Ce ne sont pas du tout les méchants qui font le plus de mal en ce monde. Ce sont les maladroits, les négligents, les crédules. Les méchants seraient impuissants sans une quantité de bons.
– Paul Valéry
Errare humanum est disait le diction souvent tronqué par nos contemporains qui oublient d’y ajouter perseverare diabolicum. Ainsi, l’erreur est humaine, certes, mais rappelons aussi que persévérer dans l’erreur est diabolique…
Depuis quelques années les actions des politiciens, tous niveaux confondus, sont examinées sous toutes leurs coutures; dans ce contexte, il y a lieu de se demander si l’adage Errare humanum est règne toujours et si les politiciens possèdent un « droit à l’erreur ». D’ailleurs, existe-t-il une telle chose que le « droit à l’erreur »?
Avant de procéder davantage, il faut savoir que même si la faute, l’erreur et la négligence sont des variations du manquement, il importe de les distinguer afin de mieux s’y retrouver si l’on désire évoquer un éventuel « droit à l’erreur ».
En premier lieu, il importe de savoir que la faute est l’action de faillir (faillita, le latin ne ment pas…). La faute constitue un manquement à une règle, à un art ou à une discipline; la faute résulte habituellement d’une maladresse de la part du fautif. C’est la principale raison pour laquelle il est important de déterminer si le fautif est maladroit ou insouciant. La différence est considérable : le fautif « maladroit » pouvait ne pas savoir alors que l’insouciant devait savoir.
Le terme « erreur », de son côté, est étymologiquement lié au verbe « errer », c’est-à-dire « marcher à l’aventure », « faire fausse route ». Depuis plusieurs années, on y a accolé le concept de « se tromper ». Commettre une erreur, c’est « se tromper ». Au sens strict, la personne qui fait une erreur ne savait pas qu’elle ferait une erreur mais avait tout de même décidé de procéder dans son action en dépit de son ignorance en la matière. Ainsi comprise, l’erreur est un manquement dû à l’insouciance du décideur.
En troisième lieu, la négligence, ou negligentia, est l’action de ne pas prendre soin ou de ne pas tenir compte de quelque chose ou d’un élément lors de la prise de décision. De par son préfixe « neg », la négligence désigne une omission. La negligentia implique directement l’indifférence ou l’oubli de ses devoirs.
Comme la faute et l’erreur, la négligence est un manquement. Elle est cependant un manquement d’un autre ordre. Alors que la faute et l’erreur sont considérées comme étant des manquements simples, la négligence est un double manquement. Il y a second manquement parce qu’en dépit de son savoir le négligent a tout de même choisi de ne pas tenir compte de certains éléments. Le négligent agit sans vergogne.
Alors, y a-t-il « faute », « erreur » ou « négligence » lorsque l’on analyse la qualité des prises de décisions de nos politiques?
Répondre à cette question n’est pas facile mais il faut tout de même se risquer et tenter d’énoncer des critères d’évaluation du manquement. À titre d’exemple, tous conviennent que la médecine est un art dont le médecin dont est réputé être Maître de l’art. Parce que la médecine est un art on peut invoquer « les règles de l’art » et poser les questions suivantes : Le médecin a-t-il agi selon les règles de l’art? Le médecin a-t-il été maladroit? Insouciant? Incompétent? Le médecin a-t-il failli à ses obligations?
Les philosophes grecs de l’Antiquité nous ont enseigné que la politique était aussi un art. Peut-on pour autant dire que nos politiciens sont des artistes et qu’ils sont Maîtres de leur art?
Pour y répondre, il faut savoir qu’un Maître de l’art, n’est pas censé faire de fautes…justement parce qu’il est Maître de l’art en question et que les fautes résultent directement d’une mauvaise pratique de l’art …
Le cas du médecin qui fait une erreur est quelque peu différent. Celui-ci pourrait commettre des erreurs ou des errements parce qu’il est insuffisamment ou mal formé. Ce qui ne devrait pas être le cas de nos jours où la formation médicale est du plus haut niveau. Le médecin qui erre ne prend pas le chemin attendu de la part d’un Maître de l’art. C’est la raison pour laquelle le médecin qui a fait une erreur est réputé fautif.
Enfin, le médecin négligent ne s’est pas interrogé trop longtemps : il est indifférent ou insouciant. Il a oublié ou « choisi d’oublier » les règles de l’art. Le médecin négligent est aussi fautif.
La faute, l’erreur et la négligence représentent les trois niveaux du manquement dont les motifs ou les degrés diffèrent. Vu de la perspective du patient ou du citoyen, cette distinction pourrait sembler triviale, mais elle est cruciale dans l’évaluation de la conduite du Maître de l’art.
Il est assuré que la faute « pure » et la négligence seront plus faciles à prouver que l’erreur devant une instance chargée d’évaluer les actions du médecin. L’erreur laissera toujours un soupçon d’incertitude… et c’est dans ce contexte précis que l’on devrait faire référence à un « droit à l’erreur »… Ce « droit à l’erreur » qui, au fond, n’en est pas un, devra être assorti d’une « bonne foi » démontrable par le médecin et devra aussi avoir valeur d’enseignement pour les autres membres de la profession ou pour les autres praticiens de l’art en question. Sans ces deux éléments, tout n’est que négligence…
Le même raisonnement peut être fait pour le politicien. Nos politiciens sont-ils suffisamment formés à l’art de la politique? Leur formation politique est-elle du plus haut niveau? Là-dessus, votre réponse vaut bien la mienne…
L’insouciance tue…les autres
Stanislaw Jerzy Lec
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L’article présume que les règles de l’art sont établies précisément. Et que l’erreur ne peut donc venir que d’une méconnaissance. Mais le propre de l’art est de justement ne pas être totalement ‘encodé’. Ce serait une pratique ou une science sinon. L’errance est génératrice d’idées, et c’est pour cela que je suis convaincu que le droit à l’erreur existe réellement.