La décentralisation est un cauchemar ? Vous n’y comprenez rien ? La Culture est en danger ? Et pourquoi ? Voici un petit article pour tenter de vous résumer sur quoi repose actuellement notre système culturel, ce qu’il produit comme « effets » – dont trois gros rapports récents [1] (Syndicats, Cour des Comptes et Premier Ministre) qui dressent un état des lieux – et pour vous faire part de nos propositions pour renouveler de toute urgence, même à la marge, ce « système que le monde entier nous envie ! ». Oui mais voilà, personne ne l’a copié – nous sommes bien le pays de l’exception culturelle ! – et d’autres chemins existent, nous les avons repérés, pour revivifier ce système. Ce que nous souhaitons ? Une Culture plus jeune, moins inégalitaire, plus en phase avec la société, plus agile et mieux adaptée aux territoires et qui rejoindrait, aussi, le grand cercle de la culture créative internationale.
Troisième partie : ce modèle Français que le monde entier nous envie !
Il est une évidence, aujourd’hui, qui change profondément la donne : non seulement les « modèles » de nombreux pays et ceux, à venir, des pays émergents interrogent le nôtre, mais, qui plus est, une bonne douzaine de villes, de départements et de région ont décidé, en France, de faire comme bon leur semblait, de ne pas perdre trop de temps en circonvolutions administratives et financières. Des petites impertinentes, qui simplifient l’inextricable écheveau administrativo-financier, toutes seules comme des grandes ! Le modèle que le monde entier soi-disant nous envie serait-il en train de muter sous nos yeux ? Sans aucun doute, oui. Dans notre système qui a tant de mal à se réformer et à décentraliser, les territoires n’ont pas attendu l’Etat. Résultat : une complexité que personne ne nous envie, mais une richesse, une diversité, des compétences, des dynamiques foisonnantes qui gagneraient en simplicité et lisibilité pour être plus encore enviées, appréciées et prescriptrices.
D’autres pays ont pris ce qu’il faut nommer une avance considérable sur notre confortation des circuits existants, et cela depuis plus de 10 ans, à titre d’exemples non exhaustifs :
- Alors qu’en 1999 le musée national des Arts décoratifs de Londres (V§A) demandait l’aide des internautes du monde entier pour poursuivre l’enrichissement de ses collections ;
- Alors que, en 2004, le Musée canadien national des droits de l’Homme faisait de même, en s’appuyant, pour sa future programmation, sur les témoignages des internautes volontaires du monde entier ;
- Alors que les Pays émergents (BRICS, Asie, Corée du Sud, Pays du Golfe…) se tournent en priorité vers la culture anglo-saxonne ou espagnole pour leurs futurs modèles culturels, via, en particulier, un encouragement sans précédent des relais du consulting et de l’ingénierie privée (USA ; R.U ; Pays du Nord de l’Europe ; Espagne..) ;
…En France, rien de tel n’avait commencé et il n’est toujours pas urgent, semble-t-il, de revisiter et d’évaluer une à une quelques vieilles missions centralisatrices ou encore les dépenses chronophages de la réunionnite.
L’idée forte d’animer le débat culturel plutôt que de le produire entre institutionnels et de le diriger n’est même pas une priorité. L’idéal républicain, qui confie, il est vrai, à l’élite de la nation l’avenir du pays est certes un bon « mot d’excuse ». Mais ceux qui nous gouvernent doivent-ils continuer à se méfier toujours et encore du peuple ? Peuvent-ils continuer à produire ce qui leur semble bon pour nous, à faire notre bonheur pour nous sans nous y associer ? Et nous, de quoi avons-nous peur ? « Tous au Château !» pour nous protéger, comme au Moyen-Age ? Les énarques veillent au grain, en bonne élite, et davantage de démocratie n’est pas la toute priorité de leurs décisions. Mais ils ne peuvent souffrir d’ignorance ? Non, et c’est la bonne nouvelle : les pratiques collaboratives, chers énarques, c’est déjà hier dans d’autres pays, alors il va être difficile de ne pas pour demander l’avis des citoyens et de ne pas les laisser causer entre eux. Vite ! Ouvrez ce chantier ! Autrement vous prendrez non seulement un retard considérable mais aussi la lourde responsabilité de voir la France disparaître des écrans-radars des pays avancés !
D’autres villes, départements et régions, en France, ont défini des politiques culturelles très différentes, très fortes, avec des stratégies, des objectifs, des critères très éloignés de la Culture définie par thèmes (patrimoine, création, diffusion…) depuis le ministère Malraux.
La culture, dans ces nouvelles expériences de gouvernance locale, prend plutôt sa place dans l’économie créative, dans les croisements de la culture avec les autres secteurs d’activité, dans l’urbanisation à venir, dans les politiques internationales de ces territoires. En bref, les équipes culturelles y sont moins isolées et plus liées aux autres politiques territoriales. Ces territoires avancent donc à grands pas depuis 5 ou 6 ans (certains depuis plus longtemps encore), et ont en quelque sorte laissé loin derrière eux le peloton de ceux qui perdent leur temps en constantes réunionites, Haut-Conseils, Commissions permanentes, Comités de pilotages et autres rencontres chronophages et où l’on ne prend pas toujours une décision. Ces villes ont en commun de faire davantage appel aux compétences locales, d’une part, et symétriquement à commander et à interroger directement de bons experts et consultants, d’autre part.
Nous citerons, tant ils sont évidents, les exemples de Nantes et de la Loire Atlantique, de Lyon et de son intercommunalité (Grand Lyon), ou encore celui de Lille, de la conurbation Lille/Roubaix/Tourcoing et des départements du Nord-Pas-de-Calais. Ou encore celui la ville de Strasbourg ainsi que ceux d’autres villes et régions transfrontalières de l’ouest, du nord et du sud (Bretagne, Catalogne et Pays Basque) qui empruntent également de nouveaux chemins de traverse.
Vus de près, en tous cas, ces changements de pied et de braquet frappent l’observateur par une très haute qualité de ce qui est produit, par une certaine radicalité et un grand vent de nouveaux partenariats, bien rodés, via les crédits européens, en particulier, ou des formes de mécénat atypiques (Expo des vidéos de PPR à Lille 3000). Ces villes ont avancé pour la réduction des inégalités culturelles en forgeant leurs propres analyses et outils, comme le fit d’ailleurs la Ville de Bilbao en son temps (1985). Et le dialogue avec les habitants, en particulier les plus jeunes, y est « organisé » (Réseaux sociaux ; sites institutionnels ET collaboratifs; prise de pouls régulière de la demande, via par une expertise ad hoc ; études sur des points précis, etc…).
Ces territoires défrichent mais en même temps, ils commencent tout juste à exister autrement sur la carte. Nos chers touristes étrangers qui viennent depuis toujours en France plus qu’ailleurs dans le monde et notamment pour notre Culture, y trouveront sûrement encore plus de raisons de venir mais en attendant, nous nous reposons sur nos lauriers et nos images d’Epinal. On aura beau (enfin !) s’attaquer à l’amélioration de l’accueil des touristes, c’est aussi dans les nouvelles formes de présence de la culture et de la vie culturelle dans le cadre de vie que le territoires trouveront des leviers supplémentaires de rayonnement et d’attractivité. Alors pourquoi faire en sorte que cela tourne à l’exacerbation de la concurrence entre territoires ? Nous allons tout droit vers des gouvernances polycentriques, avec des organisations différentes d’un territoire à l’autre et la fracturation des territoires tels que nous les avons toujours connus qui en résulte ne se résoudra pas par de simples incantations sur rôle d’un Etat garant de l’égalité républicaine et l’accès à la culture pour tous. Faut-il vraiment attendre le troisième texte de loi pour prendre acte ?
Evelyne Lehalle et Philippe Gimet*.
*Evelyne Lehalle est membre historique de Cultural Engineering Group. Consultante senior spécialisée dans les instituions muséales, les stratégies culturelles et touristiques, dont le parcours est particulièrement riche, Evelyne Lehalle a notamment été responsable culture d’Odit France (aujourd’hui Atout France), responsable à la direction des musées de France et au ministère de la culture, responsable à la direction des musées de la Ville de Marseille. Elle dirige depuis 2009 Nouveau Tourisme Culturel, dont le blog est également partenaire de Cultural Engineering Group.
*Philippe Gimet est fondateur de Cultural Engineering Group, membre de l’Institut de Coopération pour la Culture, consultant et assistant à maîtrise d’ouvrage.
- Première partie : pourquoi cette référence à la décentralisation ?
- Deuxième partie : tout va très bien, Madame la Marquise !
- Troisième partie : ce modèle Français que le monde entier nous envie !
- Quatrième partie : propositions
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[1] Les trois textes sont :
1) DISCOURS A L’OCCASION DES FESTIVALS D’ETE, 8 juillet 2013 (Fédération CGT du Spectacle-SYNDEAC-PROFEDIM-CIPAC). Ce texte est une déclaration de ce qui ne va pas, selon les syndicats,et sera à la base des revendications de la manifestation prévue le 13 juillet. D’autres actions sont prévues et annoncées si les signataires n’obtenaient pas de réponses satisfaisantes pour leurs revendications.
2) L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ETAT. Rapport public thématique-Cour des Comptes, juillet 2013
La Cour des comptes invite les pouvoirs publics à faire évoluer en profondeur l’organisation de l’État sur le territoire afin de répondre aux évolutions économiques et sociales.(Voir des extraits pour la Culture ci-dessous).
3) LA STRATEGIE D’ORGANISATION A 5 ANS DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT, Rapport à Monsieur le Premier ministre,Juin 2013 – Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss
POUR EN SAVOIR PLUS : suivre le très bon dossier « Actes III de la décentralisation, la réforme pas à pas », et le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Ce dossier élaboré et tenu à jour par La Gazette des Communes : http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/acte-iii-de-la-decentralisation-la-reforme-pas-a-pas/
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