Depuis longtemps, la ville de Dallas désire être à tout prix une cité de classe mondiale. Or ceci nécessite un certain nombre de « pré-requis », tout particulièrement aux Etats-Unis où les contrastes entre les villes à fort rayonnement mettent la barre très haut pour les autres villes qui veulent entrer dans cette catégorie. Tant que vous n’avez pas la panoplie complète d’une destination américaine culturelle majeure (des gratte-ciels, une franchise à la NFL et de graves problèmes d’embouteillages… ), vous n’êtes qu’une « Palookaville », un espace qui se caractérise par sa vacuité, voire sa stupidité. C’est dire toute l’arrogance de la compétition entre les territoires aux USA.
Dallas figure parmi les villes qui n’ont pas jeté l’éponge pour autant, malgré une réputation difficile qui lui colle à la peau depuis toujours ou presque. Elle tente en effet depuis plusieurs années en mettre cohérence un ambitieux district artistique, grâce notamment à un ensemble de musées, théâtres et opéra conçus par les plus grandes stars de l’architecture mondiale. Tout récemment, la ville a fêté l’ouverture des deux dernières pièces manquantes à son puzzle stratégique : le théâtre Dee et Charles Wyly et l’opéra Margot et Bill Winspear. L’un est le fruit de la collaboration entre Rem Koolhaas et Joshua Prince-Ramus et le second est signé Norman Foster.
Si les bâtiments sont très dissemblables, chacun contribue à sa manière à brillamment compléter le dispositif que la ville cherche à mettre en place. Il aura fallu un peu plus de trente ans pour combler les manques de ce district des arts issue d’une idée un peu folle en 1977. Entendez par district un territoire « cluster », où toutes les compétences et les infrastructures sont réunies pour développer une industrie particulière, transversale à toute l’économie et la stratégie d’un territoire.
L’idée de ce district a en effet germé dans le plan stratégique de 1977 et a failli être immédiatement abandonnée lorsque la levée de fonds nécessaires à se mise en œuvre fut rejetée au moment de son vote. La première phase ne put être achevée qu’en 1984 avec le Dallas Museum of Art (conçu par Edward Larrabee Barnes). Il fallu ensuite plus de 5 ans supplémentaires pour voir débuter l’opération du Meyerson Symphony Center (création pour le moins radicale de I.M. Pei). Puis ce fut à nouveau la traversée du désert jusqu’en 2003 où fut inauguré l’extraordinaire (au sens propre du terme) Nasher Sculpture Center signé Renzo Piano.
Cette progression en longues étapes est malgré tout loin d’être un désavantage pour le développement de ce district d’un peu plus de 27 hectares assez fragmentés. Car on constate en l’occurrence que cela a permis d’éviter de produire un effet « palais » culturels figés dans leur temps, ce qui caractérise par exemple de manière frappante le Lincoln Center for the Performing Arts de New York.
Dallas a su assembler une grande diversité de bâtiments issus du meilleur de l’architecture des trente dernières années et peut se lancer dans la grande compétition de l’attractivité internationale des villes à fort rayonnement culturel. Cette catégorie des cités de premier plan atteint aujourd’hui un certain niveau de maturité un peu partout dans le monde, y compris dans les pays considérés comme émergents. C’est d’ailleurs là que le bât blesse pour les métropoles européennes : les stratégies les plus ambitieuses et les plus récentes trouvent leurs exemples les plus flagrants aux Emirats, en Chine, au Brésil, en Asie du Sud-Est et en Amérique du Nord, ce qui n’est et ne sera pas non plus sans effet sur les flux touristiques.
Dallas entre donc dans la danse, forte de l’expérience accumulée dans le temps d’architectures spectaculaires et attractives par leur innovation formelle et technique. Elle se paie luxe d’un effet Guggenheim sans le Guggenheim en question, chose qui du point de vue purement touristique était encore impensable il y a peu de temps dans cette partie des Etats-Unis. La sagesse du plan stratégique de ce district des arts va plus loin que ce que l’on pourrait qualifier de politique centrée sur l’investissement puisque la ville a tout prévu, en allant jusqu’à faire appel à des techniques du marketing devenues plus fines (plus intuitives, mieux adaptées au fait culturel), à des compétences en la matière (les directeurs des différents sites mentionnées savent parfaitement leur rôle que leur établissement doit jouer dans la société d’aujourd’hui) qui contribuent massivement à l’effort de développement. Cette gestion des ressources permet de créer les conditions d’une politique touristique maîtrisée qui ne tardera pas à porter ses fruits et Dallas va sans aucun doute figurer parmi les prochaines villes américaines à sa tailler la part du lion dans la compétition effrénée des grandes villes culturelles dans le monde.
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