Comme à son habitude, Aude Mathey nous livre un de ses articles défricheurs, décodeurs, éclaireurs, de son meilleur cru. A ne pas manquer sur son excellent Culture et Communication.
Produit, oui, vous avez bien lu produit. Aujourd’hui, même si ce n’est pas encore très répandu en France, les structures culturelles et de divertissement mettent en place des stratégies marketing afin d’acquérir et de fidéliser plus de clients / spectateurs / visiteurs.
J’ai ainsi rencontré Jaki Ellenby, VP Strategic Marketing Development (Vice-présidente au développement du marketing stratégique) du Cirque du Soleil, le 14 novembre lors des journées « Digital Leaders – Mobile, Social & Big Data« . Spécialiste du marketing, notamment pour le secteur du divertissement, Jaki est anglaise et a longtemps travaillé en France (Parc Astérix, Eurodisney) avant de partir au Canada pour le Festival Juste pour Rire et le Cirque du Soleil.
Sa vision du marketing peut sembler un choc pour les professionnels français du marketing culturel. Bien que je la partage, je comprends néanmoins qu’aujourd’hui les structures culturelles aient du mal à accepter que la culture, érigée sur un piédestal quasi-inaccessible malgré ses ambitions de démocratisation, puisse être comparée à des yaourts ou à des couches.
QU’EST-CE LE MARKETING ?
Rapidement, le marketing sert à répondre à un besoin du public d’une entreprise / service / institution, et à y répondre grâce à la création d’un produit au prix adapté au marché et par le biais d’un politique de promotion (les fameux quatre P du Marketing Mix de Jérôme Mac Carthy)
Ainsi, selon Jaki Ellenby, quand on parle de stratégie marketing, c’est « la tendance de base qui est pareille. Vendre des couches, des yaourts ou des spectacles, finalement, on cherche à écouter le client, comprendre son besoin et créer une relation avec lui. Il faut faire en sorte de créer un engagement du consommateur à la marque. Et c’est le cas aujourd’hui pour le Cirque du Soleil ». Après, bien entendu, ce sont les outils qui diffèrent. Le marketing étant extrêmement lié à la vente – car la finalité est bien sûr de vendre des produits / services, les outils utilisés doivent bien évidemment correspondre au marché visé.
QUELLES SONT LES TENDANCES DE CONSOMMATIONS ACTUELLES ?
Comme le soulignait plus haut Jaki Ellenby, le but du marketing est de créer la véritable demande et non pas de la créer. Ainsi, Apple n’a pas créé une demande autour de l’iPod mais a bien compris le besoin d’avoir sa musique et toute sa musique facilement avec soi. L’iPod voit ainsi le jour et rencontre un énorme succès.
Un autre exemple est par exemple celui des couches. Jaki a en effet travaillé pour Procter & Gamble, pour la marque Pampers. L’enjeu aujourd’hui autour de ce produit est de se poser la bonne question : quel est le véritable besoin derrière les couches ? Au-delà de sa fonction première, souvent les personnes qui s’intéressent à l’achat de ce produit sont les parents et notamment les femmes, encore enceintes. Les jeunes parents, lors d’une première naissance, sont particulièrement stressés et ont besoin d’un accompagnement particulier. C’est ce que ce type de marque peur leur fournir, les couches venant, s’il est possible de le dire ainsi, comme la cerise sur le gâteau. C’est pourquoi, même sur des produits de première nécessité, il est toujours possible de détecter un besoin auquel il est possible de répondre et ce pas uniquement par le produit que l’on vend mais par un service annexe que l’on peut être amené à créer.
Pour le secteur culturel, la question posée reste la même. Il faut par conséquent, au lieu de vouloir faire venir à tout prix des publics « difficiles » au nom de la démocratisation culturelle, se poser la question de ce qu’est leur consommation de la culture. Comment ces publics (et les autres d’ailleurs, il n’y a pas de raison) voient la culture, l’apprécie et la consomme (j’insiste sur le mot) au sens où ils privilégient le théâtre, le cinéma, les concerts, les expositions, la création (groupe de musique, grafs, arts de la rue, etc.) …
C’est ainsi que Jaki a détecté le besoin de plus en plus fort d’interactivité. Cette tendance n’est effectivement pas nouvelle. Cette interactivité s’est fait jour grâce au web 2.0 et aux réseaux sociaux mettant l’accent sur le participatif et le communautaire. Les publcis ont donc besoin de plus d’interactivité avec les musées, les expositions, les spectacles.
Faut-il pour autant influencer la programmation artistique ? Hors de question réagit Jaki Ellenby. Rien n’empêche en effet les services marketing de faire part des tendances de consommation du public aux services créatifs, mais c’est à ces derniers que revient la décision de les prendre en compte. Cela est d’autant plus évident que la direction marketing d’une structure peut utiliser d’autres outils afin de parvenir à cet objectif d’interactivité. Ainsi des rencontres avec les artistes ou encore la création d’un club ou d’une communauté spécifique peuvent répondre aux besoins des clients / spectateurs.
C’est de cette façon que le Cirque du Soleil a réussi à créer un degré d’engagement très fort autour de la marque et des spectacles.
LA RELATION AVEC SON PUBLIC, UNE RELATION INTIME
Le Cirque du Soleil, comme nombre de structures culturelles, doit répondre à une envie de rêve, d’évasion. C’est en répondant à ce besoin, de façon segmentée en fonction des publics – et de leur localisation, que le Cirque a fait naître un engagement très fort autour de la marque. Le public utilise souvent des termes relevant de l’intime pour décrire leur relation avec cirque. Il n’est donc pas inhabituel d’entendre des « Vous avez changé ma vie » ou « votre spectacle est inspirant ».
Cette adhésion est tellement grande que les spectateurs prennent même une position protectrice lorsqu’ils estiment qu’un spectacle touche à l’identité du cirque. Ils peuvent parfois reconnaître que la troupe a besoin d’essayer des spectacles / des costumes / des histoires qu’ils n’ont pas apprécié sans pour autant faiblir leur attachement à la marque.
Cette relation n’est évidemment possible que grâce à une bonne communication inter-services et direction et surtout à une écoute patiente et pertinente du besoin de leurs publics.
La direction du corporate marketing du Cirque du Soleil recoupe ainsi cinq divisions : un studio de production (qui travaille à la fois pour la direction marketing mais également des autres services), une équipe relation et expérience clients (pour tout ce qui touche directement les consommateurs à la marque), le développement de la marque et de l’innovation (notamment la réflexion sur le positionnement de la marque « Cirque du Soleil ». Le cirque a ainsi produit un film en 3D avec James Cameron), les insights et l’intelligence marketing (tout ce qui regroupe les études et analyses, notamment psychographiques) et enfin le développement de produits dérivés, l’e-commerce (80% de la billetterie passe par ce biais) et les licences.
C’est donc un service très structuré, que nous appellerions en France, dans nos plus grands musées la direction de la politique des publics. Ce terme d’ailleurs me gêne assez au sens où souvent le marketing, la politique tarifaire, la billetterie, les publications et la médiation sont regroupées au sein de cette même direction. Or la médiation dans le cadre d’un musée est un service, proposé gratuitement (sauf les applications et la location des supports). La médiation fait appel au contenu et devrait être de ce fait rattachée à la conservation. Rien n’empêche ensuite par ailleurs que la médiation puisse bénéficier des compétences internes des services informatiques, marketing et communication.
Une telle absurdité, selon moi, est le cas au musée du Louvre. Ainsi la production culturelle et l’éducation artistique font l’objet de deux directions séparées, le développement y est envisagé sous l’aspect uniquement B2B (Business to Business puisque le développement appartient également à la direction mécénat) et la politique des publics, en B2C, est réalisée conjointement avec l’éducation artistique. En ce qui concerne le musée d’Orsay par exemple, c’est à peine si on y aborde les sujets de commercialisation. On parle de promotion au sein du service communication, mais c’est bien tout. Quant au Centre Pompidou, le B2B est rattaché à la communication (sauf pour l’action touristique, quelle idée ?) et le B2C a son service à part. Et le musée du Quai Branly est le seul à parler de vente…
QUELLE STRATÉGIE DE FIDÉLISATION ET D’ACQUISITION ?
Comme le soulignait Jaki Ellenby ; finalement les stratégies marketing utilisées sont relativement similaires d’un secteur à un autre, ce sont les outils qui diffèrent.
C’est ainsi que pour fidéliser un public, alors que les événements et les tournées ne se font pas d’une façon régulière, le Cirque du Soleil a préféré misé sur la création d’un Club (gratuit) auquel les clients peuvent s’abonner afin d’en avoir les dernières informations. Il faut en ce cas tabler sur la création d’une relation qualitative et non quantitative.
Quant à l’acquisition de nouveaux clients, le marketing intégré (à 360°) est une référence. Il faut pouvoir utiliser tous les moyens et toutes les techniques afin de transmettre le bon message au bon endroit au bon moment. Cette stratégie, pour le Cirque Soleil, est par conséquent différenciée en fonction des segments de publics mais également des marchés (en terme géographiques). Par exemple, lors de l’implantation du Cirque du Soleil en Russie il y a 3-4 ans, il n’y avait pas de billetterie en ligne. Il faut savoir que le cirque réalise 80% de ses ventes en ligne. Il a donc fallu qu’il apporte sa propre plateforme de commercialisation.
En Chine par exemple, il faut pouvoir utiliser les bons réseaux sociaux. L’utilisation d’Internet étant bien plus limitée que dans les pays occidentaux, le retour n’est donc pas le même sur les plateformes habituelles. L’utilisation de Weibo pour ce marché est donc particulièrement pertinente.
Finalement, c’est dans les vieilles marmites qu’on y fait les meilleures soupes.
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Le Cirque du Soleil en chiffres
5.000 employés dont 700 artistes 10 spectacles par an – 5 fixes, à Las vegas et à Orlando 11 millions de spectateurs sur tous les continents 1 milliard de dollars de CA
Sources : Le Nouvel Observateur n°2413 – 2011, Le Figaro 25 août 2011.
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