Parmi les différents thèmes que Cultural Engineering Group se propose d’aborder, les politiques culturelles dans leur acception la plus large possible jouent un rôle prépondérant dans nos sociétés, c’est une évidence.
Nous avons souhaité étudier la question de leur avenir car il s’avère qu’elles témoignent toutes d’une vision (ou d’une doctrine) de la culture, renvoyant ainsi chacun à son propre référentiel.
Certes, l’ingénierie culturelle est un domaine vaste, mais qui est particulièrement bien positionné auprès des politiques culturelles pour pouvoir analyser et identifier les freins et les performances de celles-ci tout en étant un des supports de leur évolution.
S’interroger sur leur avenir dans le contexte de la poursuite de la construction européenne, de la confrontation des modèles de « civilisation » et de la prise en compte de la responsabilité sociétale, n’est pas évident et ne peut être exhaustif. En revanche, tenter d’esquisser et d’analyser les différentes voies possibles est loin d’être vain.
Si la cohabitation, la coopération et le dialogue entre les peuples dépendent plus que jamais de la différenciation, de la pluralité et de la convergence des politiques culturelles, ces dernières connaissent de profondes mutations, à l’image de nos sociétés.
Cette faculté de changement, d’anticipation ou d’adaptation n’est pas abordée de la même manière d’un pays à l’autre.
C’est à travers cette dualité (et parfois cette ambivalence) que nous nous proposons de dossier.
C.E.G propose de progressivement constituer un panorama de ces politiques.
Ce dossier thématique est ouvert à la contribution et au débat. N’hésitez pas à y apporter vos expériences, vos analyses, vos commentaires.
Philippe Gimet, fondateur du C.E.G.
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Introduction générale
Une des principales difficultés pour appréhender l’avenir des politiques culturelles réside dans l’interrelation entre les cultures. Nous avons en effet choisi cette clé d’entrée sociologique car il s’agit au fond du liant sans lequel les tentatives de rapprochement des politiques culturelles en Europe est fort complexe.
L’approche sémiologique de la culture est fondée sur l’interrelation entre deux constats :
- les limites de la culture sont en relation avec son fondement naturel, le tout assisté par les systèmes contrôlés par les humains ;
- l’ensemble des exigences requises permettant la création d’une culture diffère selon les sociétés humaines.
À partir de ce constat, il convient d’évoquer en préambule la problématique du dialogue entre les cultures.
La problématique du dialogue entre les cultures
Parmi les sujets qui émergent régulièrement du flot médiatique de nos sociétés globalisées, la culture porte en elle une tension conflictuelle larvée, quelque peu masquée par les grands discours récurrents sur la diversité culturelle.
Si 2008 est l’année européenne qui met en exergue la nécessité du dialogue entre les cultures et qui donne lieu à un appel visant à réunir des idées nouvelles sur la façon de promouvoir ce dialogue, l’effort à accomplir pour créer un « mieux-vivre ensemble » et changer le regard et l’appréhension des cultures demeure considérable.
En chaque culture se trouve en effet un assemblage précaire et hétéroclite d’identités fortes, de traditions et de terroirs essentiels, de patrimoines aux richesses innombrables mais aussi de clichés, de peurs de l’autre, de replis sur soi, d’expressions souverainistes, de conservatisme ou de poids des héritages face à la gageure que représente la construction d’une société européenne, construction dont le leitmotiv cette année est « Together in diversity »
Force est de constater dans le contexte actuel que la notion d’exception culturelle, notion derrière laquelle nombreux sont ceux qui se réfugient, contient autant de perspectives de progrès si le dialogue entre les cultures est opérant que de risques d’un nouveau type de « guerre de tranchées » pour la construction politique de l’Europe et de son identité.
Le multiculturalisme, enjeu de nombreux questionnements et conflits dans les sociétés d’aujourd’hui, est une conséquence du postmodernisme. Une multitude de possibilités engendre inéluctablement un problème identitaire, une difficulté à prendre position face à des valeurs, à la religion, à la politique et bien sûr face à autrui, à ses croyances.
Par poussées successives, paraissent chaque année pamphlets, études sociologiques, voyages initiatiques, manifestes, controverses, analyses, reportages et articles d’opinions qui dans leur majorité assènent chacun à leur manière des coups subtils dans l’inconscient et le conscient collectifs.
Malgré eux, ils témoignent et traduisent la nécessité d’une réaction mesurée et ouverte au dialogue.
Mais que dire par exemple des réactions au dossier que le magazine Time a consacré en 2007 à la culture française ? Peu se sont exprimés mais la plupart des réactions fut antagoniste et frisa parfois le ridicule.
Si parmi tous les pays, la France se considère en pointe en matière de culture, au bénéfice de ses citoyens et de son rayonnement mondial (les approches quantitatives de la dépense culturelle publique par habitant l’attestent), elle est néanmoins entrée en croisade pour l’exception culturelle, ce qui n’est pas uniquement un signe positif. Dans toute croisade gît en effet un intérêt particulier et dominateur ou une crainte aux dépens des autres, aussi noble soit la cause d’un pays comme la France.
Sous couvert d’idéal nostalgique d’une « certaine idée de la France », on refuse de manière outrancière la remise en question et l’ouverture tout en faisant la promotion. La France est un pays de paradoxes pour tout étranger.
C’est à se demander si la gouvernance culturelle ne s’est pas un peu trop laissée flotter au gré du hasard et de la nécessité. Les choix qui ont été faits ont tous été légitimes mais le résultat est sur ce point très proche d’un status quo. Le changement est toujours à venir et la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle en est un des exemples les plus criants.
Des gouvernances encore trop divergentes
Les modèles de société se confrontent les uns aux autres avec, il faut bien le reconnaître, une certaine primarité populaire ; primarité qui rejette presque par principe toute réciprocité dans l’influence de l’autre. Il y aurait ainsi fort à dire de l’idée qu’on peut se faire de l’intérêt général.
Qu’a-t-il donc manqué pour ne pas parvenir à suffisamment changer cela ? Des repères ? De la volonté politique ? Des outils et des dispositifs structurants ? Du pluralisme ? Des intellectuels et des scientifiques ? Rien de cela c’est certain.
Pour que les gouvernances s’accordent, elles doivent prendre de la hauteur, s’ouvrir aux autres et apprendre à articuler et partager leurs compétences et surtout faire face à toute forme de repli plus ou moins avouable ou faussement assumé, c’est peut-être là que le bas blesse le plus au fond.
Pourtant tous nos hommes politiques se servent constamment de la comparaison avec les autres pays pour étayer ou infirmer tel ou tel projet de réforme. Ce signe positif est-il pour autant suffisant ? À l’évidence non.
Nous sommes confrontés ici au relatif échec français de la démocratisation culturelle. L’accès à la culture est un lien qui demeure trop distendu pour la majorité des citoyens et ce sont les industries culturelles qui, tout en favorisant cet accès, l’ont resserré tout en se différenciant de la culture soutenue par les politiques culturelles.
L’erreur française peut notamment se caractériser dans l’opposition quasi dogmatique entre l’offre et la demande. D’un côté la politique de l’excellence fortement incitative et soutenue dans sa diffusion et de l’autre la consommation de masse qui ne se ressent que très partiellement destinataire de cette politique.
Cette opposition a trop longtemps sévi, créant ainsi un jeu de dupes entre économie de la subvention et économie privée. Il faut tout de même rappeler que la démocratisation culturelle était sensée accompagner la décentralisation et la déconcentration culturelle… La fin annoncée de « l’ère de la subvention » semble avoir favorisé ces vingt dernières années la redécouverte de modèles oubliés dans les méandres du droit public et des alternances politiques. Mieux vaut tard que jamais mais qu’ont fait nos voisins pendant tout ce temps ?
Dans la tradition centralisatrice et au travers de l’aménagement du territoire, la notion de territoire culturel n’est apparue que très tardivement en France. Nous pourrions même dire dans certains cas qu’elle est apparue par défaut avant les lois Chevènement et Voynet ; car si les collectivités sont particulièrement investies dans la culture et ont fortement collaboré avec l’Etat, certains redéploiements successifs « non ou mal accompagnés » de ce dernier ont généré certes des opportunités mais aussi un grand désarroi et de fortes inégalités.
L’Etat et les collectivités territoriales ont tenté dans les années 90 d’atténuer les conséquences de ce phénomène inégalitaire grâce à l’Europe et en particulier grâce aux fonds structurels. L’investissement fut important mais a aussi créé des centres de dépenses supplémentaires. Pour partie, cela a reporté le problème de la gestion de la profitabilité (pris aux deux sens du terme) à un peu plus tard.
Ce prix est désormais très élevé, notamment depuis la reprogrammation des fonds structurels européens de 2006, et l’Etat tout comme les collectivités se retrouvent en grande difficulté pour maintenir le niveau de dépense alors qu’entre temps les pratiques, les besoins et les attentes évoluent, enclenchant ainsi de nouveaux efforts d’adaptation et d’anticipation.
En 2003, une note des services du premier ministre a été envoyée à tous les préfets de France pour qu’ils incitent fortement à la consommation des crédits européens sur leur territoire avant que ceux-ci n’en soient plus les bénéficiaires.
Si la France avait été en plus grande capacité de gérer les coûts générés par les investissements de ces vingt dernières années en se préparant positivement et dynamiquement à leur tarissement, la situation actuelle serait peut-être moins difficile pour les collectivités, les opérateurs et les équipements culturels car d’autres formes de partenariats auraient pu exister de manière solide. Mais on ne refait pas l’histoire avec des « si ». Fort heureusement, on semble aujourd’hui redécouvrir les « vertus » du partenariat, il n’est jamais trop tard.
La question qui se pose aujourd’hui est simple : quelle pérennité dans tout cela ? Ce qui se passe à l’échelle mondiale devrait nous permettre d’en tirer quelques enseignements pour mieux nous orienter (voir l’excellente réflexion de Gregory Greene, « the end of suburbia »).
A un niveau macro social et macro économique, l’avenir à moyen terme est au renforcement de l’échelon local. il ne pourra pleinement se réaliser sans compétences structurées et en adéquation avec celles des différents niveaux territoriaux et ce au-delà de leurs frontières traditionnelles.
Il s’agit selon nous d’un des enjeux stratégiques majeurs pour les politiques culturelles et leur avenir.
Vers une harmonisation dans la diversité
Aujourd’hui, il est difficile d’établir les critères qui permettent à certains de constater que des pays s’en sortent a priori mieux que d’autres, faisant allusion aux pays ou l’Etat est moins interventionniste (toute proportion gardée), où la dynamique public-privé est plus poussée dans les faits qu’en France. Le paradoxe est que la théorisation du partenariat public privé est historiquement française et britannique…
Si cette tradition interventionniste et volontariste de l’Etat français doit se préserver, se pérenniser et se moderniser, elle ne peut néanmoins plus l’effectuer de manière déconnectée des autres systèmes de politiques la culture car il y a fort à parier que les prochaines années verront les Etats membres de la Communauté Européenne refonder leur politique culturelle pour plus de complémentarité et de pertinence entre les différents niveaux de décision. Il en va de même pour les accords de coopération à l’échelle internationale.
Les méthodes quantitatives qui consistent à comparer les systèmes et les modèles d’un pays à un autre sont bien connues et forts utiles. De nombreux indicateurs existent. En revanche moins nombreuses sont les approches qualitatives.
Notre propos n’est pas de développer une méthodologie ad hoq pour ce dossier thématique mais de donner un instantané à partir des données perçues et enrichies par vos contributions.
À titre d’exemple, Frédéric Martel a proposé dans son ouvrage paru fin 2006 « De la culture en Amérique » un regard objectif sur la structuration de la culture aux Etats-Unis, regard riche en enseignements pour à la fois réformer et moderniser mais aussi pour consolider les choix institutionnels français.
Cette approche incite à se concentrer sur un objet essentiel, à savoir : le socle institutionnel et sociétal sur lequel se déploient les politiques culturelles.
Il convient malgré tout de garder à l’esprit que l’idée que chacun se fait de la culture demeure particulièrement influençable, positivement comme négativement, par les leaders d’opinion, les faiseurs de tendance, la pensée dominante à un instant « t », les médias mais aussi les mouvements sociétaux et les programmes politiques.
Et si les historiens ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur une définition du mot « culture » peut-être est-ce tout simplement parce qu’elle se réinvente et de renouvelle en permanence. A chacun donc d’en faire sa propre définition et de la caractériser dans nos choix individuels tout comme dans nos choix collectifs.
Si le sens du mot « culture » a en effet considérablement évolué à l’aune de la montée en puissance des marchés, de la consommation et du poids grandissant de l’économie dans ses ramifications à l’échelle du monde, les politiques culturelles se sont faites tantôt offensives et expérimentatrices, tantôt gestionnaires et ronronnantes.
L’excellent travail d’Anne-Marie Autissier « Politiques culturelles des États européens : pour une nécessaire refondation » est une des trop rares contributions fournissant de vrais repères (1).
Ainsi, trois grandes périodes sont présentées pour comprendre l’évolution des politiques culturelles des pays de l’Europe occidentale depuis la fin de la seconde guerre mondiale :
« démocratisation culturelle puis démocratie culturelles (1950-1980), appui à la professionnalisation du secteur et prise en compte de l’environnement économique et industriel de la culture (1980-1990), généralisation de l’attention au secteur privé et débat sur le renouvellement des politiques culturelles dans un contexte de globalisation économique et de développement des technologies de l’information et de la communication, attention contradictoire aux processus interculturels (1990-2000) ».
Depuis, le mouvement s’est poursuivi par un effort inachevé de mise en cohérence des formes d’intervention dans un contexte de stagnation budgétaire et de tension économique, ce qui a rendu les politiques culturelles de plus en plus instables et sensibles.
Il nous apparaît donc essentiel aujourd’hui que plusieurs directions soient engagées et aboutissent :
- diagnostiquer à l’échelon national pour chaque Etat membre les domaines qui nécessitent la conjugaison d’une intervention à trois niveaux (national, eurorégional et européen)
- trouver des priorités et des objectifs communs, en complément des dispositions prises par les programmes européens, pour renforcer la cohérence entre les Etats membres,
- favoriser les partenariats public-privé à travers les outils contractuels existants et procéder à leur suivi et leur évaluation,
- accompagner la professionnalisation les métiers et les secteurs professionnels afférents en synergie avec les grands objectifs des politiques culturelles de sorte que soient impulsées des dynamiques plus structurantes pour l’économie de la culture,
- étudier, comparer, analyser les politiques des publics et les pratiques culturelles de ces derniers,
- impliquer les acteurs culturels (maîtres d’ouvrages et maîtres d’œuvres) dans l’élaboration d’un livre vert puis d’un livre blanc mettant à jour toutes les tentatives précédentes et pour définir ainsi de nouvelles modalités de collaboration et d’action sur les territoires,
- désectoriser un certain nombre de compétences et les croiser avec des secteurs connexes, comme le tourisme culturel ou les industries dites créatives par exemple, en créant des organes de directions stratégiques chargée du management du changement pour les politiques sectorielles.
Cette introduction générale à ce dossier thématique faisant objet d’appel à contribution, ce dernier a pour seule intention de mettre en perspective les mesures et les grands axes de changement pour l’avenir des politiques culturelles. Nous avons considéré les Etats membres de l’Europe comme une base solide mais tous les commentaires et analyses sur d’autres pays sont les bienvenus.
Chaque pays fera l’objet à terme d’un chapitre dédié. C’est à vous, membres et futurs membres de C.E.G., de jouer maintenant !
Respectueusement,
Philippe Gimet, fondateur du C.E.G.
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(1) Anne-Marie Autissier, « Politiques culturelles des États européens : pour une nécessaire refondation. », EspacesTemps.net, Textuel, 29.03.2006. Avec l’aimable autorisation de la revue EspacesTemps.net
Le texte est accessible en ligne à l’adresse suivante :
http://espacestemps.net/document1917.html
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