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Culture et décentralisation : une réelle perspective de changement

Jean-Michel Lucas est sans aucun doute un des plus éloquents empêcheurs de tourner en rond. A peine l’annonce faite de la nomination de Sylvie Robert par Aurélie Filipetti pour conduire une mission pour renforcer les actions entre le ministère de la Culture et les collectivités, c’est avec une efficacité rare qu’il vient nous rappeler dans une tribune parue dans la Gazette des Communes qu’un changement d’approche de la décentralisation culturelle paraît désormais pouvoir être accepté.

Les enjeux culturels ont toujours été négligés dans les lois de décentralisation, notamment du fait de la pression des grandes organisations professionnelles du milieu artistique, soucieuses de conserver leurs relations privilégiées avec l’administration centrale du ministère de la culture.
Mais les temps changent et il est maintenant clair, pour tous, que les collectivités locales sont des acteurs publics majeurs de la politique culturelle, aussi bien en matière de financement que de conception de projets.

Un changement d’approche de la décentralisation culturelle paraît donc maintenant pouvoir être accepté.
Pour s’y engager, il me paraît possible de prendre appui sur les positions prises par toutes les collectivités regroupées dans la FNCC (Fédération nationale des collectivités pour la culture).

Lors des états généraux de la démocratie territoriale, la FNCC a fait des propositions au gouvernement qui me semblent porteuses d’innovations significatives pour la décentralisation culturelle.

Je retiens trois points novateurs de ce texte.

La FNCC considère qu’en matière culturelle, l’intérêt national ne peut pas se réduire aux positions du ministère chargé de la culture (et de ses réseaux professionnels nationaux). « L’intérêt national doit être nourri et assumé tant par le pouvoir national que par les collectivités territoriales, en dialogue attentif et respectueux avec la société civile dont ils sont les représentants. »
A bon droit, cette position vise à limiter la tentation permanente du ministère de la culture à conserver ses pouvoirs « régaliens » dans de nombreux domaines (même sans aucune législation spécifique !).

Pour la FNCC, chaque autorité publique doit pouvoir apporter sa contribution à l’enjeu culturel commun. En conséquence, il convient d’éviter d’attribuer des compétences exclusives à telle ou telle autorité publique. « Il n’y a pas de domaine, en matière de culture, dans lequel la compétence exclusive, que ce soit de l’Etat ou de telle ou telle collectivités, s’impose. Tous, cependant, ne pourraient que bénéficier d’un partenariat plus approfondi »

La FNCC insiste alors pour que soit « préservé la compétence générale pour la culture sans pour autant renoncer à des clarifications concertées ». Cette revendication avait été l’un des axes forts de l’opposition des élus et des professionnels à la loi de décembre 2010 qui a abouti à la rédaction insatisfaisante de l’article 73 où la culture est considérée comme un secteur d’activités.

Il est probable que le futur texte devra confirmer la reconnaissance de la compétence générale pour l’enjeu culturel territorial. Il devra aussi, comme le souhaite la FNCC, laisser ouverte la possibilité d’associer aisément la politique culturelle et d’autres politiques publiques locales, pour renforcer les actions transversales largement expérimentées par les collectivités.

Des clarifications par la loi – Ces positions de la FNCC doivent être prises au sérieux par rapport à la réalité de la vie culturelle française. Pour autant, elles peuvent soulever des problèmes qu’il revient à la loi de résoudre.
 En premier lieu, chaque collectivité a sa propre temporalité et élabore à son gré sa propre politique culturelle. Si chaque territoire reste indépendant dans la détermination de ses finalités et de ses actions culturelles, l’idée même d’une politique culturelle ayant une dimension nationale disparaît. La politique culturelle devient segmentée en une multitude de positions locales prises au nom de la compétence générale de chaque territoire.

On ne pourra pas, de même, éviter les effets des clientélismes locaux qui resteront toujours aussi dominants, compte tenu de la répartition sociale des bénéficiaires des équipements culturels publics !

De surcroît, chaque territoire ayant vocation à agir en faveur de son propre développement, le risque est grand que les acteurs culturels soient principalement soutenus au titre de leur apport à l’économie et à l’attractivité du territoire. Chaque territoire se positionnera en concurrence culturelle avec les autres, si aucune règle de solidarité n’est fixée. Il est difficile de penser que la loi de décentralisation puisse accorder des vertus à cette rude compétition entre collectivités pour développer des « territoires créatifs » qui ne feraient qu’accompagner la concurrence mondiale sur les marchés privés de l’économie créative.

La solution à ces problèmes ne s’impose pas d’emblée.
 L’argument de la FNCC, tourné vers le dialogue et le partenariat entre collectivités, est certes réaliste et à encourager, mais, les temporalités différentes des acteurs publics ne garantissent rien d’autre que des accords possibles, jamais nécessaires, entre collectivités.

De plus, faute d’une position unificatrice au niveau national définissant les critères d’intérêt général, ce sont les groupements professionnels et leurs réseaux qui assureront une certaine homogénéisation des interventions culturelles des collectivités à partir de critères d’intérêts essentiellement sectoriels.

Enfin, il paraît difficile de revenir en arrière en renforçant le pouvoir de contrôle et d’expertises des services du ministère de la culture pour la raison simple que les collectivités ont progressivement recruté des professionnels aux compétences similaires à celles des agents des Drac.

Intérêt local au sein de principes nationaux – La seule perspective de changement est ailleurs ; elle est clairement esquissée par la FNCC. Je la formulerai ainsi : la loi devra permettre à chaque collectivité de réaliser, librement, ce qui lui semble conforme à l’intérêt local, à la condition de respecter des principes communs à toutes les collectivités, au niveau national.

Les collectivités seraient ainsi « autonomes » dans la détermination des actions culturelles mais chacune devra veiller au respect des valeurs communes définies par la loi.

Il n’est pas difficile de déterminer ces valeurs partagées garantissant la cohérence de sens de la politique culturelle nationale, sans brider l’action locale des collectivités et de la société civile. Il suffit que la loi rappelle que la France a approuvé, unanimement, les termes de la « Déclaration universelle sur la diversité culturelle » à l’Unesco en 2001.

C’est la suggestion proposée par les élus à la culture eux-mêmes puisque le texte de la FNCC demande explicitement au gouvernement « d ‘inscrire de nouvelles missions pour les élus : la mise en oeuvre de la Charte de l’Unesco pour la diversité culturelle. » (L’expression la plus juste aurait dû être « la Déclaration Universelle sur la Diversité culturelle »).

Si cette suggestion était retenue, le texte de loi n’aurait qu’à viser dans ses attendus la Déclaration de 2001 et à préciser que les interventions culturelles des collectivités auront à respecter les principes énoncés par ce texte. Ainsi, chaque collectivité devra assurer que son programme d’actions en matière d’art et de culture contribuera à améliorer le vivre ensemble et à développer les capacités créatrices de chacun , dans le respect des droits de l’homme.

La formulation la plus simple serait de reprendre dans le texte de loi une partie des termes de la Déclaration de 2001 en indiquant, par exemple, que « les collectivités au titre de leur mission de développement culturel du territoire organisent librement leur politique culturelle pour « assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles à la fois plurielles, variées et dynamiques », pour favoriser « les échanges culturels et l’épanouissement des capacités créatrices qui nourrissent la vie publique ».

En définitive, la FNCC incite le gouvernement à affirmer une approche globale (politique au sens propre) des enjeux culturels et artistiques locaux, et non plus une approche sectorielle limitée à l’offre de biens culturels et à leur réception par des publics.

Dans une société ouverte et soucieuse de proximité avec les citoyens, les politiques culturelles devraient ainsi mieux répondre à la nécessité de permettre aux cultures, dans leur diversité, de faire humanité ensemble, selon la définition de la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels.

Ces exigences de sens pour la culture devront être associées à la nécessité de rendre la gouvernance des politiques culturelles plus partenariales entre les collectivités et avec les services de l’Etat.
Elles nécessiteront, de même, le développement de concertations ouvertes sur la politique culturelle (Le texte cite l’Agenda 21 de la culture). La FNCC appelle ainsi à promouvoir « la participation des citoyens dans les prises de décisions », ce qui est très nouveau pour les politiques culturelles françaises qui ont longtemps résisté à cet impératif.

Dans la mesure où les conventions Unesco sur la diversité culturelle prévoient toutes la mobilisation de la société civile, nous ne pouvons faire moins en France que ce que nous avons applaudi à l’Unesco, d’autant que les élus locaux de la FNCC réclament, eux-mêmes, ce renforcement nécessaire de la concertation démocratique pour mieux apprécier les enjeux culturels territoriaux.

Il est certain que nos engagements à l’Unesco sur la diversité culturelle peuvent faire débat s’ils étaient repris in extenso dans un texte législatif concernant la décentralisation. Toutefois, indiquer dans la loi de décentralisation, l’enjeu culturel de la diversité serait ouvrir une voie que les élus de la FNCC accueilleraient avec intérêt, pour que la politique culturelle puisse enfin relier les personnes pour un meilleur vivre ensemble dans la république décentralisée, à l’heure d’une mondialisation croissante.

Du même auteur sur cultural-engineering.com :

Président de Trempolino, docteur d’Etat ès sciences économiques et maître de conférences à l’université Rennes 2 Haute-Bretagne dont il fut le vice-président de 1982 à 1986, Jean-Michel Lucas fut également conseiller technique au cabinet du ministre de la Culture Jack Lang de 1990 à 1992, où il y impulsa notamment le programme « Cafés Musiques ». Nommé Directeur régional des affaires culturelles d’Aquitaine en 1992, il mit en place une politique culturelle d’État en étroit partenariat avec les collectivités locales, et avec comme préoccupation de valoriser la place de la culture dans les politiques de la ville et des territoires ruraux. Ce « militant de l’action culturelle », connu sous le pseudonyme de Doc Kasimir Bisou, a participé à plusieurs projets sur le devenir des politiques culturelles et sur les légitimités dans lesquelles elles s’inscrivent. En Bretagne comme en Aquitaine, il fut par ailleurs à l’origine de nombreuses réalisations concernant les musiques amplifiées (RAMA, festival d’Uzeste, Rencontres Trans Musicales de Rennes…).

Vous pouvez retrouver toutes ses contributions en cliquant ici et n’hésitez pas à réagir et à contribuer au débat !

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Programmes des forums régionaux « Culture pour chacun »

 

Voici les informations disponibles sur les forums régionaux organisés par les Directions régionales des affaires culturelles (Drac) dans la perspective du forum national qui se tiendra les 3 et 4 février 2011 sur le thème de Culture pour chacun.

  • Centre : le 17 décembre, à partir de 9h, au théâtre d’Orléans (salle Vitez). Un programme de cette matinée est en ligne. L’entrée est libre sur réservation (02 38 78 85 00) .
  • Champagne-Ardenne : le 1er décembre, à 14h, dans le hall Olivier Messiaen de la Drac, à Chalons-en-Champagne. Ce forum s’adresse aux partenaires institutionnels, collectivités, structures travaillant sur la démocratisation culturelle ou ayant un service de médiation en région Champagne-Ardenne. Un pré-programme est disponible. Contact : Christophe Poilane (christophe.poilane@culture.gouv.fr ).
  • Franche-Comté : le 3 décembre, à 10 h, dans la salle Malraux de la Drac, à Besançon. L’objectif de la réflexion est l’élargissement des publics touchés. La réunion des acteurs des secteurs culturel, socioculturel et politique permettra de rechercher une synergie opératoire. L’après-midi sera organisé en trois ateliers : Médiations et territoires, Médiations et publics et Nouvelles pratiques. Contact : Gianfranca Vegliante (gianfranca.vegliante@culture.gouv.fr )
  • Haute-Normandie : le 16 décembre, à 14h30, au Théâtre des 2 Rives à Rouen (Seine-Maritime). Après des présentations d’analyses et de projets culturels et artistiques, des tables rondes rassembleront des élus, des artistes, des programmateurs et des médiateurs. Ce forum est ouvert à tous. Le nombre de places étant limité, il est nécessaire de s’inscrire par courriel avant le 14 décembre auprès de la Drac (02 35 63 77 53 – veronique.taty@culture.gouv.fr ).
  • Provence-Alpes-Côte d’Azur : intitulé Démocratisation et pratiques culturelles à l’heure du numérique, le forum de la Drac Paca se tiendra le 15 décembre, de 10h à 13 h, aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône, à Marseille. L’inscription se fait en ligne. Contact : Anne Dufourg (anne.dufourg@culture.gouv.fr ).
  • Rhône-Alpes : le forum régional Culture pour chacun, action culturelle& éducation artistique, initialement prévu le jeudi 28 octobre est reporté au vendredi 10 décembre, de 9h30 à 13h15, aux Subsistances à Lyon (Rhône). Le nombre de places est limité, il est demandé de confirmer sa présence par courriel, avant le 6 décembre, auprès de Sandrine Dutreuil (04 78 30 37 73 – sandrine.dutreuil@les-subs.com ).

 

Source : ministère de la Culture et de la Communication.

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Frédéric Mitterrand reste ministre de la culture et de la communication

La nouvelle nous est parvenue cet après-midi, Frédéric Mitterrand va rester le locataire de la rue de Valois au sein du nouveau gouvernement Fillon suite au remaniement qui va être dévoilé ce soir par le Secrétaire Général de l’Elysée. Du coup, il est important de se pencher en détail sur le texte publié début septembre qui posait le cadre de ce que tous les commentateurs (et le ministre lui-même) ont qualifié de « révolution copernicienne ».

Vous trouverez un exemplaire de ce fameux texte dans notre box Ressources .

Créé par André Malraux avec l’objectif de démocratiser la culture (les fameuses mais dépassées maisons de la Culture), cette exception française qui a été copiée depuis, a mué. Devenue la maison des artistes sous l’ère Lang, elle est désormais celle des industries culturelles et créatives et Frédéric Mitterrand l’assume sans ambiguïté. Sa mission prioritaire est désormais « d’accompagner les mutations considérables que connaîtra la création artistique avec l’essort du numérique et le poids grandissant du marché ». Tout est dit avec ces deux mots « numérique » et « marché ». La culture n’est plus simplement ce supplément d’âme dans un monde de chiffres, mais un secteur d’activité économique à part entière. Ce n’est pas un scoop, loin de là. Nous reviendrons en détail sur cette nouvelle ère qui s’annonce car si ce texte que nous qualifierons de « fondateur » constitue une nouvelle doctrine en matière de politiques culturelles, il se garde bien de ne pas traduire (pour le moment) le changement de logiciel qui est en train de s’opérer et qui se prépare depuis de longs mois. Moralité, c’est une nouvelle guerre de tranchées qui a déjà commencé durant laquelle chacun s’efforcera de ne proposer aucune solution d’avenir, trop occupé à mener le combat sur le terrain idéologique. Nous en voulons pour preuve la réaction des sections CGT-CFDT-FSU (Drac Stap Pays de Loire) du 11 octobre dernier :  « Au delà d’un contexte social tendu qui ne facilite pas les rencontres, un certain nombre d’éléments amènent et inclinent l’intersyndicale Drac/Stap des Pays de la Loire (CGT,CFDT, FSU) à ne pas souhaiter rencontrer malgré leur proposition, le secrétaire général du ministère et des membres du cabinet ce vendredi 15 octobre lors de leur venue en Drac des Pays de la Loire .

En premier lieu sur le plan social, peut-on continuer à entretenir dans ce ministère, que ce soit à l’échelon central ou local, un dialogue social en trompe l’œil cumulant arguments technocratiques abscons, propos démagogiques et parole apaisante, le tout sans perspective et sans objectif.
Ensuite sur la plan culturel, comment comprendre que soit mis en avant le nouveau concept de «la culture pour chacun » en lieu et place de la culture pour tous, ce qui loin de prôner une démocratisation culturelle, fondement du Ministère depuis Malraux, le situe dans l’ère du temps où toutes les cultures se valent, chacun devant recevoir ce à quoi son appartenance sociale ou communautaire lui donnera droit, l’exigence culturelle étant maintenant assimilée à de l’intimidation sociale.
Et enfin, sur un plan général, il y a la réforme de l’ Etat, RGPP1 et RGPP2, et sans doute RGPP3 qui, loin de situer l’agent et encore moins l’usager au cœur des réformes de l’Etat, n’ est qu’une entreprise idéologique de démantèlement et à terme de délabrement du service public relayée au niveau local sans états d’âme.
Dans ce contexte synthétiquement dressé, les représentants du personnel ne veulent plus participer au jeu de dupe d’un pseudo échange avec des représentants ministériels qui, oin de n’être que des exécutants, vont jusqu’à justifier avec zèle les termes d’une politique sans âme. »

 

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