Voir du sens là où les autres voient des choses – Umberto Eco
Les scandales et les frasques politiques mettent l’éthique à mal.
L’éthique est partout. De tous les bulletins d’informations, de toutes les manchettes.
L’éthique est nulle part. On cite l’éthique pour ne rien dire, pour être dans l’air du temps, pour dire si peu ou, encore, pour l’avoir dit… On cite l’éthique sans en définir le sens, on cite l’éthique pour montrer des choses, brandir des codes ou dénoncer des malversations, alors qu’il faudrait mieux comprendre que citer…
« Comprendre » au sens strict, signifie « saisir l’ensemble; « comprendre » implique la capacité à faire des liens entre divers éléments. Pour comprendre l’éthique, il faut savoir faire des liens entre celle-ci, la culture ambiante et les évènements qui surviennent dans la culture en question.
Saisir l’ensemble
La « notoriété d’un sujet » n’est pas synonyme de « connaissance d’un sujet ».
Dans l’espace public, on évoque des manquements à l’éthique, des codes d’éthique, des conflits d’intérêts, des fraudes mais, au fond, on ne parle pas d’éthique, ou, si peu. On évoque plutôt la non-éthique croyant ainsi dire l’éthique. Force est de convenir que cela n’est pas la meilleure manière de clarifier une idée…
Aussi, et bien que plusieurs aimeraient qu’il en soit autrement, l’éthique est une partie de la philosophie et, à ce titre, implique nécessairement une réflexion plus poussée que ne le serait une opinion. IL faut le dire, l’éthique est affaire de réflexion et de hauteur de vue, pas d’opinion ou d’idées reçues.
En premier lieu, il faut savoir et comprendre que l’éthique est une des parties constituantes de la culture d’une organisation ou d’une société.
À ce titre, si une culture ne se démarque pas on ne la remarque pas, on n’en remarque alors que les manquements. Les nombreuses commissions d’enquêtes tenues au fil des ans nous ont d’ailleurs démontré que la non-éthique pouvait aussi faire partie de la culture d’une organisation ou d’une société…
En second lieu, il faut savoir qu’à titre de composante de la culture, l’éthique n’est pas une chose ou un élément quelconque à « gérer » au sens administratif du terme; elle est bien plus importante. L’éthique doit être la référence première d’une société, son inspiration ultime qui colore tant sa mission que sa vision.
Ainsi comprise, l’éthique est affaire de sens.
Le sens, c’est la direction, c’est la sensibilité, c’est le chemin. L’absence de sens, c’est l’égarement, l’inconduite et la faute.
L’éthique est une réflexion qui propose de chercher à déterminer le sens à donner à une conduite. Curieusement, dans cet effort de recherche de sens, plusieurs vident l’éthique elle-même de son sens en la réduisant à une structure, à un code, à un effort de surveillance ou de dénonciation. Même si ces outils sont parfois nécessaires, ils ne sauraient à eux seuls constituer l’éthique d’une organisation. Il est impératif de distinguer les outils de l’éthique de l’éthique elle-même parce que, vidée de son sens, l’éthique n’est plus que du markethique ou de l’éthique d’apparat.
D’ailleurs, sans le sens, comment l’éthique peut-elle suggérer une direction?
Que faire alors d’un code d’éthique qui n’est souvent qu’un prétexte utilisé pour justifier des normes et des contrôles?
Les infrastructures ou les codes d’éthique, sans le nécessaire effort de sens et de migration culturelle qui doit les accompagner, demeureront vides de signification et ne pourront faire qu’illusion. Ces infrastructures et codes donneront, à ceux qui aimeraient mieux ne pas en parler, le sentiment, faux, d’un monde éthique.
L’éthique est affaire de culture, ne l’oublions jamais. Un dispositif de surveillance ne saurait à lui seul assurer l’éthique d’une société. « On ne peut rendre les gens bons par décret », disait avec justesse Oscar Wilde. Il avait raison. Il a toujours raison.
Enfin, n’oublions jamais qu’il demeurera toujours plus facile ou moins exigeant de surveiller que de penser; sachons aussi que la conformité n’a jamais engendré un monde meilleur.
L’éthique résulte d’une certaine prise de conscience collective : il y a déjà beaucoup de codes, beaucoup et de normes, il y a toujours de l’injustice et des comportements inéthiques.
Pourquoi ? Parce qu’un code ou une norme ne sauraient remplacer l’éthique.
Puisque « nommer, c’est dire avec du sens », tentez de questionner et de comprendre l’éthique et les valeurs de votre société, organisation, ministère ou organisme. Faites les efforts nécessaires pour comprendre le sens donné à l’éthique dans votre société parce que sans le sens, sans la direction qu’elles impliquent, l’éthique et les valeurs ne seront que des mots écrits sur la vitrine de l’indifférence
L’éthique est affaire de sens.
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Ce ne sont pas tous les méchants qui font le plus de mal en ce monde. Ce sont les maladroits, les négligents, les crédules. Les méchants seraient impuissants sans une quantité de bons. – Paul Valéry
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Retrouvez sur Cultural Engineering Group les billets réflexifs de René Villemure, éthicien, conférencier, président fondateur de l’Institut québécois d’éthique appliquée notamment aux domaines de l’innovation, de la culture, de la gouvernance et de la communication. Il est également le fondateur d’Ethikos pour son action à l’international et partenaire de Publics & Territoires, le premier réseau des décideurs éthiques dans les territoires.
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