En tout, l’excès est un vice
– Sénèque
Certains choix valent mieux que d’autres. Lesquels ? Pourquoi ?
Cette interrogation, simple à énoncer, se situe pourtant au fondement de l’éthique appliquée. Depuis toujours, le temps passe, demain devient hier, la technologie évolue mais l’Homme reste le même avec ses désirs, ses envies et ses espoirs. Ainsi, considérant que nous ne sommes pas seuls, que convient-il de faire dès lors que l’on veut Bien Faire?
Au fil des années, on a pu voir le législateur se préoccuper d’éthique en promulguant des lois et des règlements, des sociétés privées ont décidé de rédiger des codes de déontologie souvent appelés « codes d’éthique » pour faire plus joli puis ensuite donner des formations en éthique sur la déontologie contenue dans le code; les médias ont dénoncé ou mis à jour des situations jugées (par eux) inacceptables. Certains, nombreux, se sont même autoproclamés experts en éthique estimant qu’il y avait là une opportunité d’affaires…
Où se situe la juste appréciation entre « l’éthique » et le « non-éthique »? Bien que plusieurs l’exigent tous les jours, convient-il de tracer une ligne entre « éthique » et « non-éthique »?
Quotidiennement, on ne compte plus le nombre de personnes qui me demandent dans la rue ou au magasin : « cette situation est-elle éthique »? Pourtant, dit-on, l’éthique devrait aller de soi. Néanmoins, on continue à évoquer l’éthique en terme de manquements tout en continuant à mal comprendre ce qu’est réellement l’éthique.
Il est bien certain que si l’on n’évoque le sujet de l’éthique qu’en vue de souligner des manquements on ne peut que déprimer ou perdre ses illusions sans nécessairement apprendre grand-chose sur l’éthique puis conclure trop rapidement ou facilement que le monde est « mauvais » ou qu’il est vide d’éthique. On ne peut apprendre beaucoup sur l’éthique parce que l’on n’en parle pas, on ne parle que du manque et des manquements… En affaire d’éthique, la réflexion est pourtant préférable à la conclusion.
Soyons clairs : d’une certaine manière, l’éthique fait peur. Les gens sont tellement à craindre les manquements à l’éthique que l’éthique elle-même semble devenir une obsession et, comme toute obsession, la peur irraisonnée de la non-éthique n’est pas saine. L’obsession éthique, parce qu’il convient dorénavant de la nommer ainsi, empêche d’agir, elle paralyse l’action puis, et c’est le plus terrifiant, elle paralyse la pensée. L’obsession éthique empêche de penser, elle empêche d’appréhender le monde à partir de la culture et des connaissances de l’individu; l’obsession éthique est à l’opposé de la responsabilité que tous invoquent chaque jour. À voir tourner le monde, on dirait qu’il n’y a plus personne pour prendre une décision sans qu’il n’y ait un règlement ou un code pour dédouaner ou déresponsabiliser le décideur ou, pire encore, pour lui permettre de justifier que la conséquence d’une mauvaise décision n’était « pas de sa faute » parce que c’était écrit… La peur n’a jamais fait croître une société; la peur de la non-éthique relève de la même logique.
Afin de réduire cette peur, les gouvernements et les chefs d’entreprises devraient cesser de promouvoir le manque d’éthique ou d’enseigner « comment ne pas mal faire » et plutôt diriger leurs enseignement sur le « pourquoi Bien Faire ». Cessez de faire peur, d’avoir peur, inspirez par le Bien plutôt que par la crainte de la sanction. L’éthique sera toujours affaire de « Bien Faire », elle ne saurait être réduite à une obsession de « ne pas mal faire » ou à une dynamique de « surveiller et punir ».
Ainsi, à la demande de « tracer une ligne entre mal faire et Bien Faire » il faut plutôt répondre par la nécessité de construire un espace entre les pôles « Bien faire » et « mal faire ». Devant la complexité de la société moderne, tracer une ligne est illusoire. Décider « Quoi Faire pour Bien Faire » est affaire de réflexion, pas de traçage de ligne.
Dans cet esprit, cessez de penser « à tracer la ligne », cessez de vous demander « si c’est déjà écrit »; délimitez l’espace éthique et occupez-le. Cet espace, à construire, se situera entre l’obsession et la négligence éthique, entre un « trop » et un « trop peu », qui sont tous deux des fautes.
En affaire d’éthique, c’est la justesse de la pensée et celle de l’action qui comptent. Pas l’obsession, ni la négligence…même si elles sont éthique…
N’en déplaise à certains.
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Le sublime n’est pas le fruit du hasard.
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