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L’impartialité, la neutralité et l’illusion de justice

La neutralité est un mensonge. Il n’y a pas d’État sans doctrine d’État.

– Charles Maurras

Dans une rencontre entre collègues, demandez lequel des mots « partialité » ou « impartialité » leur semble le plus « éthique ».

Vous entendrez fuser les réponses disant que l’impartialité est préférable à la partialité. Poursuivez l’exercice en demandant aux mêmes collègues « qu’est-ce que l’impartialité » et, de manière prévisible, vous les entendrez énoncer la définition de la neutralité… On dit habituellement de l’impartialité qu’elle est l’absence de partis pris. Bien que valable, cette affirmation est incomplète. Voyons pourquoi.

Comme l’éthique en général, l’impartialité est un concept connu mais qui demeure mal compris, on le confond souvent avec la neutralité, c’est une des raisons pour laquelle l’impartialité est mise à mal depuis quelques mois. La rumeur et le bruit ambiant suggèrent que les décisions prises par nos gouvernants ne sont pas impartiales, qu’elles sont plutôt partiales et, conséquemment, injustes, confondant de fait la partialité avec la partisanerie. Qu’en est-il des concepts de partialité, d’impartialité et de justice? Ces concepts sont-ils conciliables ou s’opposent-ils de manière absolue? Est-il approprié que l’impartialité soit élevée au rang de critère premier d’une décision? Avant de répondre, quelques clarifications s’imposent.

Débutons notre analyse en précisant que la partialité est une extension du mot « parti » qui, lorsque pris au sens politique ou social, désigne un groupe organisé qui partage des idées communes. Au fil du temps, le mot « parti » a été lié au concept de « parti politique ». La personne « partiale » était celle qui était attachée à un parti politique et à ses idées, concevant et mettant de l’avant une certaine idéologie et, parfois certains préjugés. C’est d’ailleurs ce dernier ajout, celui de « préjugés », qui est venue teinter le concept de partialité en lui accolant une facette sombre, factieuse et injuste. Selon cette vision étroite du concept de partialité, un personne partiale est injuste parce qu’elle représente les idées d’un parti. Est-ce, dès lors, approprié de dire que toutes les idées des partis sont injustes? Bien sûr que non. Cependant, à l’ère du citoyen-surveillant-cynique, les idées de tous les partis sont suspectes et sont assimilées systématiquement à des préjugés ou à des partis pris indus, créant de cette manière un sentiment négatif autour du concept de partialité. Pourtant, pour le dire avec Stanislaw Jerzy Lec, même un juge n’est pas impartial, il a un préjugé favorable envers la justice …C’est dans l’administration de la justice que le juge doit pouvoir œuvrer sans partis pris… La même chose peut être dite pour un administrateur : un administrateur est partial, c’est son devoir, il doit protéger l’actionnaire. L’administrateur partial exerce ses compétences en faisant des choix en vue de protéger l’actionnaire et réaliser la mission de sa société. Protéger l’actionnaire est le parti pris du dirigeant. Ne pas protéger l’actionnaire ne relèverait pas de l’impartialité, ce serait plutôt de l’incompétence… Sachons ainsi que toute compétence implique d’office une partialité « juste »; précisons toutefois que cette partialité ne devrait jamais être indue ou manipulatrice.

L’incompréhension ou les hésitations autour de l’articulation du concept d’impartialité résultent de sa malheureuse confusion avec le concept de neutralité. Une personne neutre cherchera constamment à être en équilibre entre le côté gauche et le droit. La personne neutre prendra des décisions avec le seul souci d’être en équilibre et de ne pas pencher ou de ne pas sembler pencher. Ses décisions seront sans saveur, incolores, inodores et ne serviront probablement pas la mission de l’organisation. La personne impartiale, elle, devra exercer ses compétences et faire les choix qui s’imposent. L’impartialité est une position de surplomb qui exige une capacité de discernement. La personne impartiale est celle qui sera en mesure de choisir d’aller à gauche ou d’aller à droite, sans partisanerie indue, en fonction de la mission et des valeurs de la société qui l’emploie. La personne impartiale n’est pas neutre, elle n’a pas les mains liées; la personne impartiale est libre d’exercer ses choix au nom de la mission de sa société ou du Bien Commun. Pour démontrer sa compétence, il est impératif que la personne impartiale exerce les choix attendus d’elle et qu’elle prenne le parti de son employeur; la personne neutre, elle, n’exercera aucun choix et ne démontrera aucune compétence. Neutre, sans saveur, incolore, inodore… et incompétente…

C’est la raison fondamentale pour laquelle l’impartialité est un concept clef en éthique. L’éthique exige que le décideur ait une vision du monde et qu’il la mette en œuvre; l’éthique exige de prendre parti, au nom de la finalité ou de la mission de sa société, tout en laissant au décideur le choix des moyens de prendre ce parti.

Ainsi comprise, l’impartialité peut être le critère premier d’une décision.

Ayons le courage de nos idées et prenons parti.

On ne peut jamais être neutre. Le silence est une opinion.

–       Henri Moret

Retrouvez sur Cultural Engineering Group les billets réflexifs de René Villemure, éthicien, conférencier, président fondateur de l’Institut québécois
d’éthique appliquée notamment aux domaines de l’innovation, de la culture et de la communication.

Billets réflexifs précédents publiés sur CEG :

Toutes les publications, les actualités et  les activités de René Villemure en cliquant ici.

Filed under: Analyses, Gouvernances, ,

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