Le groupe de travail sur l’influence du droit communautaire sur le financement des services culturels par les collectivités territoriales a rendu ses conclusions au Sénat au début du mois d’avril. Le communiqué de presse qui nous est parvenu avec la synthèse du rapport du président du groupe de travail Monsieur Vincent Eblé témoigne de la complexité et de l’importance du sujet.
En effet, le droit communautaire évolue. Le paquet Monti-Kroes, datant de juillet 2005, a été remplacé par le paquet Almunia, adopté par la Commission européenne le 20 décembre 2011 et applicable en France depuis le 1er février 2012. S’adressant à l’ensemble des pouvoirs publics, nationaux et locaux, il émet un principe général d’interdiction des aides d’État, tout en autorisant certaines compensations notamment pour la fourniture de « services d’intérêt économique général » (SIEG). Au-delà d’un certain seuil de subvention, le seuil de minimis, qui devrait prochainement être fixé à 500 000 euros sur trois ans, toute compensation fait l’objet d’une notification.
Ceci est lourd de conséquences pour la culture et plus généralement pour l’écosystème culturel. Des mutations profondes s’annoncent. Plusieurs de nos membres sont très mobilisés sur cette question, au premier rang desquels Jean-Michel Lucas alias Doc Kasimir Bisou. Après avoir été consulté par le groupe de travail du Sénat, il a adressé à Monsieur Vincent Eblé le courrier ci-dessous, courrier resté sans réponse à ce jour. Dans ce courrier, la position prudentielle du rapport ne se situant quasi exclusivement au plan juridique est dénoncée sans détours et ce qui aurait dû être posé dès le début des travaux du Sénat est rétabli.
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A l’attention de Monsieur Eblé,
Sénateur,
Président du groupe de travail sur l’influence du droit communautaire sur le financement des services culturels par les collectivités territoriales
Monsieur Le Président,
J’ai lu avec attention le rapport sur « l’influence du droit communautaire sur le financement des services culturels » que vous avez présenté au Sénat le 2 avril dernier devant la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Je dois avouer que j’ai été particulièrement surpris par l’analyse que vous avez faite de cette question si déterminante pour l’avenir des politiques culturelles dans notre société de liberté. Je voudrais, en conséquence, vous faire part de mes réactions en espérant qu’elles puissent influer sur la rédaction finale du document que vous demandez au Sénat de diffuser largement auprès des
autorités publiques et de la société civile.
Mon étonnement tient surtout à l’angle d’approche que vous avez choisi et qui se réduit à une lecture juridique – réglementaire – des dispositifs de soutien aux acteurs culturels. Sur un tel sujet, j’estime qu’une réflexion plus proche des responsabilités d’intérêt général – disons éthiques et politiques – de votre assemblée d’élus du peuple aurait permis de mieux éclairer l’opinion.
* J’observerais d’abord que les textes réglementaires que vous commentez découlent tous d’une même doctrine politique, affirmée avec force par la Directive « services » [1] adoptée depuis 2006 par la Commission comme par le Parlement européen et qui s’impose à tous les Etats et à toutes les autorités publiques les plus décentralisées. Comme plus personne ne l’ignore, l’enjeu de la Directive est de libéraliser les services c’est à dire de favoriser le marché concurrentiel au nom des valeurs de progrès. Cette libéralisation a pour objectif de « renforcer l’intégration entre les peuples européens » et de « promouvoir le progrès économique et social équilibré et durable », ce qui n’est pas négligeable ! J’ajoute toutes les qualités attendues de l’idéal de libéralisation des échanges économiques : « En éliminant ces obstacles, il importe de veiller à ce que le développement des activités de services contribue à l’accomplissement de la mission visée à l’article 2 du traité, à savoir promouvoir dans l’ensemble de la Communauté un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, l’égalité entre les hommes et les femmes, une croissance durable et non inflationniste, un haut degré de compétitivité et de convergence des performances économiques, un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement, le relèvement du niveau et de la qualité de vie et la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les États membres. ».
On ne peut évidemment pas passer sous silence ces valeurs de progrès qui résulteront du bon fonctionnement de la concurrence. Dès lors, quelle place détient la culture dans ce système de valeurs ? J’observe que vous n’avez pas cru bon de le préciser à vos collègues. Je fais donc le faire à votre place. [2]
Le premier constat est que, dans cette Directive, les services culturels ou artistiques ne sont pas nommés [3]. Je pourrais en déduire, dans une tradition bien française, que les actions culturelles sous forme de spectacles, d’expositions ou d’ateliers de pratique des arts, ne sont pas considérées comme des services soumis à concurrence. Mais cet espoir est vite déçu car les services culturels ne sont pas non plus identifiés dans l’article 2 de la Directive qui dresse la liste détaillée des services échappant à l’obligation de concurrence !
On ne peut tirer qu’une seule conclusion de ce constat : les « services culturels » (hormis l’audiovisuel) sont inconnus de la Directive « services ». Ce texte lourdement réglementaire, qui dessine les bons moyens d’accéder au progrès collectif et durable dans l’harmonie sociale, n’accorde aucune importance spécifique à l’enjeu culturel ! Avouez que cette ignorance mérite d’être signalée aux responsables artistiques et culturels, si souvent enclins à revendiquer leur mission civilisatrice de la plus haute importance ! Il leur faut bien se rendre à l’évidence : avec la « Directive services », la culture recouvre des biens et services de droit commun, ordinaires en somme, dont la valeur pour la société est donnée uniquement, comme pour les autres marchandises ordinaires, par le jeu du marché libre. L’idée d’un enjeu culturel public – l’idée d’un service public de la culture et même l’idée, présente dans les conventions Unesco, que la culture est une « marchandise pas comme les autres » – est désavouée par la Directive « services ». Elle ne connaît que la catégorie des services de « loisir », c’est à dire des services « d’entertainment » en anglais !
* Il s’agit là d’un choix politique, non d’une exigence juridique et il ne suffit pas de noter, comme le fait votre rapport, que la Commission ne veut pas envisager d’autres perspectives pour s’en satisfaire ! (Je dirai plus loin que d’autres choix en phase avec le Traité sont possibles).
J’insiste sur cette question de la valeur publique de cette culture « inconnue » de la Directive pour une bonne raison qui ne vous a certainement pas échappé lors de la lecture attentive du texte de la Directive « services » : en effet, toutes les activités qui relient les hommes entre eux ne conduisent pas au progrès par le jeu concurrentiel. La Directive considère ainsi que le sport amateur relève d’un autre idéal de progrès. Je m’arrête sur le paragraphe 35 consacré au sport, en espérant que vous vous êtes demandé pourquoi la culture ne reçoit pas les mêmes égards : « (35) Les activités sportives non lucratives pratiquées à titre amateur poursuivent souvent des objectifs entièrement sociaux ou de loisir. Elles ne constituent donc pas des activités économiques au sens du droit communautaire et ne devraient pas relever du champ d’application de la présente directive. » Idéal non concurrentiel pour le sport en amateur, en tant que pratique « entièrement » sociale ! Par contre, la danse en amateur, le théâtre en amateur, la musique en amateur n’ont pas de légitimité à bénéficier du même régime ! Pire, la Directive ignore jusqu’à leur nom.
Pourquoi votre rapport ne tire -t-il aucun enseignement de cette incompréhensible différence de statut, comme si, pour atteindre le « progrès durable », le sport en amateur avait des vertus que n’ont pas les pratiques amateurs des danseurs ou des musiciens ?
* Je voudrais poursuivre ces réflexions sur les enjeux éthiques cachés derrière l’objectivité juridique de la réglementation. Ainsi, vous avez noté incidemment, comme si de rien n’était, que « les opérateurs culturels sont assimilés aux autres opérateurs économiques ». C’est malheureusement vrai. Mais d’où vient cette injonction ? Sur quelle valeur publique est-elle fondée ?
Il n’était pas très compliqué de détailler l’argumentaire qui assimile, de manière si étrange, les acteurs culturels non lucratifs à des industriels maximisant leur profit. Il résulte, vous le savez, d’une interprétation donnée par la Cour européenne de justice ( et non d’une décision d’une instance démocratiquement élue). Les acteurs culturels comme beaucoup d’autres sont considérés comme des offreurs « d’activités économiques ». Ainsi dit la Cour de Justice : «Pour qu’un service donné soit qualifié « d’activité économique » soumise aux règles du marché intérieur (libre circulation des services et liberté d’établissement), il doit présenter la caractéristique essentielle d’être fourni contre rémunération. Il ne doit cependant pas nécessairement être payé par ceux qui en bénéficient. » [4] La vérité publique absolue est donc la suivante : des lors que la rémunération est payée, par le bénéficiaire du service ou par une autre entité (une collectivité, par exemple), l’acteur culturel est un «offreur » donc un « vendeur » !
Et la conséquence pour la société n’est pas négligeable : le vendeur d’activités économiques se voit contraint de se soumettre à la règle concurrentielle chargée de sauver le progrès de l’humanité :« 3.2.1 : Toute activité consistant à l’offre des biens et/ou des services sur un marché donné est une activité économique au sens des règles de concurrence ». Avec en pratique, un déni des valeurs humanistes portées par les acteurs puisque même si l’acteur culturel se veut « solidaire », « non lucratif », « généreux » et soucieux de « réciprocité » avec les artistes et les publics, il n’est pour cette réglementation qu’une entreprise marchande concurrentielle : «Dans le domaine du droit de la concurrence, la Cour de justice estime que ce n’est pas le secteur ou le statut d’une entité assurant un service (par exemple le fait qu’il s’agisse d’une entreprise publique ou privée, d’une association d’entreprises ou d’un organisme d’administration publique), ni son mode de financement, qui déterminent si ses activités sont considérées comme économiques ou non économiques, mais la nature de l’activité elle-même. »[5]
Ce raisonnement est douloureux pour ceux qui ont le sentiment qu’ils travaillent pour les arts de qualité, en vue d’enrichir la société avec de beaux livres ou des disques de grands interprètes ! Il l’est aussi pour tous ceux qui croient tisser du lien social, favoriser l’émergence de jeunes talents, construire du « Vivre ensemble » en proposant des festivals, des ateliers, des résidences d’artistes sans aucun souci de rentabilité. Rien ne leur interdit de croire à leur idéal mais les valeurs qu’ils accordent à leur action relèvent de leur appréciation personnelle ou professionnelle. Pour le progrès collectif de l’Union, vu par la Directive « services », ils sont seulement d’ordinaires contributeurs aux offres culturelles marchandes proposées à des consommateurs. Pour l’Union, ils sont des « épiciers », vendeurs de beaux et moins beaux produits culturels !
Personne n’a donc lu, ne serait ce que Malraux qui n’hésitait jamais à affirmer l’éthique publique de la culture comme une nécessaire résistance aux effets du marché investi par les machines à rêve, « qui n’ont pas été inventées pour le plaisir des hommes mais seulement pour apporter de l’argent à ceux qui les fabriquent et n’ont de puissance magistrale que dans la mesure où – je parle clairement – elles ne rapportent le maximum d’argent que si elles font appel, chez nous, à ce qui est le moins humain, le plus animal, le plus organique, et, disons le clairement, le sexe et la mort » !
Mais c’était en 1963 devant l’Assemblée nationale ! Pour le Sénat de 2012, les temps ont bien changé et l’on accepte sans même s’y arrêter que l’idéal pour la culture résulte de l’échange concurrentiel. Peut -on se taire devant cette curiosité éthique et politique ?
* J’imagine que vous allez m’objecter que la norme concurrentielle laisse de grandes libertés d’agir autrement. C’est, affirmez vous dans votre rapport, moins « dramatique » que ce que certains veulent bien le dire puisque l’Union soutient la création de services d’intérêt économique général –les SIEG. Franchissons une étape et voyons alors les alternatives proposées par ces SIEG en matière culturelle.
Avec les SIEG, l’Union paraît s’offrir une conception du progrès durable qui ne doit plus rien à la valeur de la rentabilité concurrentielle ! De surcroît, les textes laissent à chaque autorité publique locale une grande marge de manœuvre : « Il est essentiellement de la responsabilité des autorités publiques, au niveau approprié, de décider de la nature et de l’étendue d’un service d’intérêt général. » Ainsi l’action de l’Union «respecte la diversité des situations dans les Etats membres et les rôles dévolus aux autorités nationales, régionales, locales pour assurer le bien-être de leurs citoyens et promouvoir la cohésion sociale, tout en garantissant des choix démocratiques en ce qui concerne, entre autres, le niveau de qualité des services ». Chaque territoire ferait ainsi ce qu’il lui plaît de faire en matière de SIEG : « L’étendue et l’organisation des SIEG varient considérablement d’un Etat membre à l’autre, en fonction de l’histoire et de la culture de l’intervention publique dans chacun des Etats membres. Il existe donc une grande diversité de SIEG et les disparités peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales et culturelles différentes ».[6]
En faisant une lecture journalistique de ces informations de la Commission, je pourrais presque comprendre votre approche juridique puisque manifestement l’Union approuve largement le développement de ces « services publics ». Mais je ne crois pas qu’il suffise d’en rester à ces apparences, car, avec les SIEG, l’enjeu culturel public est réduit à peau de chagrin. Disons réduit à n’être qu’une exception (culturelle) dans la marche de l’Union vers le progrès durable humain. Et c’est cette marginalité de la culture, ainsi consentie, qui est politiquement grave. Je souhaite en faire la démonstration.
* D’abord il faudrait affirmer, haut et fort, que les services d’intérêt économique général ne peuvent exister qu’à la condition qu’il en aient l’autorisation ! La règle concurrentielle comme éthique publique règne comme une épée de Damocles au dessus de la tête des éthiques alternatives. Le premier contrôle s’exprime ainsi par l’injonction que les autorités publiques locales ne doivent pas faire « d’erreurs d’appréciation ». Vous oubliez de nous le rappeler : le SIEG culturel perd toute légitimité s’il fausse la concurrence ! Impossible d’ouvrir un grand magasin public de livres et de disques dans un ville qui en aurait déjà un, privé et rentable ! Concurrence déloyale ! La règle concurrentielle demeure la référence universelle d’une bonne culture collective, et ce, pour tous les Etats membres, toutes les autorités publiques décentralisées, en toute situation ! Comme le dit calmement le guide des SIEG : « Dans ce cadre, l’intervention de la commission vise uniquement à éviter des erreurs susceptibles d’aller à l’encontre des règles du TFUE (traité sur le fonctionnement de l’union européenne) ». Autrement décodé, les SIEG « culturels » ne comptent pour le progrès de l’Europe qu’à la condition de laisser passer, en priorité les produits culturels fournis par le marché concurrentiel. La culture publique est bien sous contrôle de la marchandise ! Malraux est bien loin !
Est ce une éthique publique si évidente que vous ne mentionnez à aucun moment la nécessité d’en débattre ?
* D’autant que la conséquence est dramatique par rapport aux valeurs culturelles défendues par le Traité lui-même. Regardons le deuxième contrôle imposé par la Commission sur les SIEG. Il est d’une rare bêtise appliquée à l’enjeu culturel collectif : je voudrais d’autant plus le souligner que vous avez pris cet argument de la Commission pour une avancée alors qu’il ne peut s’agir que d’un recul dans la construction d’une culture commune faite d’interactions entre les cultures qui peuplent l’Europe et le Monde.
Rappelons la règle : les SIEG sont les bienvenus s’ils « n’affectent pas les échanges entre les Etats membres ». En première lecture, le dispositif autorise le versement de subventions aux porteurs de projets culturels, qui ne s’en plaindront sans doute pas. J’applaudis comme vous l’avez fait, mais le cadeau est trop beau.
Regardons la suite et prenons l’exemple d’un musée : à quelles conditions peut-on subventionner un musée de Sardaigne, en Sardaigne ? La réponse répétée en 2007 et en 2011 est : « Dans le cas des musées locaux en Sardaigne, il a été considéré que le financement des projets de ces musées d’une portée limitée et d’un budget modeste n’affectaient pas les échanges entre Etats membres, dans la mesure où, à l’exception de quelques musées d’importance et de réputation internationalement reconnues, les habitants des autres Etats membres ne franchissaient pas les frontières avec comme but principal celui de visiter ces musées. »[7]
Est-il si difficile de s’apercevoir que cette explication enterre le sens humaniste de toute politique publique culturelle puisqu’elle nous dit que l’argent public est justifié si l’investissement n’a aucun intérêt pour d’autres cultures que celle des habitants du terroir. La politique culturelle publique n’est autorisée que si elle demeure sans impact auprès des autres européens !
Vous le voyez, le service public de la culture vu par l’Union et ses SIEG est vraiment bizarre : il n’existe que si les cultures restent enfermées sur elles-mêmes. Etonnant, n’est ce pas, surtout quand l’agenda culturel européen vante les mérites de « l’interculturalité » !
Il ne faudrait pas croire que l’exemple de la Sardaigne soit isolé et anecdotique : c’est la même doctrine du repli de chacun sur son territoire qui est mise en avant pour justifier les subventions à des créateurs basques : « Dans le cas des productions de théâtre basques, il a été considéré que le financement de ces productions n’affectait pas les échanges entre Etats membres, dans la mesure où il s’agissait des productions à petite échelle de micro ou petites entreprises d’une nature locale, leur audience potentielle était limitée à une région géographique et linguistique spécifique, et elles ne pouvaient pas attirer un tourisme transfrontalier. »[8]
Vous avez bien lu : voici les artistes basques, transformés en « micro entreprises » de « loisir » local qui ont droit aux subventions uniquement parce que leur culture est quantité négligeable. Puisque leurs créations théâtrales vivent en circuit fermé, dans la bulle close de leur identité linguistique, séparée de toutes les autres langues de l’Europe et du monde, ils ont droit à une aide publique. La politique culturelle publique réduite à l’éloge du ghetto culturel ! Etrange raisonnement pour une société de liberté ! Je ne parviens à comprendre que vous ayez pu trouver cet argument de l’enfermement linguistique positif quand il faudrait, au contraire, justifier l’argent public par la capacité des acteurs à entrer en relations suivies avec d’autres langues, à s’interconnecter, à interagir pour engendrer de nouvelles relations culturelles, sans attendre que le marché en voit la rentabilité ! L’Europe ne devrait pas se laisser aller, ainsi, à interdire l’argent public dès lors qu’il y a des échanges entre les cultures. J’estime, pour ma part et je ne doute pas que vous partagerez ce point de vue, qu’il est d’une grande irresponsabilité politique de considérer que tous les échanges culturels doivent être rentabilisés comme si l’interculturalité entre les européens, et avec le reste du monde, devait reposer sur les seules épaules du marché de concurrence.
* Plus prosaïquement encore, vous l’avez bien noté dans votre rapport, mais pour vous en féliciter, il reste tout à fait possible pour une autorité publique locale de soutenir des festivals, des créations théâtrales ou des bibliothèques. Le service public de la culture, devenu SIEG, peut presque faire ce qu’il veut, librement, mais toutefois à la condition que les apports publics soient inférieurs à 200000 euros sur trois ans par projet. Autrement comprises, les aides publiques à la culture doivent rester sous le seuil de la valeur « de minimis » ! Elles peuvent donc exister sans contrainte, … pourvu qu’elles soient sans envergure.
Le fait de passer à 500 000 euros ne changera pas le message politique : cette exception culturelle est si minimale qu’elle est négligeable par rapport aux effets de la règle normale d’accès au progrès durable grâce à la concurrence marchande. Politiquement, il n’y a pas de quoi s’en vanter, même si beaucoup d’acteurs culturels s’en contentent volontiers.
* Que se passe -t -il si l’autorité publique subventionne plus largement que 200 000 euros sur 3 ans un acteur du secteur culturel ? Vous l’avez bien dit : l’Union déclare que cette autorité publique distribue une aide d’Etat. Rien ne l’interdit dans les faits mais, aussitôt prévenue, la Commission déclenche son contrôle pour vérifier si les règles concurrentielles ne sont pas perturbées. La valeur de la concurrence n’est pas seulement une « philosophie » du progrès ; elle sait se faire « surveillante générale » et seule « juge ». Je crois qu’il ne faut pas hésiter à rappeler qu’aucun autre juge des valeurs communes, plus attentif par exemple aux relations de dignité entre les personnes ou la valeur esthétique des créations, ne lui est opposé pour parvenir à des compromis. Avec cette idée de l’aide d’Etat, l’épée de Damocles n’est tenue que par le seul chevalier du « progrès par le marché libre » qui accorde, ou non, les autorisations de vivre hors concurrence !
Il y a, bien sur, des moyens d’échapper à ce contrôle de la commission. Il suffit que l’acteur culturel reçoive une mandat de la part de l’autorité publique pour un service répondant à des objectifs de service public. Dans ce tiroir du mandat public d’exception, on imagine des financements publics plus importants que les futurs 500 000 euros de la règle de minimis : on voit se dessiner la carte des musées, des centres culturels municipaux, des opéras, des bibliothèques, des festivals, c’est à dire tous ces équipements et événements qui ponctuent la vie des villes européennes. L’Europe ne changera pas de sitôt cette réalité de l’investissement public dans cette « culture » qui vise à satisfaire les loisirs de qualité de ses consommateurs.
Toutefois, le sens de ces investissements doit être médité : en effet, il y a bien « mandat public » mais cet intérêt public n’est pas du tout universel. Il n’a qu’une valeur limitée au territoire local et aux circonstances politiques particulières qui ont conduit à la décision. Autrement formulé en terme de responsabilité politique, l’idéal du SIEG est toujours contingent au sens où il est d’exception et spécifique au local, chaque territoire le gérant à sa façon. Un élu peut donner à un service culturel une valeur alternative, par exemple pour nouer des liens sociaux ou favoriser le mieux vivre ensemble, mais le territoire d’à coté peut fort bien revendiquer de privilégier l’aide à la création artistique d’excellence tandis que le troisième n’y fera rien et préférera faire financer par le privé une grande salle de spectacles dits populaires de 20 000 places ! Le sens et la valeur que l’élu donne à la culture ne dépassent pas les frontières de sa compétence territoriale. La liberté de penser et d’agir localement est souvent applaudie mais, dans le cadre des SIEG, elle produit l’éclatement total de l’idée même de politique culturelle.
Le Sénat, justement par ses compétences, aurait quand même pu interroger cet intérêt général de seconde zone institué par le dispositif des SIEG. Car il faut bien admettre qu’il n’y a en Europe aucune règle commune supérieure à la concurrence pour penser une politique culturelle homogène au sein de l’Union. Seul l’idéal concurrentiel reste et demeure « universel » pour tous les temps et tous les lieux de l’Europe. Est ce bien cette Europe culturelle segmentée par territoire et soumise partout au contrôle prioritaire de la concurrence que nous pouvons souhaiter ? Personnellement, je préfère en douter, surtout au moment où la mondialisation nous offre la chance de côtoyer la diversité fantastique de toutes les cultures de la planète.
* Le pire est sans doute que la réglementation européenne offre encore d’autres possibilités juridiques de financer des SIEG avec des ressources publiques. Le maire pourra préférer la délégation de service public à l’appel d’offres. Il peut même accorder des droits exclusifs aux fournisseurs de services. Il peut aussi verser des subventions si le projet est d’origine associative. Il peut, tout aussi bien, gérer le service public en régie directe. Vous l’avez indiqué, ces solutions sont nombreuses. La municipalité a beaucoup de choix. Cette liberté d’agir des autorités publiques signifie seulement que, localement, ces diverses possibilités de gestion publique restent en concurrence entre elles ! L’éthique concurrentielle n’a donc pas abandonné la partie puisqu’elle parvient même à mettre en compétition les différentes procédures publiques, en fonction d’intérêts qui ne relèvent de l’intérêt général de l’Union mais plutôt des intérêts propres aux différents pouvoirs locaux, eux-mêmes en compétition entre eux pour plus d’attractivité de leur territoire !
Ainsi, en un mot, avec les SIEG, l’élu local remplace l’investisseur privé pour fournir à sa place les services culturels non rentables sur son territoire particulier, sans portée pour l’ensemble de l’Union.
La réflexion politique européenne peut-elle en rester à cette conception de la responsabilité culturelle publique ?
Je ne le crois pas. Je suis même convaincu que l’actuel Traité de l’Union impose une autre perspective pour l’enjeu culturel public. Toutefois, pour avancer dans cette voie, il faut accepter d’opérer un saut qualitatif, que votre rapport n’envisage à aucun moment.
* Je voudrais d’abord affirmer que le Sénat n’est pas tenu par une définition corporatiste de la responsabilité culturelle telle que les professionnels des arts et de la culture l’entendent. En effet, depuis les années 1990, avec le rapport De Cuellar, l’Unesco a revendiqué une approche humaniste de la diversité des cultures et notre pays l’a approuvée, à l’unanimité de ses parlementaires, comme vous ne pouvez l’ignorer. [9] L’enjeu culturel public est alors associé à l’ambition de faire vivre ensemble des personnes, groupes, communautés aux identités culturelles si différentes. C’est un enjeu politique fort pour tenter de contrecarrer le risque majeur pour notre planète de voir les cultures s’opposer entre elles au point de nous conduire au « clash des civilisations ». L’article 1 de la Déclaration Universelle sur la diversité culturelle de 2001 a clairement énoncé cette volonté politique de voir les différences de cultures devenir des ressources pour « faire humanité ensemble ». C’est le pari politique qui affirme qu’avec toutes les cultures respectueuses des droits humains, « la diversité culturelle est le patrimoine de l’humanité ». Je sais qu’il est inutile de vous rappeler cette exigence politique internationale qui met l’enjeu culturel au cœur de notre avenir commun.
L’Union européenne serait -elle, de son coté, imperméable à cet enjeu culturel au point que le Sénat français ne doive pas l’évoquer ? Je le pense d’autant moins que cette éthique – « la culture, c’est faire humanité ensemble» – est fondée sur les principes mêmes du Traité européen. Je vous en propose la démonstration suivante, si vous voulez bien m’accorder quelques instants supplémentaires.
* Il faut d’abord faire un détour par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». On doit alors considérer que la responsabilité universelle de la politique publique est de garantir le respect de la dignité de la personne, elle même respectueuse de la dignité et de la liberté des autres personnes. Chaque personne se voit ainsi « reconnue » dans l’identité qui la constitue comme être de dignité, c’est à dire dans sa culture. Et cette relation puissante entre l’identité culturelle et la dignité de la personne a été consignée dans les conventions internationales signées à l’Unesco. On en trouve une formulation précise dans la Déclaration de Fribourg sur les Droits Culturels : [10] «l’expression «identité culturelle» est comprise comme l’ensemble des références culturelles par lequel une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité ».
J’insiste sans doute trop sur cette dimension culturelle de la dignité mais il me paraît difficile d’y échapper dans la mesure où elle nous est imposée par nos engagements internationaux. Je rappelle par exemple l’article 4 de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle qui affirme que « la défense de la diversité culturelle est un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine ». C’est donc bien un idéal de « dignité » adopté par plus 184 Etats qui pose une autre éthique universelle pour la culture que celle de la concurrence. Non pas pour dire que les marchandises culturelles doivent disparaître. Seulement pour assurer que la préoccupation marchande ne peut s’autoriser à écraser l’exigence de respect due à la dignité des personnes dans leurs « identités culturelles plurielles, variées et dynamiques ».
* Cette perspective ne peut être ignorée quand on aborde concrètement la question des aides publiques à la culture en Europe. En effet, le Traité est particulièrement attentif à l’enjeu de dignité des personnes.
Ainsi, son préambule confirme l’attachement des Etats « aux principes de la liberté, de la démocratie et du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’État de droit ». Puis, dès l’article 2 du Traité, ces principes se traduisent en engagement éthique : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »
Il suffit de lire ces valeurs éthiques fondatrices de l’Union pour admettre que la valeur de dignité devrait détenir la première place dans le fonctionnement quotidien de l’Union.
* Dans le même sens, il est inévitable de faire référence à l’Article 6 du Traité qui renvoie à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000. Aucun doute sur l’universalité de l’exigence de dignité puisque l’article premier énonce « la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée ».
Ainsi, même s’il est dommage que vous ne l’ayez pas évoquée, la responsabilité universelle de l’Union n’est pas seulement de fournir des biens culturels marchands pour le bien-être du plus grand nombre ; elle est aussi de garantir la dignité de la personne, donc la reconnaissance de son identité culturelle qui se doit d’être « respectée et protégée » .
* Il me paraît maintenant possible de faire un pas de plus.
J’observe par exemple que cette valeur de « respect de la dignité des personnes » n’est pas du tout inconnue de la Directive « services ». C’est même une valeur qui s’impose comme une évidence dans la pratique concrète de l’institution…, du moins dans certaines circonstances !
J’ai suffisamment critiqué la Directive, avec sa volonté d’associer le progrès à la seule concurrence entre les marchandises, pour pouvoir dire maintenant qu’elle propose, aussi, un autre idéal pour construire l’Humanité ensemble. En effet, au point 27, la Directive considère que le marché n’est pas du tout un bon dispositif lorsque la dignité des personnes est menacée.
Vous comprenez que cette reconnaissance réglementaire – juridique, diriez-vous – de la valeur de dignité est essentielle pour mon argumentation. Je m’empresse donc de citer le texte qui légitime l’intervention publique au nom de la dignité des personnes : « ces services sont essentiels pour garantir le droit fondamental à la dignité et à l’intégrité humaines et sont une manifestation des principes de cohésion sociale et de solidarité et ne devraient pas être affectés par la présente directive. » Vous avez bien lu : ces services qui garantissent la dignité humaine sont « essentiels », donc non contingents. Pourquoi, alors, ne pas revendiquer cette puissante légitimité en affirmant que la première dignité de la personne ne peut être que la reconnaissance de son identité culturelle, dans le respect de sa liberté et du « vouloir mieux vivre ensemble ». Les services culturels qui voudraient donner priorité à la dignité des personnes devraient être reconnus comme universels pour l’Union, au titre de ce droit à la dignité affirmé dès l’article 2 du Traité.
* Malheureusement, ce pas n’a pas été franchie par la Commission et le Parlement. La Directive « services » a, en effet, une approche très restrictive de l’idéal de dignité qu’elle limite à des situations objectives définies par des normes professionnelles que seuls les spécialistes des secteurs de la santé, de la réparation sociale ou du logement peuvent apprécier.
Regardons bien le texte de la Directive « services » : il « connaît » les situations d’indignité mais ne laisse aucune place à la « parole » de la personne. « La présente directive ne devrait pas couvrir les services sociaux dans les domaines du logement, de l’aide à l’enfance et de l’aide aux familles et aux personnes dans le besoin qui sont assurés par l’État au niveau national, régional ou local, par des prestataires mandatés par l’État ou par des associations caritatives reconnues comme telles par l’État avec pour objectif d’assister les personnes qui se trouvent de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin particulière en raison de l’insuffisance de leurs revenus familiaux, ou d’un manque total ou partiel d’indépendance et qui risquent d’être marginalisées. Ces services sont essentiels pour garantir le droit fondamental à la dignité et à l’intégrité humaines et sont une manifestation des principes de cohésion sociale et de solidarité et ne devraient pas être affectés par la présente directive. »
En lisant attentivement cet argumentaire, on comprend que la dignité n’est mobilisée que pour les situations matérielles qui empêchent les personnes d’être opérationnelles sur les marchés concurrentiels ! Pour la Directive, la dignité n’est donc pas une valeur aussi « essentielle » que ne le voudrait le Traité.
C’est pourquoi il me semble de première importance d’interpeller la Commission sur son interprétation trop restrictive de la « dignité » qui ne permet pas d’inclure l’enjeu culturel reposant sur la reconnaissance première des dignités culturelles des personnes. Je souhaiterais, pour ma part, que soit suggérée une autre écriture de ce paragraphe 27 de la Directive permettant d’inclure l’enjeu culturel de dignité : « 27) En application du droit fondamental à la dignité et à l’intégrité humaines visé par l’article 2 du Traité, la présente directive n’autorise la libéralisation des services qu’à la condition qu’ils permettent à la personne d’affirmer son droit à la liberté et à l’expression de son identité culturelle, « comprise comme l’ensemble des références culturelles par lequel elle se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité ».
En somme, en matière culturelle, accepter, certes, la concurrence, mais sous contrôle de la dignité !
* Une dernière marche reste à franchir si l’on s’autorise à poser l’enjeu culturel en termes éthiques plus que juridiques . L’Union a dû reconnaître que certaines réalités devaient être gérées autrement que par la logique d’échanges de marchandises et a admis, du bout des lèvres, la nécessité des « services d’intérêt général non économique » (SIG) à coté des SIEG. Je lis, par exemple, les informations données par la Commission, en 2007 pour rendre possible et légitimer ces services publics : ce sont les «services, qui comprennent par exemple les prérogatives étatiques traditionnelles, telles que la police, la justice et les régimes légaux de sécurité sociale, ne sont soumis ni à une législation communautaire spécifique, ni aux règles du traité relatives au marché intérieur et à la concurrence. »
Vous n’avez pas sérieusement évoqué cette possibilité réglementaire pour asseoir une politique culturelle alternative à celle des SIEG. Pourtant, au regard des enjeux culturels de dignité, ces services d’intérêt général non économiques (SIG) sont parfaitement adaptés à la réalité de nombreux acteurs culturels soucieux de culture non lucrative, de relations solidaires ou, comme on dit encore en France, d’éducation populaire.
J’aimerais vous confier mes observations sur ce point.
* Je note d’abord que la légitimité de ces services publics n’est pas sérieusement étayée par la Commission. Aussi bizarre que cela puisse paraître, ces services reposent sur des valeurs très vagues : le texte les qualifie de « traditionnelles », comme si la tradition était une valeur pilier du Traité de l’Union, ou, alors, la valeur de ces services est formulée de manière négative – « non économiques ». Ainsi, en 2011 en réponse à la question de savoir comment reconnaître de telles activités non économiques (d’intérêt général), la Commission a osé répondre « les deux catégories d’activités qui ont été déterminées comme non économiques sont : les activités liées à l’exercice des prérogatives de puissance publique et certaines activités d’une nature purement sociale ! [11] »
J’aimerais que vous admettiez, avec moi, la faiblesse insigne de cette justification : je tiens même à dire que l’idée qu’il existe dans la société complexe qui est la notre, des réalités « d’une nature purement sociale » est cocasse. Imaginez ! Il y aurait ainsi, dans l’Union, des activités qui seraient de nature « sociale », sans être de nature « économique » ? Ou à l’envers des activités si purement « économiques » qu’elles ne seraient pas « sociales » ? D’ailleurs, avoir même l’idée de qualifier une réalité de notre vie collective de « pure » dans sa nature, est suspecte et même injustifiable au regard des dégâts que l’idéologie de la « pureté » en société a pu mobiliser.
De surcroît, et c’est pour moi l’essentiel de l’argument, le fait qu’une activité soit « sociale » ( « purement » ou « entièrement » comme il est écrit pour le « sport amateur ») ou qu’elle soit qualifiée « d’économique » n’est pas pertinent par rapport au Traité. En effet, le qualificatif « purement sociale » ne peut être associée à aucun article du Traité, si bien que la Commission triche en donnant une justification en dehors des clous du formalisme qui devrait pourtant être sa règle incontournable.
Ne serait-il pas nécessaire de refuser cette explication injustifiée et de réclamer que les SIG (non économiques) reposent plus solidement sur les valeurs fondamentales du Traité ? Et, bien entendu, sur des activités dont la finalité est de permettre aux personnes d’être plus en dignité, vis à vis d’elles-mêmes, vis à vis des autres. Il faut ainsi profiter du flou des justifications de la Commission pour refonder les services d’intérêt général (non économiques) sur la défense des droits humains.
Je suis persuadé que beaucoup d’acteurs culturels pourraient se reconnaître dans cette exigence éthique. Pas tous, certes, car nombre d’entre eux sont plutôt des vendeurs de produits à des publics satisfaits de leurs consommations de spectacles, de films ou de livres… Pour eux, le marché concurrentiel restera la norme et, à titre d’exception, les SIEG suffiront bien à la peine. Les informations juridiques que vous avez données leur seront parfaitement adaptées.
Mais, d’autres acteurs culturels privilégient la relation de « reconnaissance » entre les personnes. Les obligations de réciprocité ne se limitent pas au paiement d’un billet ou d’un salaire. L’enjeu est que les personnes progressent sur le chemin de l’émancipation. La culture est alors comprise comme construction d’une humanité ensemble faite de plus de libertés, plus de capabilités, plus de responsabilités vis à vis des autres, pour reprendre les exigences des approches du développement humain, si bien défendues par Amartya Sen, prix Nobel d’économie.
De tels projets acceptent, bien sur, les échanges marchands mais ne s’y réduisent pas car ils nécessitent la confrontation des personnes et de leurs libertés culturelles ( et artistiques) pour mieux favoriser les interactions entre les mondes sensibles ( ce que j’ai qualifié ailleurs de « palabre » [12] et qui ne peut s’épuiser dans l’offre de marchandises !)
Cet enjeu culturel mérite bien un dispositif réglementaire identifié. Les services de dignité comme SIG non économiques devraient lui être ouverts, même si les critères pour y entrer seront sans doute plus contraignants que ceux qu’impose la logique marchande aux SIEG. Ils seront, en tout cas, beaucoup plus valorisants pour ceux qui estiment comme Perez de Cuellar que « nous avons tout lieu d’espérer qu’à mesure que chacun ira défrichant un peu mieux sa propre singularité, il y découvrira au plus profond l’indéniable empreinte de notre humanité commune. »
Je m’autorise à reprendre pour cet enjeu culturel les mots de Mendes France : « Alors que le progrès consiste à reconnaître à chacun plus de droits, d’indépendance, de dignité non seulement dans la gestion de sa vie personnelle mais aussi dans celle de la communauté à laquelle il appartient, je ne peux croire que ce peuple se désintéresse de son propre progrès. »[13] En ce sens, je forme le vœu qu’avec votre soutien, l’Union saisisse la nécessité de faire évoluer ses directives pour donner force réglementaire à l’enjeu culturel premier qui reste de mieux construire notre humanité commune, ensemble.
Je vous remercie de votre attention.
Bien respectueusement à vous
Jean Michel Lucas.
_____
[1] Voir le considérant n°1 de la Directive services http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do? uri=CELEX:32006L0123:FR:NOT
[2] Voir sur ce point Jean Michel Lucas et Doc Kasimir Bisou : « Culture et développement durable : il est temps d’organiser la palabre ». Editions Irma, Paris, 2012.
[3] Voir le point (33) de la Directive .
[4]Voir Communication de la commission au parlement européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions accompagnant la communication intitulée « Un marché unique pour l’Europe du 21e siècle » Les services d’intérêt général, y compris les services sociaux d’intérêt général : un nouvel engagement européen. 20.11.2007 ; COM(2007) 725 final
[5] Ibidem
[6] Je reviendrai plus tard sur cette étonnante mais subtile différenciation entre services d’intérêt général non économiques (SIG) et SIEG ( services d’intérêt économique général.) Voir le « Guide relatif à l’application aux services d’intérêt économique général, et en particulier aux services sociaux d’intérêt général, des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État, de « marchés publics » et de « marché intérieur », point 2.5.
[7] Voir le guide point 3-1-12
[8] Voir le guide point 3.1;12
[9] Je me réfère ici au votes du parlement adoptant les lois qui autorisent le président de la république à signer les conventions Uneco sur la diversité culturelle : la Convention sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, et la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
[10] voir le site http://www.aidh.org/ONU_GE/Comite_Drtcult/decla-fribourg.htm
[11] voir au point 3.1.4 du guide des sieg.
[12] J’ai resitué cet enjeu dans « Culture et développement durable : il est temps d’organiser la palabre » éditions Irma 2012.
[13] Pierre Mendes France : « La république Moderne » Edit Gallimard,1966
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