La décentralisation est un cauchemar ? Vous n’y comprenez rien ? La Culture est en danger ? Et pourquoi ? Voici un petit article pour tenter de vous résumer sur quoi repose actuellement notre système culturel, ce qu’il produit comme « effets » – dont trois gros rapports récents [1] (Syndicats, Cour des Comptes et Premier Ministre) qui dressent un état des lieux – et pour vous faire part de nos propositions pour renouveler de toute urgence, même à la marge, ce « système que le monde entier nous envie ! ». Oui mais voilà, personne ne l’a copié – nous sommes bien le pays de l’exception culturelle ! – et d’autres chemins existent, nous les avons repérés, pour revivifier ce système. Ce que nous souhaitons ? Une Culture plus jeune, moins inégalitaire, plus en phase avec la société, plus agile et mieux adaptée aux territoires et qui rejoindrait, aussi, le grand cercle de la culture créative internationale.
Quatrième partie : propositions
1) A défaut de décentralisation, pourtant bien pratique comme méthode et outils, cessons au moins de maintenir, de gré ou de force, sincèrement ou en faisant semblant, des postures conservatrices ! La défense de l’exception culturelle est certes indispensable (si tant est qu’on sache de quelle exception culturelle on parle) mais elle ne peut servir de politique, d’abri à une réelle impuissance à « repenser l’appareil culturel aujourd’hui » dans son ensemble. Il faut redonner du sens à l’action culturelle actuelle et future et ralentir, peut-être, la frénésie de commémorations, célébrations, faits de mémoire, rétromanies, « C’était mieux avant »…, pour davantage s’occuper du présent et de l’avenir.
- Les inégalités culturelles se creusent toujours en temps de crise, alors il faut en priorité repérer, aider et encourager les plus démunis, les talents aujourd’hui invisibles (pour prendre au pied de la lettre les ultra-libéraux, on n’est jamais plus créatif qu’en temps de crise). Et les encourager au risque de réduire la voilure de l’offre vers les toujours plus écoutés, toujours plus gâtés, d’années en année, que sont les classes moyennes et supérieures en France, principal appui des politiques traditionnelles et de leur reconduction. Ces classes avides de reproduction, comme le disait avec justesse Pierre Bourdieu en 1964, mais qui, aujourd’hui, sont sur la défensive, comme si elles étaient avides, aussi, de conserver leurs privilèges acquis, dont l’offre culturelle fait grandement partie. Le peuple fait peur, laissons-lui la tentation du populisme mais sans que cela devienne incontrôlable, bien sûr…
- L’urgence, pour cette absolue priorité, serait plutôt de lutter contre les inégalités constatées, de s’entourer de points de vue extérieurs, de redonner la parole à ceux qui ne l’ont pas, ceux qui sont hors du cercle, invisibles talents et compétences ignorés par la plupart des médias qui sont souvent (et parfois malgré eux) la task force de notre immobilisme.
- Et que l’on ne vienne pas nous montrer quelques chiffres-alibis : les crédits alloués sur la carte de notre territoire national parlent d’eux-mêmes, avec 1% tout au plus des crédits pour la politique culturelle des villes « pauvres » et des lieux qui en sont au ban. Rappelons enfin que l’accessibilité des lieux culturels, pour les personnes souffrant de handicap physique, est une idée généreuse et bien mise en œuvre en France. Mais que cela ne nous dédouane pas, non plus, de bien comprendre que les personnes pauvres ou souffrant d’un handicap profitent rarement de notre culture publique, tout comme les personnes n’ayant jamais fait d’études et qui souffrent aussi de l’inadéquation, en terme de médiation, de la plupart de nos établissement, très « codés » et toujours trop indéchiffrables pour eux.
2) La défense systématique de nos procédures, si peu évaluées, n’ouvre aucun avenir. Pensons « territoire et usagers » avant de refaire nos Viollet-Le Duc en rédigeant une nouvelle « Loi de 1913 ». La réécriture d’une loi sur le patrimoine est-elle une réelle, indispensable, incontournable urgence ? Ne peut-on pas seulement réajuster le Code du patrimoine et la loi actuelle, ce qui fonctionne bien depuis plus d’un siècle ?
3) Enfin le réflexe du défensif à tout prix nous isole des grands courants de création et d’ingénierie culturelle du monde : taxer tout ce qui bouge et vient de l’étranger créée-t-il du neuf ? Assurément, non !
Pensons local lorsqu’il s’agit d’éviter les face-à-face et l’entre-soi institutionnels. Par exemple, l’habituel duel entre l’Education nationale et la Culture, toujours là et toujours mortifère, vient encore de laisser l’éducation artistique des jeunes en rade…
Tous les Rapports et Haut Conseils « en interne » ne changent rien, même s’ils flattent leurs auteurs ! Il faut prendre l’attache des pratiques et réflexions européennes et du monde, en permanence, car le monde collabore, de plus en plus, en ligne, et la Culture ne peut louper un dialogue instantané et de plus en plus fréquent entre les pays du monde ! Pour l’éducation artistique et culturelle, , en lieu et place du 20ème rapport sur le sujet – qui a permis, de plus, à l’Education Nationale de se passer de la présence forte de la Culture à ses côtés, pendant la durée du rapport puis en attendant les résultats, les décisions, etc… il aurait été plus incitatif, plus intelligent (choisir) de s’atteler à une réelle écoute des acteurs des bonnes pratiques actuelles – du local au global – , de mieux les diffuser en aidant les territoires défavorisés par l’absence d’ingénierie, la plupart du temps ou des raisons financières, parfois, et seulement parfois.
4) Arrêtons de considérer l’évaluation comme une insulte à la chose culturelle et sachons tirer le meilleur parti du foisonnement d’idées et de projets dont on ne perçoit que la face émergée de l’iceberg tant qu’on ne généralise pas la démarche d’évaluation.
5) Culture, éducation populaire, éducation artistique et économie créative doivent être des préoccupations intégrées à l’aménagement des territoires et de l’espace public sans quoi le triomphe de la « culture de la chambre » et la culture des écrans auront fini de consommer l’oxygène restant encore dans la sphère de l’action publique.
6) Sachons transmettre les dynamiques, les expériences, les bonnes pratiques ET le meilleur de notre héritage de politique culturelle et de politique éducative car sans références claires et appréhendable, aucune solution permettant de construire de façon soutenable et durable n’est viable.
7) Soyons offensifs pour construire une nouvelle politique culturelle, et puisque nous n’avons su créer ni Google, ni Facebook, ni Twitter, utilisons ces moyens plutôt que de critiquer sans cesse les USA, à tort, ou de critiquer les villes et pays créatifs, qui évaluent tout ce qu’ils font !
Le camp retranché de l’exception culturelle peut résister, certes, mais pas sans de nouvelles propositions. Il nous faut gagner en agilité, en co-création réelle, avec des propositions qui réduiront les inégalités que produit notre système culturel : la loi et les règlements, l’absence de forte incitation à produire différemment dans chaque territoire (politique de la Ville, en milieu rural…) empêchent les jeunes talents d’émerger et conforte les créateurs ou concepteurs de projets médiocres, moyens, mais dans la ligne et qui connaissent sur le bout des doigts les mécanismes et méandres de notre très compliquée administration culturelle.
Il nous faut gagner aussi, avant de lancer tout débat, en transparence : pour repenser les politiques culturelles, mettons à disposition et en ligne de toutes les données disponibles. Certaines régions ou villes ont une politique de data ouvertes, mais elles sont trop peu nombreuses.
8) Utilisons aussi l’expérimentation, possible dans le cadre de notre République décentralisée, car toute incartade ou sortie des chemins déjà tracés est particulièrement difficile voire impossible aujourd’hui.
9) Renouvelons les générations, osons donner la parole autrement aux acteurs culturels et faisons en sorte que ce ne soit pas les mêmes sujets qui sont posés aux mêmes personnes qui viennent parler devant les mêmes personnes à longueur d’années.
10) Laissons aux plus jeunes, surtout, le rôle de faire des propositions et le soin d’animer le grand débat culturel, qui a quitté les instances officielles depuis trop longtemps et qui est la proie depuis quelques temps des forum dits « ouverts ». Si un débat doit être collectif et très libre, il doit être dialogue intergénérationnel et interculturel sûr de ses fondements pour être véritablement constructif et productif.
Evelyne Lehalle et Philippe Gimet*.
*Evelyne Lehalle est membre historique de Cultural Engineering Group. Consultante senior spécialisée dans les instituions muséales, les stratégies culturelles et touristiques, dont le parcours est particulièrement riche, Evelyne Lehalle a notamment été responsable culture d’Odit France (aujourd’hui Atout France), responsable à la direction des musées de France et au ministère de la culture, responsable à la direction des musées de la Ville de Marseille. Elle dirige depuis 2009 Nouveau Tourisme Culturel, dont le blog est également partenaire de Cultural Engineering Group.
*Philippe Gimet est fondateur de Cultural Engineering Group, membre de l’Institut de Coopération pour la Culture, consultant et assistant à maîtrise d’ouvrage.
- Première partie : pourquoi cette référence à la décentralisation ?
- Deuxième partie : tout va très bien, Madame la Marquise !
- Troisième partie : ce modèle Français que le monde entier nous envie !
- Quatrième partie : propositions
[1] Les trois textes sont :
1) DISCOURS A L’OCCASION DES FESTIVALS D’ETE, 8 juillet 2013 (Fédération CGT du Spectacle-SYNDEAC-PROFEDIM-CIPAC). Ce texte est une déclaration de ce qui ne va pas, selon les syndicats,et sera à la base des revendications de la manifestation prévue le 13 juillet. D’autres actions sont prévues et annoncées si les signataires n’obtenaient pas de réponses satisfaisantes pour leurs revendications.
2) L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ETAT. Rapport public thématique-Cour des Comptes, juillet 2013
La Cour des comptes invite les pouvoirs publics à faire évoluer en profondeur l’organisation de l’État sur le territoire afin de répondre aux évolutions économiques et sociales.(Voir des extraits pour la Culture ci-dessous).
3) LA STRATEGIE D’ORGANISATION A 5 ANS DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT, Rapport à Monsieur le Premier ministre,Juin 2013 – Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss
4) POUR EN SAVOIR PLUS : suivre le très bon dossier « Actes III de la décentralisation, la réforme pas à pas », et le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Ce dossier élaboré et tenu à jour par La Gazette des Communes : http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/acte-iii-de-la-decentralisation-la-reforme-pas-a-pas/
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