L’article de Guy Duplat paru récemment dans La Libre Belgique « Fermer la moitié des lieux culturels ? » dépeint une situation devenue intenable pour le secteur culturel un peu partout en Europe, celui-ci ne parvenant plus à être aussi partie prenante d’un projet de société pour les citoyens et pour les politiques, auxquels ils sont pourtant tellement liés. Ce secteur culturel qui est aussi devenu, et désormais plus ouvertement, le terrain de jeu des dérégulateurs. Ce secteur culturel où ses propres professionnels peinent depuis si longtemps à réproblématiser, réinventer, régénérer, réenchanter, réformer, etc. Ce n’est pourtant pas faute d’énergie, de vision, de savoir-faire ou encore d’engagement et de pugnacité.
Les politiques publiques de la culture sont le fruit d’une lente et patiente construction à la pluralité et à la diversité telles qu’on peut l’aborder comme un éco-système. Or, cet éco-système est un assemblage précaire, particulièrement fragilisé, dont l’avenir est plus que jamais lié à l’urgence d’une réflexion politique, y compris à l’échelon européen, à la croisée de la mission de service public et de la mission d’intérêt général.
À la veille d’échéances électorales qui vont décider de quel projet de société nous voulons pour les cinq années à venir en France, la question de l’organisation pour la survie, la préservation et le développement soutenable du secteur culturel est une nouvelle fois posée de façon plus que timide. L’article de Guy Duplat démontre bien que d’autres sont beaucoup moins timides et qu’il faudra bien plus que de la vigilance, de l’indignation aussi engagées soit-elles. Désormais, il va falloir assumer son rôle et sa légitimité d’acteur de la politique culturelle et prendre ses responsabilités pour soit inviter un nouveau référenciel commun, un nouveau logiciel diraient certains politiques, soit laisser s’agrandir la déchirure entre marchand et non marchand, entre ce qui est immédiatement bancable et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est soutenable et ce qui ne l’est pas (que de quiproquos sur le sens du mot « soutenabilité »!), entre une valeur ajoutée et une simple valeur partagée, transmise, échangée. Plus que jamais la coopération n’aura été aussi urgente. Elle ne peut plus se payer le luxe d’être la condition d’une résistance ou d’une survivance, elle doit être celle d’une renaissance, à tous les sens du terme.
« Fermer la moitié des lieux culturels ? »
« Le débat fait rage en Allemagne mais aussi en Suisse et en Autriche, après la publication d’un livre brulôt : « L’infractus culturel » (« Der Kulturinfarkt ») signé par quatre personnalités du monde de la culture : Dieter Haselbach, Armin Klein, Pius Knüsel et Stephan Opitz. Leur thèse réussi à faire l’unanimité contre eux, mais il n’empêche : ils ont lancé un débat riche et des très dangereux.
Leur idée est qu’en Allemagne ou en Suisse (Pius Knüsel est le directeur de Pro Helvetia, l’organe public chargé de promouvoir la culture suisse, ce qui rend sa présence parmi les signataires encore plus curieuse !à), l’Etat dépense trop pour la culture et n’a plus de marge de manœuvre pour aider de nouveaux secteurs. Même si ces budgets culturels ne représentent finalement qu’une très faible partie du budget de l’Etat, celui-ci ne pourra plus faire davantage et serait étranglé, obligé de continuer à subsidier « aveuglément » de multiples organismes et institutions nés de la vague de démocratisation de la culture, sans plus de visibilité pour faire encore des choix et aider des secteurs émergents, aider des groupes de la population négligés par l’offre culturelle actuelle ou favoriser une industrie culturelle « mainstream » qui échappe souvent à l’Europe.
Ils proposent alors une « solution » radicale pour retrouver de l’air : fermer environ la moitié des institutions (théâtres, musées, bibliothèques, etc.), confier au privé tout ce qui peut l’être et utiliser l’argent gagné pour d’autres priorités dont ils donnent une liste dans le livre : encourager la « culture populaire », développer une industrie culturelle nationale, prendre en compte les cultures des populations immigrées et aider les formes nouvelles de production et de réception de la culture par voies numériques.
Un discours extrêmement dangereux car il tombe à pic au moment où quasi partout en Europe, les Etats veulent se désengager de la culture et lorgnent sur le modèle libéral américain d’une culture aidée par le privé. Aux Pays-Bas, les budgets culturels ont été amputés de 25%. En matière de danse, par exemple, on évoque aux Pays-Bas un « tsunami » rasant tout sur son passage. Idem au Portugal, en Espagne, en Italie et en Grèce, en Hongrie, en Grande-Bretagne avec à chaque fois une incitation à « être créatif en cherchant à la place des subsides, des partenariats et des aides privées ».
Dans ce mouvement ultralibéral, la France et l’Allemagne étaient (avec la Belgique) presque les seuls à résister. L’Allemagne pouvait même se targuer d’avoir augmenter les budgets pour la culture.
Et voilà que des personnalités impliques dans la culture viennent plaider pour des réorientations drastiques, laissant entendre que la culture subsidiée actuelle serait trop fonctionnarisée, pas assez démocratique, etc. Il n’est pas étonnant que les échos positifs soient venus en Suisse du parti d’extrême droit UDC de Christof Blocher et en Allemagne du journal des affaires , le « Handelshlat », qui estime que c’est une piste pour réunir d’avantage « culture et économie ».
Le livre n’était même pas encore publié que la contestation est née. D’emblée, une cinquantaine d’intellectuels prestigieux ont signé une lettre d’indignation jugeant cette thèse dangereuse car amenant la culture à devenir un bien élitiste. Elle était signée par Wim Wenders, Gunter Grass, Volker Schlöndorff, entre autres.
Les milieux culturels insistent pour dire qu’ils n’ont pas attendu ce brûlot pour être rigoureux, pour évoluer, chercher et toucher de nouveaux publics. Ce livre participerait à la vague de populisme ambiant, voulant indiquer que l’artiste, le « cultureux », serait un perpétuel mendiant, s’imaginant un droit subjectif à la subvention, inconscient de son statut professionnel et social, totalement profane en matière de marketing. Cette image-là, disent-ils est fausse. Le quotidien « Süddeutsche Zeitung » admet que l’Allemagne subsidie beaucoup (il y a 84 opéras dans 81 villes !) et que ces subventions profitent avant tout aux classes moyennes éduquées, mais, dit le journal, n’est-ce pas parce que cette couche de la population a cela en matière de culture et d’art que le pays se porte si bien ?
« Ce livre s’inscrit dans un vaste mouvement qui veut que parce que les caisses sont vides, la culture et la formation soient jugées à l’aune de ce qu’elles rapportent sur le plan économique » s’indignait le quotidien allemand « Taz ».
Bien sûr, plaider pour le maintien (voire la hausse) des subsides n’exonère pas les institutions d’une critique interne et externe. Il faut sans cesse analyser les bijectifs, les moyens et les résultats. Mais c’est déjà largement fait. On pourrait certes faire encore mieux, mais la tentation de tout couper par deux est démagogique et cherche à justifier simplement la tendance dramatique actuelle à diminuer le rôle de l’Etat dans tous les domaines. Et vise à atteindre d’abord les parts les plus expérimentales et singulières de la création. Celles dont nous avons pourtant le plus besoin pour nous inventer un nouvel avenir. »
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