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Co-branding entre marques muséales et marques de mode

Le développement de produits dérivés co-brandés avec une variété de marques de mode permet d’accompagner les missions de diversification des publics et de soutien à la création des institutions muséales.

Pour les institutions culturelles, un partenariat de co-branding ou d’alliance de marques peut prendre différentes formes : un travail collaboratif de développement, de promotion et de distribution de produits dérivés co-brandés, une communication dans le cadre d’un mécénat ou une opération publicitaire liée à un parrainage. Dans tous les cas il se caractérise par la juxtaposition des marques partenaires et doit s’inscrire dans la mise en œuvre d’une politique globale de marque qui bénéficie à l’ensemble des missions et activités des institutions culturelles.

On peut distinguer trois catégories de marques de mode partenaires : les marques de luxe, les marques « grand public » et les marques émergentes ou locales.

Co-branding avec les marques de luxe

Les marques de luxe suivent une double stratégie : élargir la clientèle ou le public auquel elles s’adressent (1), et maintenir leur positionnement haut de gamme pour lequel les institutions culturelles sont des partenaires de choix.

Ces marques, qui tendent à faire de l’unique en série, luttent contre une forme de banalisation qui peut, par exemple, s’illustrer dans la juxtaposition d’enseignes haut de gamme dans les aéroports. À cet effet, elles cherchent à renforcer leurs dimensions patrimoniales et artistiques en vue de capter l’aura singulière attachée à la création et aux institutions culturelles. En étant assimilés à des œuvres d’art (2), les produits de luxe sont investis d’une valeur d’unicité, ce qui participe à la justification de leurs prix et valorise leurs acquéreurs qui y ont un accès privilégié.

De par leurs missions, les institutions culturelles sont dans une logique inverse : elles cherchent à atténuer l’effet de distinction sociale attachée aux pratiques culturelles en s’adressant à un public large et diversifié. Néanmoins, pour le développement de partenariats, elles se tournent naturellement vers des marques de luxe exclusives qui présentent une forme de proximité dans la mesure où elles transmettent, voire renouvellent, un héritage lié au savoir-faire.

En pratique, si les marques de luxe créent des produits dérivés co-brandés avec les marques muséales (3), elles sont généralement plus intéressées par les associations d’images exclusives et durables avec les institutions elles-mêmes et leurs bâtiments. Ces associations peuvent résulter de tournages publicitaires, de dé lés, où le plus souvent seule la marque de luxe est mentionnée, ou encore d’un mécénat (4) avec une juxtaposition de marques limitée.

Co-branding avec les marques « grand public »

Les marques de mode « grand public » nourrissent un intérêt grandissant pour l’édition de produits dérivés co-brandés avec des institutions culturelles. De telles collaborations se développent, notamment dans les pays anglo-saxons, en lien étroit avec un parrainage, voire un mécénat (5).

L’un des partenariats les plus aboutis en matière de produits dérivés cobrandés est celui initié en 2014 entre le Museum of modern art (MoMA) et Uniqlo®. « MoMA Special Edition », la ligne de vêtements et d’accessoires, issue de cette collaboration, reproduit des œuvres du musée. Elle est distribuée dans les MoMA stores et les magasins Uniqlo® à travers le monde. Le principal point de vente d’Uniqlo® proche du MoMA, introduit ou prolonge l’expé-rience muséale : une immense galerie d’art hightech présentant chaque article comme une œuvre (encadrement, cartels explicatifs et écrans plasma diffusant des informations relatives à la biographie des artistes concernés et à leur apport à l’histoire de l’art) avec des tablettes connectées sur le site Internet du MoMA. La synergie des deux marques est mise en avant par l’affirmation que le MoMA et Uniqlo® poursuivent un but commun de démocratisation culturelle (6), dans le prolongement du parrainage par Uniqlo® des « Free Friday nights at MoMA » depuis 2013. Pour mettre en exergue l’ambition de rendre l’art plus accessible, la promotion de cette collaboration utilise de multiples références au Pop Art qui a étendu le concept de série dans l’art.
Ce type de parrainage, qui permet pleine- ment de valoriser commercialement les contenus culturels et la marque muséale, pourrait être amené à se développer davantage en France.
Pour les institutions culturelles, les produits dérivés co-brandés développés avec les enseignes « grand public » modernisent l’image de leur marque et sont le vecteur d’une communication nouvelle en direction des publics jeunes ou peu familiers des circuits culturels. Il s’agit, pour ces institutions, d’une véritable présence hors les murs.

Co-branding avec les marques émergentes ou locales

Lorsqu’une marque muséale s’associe à une marque de mode émergente ou locale (7), elle fait bénéficier de sa notoriété les créations, le savoir-faire et les designers qu’elle distingue aux yeux du grand public. Les marques muséales peuvent alors être associées à la découverte de nouveaux talents et la sélection d’articles en boutique de musée apparaît comme un geste « curatorial ».

Ce soutien à la jeune création peut être apporté avant même que le designer soit identifiable à une marque : la Tate Modern a créé « Tate Collective », une communauté de jeunes artistes et étudiants en art dont les créations sont éditées sous forme de produits dérivés. Il peut également aboutir à une « œuvre transformative ». Celle-ci est conçue en modifiant une œuvre préexis- tante appartenant, par exemple, aux collections ou à une exposition. La Réunion des musées nationaux (RMN) a ainsi fait revisiter des œuvres d’Hokusai en organisant un concours avec Uniqlo® qui a proposé ensuite les créations lauréates en impression à la demande sur des vêtements. De même Arteum a fait réinterpréter des œuvres de Magritte par de jeunes créateurs, notamment Macon & Lesquoy®, dans le cadre d’une licence tripartite avec la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (Adagp) et la Fondation Magritte. Le produit dérivé sous forme d’« œuvre transformative » permet l’appropriation du patrimoine par de jeunes créateurs et les visiteurs, potentiels clients dont le regard critique est stimulé. Il offre aussi, et surtout, un moyen pour l’institution d’affirmer une ligne éditoriale, de s’adresser différemment à son audience et de délivrer un nouveau message, notamment sur elle-même et la culture établie. Une technologie innovante comme l’impression 3 D, qui ouvre la voie à une customisation des produits dérivés, pourrait constituer un nouveau point de rencontre entre l’institution et ses publics.

En conclusion, diversifier les publics d’une institution culturelle en développant le cobranding, c’est mixer une variété de marques partenaires. La mode est propice à ce métissage et les frontières du luxe et du « grand public » se croisent avec leurs clientèles : Karl Lagerfeld et Valentino signent, par exemple, des collections « capsules » chez H&M. Il faut trouver le bon degré d’implication avec chaque marque partenaire. Ce choix doit nécessairement s’inscrire dans une politique de marque globale et cohérente. Par ailleurs, en soutenant l’innovation, la créativité et le savoir-faire local, qui peuvent être l’apanage des trois catégories de marques partenaires identifiées, les institutions culturelles distinguent leurs produits dérivés par leur sens et leur portée. Les valeurs attachées à leurs marques s’en trouvent ainsi renouvelées.

Emmanuel Delbouis*

*Emmanuel Delbouis est consultant au bureau de la propriété sur la politique de gestion des marques des institutions culturelles relevant du ministère de la Culture et de la Communication, service des affaires juridiques et internationales, ministère de la Culture et de la Communication.

Notes :

  1. Pour capter une clientèle plus jeune et être en prise avec l’actualité, les marques de luxe font fréquemment appel à des célébrités récentes et internationales comme Rihanna (Dior®), Pharrell Williams (Louis Vuitton®ou Chanel ®), Kanye West et Kim Kardashian (Balmain®).
  2. Ainsi, les collaborations de Louis Vuitton® avec Takashi Murakami, Yayoy Kusama et Cindy Sherman, auxquelles on peut ajouter l’ouverture de la Fondation Louis Vuitton et d’espaces culturels dans certaines boutiques, renforcent ce positionnement de marque. Dans la même logique, v. A. Pechman, « Next to Burberry, a Monet », International New York Times, 5 juin 2014.
  3. Par exemple : sac griffé Whitney Museum et Max Mara®; parfum Serpentine Galleries et Comme des Garçons®; vêtements et accessoires le Prado et Jim Thomson® ou Victoria and Albert Museum et Alexander Mc Queen® ou RMN-Grand Palais et JP Gaultier® avec la création d’un logo commun « Grand Palais & JP Gaultier »
  4. Par exemple : Le Louvre/Louis Vuitton®: film publicitaire et mécénat ; Versailles/Dior®/LVMH®: films publicitaires, ligne de cosmétique Trianon® et mécénat.
  5. Par exemple : Serpentines Galleries/COS®: chaussures co-brandées et mécénat ; Whitney Museum/H&M®ligne « Jeff Koons for H&M » avec une communication co-brandée sous forme d’étiquette sur chaque article, H&M étant parrain de l’exposition Jeff Koons au Whitney Museum.
  6. Site promotionnel non marchand (http://sprzny. uniqlo.com) qui renvoie au site du MoMA.
  7. Par exemple : Musée Rodin et Coq en pâte® (mode éthique) ; Guggenheim (Bilbao) et Minimil® (marque basque) ; Tate et Ally Capellino (designer britannique), Victoria and Albert Museum et Gloverall® (marque représentant le « made in England »).

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