Le climat de suspicion dans lequel nous vivons voit croître quotidiennement les demandes d’éthique et les divers discours sur l’éthique. L’éthique semble être devenue un remède miracle pour les dirigeants de sociétés commerciales et leurs employés, pour nos gouvernements et même pour les médias. Plusieurs parmi ceux-ci parlent d’éthique en exigeant un code du même nom; certains se drapent d’éthique et affirment sans rire que l’éthique est importante mais que ça demeure l’affaire des autres; d’autres encore réaffirmeront leurs « valeurs corporatives » en voulant montrer à tous leur capacité à être labellisés « éthique plus ».
Mais, au gré de ces discours auto-congratulants, parfois pompeux et souvent vides de sens en ce qui concerne les valeurs éthiques, posons la question essentielle : après tous ces efforts, sommes-nous pour autant plus moraux? La réponse à cette question n’est pas simple. Quelques précautions et précisions s’imposent…
Il faut savoir que les valeurs énoncées et affichées dans les discours corporatifs et les plans stratégiques au nom de l’éthique sont souvent des leurres. À la lecture des documents de l’entreprise il est difficile voire impossible de comprendre si les valeurs affichées servent une quelconque vision du Bien ou si ces valeurs ne servent qu’à « faire joli » ou encore à dédouaner les dirigeants en quête de motivation pour leurs employés. Du même souffle, les valeurs semblent souvent n’être devenues qu’un des éléments de promotion de l’entreprise qui en profite pour « surfer » sur un concept à la mode, celui de l’éthique, en le vidant de son sens premier et en le réduisant, lentement mais sûrement, jusqu’à l’obtention d’une esth-éthique molle destinée à impressionner les chalands. À preuve, la plupart des tenants des « valeurs corporatives » ou « organisationnelles » interrogés ne peuvent dire s’ils savent réellement ce qu’est ou ce que représente le concept de « valeur » et, conséquemment, ce à quoi ces valeurs devraient servir. La réponse à cette question, pourtant fondamentale, est souvent moins que concluante…
Tentons d’aller un peu plus loin en précisant ce qu’est une valeur éthique.
Le mot « valeur » est dérivé du latin valorem qui, lui, représente un idéal, un horizon dans lequel on croit. On trouve les valeurs importantes, conséquemment, on les « valorise ». Pour le dire simplement : une valeur est, selon le sens premier, un élément qui a de la valeur. Force est cependant de convenir qu’il existe une différence considérable entre les nombreux éléments que l’on peut vouloir valoriser. Il existe, par exemple, une différence conceptuelle irréductible entre une valeur financière, une valeur religieuse et une valeur dite « éthique ». Laissons la finance aux financiers et la religion aux théologiens puis concentrons-nous particulièrement sur la dernière catégorie de valeur en précisant notre question initiale: Qu’est-ce qu’une valeur « éthique »?
Pour qu’une idée ou qu’un concept puissent être considérés comme étant des valeurs éthiques il existe un petit test qui implique de répondre positivement à deux exigences sans lesquelles les concepts en présence ne peuvent être qualifiés de valeurs éthiques. En premier lieu, l’idée ou le concept doivent avoir un contenu nécessairement moralement positif. En second lieu, l’idée ou le concept doivent contenir leur propre raison d’être ou, pour le dire autrement, ils doivent être accomplis pour eux-mêmes. Prenons l’exemple de l’honnêteté. En matière d’honnêteté, il n’existe pas de moyen malhonnête d’être honnête. L’honnêteté est ainsi, en elle-même, nécessairement moralement positive. En second lieu, force est de constater qu’il ne fait pas sens de demander à une personne : pourquoi êtes-vous honnête ? La question, le libellé même de la question, ne font pas sens. La personne qui est honnête l’est au nom de l’honnêteté en soi. On est honnête parce qu’on est honnête. C’est tout. L’honnêteté représente une finalité, une raison dernière pour laquelle une personne agit; l’honnêteté n’est, en aucun temps, soumise à aucun impératif extérieur ou plus élevé.
Ainsi expliqué, il est plus aisé de faire la différence entre les valeurs éthiques et les autres types de concepts que l’on appelle « valeurs ». Si l’idée ou le concept répondent positivement aux deux exigences énoncées plus haut, nous sommes alors face à une valeur éthique; si l’une ou l’autre ou les deux exigences sont absentes, nous sommes alors face à un moyen, face à un outil ou peut-être face à un slogan mais, surtout, nous ne sommes pas face à une valeur éthique.
Le dirigeant qui choisira de ne pas considérer les deux exigences nécessaires à l’existence même du concept de valeur éthique ne pourra qu’échouer dans son désir d’éthique. Son intention éthique ne demeurera qu’un désir, ses actions seront vaines, présomptueuses et, en définitive, moralement inutiles… mais il pourra toujours se réconforter en disant que l’exercice était difficile et qu’il n’avait pas de mauvaises intentions…
En matière d’éthique, il faut être vigilant, la bonne intention seule ne suffit pas. Afin d’éviter l’instrumentalisation de l’éthique ou les dérapages éthiques il faut, en tout temps, avoir l’œil ouvert et l’esprit critique afin de remarquer, de dénoncer ou de refuser de participer à ces efforts éthiques mal conçus, mal menés, mal encadrés et parfois entrepris pour les mauvaises raisons qui ne pourront finir que par des échecs prévisibles. Ces échecs dus (au moins) à la mauvaise connaissance de l’éthique ont pour conséquence directe l’affaiblissement de la pertinence de l’éthique alors que l’échec du projet devrait plutôt être attribué à un manque de vision, à un manque de connaissances éthiques appropriées ou carrément à une intention mal éclairée chez les responsables du projet en question.
De toute manière, parler d’éthique sans faire précéder ce discours d’une réflexion sincère et compétente sur les valeurs éthiques ne peut résulter qu’en éthique de vitrine ou, disons-le autrement, en de la cosm-éthique…
L’éthique sans les valeurs ne sera jamais que du storytelling, de la pub ou de la « comm’ « … on pourra peindre le monde en rose et vouloir y croire, les chances de succès ne seront jamais qu’aléatoires…
L’éthique est affaire de raisonnement.
La bêtise ne dépasse jamais les bornes. Où qu’elle pose le pied, là est son territoire.
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Billets réflexifs précédents publiés sur CEG :
- L’éthique : bien plus qu’une affaire de codes…
- La confusion d’intérêts
- Desembuelto
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