Le n°47 de la Revue Socialiste vient de paraître. Ce numéro est consacré à l’aventure culturelle et une fois n’est pas coutume, Denis Declerck y fait une contribution remarquable qui ne manquera pas d’être remarquée, aux côtés de textes de Jean Jaurès, Emmanuel Maurel, Catherine Tasca et Michel Orier, David Kessler, Olivier Donnat, Xavier Dupuis, Sylvie Robert, Emmanuel Wallon, Vincent Eblé, Franck Bauchard…
Il nous fait l’amitié de le publier également sur Cultural Engineering Group.
A l’occasion de la campagne présidentielle, les Français ont exprimé clairement leur désir de retrouver leur dignité et leur unité autour des valeurs de la République et du principe de laïcité. Tout au long de la campagne, dans les meetings et les réunions publiques, c’est l’évocation de ces valeurs et de ce principe qui a suscité le plus grand engouement. N’y a t-il pas matière à réflexion et enseignements pour la politique culturelle du nouveau gouvernement et celle des très nombreuses collectivités gérées par la gauche ? Ne conviendrait-il pas d’articuler plus étroitement la politique culturelle de la gauche avec ces valeurs de sorte que, dans notre République laïque, démocratique et décentralisée, la culture ne soit plus considérée comme un supplément d’âme.
Prenons la liberté, liberté d’expression et de création en premier lieu, qu’il faut défendre et protéger contre toutes les tentations de remise en cause, mais qu’il convient également de confronter à l’éthique de celui qui en use pour qu’elle ne conduise pas à des abus contraires à la dignité humaine par exemple. Dans notre République laïque et humaniste, la liberté d’expression est un principe fondamental qui trouve ses propres limites dans le respect de la personne humaine en général et de l’autre en particulier, qui plus est lorsque cette expression est favorisée et soutenue par la puissance publique. On ne peut pas tout dire, tout écrire ni tout montrer dans l’espace public au risque d’en troubler la sérénité et l’harmonie.
Il ne saurait y avoir de liberté véritable sans émancipation individuelle. La culture peut jouer un rôle déterminant dans l’émancipation des personnes, mais elle peut être aussi un terrible enfermement. Le rôle de la République c’est de permettre à tous ses membres d’atteindre une forme de « liberté culturelle, c’est à dire la capacité de circuler sans entrave dans l’espace symbolique des artistes, des industries culturelles et des médias. La « liberté culturelle » c’est aussi la possibilité de s’approprier à son tour ces langages et ces codes afin de produire ses propres messages, sa propre expression artistique, ses propres contenus culturels. C’est pourquoi il est essentiel de garantir la liberté d’expression de chacun en lui donnant réellement les moyens d’y accéder
La priorité donnée par François Hollande à l’éducation artistique et culturelle répond parfaitement à cet objectif. Pour l’atteindre, les ministères en charge de l’éducation nationale et de la culture devront entraîner avec eux l’ensemble de la communauté éducative, et tout particulièrement les acteurs de l’éducation populaire, trop souvent délaissés et ignorés au cours de la précédente décennie. Ils auront également besoin de l’adhésion des collectivités territoriales, notamment des villes qui pilotent l’essentiel des structures culturelles au plan local. La « liberté culturelle » suppose l’égalité territoriale.
La liberté d’expression ne trouve sa pleine mesure que lorsque celle du public auquel elle s’adresse est également assurée. La liberté des uns suppose donc l’égalité de tous. Or, dix années de gouvernements de droite ont fortement aggravé les inégalités sociales et territoriales. C’est un des principaux enseignements des derniers scrutins électoraux. Quelle autre explication donner aux écarts aussi importants entre le résultat national et les résultats locaux selon les territoires, les villes et les quartiers ? Pourquoi le score moyen du Front National découle t-il de résultats aussi contrastés ? C’est le résultat d’une terrible accélération des processus de ségrégation sociale et territoriale et du lent basculement d’une volonté d’égalité vers un simple objectif d’équité.
Prôner l’égalité c’est vouloir la même chose pour tous, à contrario l’équité c’est se contenter de donner à chacun selon ses moyens. Aux parisiens et aux riches touristes l’accès au meilleur de notre culture et de notre patrimoine tandis que les franciliens de grande couronne et les habitants des territoires ruraux doivent se contenter des divertissements industriels fournis par leur télévision ou leur ordinateur, et encore, à condition qu’ils disposent d’une bonne connexion au réseau. C’est cela la culture pour chacun. On notera au passage que cette carte de la misère culturelle se superpose assez justement à celle du vote extrême. En soulignant ceci, il ne s’agit pas de renouer avec le thème de « la culture contre la barbarie » qui a connu ses heures de gloire à la fin des années 90 sans réellement prouver son efficacité, il s’agit simplement d’interroger les raisons profondes de cette étrange coïncidence.
Est-ce que l’on ne ressent pas un sentiment d’abandon lorsque les seuls services publics encore en fonction sont l’école et la mairie, le plus souvent fermés à 17h ? Comment assurer l’égalité culturelle des territoires lorsqu’on laisse les communes seules face aux besoins de populations qu’elles ne comprennent pas toujours et avec des moyens dérisoires pour y répondre ? Asphyxiées par leurs missions sociales et éducatives, les autres collectivités ne sont plus en mesure de les y aider, l’Etat non plus qui a progressivement délaissé ces territoires faute de temps, d’argent et de volonté.
Au cours des dix dernières années, la part des grands établissements parisiens est devenue majoritaire dans le budget du ministère de la culture. Et lorsque ce dernier lance des projets en région (Louvre Lens, Pompidou Metz par exemple), il demande aux collectivités de les financer ! Cela ne peut plus durer. Le nouveau gouvernement devra opérer un double mouvement, de rééquilibrage entre Paris et province d’abord, de transfert de ses moyens budgétaires et humains ensuite.
Restaurer l’égalité est un préalable pour retrouver le chemin de la fraternité. Ce besoin de fraternité s’est massivement exprimé au cours de la récente période électorale. Les français ne veulent plus être divisés, séparés, opposés selon leurs origines, leurs pratiques religieuses ou leurs modes de vie. Mais ils ne souhaitent pas pour autant que ces différences soient ignorées, ils demandent au contraire qu’elles soient reconnues et prises en compte dans l’espace national.
C’était particulièrement frappant le 6 mai au soir place de la Bastille. On a beaucoup commenté la présence de drapeaux de pays d’Afrique à côté du bleu – blanc – rouge national ce soir là. N’est-ce pas justement la preuve que les jeunes français dont les parents ou les grands-parents sont issus de l’immigration attendent que la Nation reconnaisse leurs origines linguistiques et culturelles ? Ce soir-là, la Marseillaise n’a pas été sifflée comme elle l’avait été le 8 octobre 2001 au Stade de France lors de France – Algérie. Bien au contraire, elle a été largement reprise par tous ceux qui étaient là, beaucoup de jeunes français représentant cette diversité qu’il convient désormais de regarder en face.
C’est probablement le point sur lequel nos politiques culturelles ont les plus grands progrès à accomplir. Il faut dire que nous partons de loin. La prise en compte de la diversité culturelle n’est pas vraiment notre point fort. Nous ne sommes jamais parvenu à concilier cela avec notre tradition jacobine et l’unité nationale qui s’est largement construite autour de la langue française. L’assimilation des langues et des cultures régionales à un folklore désuet, un passé colonial pas tout à fait digéré et la certitude d’être les détenteurs d’une culture universelle ne nous ont pas préparé à affronter les bouleversements induits par la mondialisation des échanges et des migrations. Pourtant, parmi les outils conceptuels dont nous disposons pour dépasser les particularismes tout en les réunissant, il en est un, merveilleux, qui fonctionne depuis plus d’un siècle malgré les tentatives de l’affaiblir, c’est la laïcité.
La diversité des identités culturelles, dans l’unité d’une Fraternité retrouvée, telle pourrait être le mot d’ordre d’une « laïcité culturelle » qui nous ferait voir enfin comme une richesse ce multiculturalisme devenu irréversible. Entre l’assimilation qui ne fonctionne plus et le « management de la diversité » qui ne correspond pas à notre tradition, nous avons le devoir d’inventer un nouveau modèle d’intégration républicaine qui prenne réellement en compte notre diversité culturelle.
Au fond, la victoire de François Hollande le 6 mai dernier est une victoire culturelle. Non pas celle de son programme culturel même si, comme nous l’avons souligné plus haut, celui-ci comporte de belles et nobles ambitions telle que l’éducation artistique pour tous par exemple. C’est la victoire de la culture républicaine réhabilitée, de ses valeurs et principes restaurés. La victoire de François Hollande, c’est la réponse qui n’avait pas pu être apportée au débat tronqué et instrumentalisé sur l’identité nationale. A la question « qu’est ce qu’être Français ? », le peuple a répondu : « ce n’est pas être blanc, ce n’est pas être catholique, c’est adhérer aux valeurs et principes de la République Française ». Et il a ajouté : « nous ne voulons plus des discours du Latran, de Dakar ou de Grenoble qui privilégient une religion ou une culture sur les autres ». Nous nous devons d’entendre cela, et de le traduire en actes politiques.
Denis Declerck*
*Denis Declerck est directeur de l’action culturelle à la communauté d’agglomération d’Evry Centre Essonne et membre de CEG. Avant cela, il a été directeur de théâtres à Vienne (1989-1992) puis à Béziers (1992 – 1999) avant de rejoindre le ministère de la culture : conseiller théâtre et action culturelle à la DRAC Nord Pas de Calais (1999 – 2004) puis inspecteur (2004 – 2009). Il a notamment été le coordonnateur et le rapporteur général des Entretiens de Valois. Denis Declerck est titulaire du Master 2 “Direction de projets culturels” délivré par l’Observatoire des Politiques Culturelles et Sciences – Po Grenoble (1997).
Du même auteur :
- C comme culture
- De retour d’Avignon
- Culture et politique, où est le problème ?
- Culture et collectivités territoriales : sous le voile de la réforme, un nouveau paysage reste à dessiner
Le n°47 de la Revue Socialiste est disponible dans certains kiosques et librairies au prix de 10€. Une version pdf des textes est accessible en cliquant ici.
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