.la Politique de la ville, encore et encore…) Ou qu’on ne les oublie pas pour le plus grand nombre: 80% des habitants s ne fréquentent pas les établissements culturels institutionnels, pourtant financés, grosso-modo à 80% par le service public de la culture.
Les freins, enfin, ce sont ces milliers de vestales qui gardent le temple et ont tout simplement intérêt à ce que ne rien ne change, au fond, et qui aiment, défendent par tous les moyens ce système, accompagnés par les « Téléramas », très bons spectateurs des journées du patrimoine et gros des troupes des abonnés aux théâtres et aux Laissez-passer en tous genres : les « multi-fréquenteurs ». Le nombre d’ouvrages parus cette année, sur l’histoire du ministère en dit long sur les VI, ces Vestales intouchables, sur leur impression d’avoir été des gens importants et sur leur désir de reconnaissance. On pourrait proposer, puisque les PA disparaissent parfois, un nouveau PAS pour nos VI, prix du Plus Auto-Satisfait du Comité d’Histoire. Appeler les vestales à l’analyse des résultats de la politique passée ou à l’approche économique est illico catégorisé de « droite »! Or, depuis quand la droite fait-elle des efforts pour la Politique de la ville, qu’elle est d’ailleurs en train de tuer à petit feu, en même temps que les ZEP . (Pour les ZEP, L’Education nationale a au moins le mérite, depuis un an ou deux, de dire que les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions prévues, et qu’il faut changer le système non pas « à la marge » mais plus profondément.) Bref, une bonne VI de la Culture veille et tire à vue sur tout ce qui pourrait réellement bouger, faire sens, déranger les certitudes, créer un petit chaos nécessaire, évoqué dans l’article de La Stampa, avant de pouvoir proposer un système plus juste, socialement, et plus équilibré, économiquement.
Ou encore la VI fait silence, ne parle plus, et c’est bien dommage, de MAINSTREAM, ce travail exceptionnel de Frédéric Martel, qui a fait un beau voyage pour comparer ce qui se passait dans le monde entier, ou presque, pour les industries culturelles. Frédéric Martel qui, très généreux, nous disait aussi pourquoi ce la se passait comme cela.
Il faudrait, pour la culture institutionnelle, faire le même voyage intellectuel, produire les mêmes analyses, à partir d’exemples étrangers, formuler les mêmes hypothèses de changement que l’a fait F.Martel!Je suis certaine que J.M Lucas, qui est un philosophe et un militant, qui a toujours détesté les VI, lui aussi, va s’y atteler. Comme nous, il adore la Culture, passionnément, et pas son « appareil ».
Mais avant, il faut, en France, faire son deuil des « Continuons comme avant, à force, on va bien y arriver! ». Il faut revoir les procédures, dépasser le stade des « Livre Blanc » qui foisonnent aujourd’hui et faire des propositions adaptées à maintenant et surtout à demain.
Si les revendications actuelles – plus d’argent, de postes, de subventions! – des opérateurs culturels ne sont pas écoutées, j’ai bien peur que ce ne soit pas par radinerie ou à cause de la crise, qui sert beaucoup de « mot excuse » aux élus de Droite comme de Gauche, ces temps-ci, mais parce que donner davantage de moyens à des projets dont l’environnement (stratégies, objectifs…)reste le même les décourage d’avance. Les résultats de l’évaluation, lorsqu’elle existe, ne sont pas bons: Démocratisation ? Participation de tous ? Place de la création française dans le monde? Pourcentage de monuments historiques en péril ? Diffusion pour les lieux du Spectacle Vivant? Statut et place des artistes ? Creative Cities ou régions créatives? Tout cela n’est pas réjouissant . Bref, donner davantage à des projets qui refusent, par principe, de relier très concrètement la Culture aux restes du monde vivant (le développement, l’économie, le développement, le social ou le tourisme étranger)ne leur convient plus, comme cela ne convient plus à de très nombreux habitants.
Les élus se sont donc emparés d’autres priorités comme l’Emploi, le développement économique et durable, le Logement, l’Urbanisme, les TIC, les Transports, la Santé et le vieillissement de leurs populations…Toute petite( 1% du budget de l’Etat), la culture institutionnelle avait une force symbolique, elle faisait rêver, ce qui n’est plus vrai.
Ce qui est réjouissant, c’est qu’il existe, hors-champ, d’autres propositions, d’autres élus, d’autres professionnels qui, bien vivants, pleins d’énergie, ne font absolument pas attention à ces ratés du passé institutionnel, sans grand intérêt, il est vrai, dont ils ont fait leur deuil. Et ils foncent, avec générosité, vers d’autres horizons. Comme Jean-Michel et son ami doc KB, que je ne connais pas mais qui doit évidemment être épatant.