Cultural Engineering Group

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La culture, un produit comme les autres ?

Comme à son habitude, Aude Mathey nous livre un de ses articles défricheurs, décodeurs, éclaireurs, de son meilleur cru. A ne pas manquer sur son excellent Culture et Communication.

Produit, oui, vous avez bien lu produit. Aujourd’hui, même si ce n’est pas encore très répandu en France, les structures culturelles et de divertissement mettent en place des stratégies marketing afin d’acquérir et de fidéliser plus de clients / spectateurs / visiteurs.

J’ai ainsi rencontré Jaki Ellenby, VP Strategic Marketing Development (Vice-présidente au développement du marketing stratégique) du Cirque du Soleil, le 14 novembre lors des journées « Digital Leaders – Mobile, Social & Big Data« . Spécialiste du marketing, notamment pour le secteur du divertissement, Jaki est anglaise et a longtemps travaillé en France (Parc Astérix, Eurodisney) avant de partir au Canada pour le Festival Juste pour Rire et le Cirque du Soleil.

Sa vision du marketing peut sembler un choc pour les professionnels français du marketing culturel. Bien que je la partage, je comprends néanmoins qu’aujourd’hui les structures culturelles aient du mal à accepter que la culture, érigée sur un piédestal quasi-inaccessible malgré ses ambitions de démocratisation, puisse être comparée à des yaourts ou à des couches.

QU’EST-CE LE MARKETING ?

Rapidement, le marketing sert à répondre à un besoin du public d’une entreprise / service / institution, et à y répondre grâce à la création d’un produit au prix adapté au marché et par le biais d’un politique de promotion (les fameux quatre P du Marketing Mix de Jérôme Mac Carthy)

Ainsi, selon Jaki Ellenby, quand on parle de stratégie marketing, c’est « la tendance de base qui est pareille. Vendre des couches, des yaourts ou des spectacles, finalement, on cherche à écouter le client, comprendre son besoin et créer une relation avec lui. Il faut faire en sorte de créer un engagement du consommateur à la marque. Et c’est le cas aujourd’hui pour le Cirque du Soleil ».
Après, bien entendu, ce sont les outils qui diffèrent. Le marketing étant extrêmement lié à la vente – car la finalité est bien sûr de vendre des produits / services, les outils utilisés doivent bien évidemment correspondre au marché visé.

QUELLES SONT LES TENDANCES DE CONSOMMATIONS ACTUELLES ?

Comme le soulignait plus haut Jaki Ellenby, le but du marketing est de créer la véritable demande et non pas de la créer.
Ainsi, Apple n’a pas créé une demande autour de l’iPod mais a bien compris le besoin d’avoir sa musique et toute sa musique facilement avec soi. L’iPod voit ainsi le jour et rencontre un énorme succès.

Un autre exemple est par exemple celui des couches. Jaki a en effet travaillé pour Procter & Gamble, pour la marque Pampers. L’enjeu aujourd’hui autour de ce produit est de se poser la bonne question : quel est le véritable besoin derrière les couches ? Au-delà de sa fonction première, souvent les personnes qui s’intéressent à l’achat de ce produit sont les parents et notamment les femmes, encore enceintes.  Les jeunes parents, lors d’une première naissance, sont particulièrement stressés et ont besoin d’un accompagnement particulier. C’est ce que ce type de marque peur leur fournir, les couches venant, s’il est possible de le dire ainsi, comme la cerise sur le gâteau. C’est pourquoi, même sur des produits de première nécessité, il est toujours possible de détecter un besoin auquel il est possible de répondre et ce pas uniquement par le produit que l’on vend mais par un service annexe que l’on peut être amené à créer.

Pour le secteur culturel, la question posée reste la même. Il faut par conséquent, au lieu de vouloir faire venir à tout prix des publics « difficiles » au nom de la démocratisation culturelle, se poser la question de ce qu’est leur consommation de la culture. Comment ces publics (et les autres d’ailleurs, il n’y a pas de raison) voient la culture, l’apprécie et la consomme (j’insiste sur le mot) au sens où ils privilégient le théâtre, le cinéma, les concerts, les expositions, la création (groupe de musique, grafs, arts de la rue, etc.) …

C’est ainsi que Jaki a détecté le besoin de plus en plus fort d’interactivité. Cette tendance n’est effectivement pas nouvelle. Cette interactivité s’est fait jour grâce au web 2.0 et aux réseaux sociaux mettant l’accent sur le participatif et le communautaire. Les publcis ont donc besoin de plus d’interactivité avec les musées, les expositions, les spectacles.

Faut-il pour autant influencer la programmation artistique ? Hors de question réagit Jaki Ellenby. Rien n’empêche en effet les services marketing de faire part des tendances de consommation du public aux services créatifs, mais c’est à ces derniers que revient la décision de les prendre en compte. Cela est d’autant plus évident que la direction marketing d’une structure peut utiliser d’autres outils afin de parvenir à cet objectif d’interactivité. Ainsi des rencontres avec les artistes ou encore la création d’un club ou d’une communauté spécifique peuvent répondre aux besoins des clients / spectateurs.

C’est de cette façon que le Cirque du Soleil a réussi à créer un degré d’engagement très fort autour de la marque et des spectacles.

LA RELATION AVEC SON PUBLIC, UNE RELATION INTIME

Le Cirque du Soleil, comme nombre de structures culturelles, doit répondre à une envie de rêve, d’évasion. C’est en répondant à ce besoin, de façon segmentée en fonction des publics – et de leur localisation, que le Cirque a fait naître un engagement très fort autour de la marque. Le public utilise souvent des termes relevant de l’intime pour décrire leur relation avec cirque. Il n’est donc pas inhabituel d’entendre des « Vous avez changé ma vie » ou « votre spectacle est inspirant ».

Cette adhésion est tellement grande que les spectateurs prennent même une position protectrice lorsqu’ils estiment qu’un spectacle touche à l’identité du cirque. Ils peuvent parfois reconnaître que la troupe a besoin d’essayer des spectacles / des costumes / des histoires qu’ils n’ont pas apprécié sans pour autant faiblir leur attachement à la marque.

Cette relation n’est évidemment possible que grâce à une bonne communication inter-services et direction et surtout à une écoute patiente et pertinente du besoin de leurs publics.

La direction du corporate marketing du Cirque du Soleil recoupe ainsi cinq divisions : un studio de production (qui travaille à la fois pour la direction marketing mais également des autres services), une équipe relation et expérience clients (pour tout ce qui touche directement les consommateurs à la marque), le développement de la marque et de l’innovation (notamment la réflexion sur le positionnement de la marque « Cirque du Soleil ». Le cirque a ainsi produit un film en 3D avec James Cameron), les insights et l’intelligence marketing (tout ce qui regroupe les études et analyses, notamment psychographiques) et enfin le développement de produits dérivés, l’e-commerce (80% de la billetterie passe par ce biais) et les licences.

C’est donc un service très structuré, que nous appellerions en France, dans nos plus grands musées la direction de la politique des publics. Ce terme d’ailleurs me gêne assez au sens où souvent le marketing, la politique tarifaire, la billetterie, les publications et la médiation sont regroupées au sein de cette même direction. Or la médiation dans le cadre d’un musée est un service, proposé gratuitement (sauf les applications et la location des supports). La médiation fait appel au contenu et devrait être de ce fait rattachée à la conservation. Rien n’empêche ensuite par ailleurs que la médiation puisse bénéficier des compétences internes des services informatiques, marketing et communication.

Une telle absurdité, selon moi, est le cas au musée du Louvre. Ainsi la production culturelle et l’éducation artistique font l’objet de deux directions séparées, le développement y est envisagé sous l’aspect uniquement B2B (Business to Business puisque le développement appartient également à la direction mécénat) et la politique des publics, en B2C, est réalisée conjointement avec l’éducation artistique. En ce qui concerne le musée d’Orsay par exemple, c’est à peine si on y aborde les sujets de commercialisation. On parle de promotion au sein du service communication, mais c’est bien tout. Quant au Centre Pompidou, le B2B est rattaché à la communication (sauf pour l’action touristique, quelle idée ?) et le B2C a son service à part. Et le musée du Quai Branly est le seul à parler de vente…

QUELLE STRATÉGIE DE FIDÉLISATION ET D’ACQUISITION ?

Comme le soulignait Jaki Ellenby ; finalement les stratégies marketing utilisées sont relativement similaires d’un secteur à un autre, ce sont les outils qui diffèrent.

C’est ainsi que pour fidéliser un public, alors que les événements et les tournées ne se font pas d’une façon régulière, le Cirque du Soleil a préféré misé sur la création d’un Club (gratuit) auquel les clients peuvent s’abonner afin d’en avoir les dernières informations. Il faut en ce cas tabler sur la création d’une relation qualitative et non quantitative.

Quant à l’acquisition de nouveaux clients, le marketing intégré (à 360°) est une référence. Il faut pouvoir utiliser tous les moyens et toutes les techniques afin de transmettre le bon message au bon endroit au bon moment. Cette stratégie, pour le Cirque Soleil, est par conséquent différenciée en fonction des segments de publics mais également des marchés (en terme géographiques). Par exemple, lors de l’implantation du Cirque du Soleil en Russie il y a 3-4 ans, il n’y avait pas de billetterie en ligne. Il faut savoir que le cirque réalise 80% de ses ventes en ligne. Il a donc fallu qu’il apporte sa propre plateforme de commercialisation.

En Chine par exemple, il faut pouvoir utiliser les bons réseaux sociaux. L’utilisation d’Internet étant bien plus limitée que dans les pays occidentaux, le retour n’est donc pas le même sur les plateformes habituelles. L’utilisation de Weibo pour ce marché est donc particulièrement pertinente.

Finalement, c’est dans les vieilles marmites qu’on y fait les meilleures soupes.

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Le Cirque du Soleil en chiffres

5.000 employés dont 700 artistes
10 spectacles par an – 5 fixes, à Las vegas et à Orlando
11 millions de spectateurs sur tous les continents
1 milliard de dollars de CA

Sources : Le Nouvel Observateur n°2413 – 2011, Le Figaro 25 août 2011.

 

Retrouvez l’intégralité de l’article sur Culture et Communication en cliquant ici.

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L’erreur et le droit à l’erreur

Ce ne sont pas du tout les méchants qui font le plus de mal en ce monde. Ce sont les maladroits, les négligents, les crédules. Les méchants seraient impuissants sans une quantité de bons.

– Paul Valéry

 

Errare humanum est disait le diction souvent tronqué par nos contemporains qui oublient d’y ajouter perseverare diabolicum. Ainsi, l’erreur est humaine, certes, mais rappelons aussi que persévérer dans l’erreur est diabolique…

Depuis quelques années les actions des politiciens, tous niveaux confondus, sont examinées sous toutes leurs coutures; dans ce contexte, il y a lieu de se demander si l’adage Errare humanum est règne toujours et si les politiciens possèdent un « droit à l’erreur ». D’ailleurs, existe-t-il une telle chose que le « droit à l’erreur »?

Avant de procéder davantage, il faut savoir que même si la faute, l’erreur et la négligence sont des variations du manquement, il importe de les distinguer afin de mieux s’y retrouver si l’on désire évoquer un éventuel « droit à l’erreur ».

En premier lieu, il importe de savoir que la faute est l’action de faillir (faillita, le latin ne ment pas…). La faute constitue un manquement à une règle, à un art ou à une discipline; la faute résulte habituellement d’une maladresse de la part du fautif. C’est la principale raison pour laquelle il est important de déterminer si le fautif est maladroit ou insouciant. La différence est considérable : le fautif « maladroit » pouvait ne pas savoir alors que l’insouciant devait savoir.

Le terme « erreur », de son côté, est étymologiquement lié au verbe « errer », c’est-à-dire « marcher à l’aventure », « faire fausse route ». Depuis plusieurs années, on y a accolé le concept de « se tromper ». Commettre une erreur, c’est « se tromper ». Au sens strict, la personne qui fait une erreur ne savait pas qu’elle ferait une erreur mais avait tout de même décidé de procéder dans son action en dépit de son ignorance en la matière. Ainsi comprise, l’erreur est un manquement dû à l’insouciance du décideur.

En troisième lieu, la négligence, ou negligentia, est l’action de ne pas prendre soin ou de ne pas tenir compte de quelque chose ou d’un élément lors de la prise de décision. De par son préfixe « neg », la négligence désigne une omission. La negligentia implique directement l’indifférence ou l’oubli de ses devoirs.

Comme la faute et l’erreur, la négligence est un manquement. Elle est cependant un manquement d’un autre ordre. Alors que la faute et l’erreur sont considérées comme étant des manquements simples, la négligence est un double manquement. Il y a second manquement parce qu’en dépit de son savoir le négligent a tout de même choisi de ne pas tenir compte de certains éléments. Le négligent agit sans vergogne.

Alors, y a-t-il « faute », « erreur » ou « négligence » lorsque l’on analyse la qualité des prises de décisions de nos politiques?

Répondre à cette question n’est pas facile mais il faut tout de même se risquer et tenter d’énoncer des critères d’évaluation du manquement. 

À titre d’exemple, tous conviennent que la médecine est un art dont le médecin dont est réputé être Maître de l’art. Parce que la médecine est un art  on peut invoquer « les règles de l’art » et poser les questions suivantes : Le médecin a-t-il agi selon les règles de l’art? Le médecin a-t-il été maladroit? Insouciant? Incompétent? Le médecin a-t-il failli à ses obligations?

Les philosophes grecs de l’Antiquité nous ont enseigné que la politique était aussi un art. Peut-on pour autant dire que nos politiciens sont des artistes et qu’ils sont Maîtres de leur art?

Pour y répondre, il faut savoir qu’un Maître de l’art, n’est pas censé faire de fautes…justement parce qu’il est Maître de l’art en question et que les fautes résultent directement d’une mauvaise pratique de l’art …

Le cas du médecin qui fait une erreur est quelque peu différent. Celui-ci pourrait commettre des erreurs ou des errements parce qu’il est insuffisamment ou mal formé. Ce qui ne devrait pas être le cas de nos jours où la formation médicale est du plus haut niveau. Le médecin qui erre ne prend pas le chemin attendu de la part d’un Maître de l’art. C’est la raison pour laquelle le médecin qui a fait une erreur est réputé fautif.

Enfin, le médecin négligent ne s’est pas interrogé trop longtemps : il est indifférent ou insouciant. Il a oublié ou « choisi d’oublier » les règles de l’art. Le médecin négligent est aussi fautif.

La faute, l’erreur et la négligence représentent les trois niveaux du manquement dont les motifs ou les degrés diffèrent. Vu de la perspective du patient ou du citoyen, cette distinction pourrait sembler triviale, mais elle est cruciale dans l’évaluation de la conduite du Maître de l’art.

Il est assuré que la faute « pure » et la négligence seront plus faciles à prouver que l’erreur devant une instance chargée d’évaluer les actions du médecin. L’erreur laissera toujours un soupçon d’incertitude… et c’est dans ce contexte précis que l’on devrait faire référence à un « droit à l’erreur »… Ce « droit à l’erreur » qui, au fond, n’en est pas un, devra être assorti d’une « bonne foi » démontrable par le médecin et devra aussi avoir valeur d’enseignement pour les autres membres de la profession ou pour les autres praticiens de l’art en question. Sans ces deux éléments, tout n’est que négligence…

Le même raisonnement peut être fait pour le politicien. Nos politiciens sont-ils suffisamment formés à l’art de la politique? Leur formation politique est-elle du plus haut niveau? Là-dessus, votre réponse vaut bien la mienne…

 

L’insouciance tue…les autres

Stanislaw Jerzy Lec

 

Retrouvez sur Cultural Engineering Group les billets réflexifs de René Villemure, éthicien, conférencier, président fondateur de l’Institut québécois
d’éthique appliquée notamment aux domaines de l’innovation, de la culture et de la communication.

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L’éthique sans les valeurs, c’est de la « comm »…

… mais, ça, les charlatans le savaient déjà…

Le climat de suspicion dans lequel nous vivons voit croître quotidiennement les demandes d’éthique et les divers discours sur l’éthique. L’éthique semble être devenue un remède miracle pour les dirigeants de sociétés commerciales et leurs employés, pour nos gouvernements et même pour les médias. Plusieurs parmi ceux-ci parlent d’éthique en exigeant un code du même nom; certains se drapent d’éthique et affirment sans rire que l’éthique est importante mais que ça demeure l’affaire des autres; d’autres encore réaffirmeront leurs « valeurs corporatives » en voulant montrer à tous leur capacité à être labellisés « éthique plus ».

Mais, au gré de ces discours auto-congratulants, parfois pompeux et souvent vides de sens en ce qui concerne les valeurs éthiques, posons la question essentielle : après tous ces efforts, sommes-nous pour autant plus moraux? La réponse à cette question n’est pas simple. Quelques précautions et précisions s’imposent…

Il faut savoir que les valeurs énoncées et affichées dans les discours corporatifs et les plans stratégiques au nom de l’éthique sont souvent des leurres. À la lecture des documents de l’entreprise il est difficile voire impossible de comprendre si les valeurs affichées servent une quelconque vision du Bien ou si ces valeurs ne servent qu’à « faire joli » ou encore à dédouaner les dirigeants en quête de motivation pour leurs employés. Du même souffle, les valeurs semblent souvent n’être devenues qu’un des éléments de promotion de l’entreprise qui en profite pour « surfer » sur un concept à la mode, celui de l’éthique, en le vidant de son sens premier et en le réduisant, lentement mais sûrement, jusqu’à l’obtention d’une esth-éthique molle destinée à impressionner les chalands. À preuve, la plupart des tenants des « valeurs corporatives » ou « organisationnelles » interrogés ne peuvent dire s’ils savent réellement ce qu’est ou ce que représente le concept de « valeur » et, conséquemment, ce à quoi ces valeurs devraient servir. La réponse à cette question, pourtant fondamentale, est souvent moins que concluante…

Tentons d’aller un peu plus loin en précisant ce qu’est une valeur éthique.

Le mot « valeur » est dérivé du latin valorem qui, lui, représente un idéal, un horizon dans lequel on croit. On trouve les valeurs importantes, conséquemment, on les « valorise ». Pour le dire simplement : une valeur est, selon le sens premier, un élément qui a de la valeur. Force est cependant de convenir qu’il existe une différence considérable entre les nombreux éléments que l’on peut vouloir valoriser. Il existe, par exemple, une différence conceptuelle irréductible entre une valeur financière, une valeur religieuse et une valeur dite « éthique ». Laissons la finance aux financiers et la religion aux théologiens puis concentrons-nous particulièrement sur la dernière catégorie de valeur en précisant notre question initiale: Qu’est-ce qu’une valeur « éthique »?

Pour qu’une idée ou qu’un concept puissent être considérés comme étant des valeurs éthiques il existe un petit test qui implique de répondre positivement à deux exigences sans lesquelles les concepts en présence ne peuvent être qualifiés de valeurs éthiques. En premier lieu, l’idée ou le concept doivent avoir un contenu nécessairement moralement positif. En second lieu, l’idée ou le concept doivent contenir leur propre raison d’être ou, pour le dire autrement, ils doivent être accomplis pour eux-mêmes. Prenons l’exemple de l’honnêteté. En matière d’honnêteté, il n’existe pas de moyen malhonnête d’être honnête. L’honnêteté est ainsi, en elle-même, nécessairement moralement positive. En second lieu, force est de constater qu’il ne fait pas sens de demander à une personne : pourquoi êtes-vous honnête ? La question, le libellé même de la question, ne font pas sens. La personne qui est honnête l’est au nom de l’honnêteté en soi. On est honnête parce qu’on est honnête. C’est tout. L’honnêteté représente une finalité, une raison dernière pour laquelle une personne agit; l’honnêteté n’est, en aucun temps, soumise à aucun impératif extérieur ou plus élevé.

Ainsi expliqué, il est plus aisé de faire la différence entre les valeurs éthiques et les autres types de concepts que l’on appelle « valeurs ». Si l’idée ou le concept répondent positivement aux deux exigences énoncées plus haut, nous sommes alors face à une valeur éthique; si l’une ou l’autre ou les deux exigences sont absentes, nous sommes alors face à un moyen, face à un outil ou peut-être face à un slogan mais, surtout, nous ne sommes pas face à une valeur éthique.

Le dirigeant qui choisira de ne pas considérer les deux exigences nécessaires à l’existence même du concept de valeur éthique ne pourra qu’échouer dans son désir d’éthique. Son intention éthique ne demeurera qu’un désir, ses actions seront vaines, présomptueuses et, en définitive, moralement inutiles… mais il pourra toujours se réconforter en disant que l’exercice était difficile et qu’il n’avait pas de mauvaises intentions…

En matière d’éthique, il faut être vigilant, la bonne intention seule ne suffit pas. Afin d’éviter l’instrumentalisation de l’éthique ou les dérapages éthiques il faut, en tout temps, avoir l’œil ouvert et l’esprit critique afin de remarquer, de dénoncer ou de refuser de participer à ces efforts éthiques mal conçus, mal menés, mal encadrés et parfois entrepris pour les mauvaises raisons qui ne pourront finir que par des échecs prévisibles. Ces échecs dus (au moins) à la mauvaise connaissance de l’éthique ont pour conséquence directe l’affaiblissement de la pertinence de l’éthique alors que l’échec du projet devrait plutôt être attribué à un manque de vision, à un manque de connaissances éthiques appropriées ou carrément à une intention mal éclairée chez les responsables du projet en question.

De toute manière, parler d’éthique sans faire précéder ce discours d’une réflexion sincère et compétente sur les valeurs éthiques ne peut résulter qu’en éthique de vitrine ou, disons-le autrement, en de la cosm-éthique…

L’éthique sans les valeurs ne sera jamais que du storytelling, de la pub ou de la « comm’ « … on pourra peindre le monde en rose et vouloir y croire, les chances de succès ne seront jamais qu’aléatoires…

L’éthique est affaire de raisonnement.

La bêtise ne dépasse jamais les bornes. Où qu’elle pose le pied, là est son territoire.

– Stanislaw Jerzy Lec

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La confusion d’intérêts

Ceux qui n’ont pas l’esprit libre ont des pensées toujours confuses

– Anton Tchekhov

Alors que les messages lancés par les médias et les politiciens tournent presque quotidiennement à l’insulte et ont pour thème principal des accusations de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts, qu’est-ce qu’un citoyen responsable devrait penser du concept d’intérêt ?

Avant toute chose, il est ironique de constater que l’on ne fait presque jamais référence au concept d’intérêt en tant que tel; on ne réfère à l’intérêt que lorsqu’il est en conflit. En conséquence, toute référence faite à un intérêt est systématiquement associée à un conflit d’intérêts et souffre d’un préjugé défavorable et d’une condamnation morale immédiate. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi.

L’intérêt était autrefois envisagé comme étant un concept noble et moralement neutre. L’intérêt, avant tout personnel, était tellement important que les premières instances de justice ont été conçues afin de protéger et de baliser ces intérêts personnels. En réfléchissant sur le concept d’intérêt, il est aussi essentiel de comprendre que l’intérêt personnel est la principale motivation de nos actions quotidiennes, et que même les actions dites « altruistes » ont un fondement égoïste – nombre de coopérants internationaux, de missionnaires ou de personnes œuvrant auprès des nécessiteux l’affirment ouvertement.

Puis, tout de suite après l’invention de l’intérêt, il y a eu la découverte des abus d’intérêts… ces situations où les intérêts de l’un empiétaient sur les intérêts de l’autre ou, si on est de nos jours un élu ou un membre d’un conseil d’administration, ces situations où l’intérêt personnel prend le pas sur l’intérêt collectif. De là, le conflit d’intérêts.

Ainsi comprise, la situation de l’intérêt est claire : il faut protéger l’intérêt ; la situation du conflit d’intérêt est tout aussi claire : il faut proscrire le conflit.

Ce qui pose problème en affaire d’intérêts et de conflits est l’existence d’une zone d’ambigüité située tout autour de l’intérêt; cette zone est celle de la confusion d’intérêts. Cette confusion d’intérêts survient lorsque le décideur, les citoyens ou les actionnaires ne comprennent plus où se situe l’intérêt du décideur, où se situe sa loyauté.

Le terme « confusion » est, avant tout, le nom associé au verbe confondre. « Confondre », du latin confundere, qui signifie répandre, verser ou mêler. De là, le sentiment de confusion, c’est-à-dire un état où les choses sont mêlées, une situation où rien n’est clair, ni pour les sens, ni pour l’intellect. La confusion est marquée par un désordre, par un trouble ou par un manque de clarté. La confusion donne alors l’impression de prendre deux choses l’une pour l’autre, indifféremment, ce qui entraîne fréquemment un conflit pour le décideur. Comprise de la sorte, la confusion d’intérêts se distingue de l’intérêt divergeant ; alors que le second mène généralement au désintéressement, le premier mène au conflit. Au conflit d’intérêts.

C’est à ce moment que l’intérêt s’accompagne d’un préjugé défavorable; les citoyens ou les actionnaires ont alors l’impression que le décideur confond ses intérêts avec ceux de l’organisation ou de la collectivité et qu’il choisit de se servir plutôt que de servir.

C’est pour éviter qu’une telle confusion se matérialise que l’on oblige les politiciens et les membres des conseils d’administration à divulguer leurs intérêts personnels. De la sorte, si, par inadvertance, un décideur semblait confondre ses intérêts avec ceux qu’il doit protéger ou défendre, une tierce partie, impartiale, pourra intervenir et questionner le décideur afin d’éviter la confusion et dissiper le doute.

En matière d’intérêts, de confusion d’intérêts et de conflits d’intérêts, l’ombre et la pénombre sont de mauvais présages. Si une action, pour réussir, doit demeurer secrète, elle est probablement moins éthique que si elle pouvait supporter la lumière.

* * *

 

Même les bûchers n’éclairent pas les ténèbres

– Stanislaw Jerzy Lec

 

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