Le désir est la moitié de la vie. L’indifférence est la moitié de la mort.
– Khalil Gibran
Ils savaient si bien ce qu’ils avaient à se dire qu’ils se taisaient, de peur de l’entendre.
– Benjamin Constant
De déboires en scandales l’éthique, ou ce que l’on appelle « éthique », ne quitte pas la première page des journaux.
Bien évidemment, et nous l’avons affirmé maintes fois, lorsqu’une culture ne se démarque pas on ne la remarque pas, on n’en remarque que les manquements. Force est de constater que, depuis déjà trop longtemps, ces manquements vont croissants au point de devenir impossible à inventorier. Ces manquements, en plus d’être des dommages à l’éthique, sont aussi des manquements à la culture politique ou au pacte social. C’est dire ici qu’afin de remédier aux manquements éthiques il faudra avant tout poser un regard sur la culture actuelle, sur cette culture qui fait primer l’individu sur la société, sur celle culture qui privilégie le court au long termes, sur la culture qui prends soin de l’autre et sur celle qui s’en fout. Lorsqu’il n’y a plus de culture, on appelle « culture » que ce qu’il y a.
L’oublie en guise de culture ?
Avant d’aller plus loin, il faut prendre garde à ne pas confondre les acceptions du mot « culture »; on ne parle pas ici de « l’industrie culturelle » ou de celle du divertissement, on parle de la culture au sens strict et des éléments qui caractérisent une population ou un peuple. Nous proposons de réfléchir sur les éléments qui nous permettraient ou nous donneraient envie de mieux vivre-ensemble mais, surtout, sur ces éléments qui permettraient d’envisager de répondre à la question : « pourquoi tenir demain une promesse faite aujourd’hui »? Soyons réalistes, en 2012, le plus grand manquement à l’éthique est celui de l’usage et de la banalisation du mensonge dans l’espace public par les personnalités publiques. Lorsque tous mentent, rien ne va plus… Lorsque ceux qui devraient servir de phares, d’exemples, mentent, l’indifférence et le cynisme s’installent…
Éclairons un peu cette situation en la mettant en perspective.
Le mensonge, pour le définir en peu de mots, est une affirmation qui permet au menteur de faire croire au menti un énoncé en lequel il ne croirait pas lui même. Le mensonge amène sa victime à faire ce qu’elle n’aurait pas choisi de faire si elle avait su. En empêchant de savoir, le mensonge ronge inexorablement le socle de la confiance nécessaire au maintien et à la cohésion du groupe social. De plus, la banalisation du mensonge entraîne dans son sillage une méfiance collective qui réduit le groupe à un assemblage d’individus, le mensonge accélère la marche vers l’individualisme. Le rassemblement que constituait autrefois le groupe social se mue en un assemblage d’individus qui, bien que constituant un groupe, n’est plus qu’un ensemble flou d’individus sans structure morale collective. Les risques sont grands à confondre assemblage et rassemblement.
Et c’est justement dans le cadre de cet assemblage hétéroclite, dans cet assemblage d’individus, que l’on ne trouve plus pertinent ou que l’on oublie même de se demander : « est-ce que ma décision est bonne pour le groupe »? Malheureusement, trop de gens, trop de citoyens répondent trop souvent à cette question en se disant « tant que c’est bon pour moi, ça va », ou, pire encore, répondent par un « bof… » sonore. Et ce sont ces trois lettres mises ensemble, ce « bof… », cette insouciance de l’autre qui résulte en de nombreux manquements à l’éthique. On manque à l’éthique, on manque à la culture parce que l’on choisit d’oublier, d’oublier les autres et, parfois même, de s’oublier. Si l’erreur est une faute, l’oubli l’est tout autant. « Les individus sont-ils « plus mauvais » ou « moins éthiques » qu’auparavant? », me demande t-on souvent. Pas forcément. Il y a cependant un nombre croissant de gens qui répondent « bof » sans réfléchir (pourquoi réfléchir?) et passent à la prochaine question sans s’interroger davantage… La somme de ces absences d’interrogations, de ces oublis sont tragiques en société.
Ce sont notamment les conséquences de cette « bofisation » de la société, de ces non-interrogations et de ces oublis qui contribuent à l’accroissement de l’individualisme pervers et qui empêche de répondre adéquatement à la question « pourquoi tiendrais-je demain une promesse faite aujourd’hui ?» On ne répond plus à cette question parce que l’on ne se la pose plus…on a oublié…
« Ëtre bon, c’est les autres », semble-t-on dire dorénavant…
Il faut comprendre que cette « bofisation » de la société, ce désintérêt pour l’autre et cet oubli sont intenables et que ce n’est pas avec une loi sur l’éthique, qui n’énonce, après tout qu’un seuil minimal, ni avec quelques formations en éthique données furtivement aux élus ou encore par la dénonciation sans fin d’actes répréhensibles ou insignifiants par quelques uns que la situation va d’elle-même s’améliorer. Ce serait rêver… Pour que la situation s’améliore, il faudra y mettre du « soi », il faudra choisir de cesser d’oublier. La solution à cette problématique passe nécessairement par la conviction que « vivre-ensemble » est important et que dans l’état actuel des choses, ce « vivre-ensemble » est compromis ou en danger. Il faut que chacun réinvestisse, se réinvestisse et réintègre la société.
Par où commencer?
Saluez votre voisin, écoutez votre collègue de travail, écrivez à votre député, refusez les explications toutes faites et les idées reçues qui vous sont présentées chaque jours, exercez votre esprit critique, intéressez-vous à ce qui se passe en société, lisez mais, surtout, souvenez-vous et cessez de dire « bof » à la vie… qui est parfois si belle…
L’indifférence est l’antichambre du cynisme…
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