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Services & Ressources en ingénierie culturelle

A propos du Conseil pour la Création Artistique

Le 19 février dernier, un article du journal Le Monde a particulièrement attiré notre attention. Intitulé « Faut-il accepter l’argent du conseil piloté par Marin Karmitz ? », l’article traitait principalement de deux questions : 1) du caractère éthique et moral du fait que certains bénéficiaires du soutien financier du CCA y siègent également, pointant ainsi leur position de juge et partie, position qui, dans le pays où le cumul des mandats est une « tradition républicaine », ne serait dans la culture ni une pratique courante, ni une pratique acceptable… ; 2) de la provenance des crédits mobilisés pour financer le CCA, crédits dont les détracteurs du CCA sont certains qu’ils ont été ponctionnés sur le budget du ministère de la Culture et de la Communication.

C’est dans sa réponse à la question sur la mobilisation budgétaire du ministère de la Culture et de la Communication, qu’une phrase de Marie Descourtieux, secrétaire générale du CCA, mérite que l’on s’interroge : « nous n’avons pas encore de personnalité juridique, donc l’enveloppe de 2010 transite par le budget de la culture. Mais c’est un crédit supplémentaire. »

Si sur le fléchage et la mobilisation du financement, la discussion est très vite expédiée par Marie Descourtieux (les fonds proviendraient en fait du Haut Commissariat à la Jeunesse), c’est sur la mention du caractère temporaire de l’absence de statut juridique du CCA qu’il convient effectivement de s’attarder en profondeur car c’est peut-être là que ce révèle pour la première fois la vraie vision politique de la réforme des politiques culturelles et de leur ministère, ministère qui fêtait il n’y a encore pas si longtemps son cinquantenaire dans l’apathie la plus totale.

C’est en effet en dehors de tout discours politique et idéologique que la réforme peut se décrypter, dans cette phrase de Marie Descourtieux qui est tout sauf anodine. En termes de pédagogie de la réforme, c’est plus que faible mais cela a surtout le très grand avantage d’éviter une confrontation directe sur le vrai sujet avec les professionnels de la culture des secteurs publics et privés, professionnels qui sont dans un état de préoccupation et de faiblesse jamais atteint jusqu’à présent.

Disons-le tout net, c’est un tournant qui est en train de s’opérer pour la politique culturelle à la française, tournant sur le plan de sa doctrine et de son esprit depuis la création du ministère, tournant stratégique et opérationnel qui compte tenu de la feuille de route fixée par la RGPP (et des conditions dans lesquelles celle-ci se met en oeuvre) mériterait que les véritables objectifs soient clairement expliqués et débattus.

On peut être d’accord ou pas sur le fait que c’est une part des prérogatives du ministère de la Culture et de la Communication qui sont données au CCA sur « simple » décision élyséenne (ce n’est évidemment pas aussi simple) mais personne n’a relevé que cette phrase de Marie Descourtieux contient toute la problématique : attribuer un statut juridique au CCA. Quel que soit ce statut, c’est donner au CCA une existence distincte de celle du ministère. Personne ne s’interroge aujourd’hui sur les conséquences et sur le sens d’une entité juridique distincte du ministère du la Culture et de la Communication qui bénéficierait de fonds qui ne sont pas inscrits dans la loi de programmation budgétaire de l’Etat.

Locomotive ou laboratoire de la création et de l’innovation culturelle en France ou pas, on peut voir l’émancipation du CCA sous l’angle franco-français où l’Elysée cherche à satelliser au plus près du pouvoir central des marges de manoeuvres signifiantes et significatives extraites des lourdeurs administratives des ministères ; mais on peut aussi voir que le CCA prend la tournure d’une entité juridique séparée d’une administration centrale, à la manière de l’Arts Council of England ou du National Endowment for the Arts aux Etats-Unis.

Comme rien ne filtre ou presque du CCA, le monde culturel est particulièrement à l’affût de ce qui s’y prépare, les syndicats allant par exemple jusqu’à dénoncer une « ministère de la culture bis » qui déposséderait à terme l’actuel ministère d’un certain nombre de ses missions régaliennes, une sorte de réforme déguisée pour contourner la difficulté du ministère à se réformer et pour à terme le faire disparaître. Il est clairement reproché au CCA d’être l’instrument d’une tentative d’inversion des rapports entre institution et professionnels du secteur, au profit de l’Elysée. Mais est-ce vraiment cela dont il s’agit au fond ? C’est tout à fait possible puisque ce qui est visible pour le moment n’est qu’instrumentalisation de l’institution par le politique. Or ni la rue de Valois, ni l’Elysée, ni Bercy, ni le CCA ne se sont vraiment expliqués sur la genèse d’une telle initiative, nous pensons évidemment à ce qui est malheureusement absent des discours et des communiqués de presse, c’est-à-dire à une pédagogie de la réforme du modèle, la proposition d’un projet sociétal qui ne se contente pas de dire que tout ce qu’on tente d’y faire est historique mais qui essaie de contribuer à ce que l’institution soit en phase avec la société.

Pourquoi cette pédagogie est-elle présente dans d’autres secteurs économiques et absente du secteur culturel ? Est-ce par peur du conflit, par mépris, par manque de compétence, par absence de vision politique ou parce que réformer la culture et l’institution culturelle est considéré comme impossible ? 
On peut toujours dire que réformer le secteur culturel est voué à l’échec comme l’expression d’une certaine fatalité bien connue mais le fait est que le sujet est ultra sensible car il touche au cœur du modèle sociétal français, modèle qui évolue à la marge avec son temps mais dans des temporalités différentes pour le citoyen, l’acteur culturel, l’institution ou le responsable politique. 
Sans un certain nombre d’explications, il est impossible (même avec la meilleure des bonnes volontés) de déceler le bien-fondé du CCA et du mouvement auquel il participe. On doit pour le moment se contenter de lire entre les lignes, dans un climat qui n’est pas propice au débat contradictoire.

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RGPP 3

Le 3ème rapport d’étape sur la mise en œuvre des décisions de la révision générale des politiques publiques (RGPP) a été publié cette semaine. Il rend compte de l’avancement de la réforme engagée en juillet 2007, ministère par ministère. Le système de feux tricolores adopté lors du premier rapport d’étape permet de rendre compte, mesure par mesure, de l’état d’avancement de la réforme au moment de la publication du rapport. Le feu est vert lorsque toutes les conditions sont réunies pour atteindre les résultats escomptés dans les délais prévus. Un feu orange caractérise un projet de réforme en retard ou présentant des difficultés techniques qui appellent des mesures spécifiques. Le feu est rouge lorsque la réussite d’une mesure est compromise et appelle aussi des mesures correctrices.

En ce qui concerne le ministère de la Culture et de la Communication, ce nouveau rapport d’étape rappelle tout d’abord la doctrine :

« Les réformes décidées s’articulent autour de 2 axes :

  • La réorganisation des administrations du ministère doit permettre de mieux piloter les opérateurs et de repositionner les services centraux sur leurs grandes missions stratégiques au service des patrimoines, de la création et de la diffusion. Elle participe au non remplacement d’un départ à la retraite sur deux. La réforme prend en compte la révolution numérique, son impact sur le développement de nouvelles offres et sur les industries culturelles. Elle passe également par la prise en charge plus efficace des enjeux juridiques et économiques de la création et de la culture.
  • L’amélioration de l’efficience de la politique culturelle poursuit l’objectif de mieux utiliser les ressources. Elle concourt à réaliser des économies au sein du ministère, grâce à une plus grande sélectivité des interventions. Une meilleure affirmation des priorités est nécessaire, que ce soit en matière de patrimoine ou de création, de grands projets ou de dépenses fiscales, avec pour objectif d’améliorer l’effet de levier et l’impact de chaque intervention. »

Ensuite, le rapport fait un rapide point sur « ce qui a déjà changé » :

  • «  La réorganisation de l’administration centrale du ministère de la culture et de la communication, effective depuis le 13 janvier 2010, offre une plus grande lisibilité et une meilleure capacité de pilotage des politiques culturelles, tout en améliorant le fonctionnement des services. Historiquement exercées par dix directions, les activités du ministère sont recentrées sur quatre entités : un secrétariat général rénové et trois grandes directions générales (Patrimoines, Création artistique, Médias et industries culturelles).
  • Dans le domaine de l’archéologie préventive, l’offre concurrentielle a été renforcée par l’agrément de 80 structures. De la même façon, l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) a désormais la possibilité de recruter des agents sur des contrats de droit public, pour la durée d’une opération de fouilles, dans le but de faire face à des surcroîts exceptionnels d’activité.
  • Un nouvel établissement de référence en matière de culture scientifique et technique, « Universcience », a été créé au 1er janvier 2010. Issu de la fusion entre la Cité des Sciences et de l’Industrie et le Palais de la Découverte, il bénéficiera d’une visibilité internationale accrue et d’un rôle de tête de réseau au niveau national, tout en dégageant des synergies entre les deux établissements d’origine. »

Passons sur le point sur la mise en concurrence des architectes en chef des monuments historiques qui est effective depuis juin 2009 et qui a au moins le mérite de clarifier une situation qui était devenue intenable plus longtemps.

Le rapport poursuit sur « ce qui va changer dans les toutes prochaines semaines »

  • « La cohérence et l’efficacité de la politique culturelle en région seront renforcées par la généralisation des projets de service au sein des directions régionales des affaires culturelles. Cette démarche permet notamment de garantir les bénéfices attendus de l’intégration des SDAP (Services départementaux de l’architecture et du patrimoine) au sein des DRAC (Directions régionales des affaires culturelles).
  • La maîtrise d’ouvrage des travaux engagés sur les bâtiments de l’Etat va être renforcée. Un nouvel établissement public, issu de la fusion du SNT et de l’EMOC (Service national des travaux – Etablissement public de maîtrise d’ouvrage des travaux culturels), sera créé au cours du premier trimestre 2010.
  • Les concertations sur le spectacle vivant vont se poursuivre au travers de conférences régionales. Regroupant les représentants des principaux acteurs locaux du spectacle vivant, ces conférences permettent de définir et partager une priorisation des interventions culturelles ».

Enfin, le rapport termine sur les indicateurs « rouge-orange-vert » d’avancement de la réforme :

  • Les quatre mesures visent à moderniser l’organisation du ministère

  • Les douze mesures pour une meilleure efficience de la politique culturelle

Pour télécharger le rapport, cliquez ici.

Source : la documentation française.

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Consultation publique sur la stratégie de l’UE 2020 : premiers résultats

Il y a quelques semaines, la Commission européenne lançait une vaste consultation sur la stratégie de l’UE à l’horizon 2020, laquelle doit prendre la suite de la Stratégie de Lisbonne définie en 2000. De nombreux acteurs issus notamment du monde des collectivités se sont exprimés à cette occasion. Ainsi, la Commission a récemment publié deux documents dans le contexte de la préparation de la stratégie de l’UE 2020.

La Commission a lancé une consultation publique sur la stratégie de l’UE 2020 en novembre 2009, qui s’est clôturée le 15 janvier 2010. Quelque 1500 contributions ont été envoyées par une grande variété de parties intéressées. Une analyse plus détaillée des contributions devrait être publiée vers la mi-février. En attendant, les premiers résultats sont disponibles et révèlent une très large participation à cette réflexion.

Source : territorial.fr

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Colloque sur la gouvernance des politiques culturelles

La Maison des sciences de l’Homme de Dijon, le Centre Georges Chevrier (CGC), le Centre de recherche sur la culture et les musées (CRCM) et le Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication organisent un colloque les 4 et 5 février à l’Université de Bourgogne, sur La gouvernance des politiques culturelles. La coopération entre le ministère de la Culture et les collectivités territoriales (1959-2009).
Organisé par Philippe Poirrier et René Rizzardo, il permettra la mise en débat des interventions-contributions des auteurs qui ont participé à l’ouvrage collectif publié par le Comité d’histoire et qu’ils ont dirigé, Une ambition partagée ? La coopération entre le ministère de la Culture et les collectivités territoriales (1959-2009). L’entrée est libre.

Contacts : Philippe Poirrier, professeur des Universités en histoire contemporaine, Université de Bourgogne (philippe.poirrier@u-bourgogne.fr) ; Comité d’histoire, ministère de la Culture et de la Communication (comitehistoire@culture.gouv.fr)

Source : ministère de la Culture et de la communication.

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Creating Cities : Culture, Space and Sustainability

The conference Creating Cities: Culture, Space and Sustainability, which will take place from 25 to 27 February 2010, investigates the forces that shape the conditions of urban development and the creation of cities in comparative and interdisciplinary perspective. In recent years, the notion of the „creative city“ has become a guiding framework for thinking about the present and future state of cities and their capability of coping with the impact and challenges of globalization. Cities are regarded as engines of regional, national, and global economic growth because they are the key centers for cultural production and consumption and target areas for mobility and migration. They are also contested sites because of increasing cultural and social diversity. Simultaneously, cities use cultural diversity and even counter-cultures to display appealing images and representations of creativity and innovation. Many citizens aspire to live and work in the cosmopolitan global environments that only metropolitan centers seem to be able to provide, but cities also provide vital space for the challenged, homeless, and other socially disadvantaged groups. The resolution of social disparities is consequently becoming an urgent policy task. Environmental and social sustainability, urban revitalization and amenity are major keywords of our time.

In this context, this conference focuses on the interactions among culture, sustainability, and space. We would like to emphasize inquiry into the dynamics of cultural creativity, industries and production, the risks and benefits of both cultural diversity and social inclusion or exclusion, the sustainability of efforts to plan and redesign the urban built environment to promote creativity, and the identity politics of representations of the city and creativity in the popular imagination as well as spaces of heritage and tourism. We recognize that there are many different groups and focal points related to creating cities, so one major purpose of this conference is to create a framework in which both practitioners and researchers of different disciplines can interact and share ideas about how urban environments are being transformed.

Introductory Session: Creating Cities & Creative Cities

As global market forces penetrate hitherto closed rural areas wherever market liberalization occurs, urbanization, too, is progressing rapidly. Even though regional differences obviously do exist the global ratio of urban population has now crossed the 50-percent line. While mega cities may be one of the most conspicuous phenomena of the present urbanization the term urban must be understood in a much broader sense. The fact that the majority of urban dwellers still lives in smaller and medium-sized settlements is frequently overlooked. Only through a combined effort of local supplier development, national institutional support, and foreign investment can there be any real benefits from for example creative cluster development and economies of scale and scope. Two prominent regions of Southeast Asia, namely the Greater Mekong Region and Singapore, will serve as examples as this session will investigate the relationship between the process of creating cities and the making of creative cities.

Session 1: Creative Diversity, Socioscapes, and Cultural Politics

This session critically reviews current notions and implications of cultural diversity in cities by bringing together broadly three strands: representation, socioscapes, and cultural politics. The interplay between creating particular urban images and the urban condition of particular socioscapes, ranging from less empowered groups such as those that are affected by transnational precarization to elite diasporas, will be examined.

Session 2: City Marketing

Cities are increasingly undertaking marketing activities to support their local economy. By way of example, this section will look at how city marketing may cope with challenges in terms of communication content, tools or media, and with regard to underlying organizational structures and processes.

Session 3: Mobility and Built Environment

Mobility is a crucial aspect of globalization and the development of more efficient mobility systems on a grand scale is a significant locus for planning activity in global cities. This session will compare and contrast corporate and planning approaches to mobility issues in several global cities.

Session 4: Networks

Global cities rely upon networks with other cities, and the institutions, infrastructure, character, extent and effects of such inter-city networking are the subject for this session. It will identify the possibilities and constraints on such network development.

See also the detailed conference program (as of 2010-01-14, pdf format, 600 KB).

Please note:

  • The conference will take place at the IBZ Munich, Amalienstraße 38, D-80799 Munich / Germany (how to get there).
  • Admission fee (regular/student) will be EUR 40/20 for the whole conference, or EUR 20/10 for participation on Thursday and EUR 10/5 for participation on Friday or Saturday, respectively.
  • If you would like to attend the conference, please register until February 15th, 2010 via E-Mail schicken an osakamuc2010@lrz.uni-muenchen.de E-Mail(Subject: Registration Creating Cities)
  • Please also consult our list of accomodations near the conference site.
  • For the duration of the symposium (25-27 February) our invited guests will be staying at the Savoy Hotel Munich at Amalienstrasse 25 (Tel. +49 (0) 89 / 287870 – how to get there). At the hotel, they will receive the conference folder, containing also a map with the symposium venue indicated. The symposium venue is literally just down the street, at Amalienstrasse 38, i.e. in easy walking distance (cf. the Google Maps location of the hotel).

Source :Faisal FIWEWA and Sacha Kagan Cultura 21 / LMU (Prof. Dr. Evelyn Schulz)

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Marchés publics : le seuil de 20.000 euros sur la sellette

L’avocat Franck Pérez a attaqué le décret du 19 décembre 2008, pris dans le cadre du plan de relance, en tant qu’il relevait le seuil de 4 000 euros pour le porter à 20 000 euros. Pour le requérant, ce relèvement serait contraire aux principes du droit de la commande publique. A l’audience du 6 janvier 2010, le rapporteur public lui a donné raison dans ses conclusions. Analyse.

En-deça du seuil de 20 000 euros, l’acheteur public est dispensé de toute mise en concurrence et de publicité pour la passation de ses marchés publics. Par une requête enregistrée au greffe du Conseil d’Etat le 24 juin 2009, l’avocat Franck Pérez a attaqué les dispositions du décret du 19 décembre 2008 relevant le seuil de 4 000 euros HT prévu par l’article 28 du Code des marchés publics, pour le porter à 20 000 euros HT. Pris dans le cadre du plan de relance de l’économie, cet assouplissement était attendu par les acheteurs publics, et sans doute aussi par les entreprises, car il dispense le pouvoir adjudicateur, pour les achats inférieurs au seuil, de toute mesure de publicité et de mise en concurrence.

C’est précisément cette dispense générale qu’a attaqué le requérant. Pour Franck Pérez en effet, la fixation d’un tel seuil à 20 000 euros HT ferait disparaître toute publicité et toute mise en concurrence pour la plupart des marchés de services juridiques. Il considére ainsi que la fixation d’un seuil unique, valable quel que soit le type de marché public, et quel que soit l’acheteur serait contraire aux principes du droit de la commande publique.

Bercy de son côté a défendu la position de l’Etat en rappelant que la Cour de justice de Luxembourg avait dit pour droit, dans un arrêt « Commission c. Irlande » du 13 novembre 2007, que seuls sont soumis aux principes et aux règles fondamentales du traité instituant la Communauté européenne, les marchés suffisamment importants pour présenter un « intérêt transfrontalier ». Tel ne serait pas le cas, selon le ministère de l’Economie, des marchés inférieurs à 20 000 euros.

La direction des affaires juridiques de Bercy a aussi rappelé, dans ses observations en défense, que ces petits marchés doivent respecter en tout état de cause les principes du droit de la commande publique, et notamment le principe d’égalité auquel sont soumis tous les actes et tous les contrats de l’administration. Bercy a également rappelé que les concurrents, de même que tout tiers en faisant la demande, pouvait avoir accès à ces contrats sur simple demande, dans les conditions prévues par la loi du 17 juillet 1978 relative à l’accès aux documents administratifs.

Mais surtout, Bercy s’est défendu en présentant un tableau des seuils adoptés pour ces petits marchés dans quelques uns des principaux Etats membres de l’Union européenne.

Ce tableau, reproduit ci-contre en exclusivité par Le Moniteur.fr, montre que la France, en situant son seuil à 20 000 euros HT, se situe dans la moyenne des autres Etats membres choisis par Bercy pour cette comparaison. L’Allemagne dispose ainsi d’un seuil compris entre 5 000 et 50 000 euros selon les Länder et selon le type de marché concerné. Le Luxembourg, siège de la Cour de justice, dispose pour sa part d’un seuil allant de 22 000 à 44 000 euros. On aurait pu ajouter que la Commission européenne elle-même s’est fixée un seuil pour ses propres achats…

Mais pour le rapporteur public, « la combinaison du seuil et sa mise en oeuvre caractérisent une application erronée des situations dans lesquelles la concurrence doit s’exercer. Il y a beaucoup de marchés de petites communes qui sont dispensés de l’application des règles de publicité et de mise en concurrence, et pour lesquels il existe de nombreuses entreprises susceptibles d’être intéressées. Certes, a indiqué Nicolas Boulouis, on peut douter qu’un marché inférieur à 20 000 euros puisse présenter un intérêt transfrontalier, mais au niveau national il n’y a guère de doute », a-t-il estimé. Par ailleurs, selon lui, comparaison n’est pas raison. En effet, une telle comparaison avec la pratiques des autres Etats membres « est une erreur manifeste car les montants cachent des disparités importantes. Les éléments quantitatifs des autres Etats membres sont à manier avec circonspection. Ainsi, si l’Allemagne ne fait pas de publicité sous certains seuils, une trace du dépôt des offres est demandée. Les principes de la commande publique ne sont pas négligés par ces Etats », juge-t-il. Il est vrai qu’avec plus de 36 000 communes, la France comptait, il y a quelques années encore, autant de communes que le reste des 15 Etats de l’Europe réunis (ils sont aujourd’hui 27). Cette dissémination des acheteurs publics français provoquerait une baisse corrélative du montant moyen de chaque marché, qu’on ne retrouve pas forcément dans d’autres Etats, où le nombre de communes est beaucoup plus faible. Ainsi, dans l’Allemagne réunifiée, le nombre de communes est aujourd’hui de 12 291 pour plus de 80 millions d’habitants.

Concluant à l’annulation du décret du 19 décembre 2008 en tant qu’il relève le seuil prévu par l’article 28 du Code des marchés publics, le rapporteur public a invité le Conseil d’Etat à moduler les effets de cette décision, en proposant aux magistrats de retenir la date du 1er avril 2010, et donc de sauver tous les petits marchés qui auraient été conclus avant cette date. A la suite de cette proposition, Catherine Bergeal, directrice des affaires juridiques du MINEFE, a précisé à Achatpublic.info que, si le Conseil d’Etat suit le rapporteur public, les marchés passés jusqu’au 1er avril sur la base de ce décret resteront valides. « Cette mesure qui s’inscrivait dans le cadre du plan de relance de l’économie de décembre 2008 aura ainsi pu porter tous effets. La conséquence mécanique de l’annulation serait le retour au seuil de 4 000 euros, conclue-t-elle.
L’affaire est actuellement en délibéré.

Source : Le Moniteur / l’intégralité de l’article ici.

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Le guide pratique de l’évaluation

L’évaluation est à la mode. Elle joue un rôle important dans de nombreux domaines. Dans certains pays, l’évaluation est devenue un élément de pilotage essentiel de la pratique politique. L’évaluation s’est professionnalisée en Europe vers la fin des années soixante, surtout pour répondre au désir de mesurer les résultats des politiques de l’éducation, du développement, de la santé et sociale afin d’obtenir une preuve de l’effectivité des programmes.

Et dans le domaine culturel ? Est-ce que ce dernier ne connaît pas les difficultés financières, la nécessité de justifier son existence, de remplir certains objectifs, de contrôler son efficience et son impact ? Est-ce que tous ces mots, et ceux de politique culturelle ou d’encouragement à la culture sont, pour lui, vides de sens ? Absolument pas. La réalité prouve qu’aujourd’hui, dans le domaine de la culture, pour la plupart des institutions, l’évaluation est devenue une nécessité.

Pro Helvetia et le Pour-cent culturel Migros ont donc décidé d’éditer, de concert, un guide simple, compétent et axé sur la pratique, qui explique comment lancer, organiser et réaliser une évaluation. Le guide s’adresse, en premier lieu, aux responsables culturels à qui sont confiées la formulation des conditions cadres culturelles et artistiques de leur travail, l’élaboration de stratégies et la réalisation de projets.

Le guide «L’évaluation dans la culture» propose, outre les principes de base, des rapports d’expériences et des exemples tirés du domaine culturel ; il livre de plus des informations concrètes ainsi que les instruments utiles à la mise en œuvre pratique d’une évaluation.

Pour le télécharger, il suffit de cliquer ici ou bien d’aller directement dans notre boîte à documents ressources.

Source : prohelvetia

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Les collectivités territoriales face aux grands enjeux culturels / 2

Seconde partie du texte inédit de Jean-Michel Lucas, qui prend la forme d’un manifeste et ne manquera pas de susciter l’envie de débattre, à l’heure où la question de l’identité nationale impose non sans une certaine violence une pensée simplificatrice pour le moins risquée et donne l’impression désagréable qu’on est en train de jouer avec le feu.

II –  Enjeux culturels sur les territoires pour  reconstruire la politique culturelle

Face à l’affadissement gestionnaire du modèle culturel, il faut revenir aux enjeux  universels et ouvrir des chantiers pour progresser dans cette voie.

A – La  culture comme  enjeu politique universel.

Je  voudrais simplement souligner qu’au niveau international la question culturelle est  éminemment politique car elle se coltine avec les différences de « représentations du monde »  dont on sait qu’elles contribuent à aviver les tensions et les conflits entre  groupes humains. L’enjeu premier de la politique culturelle est alors de transformer ces « différences culturelles » qui séparent irrémédiablement les êtres humains en « diversité culturelle » qui postule que chacun  apporte, à sa façon,  sa part, modeste ou grandiose, à la construction de l’Humanité. « Repenser nos catégories culturelles et reconnaître les sources multiples de nos identités nous aide à oublier nos « différences » pour privilégier notre capacité commune à évoluer par interaction mutuelle. » [1]

1 – Tel pourrait être l’enjeu d’avenir pour reconstruire la politique culturelle. Cette approche devrait être largement partagée puisque notre pays, toute force politique confondue, a applaudi à la signature depuis 2001 des accords internationaux sur  la diversité culturelle préparés par l’Unesco. La politique culturelle aurait dû ainsi remiser le vieux logiciel de la « démocratisation de la culture » pour le remplacer par le principe du « pluralisme culturel » fondé sur la reconnaissance des « droits culturels » des personnes [2].

Je tiens particulièrement à rappeler que les « droits culturels » s »appuient sur le principe universel de la  Déclaration  des droits de l’homme de 1948 dans son  article premier portant reconnaissance de l’égale dignité des êtres humains :  « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » A ce titre, nous dit la « Déclaration de Fribourg » sur les « droits culturels »: « Toute personne, aussi bien seule qu’en commun, a le droit  de choisir et de voir respecter son identité culturelle dans la diversité de ses modes d’expression ».

On retrouve cette perspective politique, dans le texte de l’agenda 21 de la culture qui, au  fond, plaide pour que le développement durable soit mis au service du respect des dignités culturelles des personnes et du Vivre ensemble.

2 – Pourtant cette universalité-là a déclenché une multitude de résistances. Beaucoup de commentateurs en France ont exprimé leurs réticences : pour eux, il s’agit d’un glissement vers une  définition anthropologique de la culture qui conduit au  relativisme culturel, lequel nourrit son enfant terrible : le communautarisme ! Le terme « identité culturelle  » fait naître  spontanément,  et sans égard pour la riche réflexion des théories de la reconnaissance, la crainte de la ruine de la « République »  !  Mais il n’est pas bon d’en rester à ces caricatures de la diversité culturelle et pour éviter les faux débats, je souhaite  préciser les conséquences du principe de la reconnaissance des droits culturels de la personne :

*) Première conséquence évidente : avec les droits culturels, la première responsabilité de la politique de la culture est de garantir le respect  de la dignité culturelle de la personne. De garantir, par conséquent, à chaque identité culturelle le respect du sens et de la valeur qu’elle donne à sa vie.  La politique culturelle ne peut plus se contenter d’être une machine  publique à produire des « des biens et services »  culturels. Elle ne doit pas rester enfermée dans une approche réduite à un secteur d’activité, d’une offre de marchandises, même de qualité, sur le marché public des loisirs. Elle doit résister à toute forme de réification de ses enjeux.

*) La seconde responsabilité est encore plus redoutable : si la politique culturelle respecte la personne dans sa dignité culturelle, en contrepartie, il est impératif que la personne ne porte pas elle-même atteinte aux autres dignités culturelles c’est-à-dire aux autres identités culturelles. C’est la condition  première pour l’avenir de l’Humanité : la « liberté des cultures »  ne peut  pas servir à justifier l’hostilité, le « mépris », l’« invisibilité », dirait Axel Honneth [3] des cultures des autres.

Voilà donc une politique de la diversité  culturelle dont la responsabilité fondamentale sera d’organiser la confrontation du sens et des valeurs des cultures des différents groupes de la Cité pour s’assurer que les identités culturelles ne soient pas génératrices de manifestations de haine, de mépris, d’irrespect pour les autres identités des personnes.

Or, il  faut bien admettre que peu de décideurs politiques français font référence aux « droits culturels » en ces temps de débat sur « l’identité nationale » . Il  reste donc entièrement à « les convaincre qu’il faut investir dans la diversité culturelle comme dimension essentielle du dialogue interculturel, parce qu’elle peut renouveler nos approches du développement durable, qu’elle est une garantie de l’exercice effectif des libertés et des droits de l’homme universellement reconnus, et qu’elle peut contribuer à  renforcer la cohésion sociale et la gouvernance démocratique. »[4] , comme vient de le répéter le « Second rapport mondial sur la diversité culturelle ».

Toutefois, dans le contexte français si sensible sur les questions d’identité culturelle, il ne me paraît guère opportun de placer le débat au niveau des principes d’universalité des droits culturels.  Pour envisager la  reconstruction de la politique culturelle, je préfère suggérer la réalisation au niveau des collectivités de quatre chantiers de « bonnes pratiques  » dont l’évaluation pourrait nourrir de plus saines discussions.

B – Quatre chantiers pour la  culture en débats

Les quatre chantiers concernent les étapes clés de la reconstruction de la politique culturelle : l’écoute des cultures, l’expérimentation artistique, les interactions et interconnexions des identités dans l’espace public, l’économie créative solidaire. Les « bonnes pratiques » que l’on observe déjà ici ou là sur le terrain permettent de mieux situer les grands enjeux culturels pour les territoires.

1 – Le chantier de l’écoute culturelle

Contrairement à la démocratisation de la culture, il s’agit ici d’être attentif à la culture de ceux qui ne croisent jamais la politique culturelle publique. A chaque niveau de l’espace public – dans la rue comme dans les institutions et les associations ouvertes sur la cité – il s’agit de « prendre soin » des dignités culturelles pour qu’elles trouvent leur place dans la vie collective. La politique culturelle au niveau territorial devrait alors encourager la mise en place progressive de dispositifs d’écoute des personnes, leur laissant le temps de formuler leurs « différences » culturelles  pour en faire des « diversités ».

De tels propos paraîtront étranges à ceux qui connaissent bien les institutions culturelles de notre pays, identifiées par leur dimension disciplinaire. Pourtant, la perspective de « prendre soin » des personnes est très concrète pour des musées aussi importants que ceux de Newcastle qui sont fréquentés par 1,5 million de personnes. Comment le directeur du musée présente -t-il  son activité ? Il  ne dit pas comme un directeur de musée en France : « mon musée possède une collection composée d’ « oeuvres » de grande valeur universelle ; chers publics, populations, touristes, venez voir nos expositions et venez rencontrer nos médiateurs qui vont vous montrer le bon chemin de la culture.»  Les musées de Newcastle se présentent autrement en disant  : «notre mission est de  permettre aux personnes et aux groupes de pouvoir mieux déterminer leur place dans le monde. Venez travailler avec vous, pour dire aux autres ce que vous avez à leur dire car nos compétences sont au service de la construction de votre identité culturelle. Nous ferons ensemble un parcours qui vous permettra d’être dans l’espace public acteurs de votre identité, d’être ainsi mieux reconnus par les autres et de mieux les respecter. » En anglais, ces musées se présentent ainsi à la société civile : “Most importantly, it is an organisation, literally, with a mission : To help people determine their place in the World and define their identities, so enhancing their self-respect and their respect for others.”

Cette conception de l’intervention culturelle publique ne se pense plus ni en terme de « consommateurs » apportant une contrepartie monétaire pour accéder à l’offre artistique,  ni en terme de  « public », « d’usager »  ou d’habitants,  bénéficiant à coût réduit du service des expositions du musée. Avec la figure de la dignité culturelle, l’enjeu public instaure entre les deux parties (le musée et le groupe de personnes) un engagement solide de réciprocité, qui prend concrètement la forme d’un document d’évaluation préalable où chacun décrit ses espoirs, objectifs et ressources apportés au projet co-construit ensemble ; un document qui vaut protocole d’accord d’éthique culturelle entre l’institution et les personnes.

Cet exemple illustre une « bonne pratique » de politique interculturelle :  l’enjeu du travail avec les professionnels est de contribuer à forger une culture commune à partir d’identités culturelles différentes. En pratique, l’équipe du musée travaille durant plusieurs mois avec des groupes de personnes  désireuses de dire aux autres ce qu’elles sont et, entre expositions, vidéos, soirées, débats, ces bonnes pratiques construisent la confrontation culturelle, avec la qualité technique apportée par l’équipe du musée et la volonté de reconnaissance apportée par le  groupe.[5] La culture  commune s’élabore à partir de cette  confrontation maîtrisée avec les autres identités culturelles.

Cette politique culturelle fait le pari que la reconnaissance des personnes réduit les  risques d’enfermement dans un culture communautaire particulière. Son credo est que les différences culturelles ne doivent pas demeurer masquées, confinées dans la vie privée et éloignées de la vie publique, (surtout quand elles prennent une dimension religieuse).  « Il est plus sain d’afficher ses différences et d’apprivoiser celles de l’Autre que de les occulter ou de les marginaliser, ce qui peut entraîner une fragmentation propice à la formation de stéréotypes et des fondamentalismes » [6]

Je conclus en faisant observer que nombre d’acteurs en France sont attentifs aux « populations » (plus qu’aux personnes ) et à leurs caractéristiques culturelles mais, le plus souvent, ces acteurs sont consignés dans le registre du « socio culturel ». Leur travail ne se lit pas à l’aune de l’universalité des droits culturels. C’est alors, à mon sens, de la responsabilité du politique que de leur redonner ce sens et cette visibilité collective dans la construction de la culture commune, à l’égal de l’exemple de Newcastle.

2 – Le chantier de  l’expérimentation artistique

Avec les droits culturels des personnes, l’action publique doit combattre toutes les formes de stéréotypes qui nourrissent les  « replis identitaires». La politique culturelle doit donc veiller à ce que l’espace public bruisse de nouveaux signes qui déplacent les significations, provoquent du débat, attisent des  aspirations inédites,  captent les identités culturelles et les amènent à se recomposer. Plutôt que de s’entêter à parler de soutien « à la création artistique » (qui se termine en production d’un produit culturel à destination de quelques réseaux de  clientèles particulières), la politique culturelle ferait mieux  d’encourager les « expérimentations artistiques » comme pratiques de liberté  qui nourrissent l’espace public de « nouveaux repères sensibles » dynamisant  les possibilités d’interactions entre les identités.

La politique culturelle de la diversité doit impérativement faire place aux « stratégies d’artistes qui se proposent de changer les repères de ce qui est visible et énonçable, de faire voir ce qui n’était pas vu, de faire voir autrement ce qui était trop aisément vu, de mettre en rapport  ce qui ne l’était pas dans le but de produire des ruptures dans le tissu sensible des perceptions et dans la dynamique des affects », pour reprendre la  belle définition du travail de dissensus de l’artiste,  formulée par Jacques Rancière.  [7]

Dans un langage plus diplomatique fait pour ménager les compromis, le  « Second rapport  mondial sur la diversité culturelle » de l’Unesco donne aussi à ce chantier une importance primordiale :  « la diversité culturelle ne peut être préservée que si ses racines sont nourries en permanence par des réponses créatives apportées à un environnement en évolution rapide. En ce sens, la création artistique et toutes les formes d’innovation touchant à l’ensemble des activités humaines peuvent apparaître comme des sources d’imagination essentielles pour l’essor de la diversité culturelle. La créativité revêt ainsi une importance capitale pour la diversité culturelle, qui elle-même la favorise en retour. » [8]

C’est sans doute le chantier plus difficile à concrétiser actuellement car il prend  à revers les structures artistiques reconnues par la politique culturelle. Les élus le savent bien, l’acceptent souvent, le souhaitent plus rarement : ce qui fait culture de référence,  ce sont uniquement les oeuvres (toujours de qualité) choisies par les directeurs artistiques de ces structures.  Aucune discussion ne peut être légitime car elle mettrait en cause le principe de leur liberté de sélection des « oeuvres ». Alors qu’avec l’approche de l’expérimentation artistique, les équipes font leurs choix artistiques librement mais s’engagent au débat , à la confrontation avec les autres cultures. C’est cet engagement de faire société qui donne son sens politique d’intérêt général à l’expérimentation artistique et qui rappelle les grands moments des pionniers de la décentralisation théâtrale.

De ce point de vue, sans doute, faudrait-il que les élus soient plus attentifs localement aux équipes issues de ce que l’on appelle souvent à tort,   les « friches artistiques » et qui développent de telles « bonnes pratiques » d’expérimentation artistique, à l’exemple du réseau « Autre(s) parts ».

3 – Le chantier de la mise en oeuvre des interactions et interconnexions culturelles.

Les chantiers précédents de l’écoute culturelle et de l’expérimentation artistique n’ont de sens que s’ils débouchent sur des possibilités de se connecter à d’autres identités culturelles dans la cité,  élargie à tous les réseaux réels ou numériques auxquels elle est reliée. La « richesse » de cette politique culturelle naîtra des interactions qu’elle favorise.

Je reprendrais ici les propos éclairants de Patrice Meyer Bisch pour qui la « richesse culturelle » se comprend comme « une interaction entre les hommes, les communautés, les choses et leurs milieux, inscrivant et accumulant des  acquis, une multitude de connexions entre objets et  sujets. Ces connexions constituent au sens propre un capital culturel : un instrument de production et de création ». Alors qu’à l’inverse, « la pauvreté culturelle se reconnaît à la rareté des connexions avec leurs conséquences, les exclusions, les cloisonnements et l’incapacité de tisser des liens et donc de créer ».

Le travail des professionnels de l’art et de la culture consiste alors à favoriser les parcours des personnes dans ces réseaux de connexions culturelles.  Parcours qui ouvrent des opportunités pour construire sa personnalité,  être en interactions avec les autres, sans être réduit à l’état de spectateur anonyme d’une offre culturelle formatée. En quelque sorte, tracer un chemin vers l’émancipation, qui conduit au « brouillage de la frontière entre ceux qui agissent et ceux qui regardent, entre individus et membres du collectifs. » [9] pour reprendre les mots de Jacques Rancière.

On peut avoir des doutes sur l’avenir  d’une tel chantier d’interconnexions dont la dimension politique vise la construction du Vivre ensemble. On connaît tous le poids des découpages traditionnellement en vigueur dans la politique culturelle, soit par discipline artistique (arts plastiques, musiques,  théâtre, patrimoine bâti, etc..) ou par fonction (création, diffusion, formation, sensibilisation,   et..). On sait aussi que l’appel à la « transversalité » est souvent un leurre où chaque institution conserve son « quant à soi » et impose ses considérations techniques et disciplinaires aux instances politiques. Pour reconstruire la politique culturelle,  il conviendra donc de s’extraire de cette longue tradition française, ce qui ne pourra guère  se décréter.

Mais, si  l’on en juge par le chantier lancé à Quimper des évolutions sont certainement envisageables rapidement sur le terrain.

Concrètement la ville a souhaité s’investir dans un projet  culturel innovant sur l’espace urbain  « Max Jacob »,  composé d’un jardin des débuts du 20ème siècle entouré par un théâtre à l’italienne, un Gymnase et trois pavillons. Pour engager le projet, la ville a tenu à associer une dizaine de structures  culturelles très différentes en terme de champ artistique et culturel (théâtre, langue bretonne, musiques savantes, musiques bretonnes, musiques actuelles, art contemporain), en terme de fonction (formation,  animation, diffusion, création ), en terme de statuts juridiques ( associations, services municipaux, structures indépendantes, structures labelisées par le ministère de la culture…). Après la période de réflexion collective, la finalité du projet a été précisée en terme d’enjeux politiques partagés par tous les acteurs : ainsi, « le pôle Max jacob répond à la nécessité de concevoir les politiques publiques de la culture dans le cadre d’une démarche d’agenda 21 qui met au cœur des processus la participation des personnes et  les interactions entre les  cultures  comme sources d’émancipation et de développement du Vivre ensemble. »

L’innovation est triple :

i) l’enjeu politique n’est plus « la vraie culture  pour tous », (et son catalogue  d’offres culturelles vendues dans l’année),  mais les interactions culturelles entre les personnes qui construisent le Vivre ensemble dans la ville.

ii) Les structures demeurent totalement libres de leurs choix artistiques et culturels et si elles participent au projet c’est qu’elles partagent toutes la même éthique au delà des différences de leurs disciplines et de leurs fonctions. Sur la base de cette finalité éthique commune,  elles coconstruisent la dynamique du projet de politique culturelle du Max Jacob. Un  protocole d’accord éthique a ainsi été élaboré ; il sert de référence pour apprécier si les actions répondent bien aux finalités collectives énoncées.[10]

iii) Le protocole affirme aussi que les acteurs signataires ont leur part de responsabilité à prendre dans la gouvernance du projet collectif . La  gouvernance est donc partagée au sens où les structures s’engagent à participer aux discussions sur la répartition des ressources et la sélection des projets répondant aux finalités du protocole d’accord éthique.[11]

Dans cette cohérence participative, la politique culturelle a vraiment une dimension « politique » pour la vie de la cité : plus que sur le potentiel de la vente du catalogue de spectacles et d’expositions qu’elle finance, son enjeu territorial est de construire une dynamique d’interconnexions culturelles entre les personnes.

Il y a dans ces modalités de travail entre une collectivité et des acteurs culturels des signes manifestes de changements qui méritent d’être observées pour nourrir le jour venu le débat politique sur le sens et la valeur de la politique de  la culture. En tout cas, on peut certainement fonder de solides espoirs sur la démarche engagée car elle se montre cohérente avec l’approche globale du développement durable du territoire dans le cadre de l’approche de l’agenda 21 et de son volet culturel. [12]

Chantier 4 : le  chantier de l’économie solidaire des projets culturels.

Je  voudrais aussi appeler l’attention sur la logique économique de ces projets qui relèvent  de l’écoute culturelle, de l’expérimentation artistique, de l’interaction entre les identités.  Dans ces projets, ce n’est plus l’offre de produits  culturels à consommer qui justifie la politique culturelle, c’est l’engagement des personnes dans une éthique commune du Vivre ensemble. Ici, les acteurs vendent moins des spectacles qu’ils ne cherchent à faire partager leur passion pour leur art ; les spectateurs sont moins des publics acheteurs de billets que des « amateurs » passionnés et fortement motivés, construisant par ces interconnexions leur identité  de personne. C’est pourquoi, dans une approche plus humaniste que libérale, il serait bon de considérer ces activités où les personnes investissent beaucoup de leur identité culturelle comme des « services à la personne ».

Là encore, pour la politique publique, ce qui importe c’est la relation d’interaction culturelle entre les personnes et non les caractéristiques techniques des  activités ( concert,  atelier, représentation théâtrale, livres, etc..). L’enjeu politique d’intérêt général se lit dans les exigences éthiques que la politique culturelle se donne. On pourrait ainsi illustrer cette relation de personnes à personnes en terme de « compagnonnage », de « transmission de passions », même de « fan », pour faire comprendre que cet enthousiasme de la personne ne peut pas être réduit à un rapport marchand, l’un qui vend sa compétence artistique et l’autre qui l’achète,  alors que le  vécu des uns et des autres relève d’une relation de partage de mêmes  valeurs.

Ceux qui sont  attachés à une langue ou des formes culturelles puisant dans les « traditions » du territoire le comprennent parfaitement : la culture n’est pas seulement une offre et une demande de produits. Ainsi, il serait inacceptable de considérer que les fest noz, du moins beaucoup d’entre eux, sont de simples actes commerciaux où les organisateurs cherchent à capter le maximum de clientèle solvable. Ce type d’activités comme de multiples autres orchestrées par le milieu associatif [13] relève très souvent d’une volonté de partager des  » pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. » Je ne fais que reprendre ici la définition que donne l’Unesco du « patrimoine culturel immatériel » (PCI). Ainsi, lorsque une activité  culturelle « procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine », elle devrait ressortir d’une politique publique spécifique et non pas être considérée comme un produit régi par la loi de la concurrence sur les marchés. Question d’éthique de la vie collective et de relations entre les dignités culturelles.

Je me permets d’insister sur ce point particulier car tous les députés français, à l’unanimité, ont ratifié la loi autorisant le Président de la République a signer la convention de l’Unesco sur le Patrimoine culturel immatériel, Mais les pouvoirs publics ont depuis oublié totalement de renforcer le soutien à toutes ces associations qui contribuent à la valorisation du PCI,  donc à ces activités qui procurent « un sentiment d’identité et de continuité … »aux personnes du territoire !

Ainsi, dans notre démocratie, il devrait y avoir place pour une politique culturelle qui ne se résume ni à l’offre  des services culturels de l’Etat et des collectivités, ni à l’offre des industries culturelles, mais qui prendrait en compte une troisième voie : une autre économie de l’art et de la culture.

Cette perspective a été dessinée dans le manifeste de l’Ufisc qui regroupe des fédérations d’associations culturelles soucieuses de vivre dans une « économie plurielle ». [14] Ces acteurs  ne cherchent  pas le profit maximum de la vente des artistes, ne réclament pas non plus d’être intégralement financés par des subventions, estiment que les apports « bénévoles »  des personnes aux projets constituent un atout essentiel pour le Vivre Ensemble ».

L’enjeu culturel tend alors vers le développement d’une économie certes créative mais aussi solidaire qui met en avant une éthique partagée avec la collectivité. Comme l’indique le manifeste de l’UFISC :  » il s’agit d’inventer des dispositions juridiques  et fiscales pour que les initiatives citoyennes sans but lucratif ne soient plus systématiquement tiraillées entre les logiques marchandes et les logiques d’administration publique ».

Ainsi, à partir de « bonnes pratiques » conduites localement pour élaborer des  protocoles éthiques de l’intervention culturelle sur le territoire, organiser l’écoute culturelle des personnes, l’expérimentation artistique, le développement des interactions  et interconnexions entre les cultures, le soutien à l’économie créative solidaire, il sera sans doute possible d’engager la réflexion sur la reconstruction d’une politique culturelle soucieuse d’émancipation et de Vivre ensemble. Il y a là un enjeu essentiel qui concerne directement la définition du service culturel d’intérêt général au niveau européen. Pour l’instant, me semble -t-il, les réflexions sur le service économique d’intérêt général semblent ignorer la dimension éthique de cette politique culturelle construite sur la reconnaissance des droits culturels des personnes et du vivre ensemble.

C’est donc bien aux collectivités locales, dans le silence même du rapport Balladur de faire avancer de tels chantiers. C’est peut être,  espérons le, autour de ces bonnes pratiques que l’on pourrait préciser et concrétiser les récents propos du Parti socialiste  :  » Une conviction nous anime : la Culture a un rôle fondamentalement émancipateur, tant au plan individuel que collectif. L’économie et la société de demain reposeront au premier chef sur les capacités d’innovation, de connaissance, de création, de recherche. L’art et la culture constituent l’un des atouts décisifs de notre pays, à condition que l’on veuille bien leur redonner la priorité qu’ils n’auraient jamais dû perdre. Il y a une multitude de femmes et d’hommes qui sont épris de Culture libre et vivante, des créateurs de toutes disciplines, venus d’horizons les plus divers, qui considèrent que l’art est d’abord un outil critique pour interroger le monde et interpeller nos certitudes. » [15]

Mais je pourrais avoir autant d’espoir en lisant les ambitions d’Europe écologie «  L’Ecologie Culturelle plutôt que le centralisme culturel. Par nature, la Culture est symbolique de ce changement fondamental. Au-delà des urgences, elle annonce et témoigne de l’indispensable changement de société. »

Mais ce n’est peut être qu’un espoir dont l’avenir se préfigure mal tant la conviction est répandue chez les acteurs de la politique culturelle publique que la « culture » n’est qu’un « secteur » d’activités avec des « professionnels » faits pour produire (créer)  et vendre (diffuser)  des biens et des services au prix ou en dessous du prix de marché !

Pour revenir à la première partie du texte, cliquez ici.


[1] Second rapport mondial sur la diversité culturelle », sur le site de l’Unesco

[2] Consulter particulièrement la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels

[3] Axel Honneth « la société du mépris » editions La découverte, et « la réification » nrf essais2007.

[4] Voir le second rapport mondial sur la diversité culturelle octobre 2009 sur le site de l’Unesco

[5] Voir le site du Tyne and Wear Museums

[6] Voir le rapport Bouchard /Taylor sur le site http://www.accommodements.qc.ca/

[7] Voir Jacques Rancière : le paradoxe de l’art politique »  in « Le spectateur émancipé » page 72.

[8] Voir le  » second rapport mondial sur la diversité culturelle » page 20, résumé en français sur le site de l’Unesco :  http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-URL_ID=39891&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

[9] Voir Jacques Rancière : » le spectateur émancipé », la Fabrique,  page 22

[10] A titre d’illustration, le principe 3 du protocole éthique énonce  que les projets des acteurs quelles que soient  leurs activités disciplinaires doivent « Favoriser collectivement les formes d’interactions entre les cultures ainsi que la participation des personnes au projet Max Jacob, considérant que « participation » et « interactions » sont sources d’émancipation et conditions du renforcement de la citoyenneté culturelle. »

[11] Le protocole d’accord éthique indique par exemple que les structures s’engagent dans la gouvernance du pôle Max Jacob à organiser  » les débats et confrontations publics sur le sens et les valeurs culturels et artistiques. En cas d’absence de consensus au sein du dispositif de gouvernance un rapport sur les positions des protagonistes est remis à la municipalité de Quimper qui procède aux arbitrages relevant de sa responsabilité publique. »On remarquera  aussi que le dispositif de  gouvernance collective est « considéré comme « instance d’évaluation » du projet  Max Jacob. A ce titre, il établit le protocole d’évaluation partagée, après accord sur la pertinence des enjeux et méthodes avec les structures concernées. Le dispositif veille à respecter les principes évaluatifs proposés par la Société française d’évaluation. »

[12] Voir agenda 21 de la culture

[13] On n’oubliera pas qu’il ya plus de 204 800 associations culturelles en France avec 4,3 millions d’adhérents et une  moyenne de 14 bénévoles par association, sur tous les territoires ; plus de 20 millions de français sont concernés  (un tiers de la population). Voir rapport de la cofac : « Propositions des fédérations et associations  de culture et de communication face à une crise de sens de l’action culturelle publique »

[14] l’UFISC regroupe la fédération des arts de la rue, la fédération des lieux de musiques amplifiées, le syndicat national des arts vivants,  le syndicat du cirque de création, la fédération des scènes de jazz, le centre international pour le théâtre itinérant , le réseau Chaînon, Actes-if,  le syndicat des musiques actuelles, Zone franche …

[15] Appel du secrétariat national du Parti socialiste
à l’occasion de la célébration du 50ème anniversaire du Ministère de la Culture

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Les collectivités territoriales face aux grands enjeux culturels / 1

Première partie d’un texte inédit dont Jean-Michel Lucas nous fait l’amitié de nous autoriser la diffusion en guise de cadeau de fin d’année à nos lecteurs chaque mois plus nombreux. Comme à son habitude, il tranche dans le vif et n’épargne aucun camp. Quoi de mieux pour réveiller les consciences (les bonnes comme les mauvaises) dans la dangereuse torpeur ambiante ?

Pour juger sainement le présent, il faut se demander quel avenir il préfigure.

Pierre Mendes-France – La politique et la vérité.

Je pars du constat que la politique culturelle, des collectivités comme de l’Etat, a perdu beaucoup de sa force de conviction [1] et qu’il faut lui donner un nouveau souffle. Mais j’observe qu’elle est pour l’instant intouchable et j’en déduis qu’il est préférable d’ouvrir, d’abord sur le terrain local, des chantiers de « bonnes pratiques » pour nourrir le débat sur sa reconstruction.

I – Une fin de règne intouchable

A – Première observation : l’ambition civilisatrice initiale de la politique culturelle a été détournée en consommation culturelle pour un certain public.

1 – En terme quantitatif, la politique culturelle en France a donné de bons résultats, du moins en matière d’offres culturelles sur le territoire. Il y a effectivement plus de « clients » fréquentant des équipements culturels, eux mêmes de plus en plus nombreux. [2]

2 – Par contre, en terme de signification politique, la confusion est grande. Les élus continuent à justifier les interventions culturelles publiques par la nécessité  de « favoriser l’accès de tous à la culture » mais depuis que les statistiques sur les pratiques culturelles des français existent, la consommation des équipements est loin de concerner « tous les français » ; les « clients » sont globalement des « urbains » et des « diplômés ». Le message politique justifiant les dépenses culturelles par la nécessité de « réduire  les inégalités culturelles » ne convainc plus que ceux qui veulent y croire. [3]

3 – Pire surtout, 23% des français ont des pratiques culturelles qui ne croisent jamais les offres proposées par la politique culturelle et 29% n’ont qu’une fréquentation « exceptionnelle » des salles de spectacles et des lieux d’exposition. Comment les considérer ? Selon une tradition intellectuelle qui est parfaitement bien ancrée dans les partis de gauche, ces personnes sont présentées comme des « exclus de la culture », soumis aux manipulations de la culture de masse orchestrée par les multinationales. Ce sont des victimes sociales d’un « handicap culturel » qu’il faut guider vers la « vraie » culture. [4]

Mais, ce discours peut-il tenir longtemps en dehors du « cercle des initiés »? Les élus locaux savent bien que ces 53% de  français qui n’éprouvent aucun ou très peu d’intérêt pour l’offre de produits choisis par la politique culturelle sont des citoyens et des électeurs à part entière, totalement libres de leurs choix !

4 – Face à ces interrogations, la gauche culturelle a toujours répondu qu’il fallait renforcer le potentiel  d’intervention des institutions artistiques pour mieux soutenir  la « création » car l’offre d’œuvres de qualité est une condition de la civilisation et, par là, de la citoyenneté [5]. La politique publique de la culture se doit  par conséquent de garder la main sur la sélection des œuvres de référence (nomination des directeurs d’équipements, comités d’experts, opérations artistiques dans les quartiers, en milieu rural…). « Garder la main » signifie, en fait, contrôler aussi bien au niveau national qu’au niveau local, la désignation des responsables chargés de sélectionner les « bonnes » œuvres d’art, au mépris de toutes les règles de transparence que la gauche réclame en général pour les autres secteurs d’activité.

Cette position ne se discute pas. Elle est un dogme. Toute tentative de suggérer que plus de la moitié des français, dont les plus jeunes des nouvelles générations, pratiquant actifs des réseaux numériques, ont d’autres cultures que celles qui ont été sélectionnées par les spécialistes,  relève du « populisme ». Toute tentative de mettre en débat public les dispositifs confidentiels sinon secrets qui établissent les choix de la culture de référence relève de la « démagogie ».

La réflexion est aujourd’hui bloquée sur ce vieux logiciel du siècle dernier.

La première conséquence est que la discussion sur une autre politique culturelle est impossible : le propre du dogme est de savoir répondre à tout et, dans ce contexte très défensif du milieu artistique, [6] on ne peut que déconseiller toute initiative politique mettant en doute la pertinence du « soutien à la création pour renforcer l’accès à la culture » ! L’héritage des Lumières est intouchable, du moins dans les propos légitimants.

B-  Seconde observation : les mots de la politique culturelle ne servent plus aujourd’hui qu’à décorer un pragmatisme gestionnaire.

Chacun peut observer que, dans la pratique des élus comme du ministère, la politique culturelle ne s’embarrasse pourtant pas du dogme. Derrière le discours de façade sur la démocratisation de la culture, cela fait bien longtemps que le ministre comme les élus locaux sont devenus beaucoup plus pragmatiques. Les interventions culturelles publiques se contentent de gérer une offre de consommation culturelle.

Pour s’en convaincre, on peut prendre appui sur deux textes que connaissent bien les politiques : le projet annuel de performance (PAP) de la mission culture et le rapport du comité Balladur. Je ferai aussi référence aux politiques locales en faveur de « l’économie créative ».

1 – Les responsables de politiques culturelles et, en tout cas les députés et sénateurs, ont certainement lu le PAP 2010, par exemple le programme 131 relatif à la création artistique. Comme les années précédentes, ce document révèle aux parlementaires et aux citoyens que le ministère de la culture n’a plus que des préoccupations gestionnaires. Les lecteurs du PAP ont certainement fait cette observation : les indicateurs de la bonne performance portent sur le montant des recettes, les taux d’occupation des fauteuils, la circulation des spectacles…. [7] Plus étonnant encore l’Assemblée Nationale a accepté qu’un indicateur de performance porte sur la recette par place fixée à 48 euros pour 2010, comme le ferait n’importe quel producteur privé de spectacles ! Les indicateurs sont tous quantitatifs et calqués sur ceux d’une bonne gestion culturelle privée car la culture « coûte cher » au contribuable. Il faut donc attirer le client et les fameux publics de la culture deviennent de simples acheteurs /consommateurs qui doivent remplir les salles où sont présentés des  produits culturels un peu plus sophistiqués que ceux qui sont offerts sur le marché concurrentiel des loisirs.

Par contre, la valeur « artistique » ne fait l’objet d’aucun indicateur spécifique comme si cette évaluation de la « qualité » n’avait plus d’importance ou comme si elle devait être et rester ignorée des représentants des citoyens. L’hypocrisie est manifeste : dans le PAP, la politique culturelle de l’Etat évoque sa mission civilisatrice dans les trois premières lignes mais s’en moque bien ensuite, puisqu’elle la met totalement de coté. Dans le dur compromis entre la valeur d’intérêt général de la bonne gestion des fonds publics et la valeur d’intérêt général de l’art et de la culture, seul se bat sur le ring le comptable des deniers publics, les amateurs de sens ont disparu dans les coulisses en se plaignant en plus d’être mal traités !

2 – Le rapport du comité Balladur n’est pas plus concerné par la vocation citoyenne de la politique culturelle car, à bien le lire, il ne fait qu’entériner la dérive vers la gestion des offres publiques de produits culturels.

*) J’observe ainsi que dans le texte du rapport Balladur la valeur politique des interventions culturelles des collectivités n’apparaît nulle part. Aucune référence aux enjeux émancipateurs de la création artistique ou  de l’accès à la culture pour tous. Le seul enjeu évoqué par le comité est celui de la lourde gestion des charges de personnels et de  fonctionnement des bâtiments culturels [8]. Comme il faut bien assumer ces masses financières, le rapport maintient le principe des interventions croisées de toutes les collectivités pour soulager les villes et leurs dépenses de centralité essentiellement ! C’est dire que l’imbrication des responsabilités sera maintenue pour la culture alors que les objectifs du comité de Balladur étaient au contraire de clarifier la répartition des compétences entre les collectivités. La politique culturelle locale est sans importance stratégique pour la république décentralisée. Elle ne fait que coûter !

*) J’observe aussi que le rapport Balladur affirme clairement que la légitimité des collectivités tient à leur capacité à répondre aux  demandes de proximité de la population. « La société française a changé, elle éprouve des besoins nouveaux, des aspirations inédites, sa soif de proximité et de sécurité, son goût pour la démocratie locale sont justifiés par la globalisation du monde. Aussi est-il indispensable qu’un changement fondamental soit apporté au mode d’administration du territoire. C’est la condition d’un approfondissement de la démocratie locale et de l’amélioration des services rendus aux usagers des services publics, qui sont aussi des contribuables et, d’abord, des électeurs. »

Or, en matière culturelle, cet objectif de satisfaire les demandes des électeurs est contradictoire avec « l’accès à la culture pour tous » qui doit révéler, aux habitants, la culture de qualité qu’ils ne connaissent pas encore. Il ne s’agit surtout pas de sombrer dans les spectacles faciles et délassants.

Le rapport connaît cette contradiction mais au lieu d’en débattre ouvertement, il la recouvre d’un voile pudique : il nous dit ainsi que la culture est une affaire « délicate », [9] sans autre précision. Ce langage diplomatique signifie que la politique culturelle doit régler ses problèmes dans son coin. Chaque élu à la culture fera donc comme il voudra, plutôt comme il pourra sur son territoire, avec ses créateurs et ses électeurs. Avec le rapport Balladur, la liberté culturelle signe la fin de l’ambition civilisatrice de l’intervention  culturelle publique. Elle  officialise l’organisation d’offres  publiques de loisirs plus ou moins pointues en réponse aux besoins exprimés par chaque groupe de consommateurs/électeurs. « L’accès à la culture pour tous » se trouve alors travesti en « accès de tous à sa culture ».

3 – Je noterai enfin que depuis une vingtaine d’années, beaucoup de collectivités ont renforcé leurs interventions culturelles.  Derrière le discours convenu sur la « démocratisation culturelle », leur préoccupation a surtout été de contribuer à l’attractivité de leur territoire : l’investissement culturel devient « utile » parce qu’il participe à la création d’emplois, valorise l’image de la ville ou accroît la fréquentation touristique.

La vogue actuelle est au soutien à « l’économie créative » [10]. L’idée est  simple : il s’agit pour les collectivités de soutenir des équipes qui font preuve d’imagination et de créativité dans tous les domaines intellectuels et esthétiques, tout en essayant de convaincre le tissu industriel qu’il devrait investir dans ces  dynamiques imaginatives. Il n’y a que des avantages semble-t-il à cette politique : les artistes y gagnent parce qu’ils n’ont plus besoin de tendre la sébile auprès des subventionneurs publics ; les entreprises y gagnent aussi car elles innovent plus, et surtout mieux. Quant aux territoires, ils empochent les gains d’une attractivité plus forte que celle de leurs voisins. Cette approche qui ouvre le champ de la culture aux milieux économiques a d’indéniables qualités mais  elle confirme l’abandon des enjeux politiques pour la culture dans notre démocratie : les « créatifs » sont là pour vendre leur savoir faire sur le marché concurrentiel,  sans autre mission d’intérêt général. Ils sont là pour approvisionner le marché  en produits et services et si leur « art » n’est pas rentabilisé, ils devront rendre leur tablier quel que soit l’intérêt culturel et artistique de leur production.

Au fond, les collectivités se placent dans la redoutable compétition entre les territoires : chaque chef territorial, même en pleine forme démocratique, devra engager des dépenses de « recherche / développement » en innovation artistique et culturelle pour asseoir sa domination culturelle sur les  territoires voisins ! Bordeaux plus fort que Marseille !!! L’Europe créative ?? Plus forte que tous les autres territoires du reste du monde ? Curieux destin des « œuvres capitales de l’Humanité » et de la création artistique que de servir d’armes pour s’imposer par rapport aux territoires concurrents ; comme si les acteurs culturels étaient devenus des munitions pour conduire la guerre culturelle « de tous contre tous ». Il n’y a plus ici de politique culturelle mais une politique publique d’attractivité du territoire qui se nourrit du professionnalisme des acteurs d’un secteur économique comme un autre : le secteur  culturel.

Il est de ce point de vue dommageable que le rapport du Sénat sur « l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales » [11] confonde « politique culturelle » avec le financement d’acteurs culturels dont la seule légitimité consiste à être utiles à d’autres politiques publiques. Ainsi nous dit-on « la mission (du Sénat) est sensible à l’attachement des élus locaux, de tous niveaux de collectivités, à conserver une marge d’initiative et d’autonomie dans un domaine qui est un levier de cohésion sociale, d’expression d’une identité locale, d’attractivité, de rayonnement, de développement économique et touristique des territoires »  Beau slogan pour la culture : faut bien que ça serve à quelque chose ! La légitimité culturelle publique sera donc déterminée par les autres politiques publiques en fonction de l’utilité des acteurs sélectionnés en réponse aux appels d’offres, comme pour l’assainissement ; ça promet !

Ajoutons que dans ce rapport, la République ne semble pas avoir l’intention de fixer la moindre règle pour gérer ce grand fourre-tout au niveau local ; même pas des règles de méthode et encore moins d’exigences éthiques, un simple appel à la concertation entre territoires concurrents suffira !

L’ensemble de ces constats ne rassure pas sur la possibilité de redonner du sens à la politique culturelle. Il faut pourtant y parvenir car les enjeux culturels dépassent de loin les seules préoccupations utilitaires.

Fin de la première partie. Pour lire la seconde, cliquez ici.

[1] En ce qui concerne l’Etat, je partage intégralement le jugement du secrétariat à la culture du PS : « Le ministère de la Culture célèbre cette année son cinquantenaire. Triste anniversaire en réalité. Quiconque entre au contact de son administration est frappé par la démoralisation de ses agents, la paupérisation de ses moyens, son atonie et l’absence de tout projet politique global d’envergure, alors que c’est précisément son existence qui donnait sens et enthousiasme à ce ministère jadis audacieux, conquérant et dynamique. »

[2] En 1973, 88% des français n’avaient pas été au théâtre joué par des professionnels au cours de l’année,  ils ne sont plus que 81 % en 2008 ! 7 points de gagnés en 35 ans , mais  encore 81 points à conquérir avant le théâtre pour tous !

[3] Enquête 2009 sur les pratiques culturelles des français : 47 français sur 100 ayant un diplôme Bac plus 4, sont allés une fois au théâtre dans les douze derniers mois ; ils ne sont plus que 29 sur 100 pour ceux qui ont bac plus 2 ou 3… Par contre, sur 100 français n’ayant pas de diplôme, 9 seulement ont été au théâtre dans les douze derniers mois. En 1988, les chiffres étaient de 39 % pour les  diplômés du supérieur et de 7 % pour les sans diplôme. En 2009, pour 100 habitants de Paris intra muros, 56 d’entre eux sont allés au théâtre une fois au moins dans l’année, et pour 100 personnes résidant dans une ville de moins de 20 000 habitants,  ils ne sont que 12. En 1989, le chiffre est de 43 % pour les parisiens intra muros (13 points en moins) et 10 % pour les habitants des villes de moins de 20 000 habitants (2 % en moins). Les chiffres augmentent pour chaque catégorie mais les écarts entre les catégories se sont creusés !!

[4] Dans la récente enquête sur les pratiques culturelles des français, on peut lire que les personnes qui ne sont allés ni au cinéma ni dans une bibliothèque, n’ont assisté à aucune spectacle vivant et n’ont visité aucun lieu d’exposition ou de patrimoine, « pour la plupart d’entre eux cumulent tous les handicaps en matière d’accès à la culture.. » (page 8 des éléments de synthèse).

[5] Voir par exemple les interventions des députés de gauche à l’Assemblée Nationale lors d’un des rares débats (sans suite) sur la politique culturelle, le 4 décembre 2004 ; par exemple Jean Marc Ayrault : « C’était le rêve de Jean Vilar, de Malraux et, plus près de nous, de Jack Lang : mettre les arts a la portée de tous, y forger une conscience citoyenne. » ou Michel Françaix : « Gambetta disait : Il ne suffit pas de décréter des citoyens, il faut en faire. Pas de citoyen sans émancipation des servitudes de l’ignorance, sans commerce avec les œuvres de l’esprit. Pas de citoyen sans culture. »

[6] On comprend très bien cette attitude défensive si l’on prend en compte le traitement infligé aux salariés  intermittents de la culture.

[7] Exemples : nombre de fauteuils mis à la vente dans l’indicateur 1.2, recette moyenne par place offerte dans l’indicateur 2.1, rapport des charges fixes sur total des charges des établissement culturels dans l’indicateur 2.1, part de la masse salariale dans l’indicateur 2.2, nombre de clients dans l’indicateur 3.1, pourcentage de places vendues par rapport à la jauge dans l’indicateur 3.1, nombre de représentations (de ventes donc) par spectacle produit, etc.

[8] Par exemple, en référence aux enjeux de péréquations entre collectivités on peut lire « le tourisme et la culture, par exemple, trouveraient à l’échelon départemental un niveau de péréquation idoine, compte tenu de la taille des projets en cause et des moyens humains et financiers qu’ils nécessitent ».

[9] On lit plus précisément dans le rapport : « Pour ce qui concerne la culture, la diversité des missions en cause rend particulièrement délicat  l’attribution de cette compétence à un seul  niveau d’administration ».

[10] Voir  surtout  le  rapport  de  la  cnuced.

[11] RAPPORT D’INFORMATION fait  au nom de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales  présidée par M. Belot, par M. Yves KRATTINGER et Mme Jacqueline GOURAULT, juin 2009.

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7 contre-vérités et vérités sur les contrats de partenariat

PPP VersaillesDepuis l’adoption de la loi du 28 juillet en 2008 relative au contrat de partenariat public privé [1], le législateur permet le recours au Contrat de Partenariat (CP). Cet instrument contractuel a été créé en vue de faciliter et dynamiser la relation entre le public et le privé et d’occuper une vraie place entre marché public et délégation de service public. L’idée consiste en effet de mettre en place une formule proposant la conclusion de contrats globaux sur préfinancement privé et paiement public sur une longue durée, sans exploitation du cœur du service public par le secteur privé. Le principal avantage du CP est qu’il constitue une réponse complète à la question récurrente des modalités de réalisation et de financement privés des activités et des équipements de service public.

Majoritairement utilisé dans les secteurs du BTP, du transport, de l’environnement et de l’industrie, le CP est également en train de se développer pour soutenir l’effort de financement des infrastructures et des équipements publics dans d’autres domaines comme la santé et la recherche mais aussi le patrimoine et la culture.

En ce qui concerne la culture, la situation française est paradoxale en comparaison avec d’autres pays. En effet :

  • le nombre de PPP culturels est encore relativement faible, ceci s’explique par a) la consultation non-systématique de la MAPPP [2],  b) le caractère récent du dispositif [3], c) la complexité des périmètres et le transfert de risques inhérents à la culture, d) la difficulté de voir des opérateurs privés candidater (même en groupement) pour répondre à des demandes qui nécessitent souvent l’articulation de plusieurs métiers dans un modèle économique dédié et spécifique ;
  • le bilan des projets qui ont été attribués ne peut véritablement être dressé : la billetterie du Château de Versailles, le Théâtre de l’Archipel à Perpignan et le Musée de la Mer à Biarritz sont les seuls PPP culturels attribués à ce jour [4] et sont trop récents pour que l’on puisse en tirer un retour d’expérience significatif ;
  • des désaccords sur le fond des motifs demeurent (urgence, complexité, coût d’objectif), certains risques ne sont pas transférables en l’état, la dimension globale du contrat de partenariat est difficile à appréhender par rapport à une DSP ou à une externalisation, le respect du coût d’objectif de l’opération suscite de inquiétudes par rapport au coût d’opération d’une maîtrise d’ouvrage publique traditionnelle, la gouvernance induite par le dispositif est inédite ;
  • la spécificité du secteur culturel public : le secteur culturel est largement confronté aux problématiques de maîtrise des coûts, marqué par cette difficile équation qui concentre des travaux difficiles, complexes, la plupart du temps de grande ampleur, avec le souci de la gestion de la mission de service public et la conduite d’une politique de développement culturel la plus accessible et attractive possible. Contrairement à une idée trop souvent répandue, les établissements doivent assurer l’équilibre des budgets par leurs propres moyens, les subventions d’équilibre votés par les élus locaux étant prohibées dans le contrat de partenariat.

Face à ce constat, CEG a demandé à Vincent Sallé* de vous faire partager son analyse et son expérience afin d’éclairer un peu plus cette question. Il nous propose 7 contre-vérités et vérités sur les contrats de partenariat :

  1. Un dispositif coûteux : la structuration économique des contrats de partenariat (CP) fait l’objet d’une critique centrale : des  montages financiers favorables aux investisseurs, au détriment des personnes publiques. Les premiers retours d’expérience révèlent que les montages en CP son économes en dépenses d’investissement grâce à une meilleure maîtrise des coûts et des délais de conception/réalisation. C’est  à la personne publique d’obtenir une allocation des risques équilibrée afin de bénéficier d’un financement optimisé.
  2. Des risques non maîtrisés : l’argument mis en en avant repose sur le postulat suivant : la survenance de surcoûts peut inciter un investisseur privé à organiser sa défaillance et à ne pas honorer le contrat. Dans cette hypothèse, la collectivité se verrait dans l’obligation de signer un avenant et prendre en charge financièrement la réalisation des risques. Cette affirmation est à l’encontre de la nature même du CP, l’atteinte des performances implique qu’aucun évènement ne survienne qui n’ai été prévu et anticipé. Le portage des risques par le privé conduit celui-ci à mieux maîtriser les coûts, et donc à minimiser les risques.
  3. Des éléments de complexité supplémentaires au montage MOP : la  logique performantielle est souvent considérée comme complexe à définir. En ce sens, le contrat de partenariat va bien au-delà de la simple commande publique. Il s’agit d’imposer au titulaire des objectifs de résultat, permettant de garantir la disponibilité de l’ouvrage.
  4. Une notion de performance limitée à la construction : plusieurs auteurs soulignent que les CP portent principalement sur la réalisation d’ouvrages et d’équipements, laissant un rôle accessoire à l’exploitation et à la maintenance. La pratique invite à observer une montée en puissance progressive des critères liés aux objectifs d’exploitation-maintenance. Une meilleure anticipation des exigences dans le programme fonctionnel est d’autant plus nécessaire.
  5. Une réduction de l’accès à la concurrence : l’argumentaire est ainsi formulé : dès que le « major » est retenu, c’est lui qui choisit tout, et les PME de second rang et les artisans se voient privés de tous accès à ces marchés. L’expérience montre que les PME travaillent sur des projets immobiliers ou des travaux d’économie d’énergie passés en CP. D’ailleurs, la plupart des maîtres d’ouvrage demandent au titulaire de s’engager à confier à des petites et moyennes entreprises (PME) et à des artisans une partie de l’exécution du contrat.
  6. Des justifications chiffrées non objectives : il est fait grief que la multiplicité des variables exploitées dans l’analyse comparative rend toute comparaison aléatoire. La loi du 28 juillet 2008 permet désormais à une personne publique de prendre en compte les difficultés de projets comparables, selon différents procédés de la commande publique. Ces dispositions renforcent la robustesse du modèle d’analyse comparative.
  7. Une privatisation des services publics : l’externalisation mécaniquement entraînée par le CP est régulièrement dénoncée par les représentants du personnel des structures publiques. Dès lors qu’un CP implique des éléments d’entretien et de maintenance d’un équipement, l’organisation future du personnel en charge de ces tâches est à intégrer dès le lancement des études préalables. Une véritable privatisation, contrairement aux PPP, empêcherait les autorités de garder un contrôle et un moyen de régulation, afin de s’assurer que la mission d’intérêt général reste remplie.

*Consultant en finance, Vincent Sallé a occupé différents postes en entreprises, en tant qu’ingénieur d’études chez Suez, puis au sein du cabinet Ernst&Young comme directeur de mission senior secteur public. Ses quinze ans d’expérience professionnelle l’ont conduit à réaliser des missions de conseil auprès de plusieurs grands groupes, en France et en Europe. Il a ensuite accompagné près d’une centaine d’organisations publiques et privées en conseil opérationnel. Il travaille sur des thématiques liées à la mise en œuvre de projets (études d’opportunité, analyses de faisabilité économique, analyse financière), à la définition de stratégies d’établissement (plan directeur, études de projet), à la réalisation de projets d’investissement immobiliers ou mobilier en montage complexe de type PPP (BEH, CP,…) ou de systèmes d’information (schémas directeur des SI, études de faisabilité, implémentation de solutions).

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[1] Loi n°2008-735 du 28 juillet relative aux contrats de partenariats, J.O. n°175 du 29 juillet 2008 p.12144.

[2] pourtant fortement recommandée, comme l’a notamment rappelé la ministre Christine Albanel lors des questions au parlement (question n°14687, réponse publiée au J.O. le 27/05/2008). La ministre a également indiqué lors sa réponse que : « les dispositions autorisant le multi-partenariat et préservant la qualité globale des projets sont particulièrement favorables à la poursuite des investissements publics culturels ». La consultation de la MAPP n’est pas obligatoire. En conséquence, la ressource de la MAPP ne peut donc être exhaustive et ne reflète pas la complète réalité des projets en cours de gestation.

[3] même si historiquement, il convient de rappeler que les premières formes de PPP remontent à plus de 2000 ans (les manceps de l’Antiquité romaine, très développés en Languedoc-Roussillon notamment).

[4] à noter que la MAPP répertorie 33 PPP culturels déposés depuis l’instauration de la loi, soit 13% du total des projets engagés. Ceci peut paraître faible mais il est trompeur. En effet, un nombre important de collectivités étudient actuellement l’opportunité du recours au CP et ne sont pas encore au stade de la consultation de la MAPPP.

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La production d’indicateurs : source de sens pour les politiques culturelles territoriales ?

JeanMichelLucasUn de nos membres fut récemment surpris par une question posée lors d’une présentation dans une commune de la Seine Saint-Denis. « Pensez-vous qu’il soit éthique et moral d’évaluer une politique culturelle ? » lui a-t-on demandé. La présente communication de Jean-Michel Lucas vient porter un éclairage tout particulier sur cette question qui ne laissera personne indifférent. En effet, il nous fait à nouveau l’amitié de nous autoriser à diffuser une de ses récentes contributions. Cette fois-ci, il s’agit du texte de son intervention du 24 septembre dernier lors de la table ronde « La production d’indicateurs : source de sens pour les politiques culturelles territoriales ? » où CEG était présent et qui s’est tenue à Annecy dans le cadre du colloque organisé par l’Observatoire des Politiques Culturelles sur le thème « Quelle évaluation dans les politiques culturelles ? ».

Les indicateurs sont  évidemment « sources » de sens pour les politiques culturelles, mais à bien y regarder,  il n’est pas certain que ce soit de « bonnes » sources. Je suis maintenant convaincu que le point d’interrogation devrait être encore plus gros qu’il ne l’est car les indicateurs des politiques culturelles (territoriales ou pas) produisent un sens « contraire » à ce qu’exigerait une approche sérieuse de l’évaluation. Autrement dit, s’il y a interrogation, c’est, à mon avis, parce que les indicateurs culturels jouent à faux avec les nécessités de l’évaluation. Ils sont le plus souvent la manifestation de stratégies  « d’évitement » de la part des acteurs de la politique culturelle. Pour illustrer ce propos, je partirais d’un exemple sanctuarisé par le journal Le Monde, donc connu de tous : la fréquentation comme indicateur de la bonne santé de la culture. L’article du 11 janvier 2009  nous dit que  » la culture ne connaît  pas la crise ».  Je cite pour pointer l’ambiance  : « A tous les rendez-vous : les salles de cinéma ou de théâtre sont pleines, des concerts refusent du monde, les festivals ne désemplissent pas, des musées affichent des chiffres record. L’année 2008 est excellente, voire exceptionnelle, avec une fréquentation à la hausse dans la plupart des secteurs. …  les chiffres sont là. « 

Que retenir de cet exemple ? Non pas les chiffres, plutôt l’évidence : si les indicateurs chiffrés ont un sens pour le rédacteur et le lecteur de l’article, c’est parce qu’ils disent ce qui est. Leur fonction est d’apporter de la connaissance à la société, de donner une réponse aux questions qu’on se pose : « la culture se porte bien malgré la crise »,  tel est le vrai. Pris ainsi, les indicateurs sont fils de la Vérité.  On pourrait dire que le bon indicateur doit être « probant » et que le meilleur d’entre eux devra avoir pour qualité d’être « indiscutable », pour que les acteurs puissent de débarrasser de la question pour mieux revenir à l’action. Et je crois que l’article de Luca di Pozzolo confirme mieux que je ne saurais le faire la demande pragmatique de savoir, ignorante de la complexité du réel [1]. Disons que la vocation de l’indicateur est de faire trancher les litiges par le « fait » ou  si l’on préfère de « clore » le débat sur le sens de la vie culturelle et artistique.

On retrouve cette fonction de l’indicateur culturel à tous les coins de rue. Même des spécialistes de l’évaluation lui donnent ce sens. Ainsi une grande ville de l’ouest présente sa politique d’évaluation de la politique culturelle en énonçant le principe suivant : « il s’agit de mettre en place des indicateurs d’évaluation des structures recevant des fonds publics, afin de vérifier si les objectifs fixés par les élus sont atteints ». L’indicateur « vérifie », comme l’huissier, la réalité des faits. L’indicateur « fait preuve » tel est son sens pour la politique culturelle [2].

Bien que cette approche du sens de l’indicateur comme réponse clôturant le débat soit fort consensuelle dans le milieu des acteurs de la politique culturelle, il faut redire qu’elle n’est pas compatible avec une politique d’évaluation méritant ce nom. Le point d’interrogation s’impose. Pour ma part, je comprends le doute ainsi : l’évaluation des politiques publiques est un exercice complexe  car elle concerne la capacité de la démocratie à évaluer l’action publique c’est dire, par définition, à porter des jugements de valeur sur la « bonne » politique à conduire. Si elle ne veut pas devenir un audit ou un contrôle, l’évaluation doit être une  mise en discussion de ces valeurs et l’indicateur n’a de sens que s’il permet de nourrir ces débats de valeurs, de les interroger, de les argumenter pour alimenter les arbitrages et construire les compromis : « nos valeurs sont-elles les  bonnes ?  » « Peut-on  faire « mieux ? » On peut illustrer cette nécessité, souvent mise de coté, à partir d’un indicateur aussi basique que la fréquentation : 702 905 visiteurs  à l’exposition « Kandinsky » au Centre Pompidou, « troisième position des rétrospectives les plus courues depuis l’ouverture de Beaubourg en 1977 ». Ce chiffre traduit-il la réussite de la démocratisation de la culture ou à l’inverse l’adaptation de l’offre culturelle publique aux demandes des « consommateurs » de Kandinsky ? Laquelle de ces valeurs se cache derrière l’indicateur de fréquentation ? Faute de mise en débat du sens de cette politique culturelle, l’indicateur de fréquentation n’est qu’un leurre évaluatif, (d’autant qu’il ne dit rien des contextes sociaux,  économiques, historiques qui ont pu peser sur les comportements des fréquentants).

Pour être sérieusement menée, l’évaluation ne peut pas se contenter des chiffres de ses indicateurs en énonçant une vague relation entre indicateurs et valeurs. Il lui faut prendre le temps de définir le référentiel d’évaluation, le registre d’évaluation, l’instance d’évaluation et de faire partager aux protagonistes de la politique publique un minimum de confiance dans le choix des critères, normes et indicateurs de cette politique publique. Temps délicat de confrontations des regards sur le monde, d’autant que les autres politiques publiques ont, elles aussi, des chiffres à offrir au débat public et ne manquent jamais d’arguments de sens. L’évaluation ne peut donc pas s’endormir sur « ses » réalités, plutôt « ses » convictions ; elle doit toujours être sur la brèche, en négociation permanente sur la manière de construire la société « bonne ».  Evaluer est donc une « lutte de valorisation », disons plus pacifiquement, une confrontation de sens et de valeurs avec les autres. Si l’on suit cette conclusion, ce n’est pas la production d’indicateurs qui sera source de sens de la politique culturelle territoriale, ce sera le compromis obtenu sur les valeurs d’intérêt général accordées par les autres politiques publiques aux activités artistiques et culturelles.

Cela revient à dire que l’évaluation n’est pas une affaire technique réservée à des spécialistes du remplissage de tableaux Excel ; elle n’apparaît pas à la fin de l’action pour la vérifier ; elle est au cœur du projet politique, c’est à dire au cœur des négociations, dès le stade du débat sur la légitimité de telle ou telle action publique. On doit insister encore en rappelant que l’évaluation est une nécessité car, sans elle, une politique publique se trouve vite dépassée par d’autres politiques publiques plus soucieuses de faire partager leurs finalités à la démocratie. L’évaluation est donc un temps d’ouverture, un temps de risque pour convaincre du bien fondé des valeurs, des finalités, des objectifs, des programmes d’actions, face à d’autre valeurs, d’autres finalités, d’autres programmes d’actions. C’est un cadre de négociations, non un catalogue de certitudes dogmatiques sur les bienfaits de la politique culturelle.

Malheureusement, on est bien contraint de constater que la politique culturelle ne s’engage que rarement dans cette voie évaluative.

Pour évidentes qu’elles soient, toutes ces observations paraissent souvent abstraites aux acteurs de la politique culturelle et je voudrais les confronter à une situation pratique. Je ne redonne pas l’exemple de l’Etat à travers le PAP qui permet de bien observer la stratégie d’évitement du ministère de la culture [3]. Je prendrais plutôt ici l’exemple d’une municipalité qui s’est engagée dans un dispositif qui n’a d’évaluation que le nom. L’exemple choisi est très banal et sans doute représentatif de bien d’autres collectivités. Dans le document présentant le travail du service d’évaluation, la ville en question annonce les valeurs de sa politique culturelle à travers les trois objectifs suivants :

  • garantir le pluralisme artistique et culturel,
  • favoriser l’accès de tous à la  culture,
  • participer au rayonnement de la ville.

Sur cette base politique, chaque structure culturelle subventionnée dispose d’une « fiche d’évaluation » qui donne la liste des indicateurs servant à vérifier si les objectifs sont atteints. Le référentiel de l’évaluation demande de chiffrer « l’offre proposée par la structure », « la fréquentation /public, » la « médiation réalisée », « l’impact », « le rayonnement », « les  moyens ».

Regardons, pour les structures de musiques actuelles,  la liste des « indicateurs » correspondant au référentiel « offre » : il est demandé de donner le nombre de concerts organisés. Ensuite, il faut préciser les concerts qui relèvent de la catégorie « pop/rock » ou  » hip hop », « reggae », « musiques électroniques », « musiques du monde », « chanson », « jazz », « comédies musicales ». Avant d’interroger la pertinence d’une telle liste, précisons que sous l’item rock, la structure doit indiquer si les spectacles étaient « rock », « pop », « punk », « folk », « metal et hardcore », « post rock », et dans la catégorie « musiques électroniques », il faut différencier  » echnohouse » de « hard teck », de « jungle drum and bases », »ambiant électronica » qui n’a pas le même sens que « indus », « dub », « ragga », « dancehall », « turn tablism ». Par contre pour la chanson, il n’y a pas de sous catégories ayant sens, et pour le jazz, la maison évaluative ne connaît comme indicateurs que les trois sous catégories « blues » (mais pas « blues rural », ni « blues urbain » de Chicago ou du Delta !!), « funk/soul » et « musiques improvisées » (comme s’il y avait quelque part du jazz qui ne relèverait pas de la musique improvisée !!)

J’ai pris le soin de donner ces précisions car l’accumulation de ces indicateurs de réalité fait comprendre l’absurdité du dispositif d’évaluation. Quelle est la pertinence  de ces indicateurs au regard de la politique publique ? Elle est nulle puisque ces indicateurs ne sont associés à aucune valeur d’intérêt général. Le fait qu’il y ait un concert de « funk » ou un concert de « dub » ne porte aucun enjeu politique, sauf si la police avait détecté que ce genre de spectacles s’accompagnait de conduites à risque pour la jeunesse ou que le syndicat d’initiative avait observé que de nombreux touristes venaient assister à ces concerts. Pour que ces indicateurs aient du sens, il aurait fallu que l’instance d’évaluation leur en donne un, explicitement, et que les acteurs eux mêmes partagent ce sens. Mais nulle trace dans le service d’évaluation de cette assignation d’une valeur d’intérêt général à ces catégories musicales.

En pratique, les réalités désignées sont nommées par les musiciens eux mêmes. Ils peuvent modifier les noms comme ils l’entendent et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait depuis des années sans que la politique publique ait eu quoi que ce soit à dire. Ainsi, l’indicateur du nombre de spectacles  « rock », « pop », « pip » ou « pap », dit seulement comment les acteurs du spectacle veulent se présenter. Ceci ressort de leur sphère privée, c’est à dire de leur liberté d’expression, de leur droit culturel élémentaire. Ce que désigne l’indicateur, ce sont des personnes qui donnent sens et valeurs culturels aux musiques qu’ils pratiquent. Or, ces personnes n’apparaissent nulle part dans le dispositif d’évaluation. Elles sont les « invisibles » du service chargé de l’évaluation qui se contente de les « réifier » en les désignant à travers des catégories si arbitrairement déterminées de spectacles !

On peut aller jusqu’à affirmer que l’évaluation de cette politique culturelle va s’empêtrer dans le non sens, pour deux raisons : d’abord, on ne pourra jamais apprécier si l’objectif de garantir le pluralisme artistique et culturel est atteint en regardant les chiffres de cette liste. L’information demandée est sans intérêt pour l’objectif de politique culturelle annoncé. Comment oser dire qu’il y a « plus » de pluralisme parce que les bretons auront dix concerts de leur musique et les jazzeux vingt, les électro trente…. Et si les résultats sont inversés : dix pour les électro, trente  pour les  jazzeux, vingt pour les bretons , le pluralisme est-il « mieux » atteint ? Et si le breton est aussi un amateur d’électro et de jazz, et que son identité culturelle rend artificielle les différences entre ces musiques, la politique du pluralisme artistique a t-elle encore un sens ?

On se demande bien comment le service de l’évaluation va construire l’échelle des valeurs plus grandes ou plus petites du pluralisme artistique ?  Le dispositif donne une liste d’indicateurs mais il fait silence sur le sens qu’il leur attribue. Bel exemple d’évitement. Autrement dit, de manière plus générale, la liste des chiffres ne pourra jamais dire si le pluralisme est satisfait puisqu’aucun protocole négocié et explicite ne précise l’échelle des valeurs associées aux chiffres ; aucun protocole d’évaluation partagé avec les acteurs, et encore moins avec les citoyens, ne définit la relation entre les chiffres et l’objectif de pluralisme artistique. Ce sont donc les services de l’évaluation qui, au doigt mouillé, c’est à dire sans mettre en débat public leur propre échelle qui vont faire parler les chiffres ! Une évaluation de cartomancienne, pourrait-on dire, aussi sympathique qu’arbitraire !

Dommage pour le sérieux de l’évaluation dont la finalité est pourtant de mieux débattre des valeurs d’intérêt  général dans une démocratie qui réclame la transparence.

Le non sens est encore plus présent au niveau du principe même de construction de l’indicateur : il oblige les artistes à s’inscrire dans une catégorie. Au fond, le service de l’évaluation présuppose la valeur de conformité de l’artiste avec l’une des catégories. C’est presque comique de revendiquer le pluralisme artistique et de vouloir traduire cette réalité mouvante et incertaine dans des catégories de genre et sous genre fixées à l’avance. De surcroît, cette conception des indicateurs est porteuse de doutes politiques.

Supposons que des musiciens revendiquent de contrôler « l’authenticité » de telle catégorie et refusent violemment à d’autres musiciens de s’inscrire dans leur catégorie, sous prétexte  de « pureté culturelle » excluant toute « récupération » ? Ce débat sur l’authenticité des cultures a laissé des lourdes traces dans l’histoire de l’Humanité. Il a été tranché par l’Unesco dans la Convention  sur le patrimoine culturel immatériel mais notre service d’évaluation semble l’ignorer. En tout cas, la liste des indicateurs ne porte pas la marque de tels débats.

Le service d’évaluation pourrait éventuellement s’en sortir en disant que les indicateurs ne sont là que pour « informer sur la vie de la structure ». Le service réduirait alors sa mission à la collecte d’informations pour permettre à la ville de mieux communiquer sur ce qui s’y passe ou donner des éléments à l’administration municipale pour contrôler l’application des différents articles des conventions passées avec les structures. Mais, cette position ne peut absolument pas relever de l’évaluation puisqu’elle laisse confidentielle sinon secrète la relation entre la valeur de la politique publique de la culture (le pluralisme artistique) et les informations recueillies. Les indicateurs n’indiquent rien et n’indiqueront jamais rien tant que le service n’aura pas mis en place une véritable instance d’évaluation.

Le plus surprenant dans le dispositif de cette ville est sans doute le traitement de l’objectif de « démocratiser l’accès de tous à la culture ». L’indicateur est le chiffre de fréquentation et la répartition par catégories sociales du public. Le  dispositif ne prévoit aucune autre interrogation. En particulier, il refuse d’apprécier ce que « vaut » l’accès des personnes à la culture. Que le spectateur se soit « ennuyé », « épanoui », « passionné », « émancipé » ou autre, cela n’a aucune importance pour la dépense culturelle publique ! Tous les modes de fréquentation sont  équivalents par rapport à l’enjeu politique et l’évaluation est totalement indifférente à la valeur et au sens que le spectateur accorde à l’offre culturelle subventionnée. Pire encore, si l’on a bien compris, le service revendique cette exclusion du sens et de la valeur culturels donnés par les personnes ! On connaît l’argument : il ne revient pas à l’autorité publique de sonder les âmes et les désirs des spectateurs car la république exige une séparation stricte entre la sphère publique et la sphère privée. Le dispositif postule ainsi qu’il ne peut pas apprécier les effets de sa politique de démocratisation culturelle !

L’exemple de cette ville vaut pour bien d’autres et révèle que l’absence d’indicateurs est aussi lourd de significations : la finalité  » accès de tous à la culture » est un principe qui n’a pas à s’évaluer car sa valeur est au dessus de tout autre considération [4]. La finalité est inévaluable au sens ou aucune donnée ne  pourrait modifier le jugement de valeur qui la légitime. L’énoncé est donc un « dogme » indifférent à l’évaluation. Ainsi, par cet évitement, les acteurs de la politique culturelle pensent préserver leurs acquis et leurs secrets. Mais à l’heure où la question de l’évaluation devient une nécessité politique de survie de l’action publique, cette stratégie défensive est sans doute dangereuse. Une politique d’accès de tous à la culture est inévitablement une politique d’accès à la « bonne « culture et les jugements de valeur qui accompagnent les choix de cette politique culturelle ne peuvent plus reposer sur des dispositifs arbitraires.

Pourtant, la valeur de la culture dans la société démocratique a fait l’objet d’une autre approche qui place au centre de l’action publique la personne dans ses rapports au Vivre ensemble. L’évaluation est alors au point de départ de la politique culturelle puisqu’il s’agit de déterminer collectivement comment la diversité des cultures peut, par les inter-actions entre les identités culturelles, construire ou détruire la marche de la société vers « l’harmonie » et le « progrès ». Le débat politique sur les valeurs culturelles devient est alors permanent et impératif pour légitimer les interventions publiques de toute  nature vis à vis des différentes cultures. C’est dans cette voie que la France s’est engagée en ratifiant les conventions Unesco sur la diversité culturelle (en particulier celle sur le patrimoine culturel immatériel). Mais pour l’heure, le dogme de l’accès de tous à la « bonne » culture continue de l’emporter et avec lui l’évaluation est, au contraire, interdite et ses indicateurs ne sont que des sources taries de sens pour les politiques culturelles, nationales ou territoriales.

Jean Michel Lucas et doc Kasimir Bisou

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[1] Luca Dal Pozzolo  : »Réseaux, systèmes, milieux : les défis de l’analyse et de l’évaluation ». Osservatorio culturale del Piemonte.

[2] Un bon exemple se lit aussi dans « l’agenda culturel européen » où la preuve de l’importance de la culture est donnée par un chiffre d’emplois (5 millions de personnes travaillent pour le secteur culturel en 2004) et par un indicateur de ventes de marchandises (le secteur culturel a contribué pour environ 2,6 % du PIB de l’Union). Le débat est clos  : les chiffres ne mentent pas et il faut tirer la conséquence en terme de politique publique : les faits montrent l’importance de la culture  et c’est pour cela,  nous dit l’agenda européen, qu‘il convient de favoriser la contribution de la culture à la promotion de la créativité  et de l’innovation ». L’indicateur chiffré devrait ici comme ailleurs imposer sa belle mécanique à la décision, (au point  même que le Syndeac a repris ces chiffres alors que la conception de la culture qui les sous tend  n’a rien à voir avec celle des acteurs  adhérents de ce syndicat !).

[3] Voir sur le site de l’irma les deux textes  : « Politique culturelle et évaluation : la question des finalités » et « Hétérogénéité, complexité et évaluation en politique artistique et culturelle », http://www.irma.asso.fr/Jean-Michel-Lucas

[4] On renvoie ici à  François Dubet dans « Le déclin de l’institution » .

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1ère Conférence Régionale du spectacle vivant

opéra de Lyon

Le Ministère de la Culture avait choisi Rhône-Alpes (et plus précisément l’Opéra de Lyon) pour lancer les « Conférences régionales du spectacle vivant », actées dans les conclusions des Entretiens de Valois en décembre 2008 (mais dont le principe avait déjà été avancé dans le Rapport Latarjet d’avril 2004, cf. page 157). Le choix de Rhône-Alpes n’est peut-être pas un hasard. La région a en effet été pionnière dans l’aventure de la décentralisation théâtrale et chorégraphique, et compte un nombre important d’institutions, de festivals mais aussi d’artistes (1 000 ensembles et Cies professionnelles, 12 000 intermittents, 3 600 permanents).

Prévue initialement début juillet en présence de Christine Albanel, cette instance de concertation entre l’ Etat, les collectivités territoriales et les professionnels avait été reportée au 10 septembre en raison du remaniement ministériel. Las ! Le Conseil de la création artistique (Marin Karmitz) remettait le même jour à Paris ses premières propositions au chef de l’Etat en présence du Ministre de la culture…Celui-ci avait donc boudé Lyon et chargé Georges-François Hirsch, le Directeur de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles (DMDTS), d’animer la réunion.

Mais l’annonce le matin même, par ce Conseil de la création, de financements pour des expérimentations très parisiennes, avant même que les Conférences régionales du spectacle vivant ne se soient mises au travail, a jeté un froid et occupé la scène. Ainsi Jean-Jack Queyranne, président de la Région Rhône-Alpes, a émis « de sérieuses réserves sur ces opérations ponctuelles et événementielles, toutes pilotées de la Capitale ». Pour lui, c’est « l’avènement du bling bling culturel ! ». Georges Képénékian, l’Adjoint à la culture de Lyon, a estimé qu’un Etat-partenaire et non plus seulement prescripteur supposait un climat de confiance : or comment comprendre qu’avant même ce « diagnostic partagé des forces et faiblesses de la région » à l’ordre du jour, on découvrait des décisions déjà prises par ce Conseil de la création artistique ? Jean-Paul Bady (Synavi) tout comme Bertrand Furic pour le SMA s’inquiétèrent du coût des opérations financées par ce Conseil au moment où le Ministère s’étiole. Jean-Paul Angot (Scène nationale de Chambéry) pour le Syndeac contesta le mode opératoire de ce Conseil dont son syndicat souhaite la dissolution. Jean-Claude Bérutti (Comédie de St Etienne), persuadé que nous vivons la fin d’une histoire, s’est dit attristé de ces « dix idées » qui occupent l’espace médiatique alors que « nous avons à passer une porte étroite ».

A l’issue du propos liminaire de Georges-François Hirsch, Alain Lombard, Directeur régional des affaires culturelles, proposa quelques objectifs :

  • Harmonisation de l’offre culturelle sur le territoire régional;
  • Rééquilibrage disciplinaire (fragilité de la danse et des musiques actuelles sur certains territoires);
  • Clarification des compétences et répartition des moyens financiers de la DRAC et des collectivités;
  • Réflexion sur les objectifs à mener ensemble.

Il proposa ensuite de faire vivre, d’octobre 2009 à juin 2010, des groupes de travail (quatre, puis finalement six à l’issue du débat). Ils porteront sur les thèmes suivants :

  1. un diagnostic partagé à partir d’études concrètes financées par l’Etat, qui pourraient être confiées à la NACRe ; le groupe de travail établira le cahier des charges de ces études.
  2. L’aménagement culturel du territoire et le renforcement des institutions labellisées;
  3. Le renforcement des partenariats internationaux (transfrontaliers);
  4. Les outils d’évaluation communs des politiques culturelles;
  5. Les équipes indépendantes et le soutien à l’émergence;
  6. L’égalité homme/femme dans le spectacle vivant.

Une nouvelle Conférence régionale du spectacle vivant se tiendra à l’automne 2010. A la fin de l’année 2010, le Conseil des collectivités pour le développement culturel serait ensuite saisi des propositions émanant des Conférences régionales du spectacle vivant.

Dans son intervention, Jean-Jack Queyranne rappela qu’en Rhône-Alpes il y avait une tradition de véritable coopération entre toutes les collectivités publiques, et que la Région y avait pris toute sa place en prenant un certain nombre de mesures (doublement de son budget culturel sur le mandat, signature avec l’Etat d’un Contrat d’objectifs emploi-formation, création du FIACRE, soutien accru aux 37 scènes régionales et festivals…), mais surtout en conduisant depuis 5 ans une expérience analogue à celle de cette Conférence régionale du spectacle vivant ! (concertation régionale en 2005 et réunion-bilan annuelle).

C’est un peu le paradoxe de cette histoire. L’Etat semble aujourd’hui vouloir reprendre le pilotage de ce secteur alors que la Région Rhône-Alpes a entre temps montré sa capacité à  jouer ce rôle de médiation entre les différents acteurs (collectivités et acteurs artistiques). C’est pourquoi Jean-Jack Queyranne, tout en souhaitant que le Ministère retrouve sa vocation initiale (garant du pluralisme de la création et de la diversité culturelle), a indiqué que les Régions seraient prêtes à assumer pleinement le rôle de chef de file pour la création artistique (animer le débat, organiser la coopération des institutions et la mise en œuvre des procédures). Peu favorable à une loi d’orientation (prônée par le Syndeac), il s’est montré en revanche favorable à l’élaboration d’une « Charte pour le spectacle vivant et la création artistique », à l’image de la charte pour l’environnement.

Un certain nombre d’élus, notamment de Conseils généraux (Olivier Peverelli pour l’Ardèche et Jean-Paul Rodet pour l’Ain) se sont inquiétés des menaces pesant, dans l’attente de la Réforme territoriale, sur les compétences culturelles des Départements et des Régions et la perte des financements conjoints, avec le risque de suppression de la clause de compétence générale mais aussi des moyens qu’ils leur resteront pour financer une politique culturelle (Olivier Peverelli a rappelé le rôle du Département comme relais en milieu rural en l’absence d’un réseau fort de villes moyennes).

De nombreux signes  nous font dire que le service public de la culture connaît une crise profonde et multiforme. Espérons malgré tout, à l’issue de cette première Conférence régionale du spectacle vivant qui a vu s’exprimer tous ceux qui le souhaitaient (parfois de façon âpre mais toujours dans le respect de l’écoute des autres), qu’au-delà des commissions, diagnostics partagés, dispositifs et procédures, c’est finalement une offre riche, diversifiée et équilibrée qui pourra continuer d’être proposée au plus grand public, grâce à la vivacité de nombreuses équipes de création.

François Deschamps

Source : Lettre d’info du Réseau Culture de Territorial n° 222 du 13/09/2009,

Pour consulter directement cet édito sur Territorial, cliquez ici.

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Johannesburg 2009

Art SummitLe 4e Sommet mondial sur les arts et la culture se tiendra à Johannesburg (Afrique du Sud) du 22 au 25 Septembre 2009 sur le thème « Rencontre des cultures : créer du sens à travers les arts ».
Le Conseil national des arts d’Afrique du Sud et la IFACCA (Fédération internationale des Conseils des arts et agences culturelles) accueilleront la cérémonie d’ouverture.
Le Sommet intégrera la Journée du patrimoine de l’Afrique du Sud le 24 septembre, et les délégués auront l’occasion d’assister tout au long de la semaine aux representations d’Arts Alive – festival annuel d’art et de culture de Johannesburg.
Les sommets mondiaux de l’IFACCA sont des événements triennaux qui permettent aux Conseils nationaux des arts, Ministères de la culture et autres agences de discuter des principales problématiques relatives au soutien public pour l’art et la créativité.

Pour plus d’informations et inscription en ligne : http://artsummit.org

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Nouvelle dynamique espagnole

Ministerio-CulturaLe Conseil des ministres espagnol a approuvé le 31 juillet dernier un arrêté royal relatif à la création du Réseau des Musées en Espagne, une structure de coordination entre l’État et les musées publics et privés, de coopération entre les autorités publiques dans le domaine des musées et de promotion en vue de l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience de tous les musées et les institutions qui y participent. Bien que la Loi sur le patrimoine historique espagnol se réfère au système espagnol des musées, le Réseau des Musées d’Espagne, des différentes administrations publiques et des institutions en charge des musées a pour principal objectif d’organiser la coopération pour améliorer les compétences nationales et internationales d’excellence en soutenant les meilleures pratiques des musées.

Il est important de noter que cet arrêté royal est le fruit d’une proposition conjointe des ministres de la Culture, de la Défense, du deuxième Vice-Ministre et Ministre de l’Economie et des Finances, de l’Intérieur, des Travaux publics, du Logement et de la Science et l’Innovation. 
A bien regarder la gouvernance de cette nouvelle structure, on rêverait de voir les musées faire l’objet d’une telle cohésion gouvernementale et interprofessionnelle en France.

L’arrêté royal crée en effet le Conseil des musées, organe administratif dédié à ce nouveau réseau, où siègent : les membres représentant les ministères du Tourisme, de l’Industrie, de la Culture, du Commerce et du Tourisme et un représentant de chacun des ministères et organismes de l’Administration générale de l’État auxquels les musées du réseau sont affiliés. La Fédération espagnole des municipalités et des provinces, en association avec des autorités locales ont également désigné un représentant et un autre a été désigné par les organisations rassemblant les personnes handicapées et leurs familles, accessibilité oblige. Un autre représentant désigné par le Secrétariat général de la politique sociale et de la consommation ainsi qu’au moins un représentant des musées ont également été intégrés dans le Conseil des musées.

Globalement, les fonctions du musée qui sont projetées par ce nouveau réseau sont définies par des critères généraux d’excellence, sur la base des lignes directrices émises par le Conseil international des musées (ICOM), ainsi que les déclarations et accords signés par l’Espagne sur les musées.

Pour chaque musée, le Conseil nomme un Comité technique d’évaluation interdisciplinaire, apte à décider de l’incorporation dans au réseau.

L’ensemble du dispositif vise à renforcer l’attractivité des musées espagnols mais aussi et surtout à améliorer leur intégration dans la récente stratégie de développement de l’attractivité du pays. Fascinant et tellement irritant. Fascinant de voir la dynamique collective et politique qui vient d’être démultipliée grâce à ce réseau espagnol. Irritant lorsqu’on songe aux difficultés connues de longue date entre la RMN et la DMF, difficultés exacerbées par la RGPP et dont on craint l’issue. Doublement irritant lorsqu’on songe à l’avantage concurrentiel considérable que les musées français possèdent depuis si longtemps, à la qualité de leur offre, à la richesse de leur patrimoine et de leurs collections, au dévouement, à l’opiniâtreté, l’inventivité et la débrouillardise de leurs équipes.

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New York : la soutenabilité des musées

MetNous évoquions récemment sur CEG la délicate problématique de la soutenabilité des musées en prenant le cas des musées de l’Ontario, dont la réussite actuelle est le fruit de longues années de gestion rigoureuse. La question de la gouvernance des politiques culturelles comme non déconnectée des autres domaines de la gestion de la vie économique de la ville de Toronto et plus largement de la province, est apparue comme exemplaire et a inspiré ces dernières années plusieurs institutions d’Amérique du Nord.

En revanche, si la résistance de certaines d’entre elles face à la crise financière est le signe de cette bonne gestion qui mérite d’être soulignée, l’ensemble des dernières analyses économiques de la conjoncture (majoritairement américaines, canadiennes,  britanniques et australiennes) voient l’impact de la crise financière toucher de plein fouet le secteur des institutions culturelles (les musées notamment) avec une ampleur qui laisse apparaître au grand jour des mauvaises pratiques de gestion où la spéculation financière a également exercé son pouvoir de fascination.

Qu’il s’agisse de la spécificité du système culturel des Etats-Unis où des politiques culturelles de tradition plus keynésiennes, la crise a mis un temps plus ou moins long pour toucher structurellement les institutions culturelles. L’exemple new-yorkais est riche d’enseignements et démontre que lorsque la culture s’intéresse de trop près au marché (et inversement) il y a de nouveaux risques à prendre en compte et qui peuvent menacer la pérennité des institutions.

Pour comprendre comment certaines institutions très prestigieuses de la ville de New York en sont arrivées là, il convient d’observer le contexte des derniers 12 mois.

Temple de la finance internationale, place forte du marché de l’art et métropole créative par excellence, New York est la ville classée n°1 dans le monde, juste devant Londres et Paris, pour son attractivité économique. Ce classement dévoilé par l’étude réalisée par PWC « Cities Opportunity: Business-Readiness Indicators for the 21st Century », n’est évidemment pas une surprise. C’est dans la manière dont New York a construit sa position dominante que s’explique l’impact catastrophique de la déconvenue qui touche désormais si violemment ses grandes institutions culturelles.

Bulle spéculative après bulle spéculative, tant que le système financier a marché, la richesse générée a notamment permis à New York de ravir le leadership du marché de l’art à Paris au milieu des années 1980. La majorité des acteurs de la ville ayant une mission culturelle en ont bénéficié. Mais depuis que la mécanique s’est grippée à force jouer avec les risques, ce qui apparaît est particulièrement éloquent lorsqu’on observe l’évolution et l’état des dotations culturelles de l’année 2008. La manière dont elles ont été gérées traduit la domination de la dimension financière dans l’économie des institutions culturelles.

Compte tenu du fait que l’objectif d’investissement fait à partir des dotations culturelles est de préserver le capital, on doit s’interroger sur les solutions existantes pour faire face à des baisses de 35%, en marge des actions irresponsables de certains investisseurs stigmatisés depuis l’affaire Bernard Madoff.

Une partie de la cause et de la réponse se trouve peut-être du côté des gestionnaires de portefeuilles contenant les fonds dits non marchands, comme Communfund qui a débuté son activité grâce à un premier fonds provenant de la Fondation Ford en 1969 et qui s’occupe aujourd’hui de centaines d’institutions non marchandes, avec 40 milliards de dollars d’encours à son compteur pour l’année 2007.

Le grand changement de ces dernières années se trouve dans le fait que les fonds des institutions gérés par Communfund ont été « encouragés » à chercher le retour sur investissement complet, avec leur capital et leurs dotations, au lieu de préserver leur capital et les revenus issus de ses dividendes par exemple.

Les spécialistes de chez Communfund expliquent en effet que depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les principes du management de l’investissement provenant du non marchand étaient par définition non spéculatifs. Traditionnellement pétris de prudence, ces principes ont progressivement mais sûrement évolué : de stratégies d’évitement systématique des investissements à risque, nous sommes passés à des stratégies qui visent à contrebalancer un risque en le diluant dans d’autres de sorte que les effets s’annulent dans la globalité. A partir de ce moment-là, pour retirer les bénéfices issus d’investissements à long terme, il convenait de faire des investissements qui comportent un niveau de risque plus élevé.

C’est ainsi que les fonds issus de l’allocation des dotations de certaines grandes institutions culturelles new-yorkaises ont été déplacés vers des produits à plus forte volatilité, des titres étrangers, des placements dits « alternatifs » et même vers des produits appelés « toxiques » depuis la crise du crédit aux Etats-Unis.

Pendant la période dorée de cette finance dérégulée, ces stratégies se sont avérées extrêmement payantes et ont permis d’importantes augmentations de budgets pour les institutions culturelles, favorisant ainsi leur logique de développement et d’expansion.

Mais depuis l’apparition de la crise financière et économique, ces institutions sont touchées de plein fouet et font la preuve de leur grande vulnérabilité.

De la gestion historique prudentielle aux prises de risques de ces dernières années, on commence à comprendre que de très mauvaises habitudes ont été prises au fil du temps et les dégâts sont particulièrement visibles à New York.

Les analystes savaient depuis plusieurs mois que les fondations, les œuvres caritatives et les dotations des institutions culturelles de la ville allaient perdre de l’argent mais on découvre (ou on fait mine de découvrir) que les pertes atteignent entre 25 et 40%. Dans certains cas, on commence à comprendre que 85% de l’argent investi par ces acteurs s’est fait sur des placements qui ne correspondent à rien d’autre qu’un pari risqué.

Dans les toutes premières semaines de l’année 2009, les structures culturelles et artistiques ont commencé à annoncer les pertes de leurs dotations et les mesures qu’elles entendaient prendre pour tenter de maintenir l’équilibre budgétaire. Les rapports et les compte-rendu qui sont sortis les uns après les autres, semaine après semaine, ont permis de réaliser que l’équilibre du secteur des institutions culturelles était non seulement rompu mais que leur soutenabilité était en train de voler en éclats.

En février, l’annonce a été faite par James R. Houghton (président du conseil d’administration du Metropolitan Museum). Elle fut pour le moins renversante : une perte de 700 millions de dollars sur les 8 mois qui précédaient, une baisse de 25% de la dotation la ramenant sa valeur à 2,1 milliards de dollars. Compte tenu du fait que l’investissement représente 30% des sources abondant le budget de fonctionnement du musée, cette annonce a sérieusement amplifié les inquiétudes, d’autant  que la ville de New York a réduit sa participation de 1,7 millions et a informé le musée qu’une nouvelle baisse de 2,4 millions interviendrait sur la prochaine année fiscale.

Le musée a pris des mesures sans précédent pour essayer de maintenir la tête hors de l’eau en effectuant des coupes franches dans les postes de dépense, notamment en gelant sa politique de recrutement, en supprimant les emplois temporaires et les vacations et en limitant drastiquement les frais de déplacements.

En mars, les pertes estimées ont à nouveau augmenté de 100 millions et un plan de réduction de la masse salariale de 10% a été annoncé pour juillet, soit 250 emplois, ce qui correspond au premier plan de licenciement depuis la crise fiscale du début des années 1970.

En juin, les pertes avaient continué d’augmenter pour atteindre un tiers de la valeur de la dotation du musée. Une politique de rigueur a donc été instaurée pour les deux années fiscales à venir et son porte parole Harold Holzer a indiqué que même si la progression des pertes s’interrompait, la situation continuerait de s’aggraver sur 2011 du fait de la structuration pluriannuelle de la répartition des revenus (sur 20 trimestres).

Brooklyn museumCes mauvaises nouvelles ne concernent pas que le Met. Le 21 avril dernier, le directeur du Musée de Brooklyn a dévoilé une situation proportionnellement encore  plus dégradée : la dotation du musée a perdu 35% pour n’atteindre que péniblement les 65 millions. Depuis la fin de l’année fiscale 2008 du musée, la ville de New York a réduit son apport de 32%, ce qui constitue une perte de 2,31 millions. Les adhésions et les abonnements ont chuté de 20% dans les premiers mois de l’année 2009, ce qui constitue une décrue sans précédent. Les revenus annuels des deux plus importantes levées de fonds ont diminué de 35% début 2009. Les recettes des boutiques et du parking du musée se sont littéralement effondrées.

Pour tenter d’enrayer cette situation, les administrateurs du musée ont accepté de maintenir voire d’augmenter leur niveau de contribution financière. Mais cela ne se ferait pas à n’importe quel prix. Pendant ce temps-là, le musée a en effet gelé les embauches, réduit les déplacements des équipes, augmenté le tarif d’entrée adulte de 2$, donné une semaine de congés non payés pour les salariés cet été, des réductions de salaires ont été demandées et des mesures d’accompagnement au départ ont été proposées, une importante exposition prévue à l’automne a été annulée et le musée fermera en septembre une de ses trois galeries d’expositions temporaires.

Ces mesures prises par le Brooklyn Museum visent à limiter les dégâts mais par leur teneur on prend conscience du niveau de dégradation de la situation.

La vision du directeur du musée est d’autant plus au fait des challenges à venir qu’il est aussi président du Groupe des Institutions Culturelles, un comité qui rassemble 34 musées et lieux de consommation culturelle de New York (dont le Met, l’Académie de Musique de Brooklyn et le Musée Américain d’Histoire Naturelle). Tous les membres de ce comité sont situés sur des terrains détenus par la ville et reçoivent des fonds en échange de leur action et de leurs services culturels, d’où l’inquiétude des membres face à l’importance et la fréquence des baisses de financement de la ville.

Alors que de nombreuses organisations et institutions autrefois considérées comme des piliers de l’offre culturelle et des modèles de stabilité sont désormais dans un état de fragilité extrême, celles qui étaient déjà en difficulté lorsque la crise financière survint (parmi celles-ci, l’opéra de la ville, du Metropolitan opéra, du zoo du Bonx et la NAMSFA) pourraient bien devenir des souvenirs et des espoirs du passé.

Ce type de gestion est peu visible depuis la France. Notre regard demeure hélas trop ethno centré et ce notamment du fait de l’excellence historique de notre politique d’offre. La part du financement public dans notre système est proportionnellement nettement supérieure à celle que les Etats-Unis connaissent et de nombreux sociologues américains nous envient notre niveau de dépense culturelle publique par habitant.

Mais ne serait-il pas plus prudent d’observer plus en profondeur la situation new-yorkaise pour prévenir certains modes de gestion à l’heure où le partenariat public-privé s’installe comme la nouvelle norme dans nos politiques publiques ?

Il nous paraît vital et primordial de savoir de quelles règles de transparence nous disposons pour engager l’avenir de nos institutions culturelles à travers les réformes en cours et pour pouvoir en maîtriser les risques. Car si le discours ambiant prône plus de régulation, la tendance lourde engagée un peu partout est un réformisme purement adaptatif par rapport à l’évolution du système social et économique mondialisé.

Ces règles de transparence doivent désormais s’inscrire au même titre que les règles de performance dans la gouvernance des institutions et des politiques culturelles.

Ceci est d’autant plus urgent pour trois raisons :

  • l’Etat a engagé, notamment via la RGPP, une réforme qui à court terme fragilise le système et l’écosystème culturel tout en y préparant une partie à la compétitivité qui sera nécessaire pour les défis de demain ;
  • les collectivités territoriales et locales, dont la part dans le financement de la culture est considérable, ont un niveau d’endettement en forte augmentation alors qu’il était extrêmement faible en 2007 et nous avons déjà évoqué la « toxicité » et donc la grande sensibilité aux aléas de certains produits contractés ;
  • les indicateurs culturels ont commencé à se dérégler : la fréquentation touristique stagne, pour ne pas dire qu’elle baisse, les chiffres de fréquentation des manifestations et des équipements culturels sont pour le moins disparates et fluctuants, la consommation dans les industries culturelles baisse et de manière très préoccupante dans certains secteurs.

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Atout France, opérateur unique du tourisme

Atout FranceLe projet de loi de modernisation et de développement des services touristiques, adopté par l’Assemblée nationale le 8 juillet, vient compléter les missions d’Atout France, l’agence de développement touristique de la France, née du rapprochement entre Odit France et Maison de la France et mise en place en mai 2009.

Cet opérateur unique de l’Etat doit permettre la mise en œuvre d’une politique publique du tourisme plus coordonnée et plus efficace, notamment pour mieux promouvoir à l’étranger la France comme destination de tourisme. Suite à l’adoption de la loi du 8 juillet, l’agence exercera en outre des missions d’intérêt général dans le domaine du classement hôtelier et de la tenue du registre des opérateurs de voyages.

La création d’Atout France s’inscrit dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a déjà donné lieu à la fusion de la direction du tourisme au sein de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) au ministère de l’économie.

Le projet de loi de modernisation et de développement des services touristiques est destiné à moderniser durablement le secteur du tourisme en mettant en œuvre des réformes structurelles pour permettre au secteur d’accélérer son développement.

Le communiqué du 8 juillet sur le site du ministère de l’économie.

Le communiqué de création d’Atout France (19 mai 2009)

Source : site de la RGPP.

N’hésitez pas à commenter cette information car, les spécialistes du secteur le savent (voir ici), les aspects législatifs qui viennent d’être mis en place modifient fortement la donne et constituent une étape stratégique pour la suite, notamment pour la marque France. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans un post dédié à cette question, dès la rentrée.

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Culture, politique et politiques culturelles

Cinquantenaire

Dans le cadre de la célébration du cinquantenaire du ministère de la culture et de la communication, le Comité d’histoire organise les 13, 14 et 15 octobre 2009 au Théâtre National de l’Opéra Comique un colloque international intitulé « culture, politique et politiques culturelles », placé sous la présidence scientifique de M. Elie Barnavi, historien, conseiller scientifique auprès du Musée de l’Europe (Bruxelles) et ancien ambassadeur d’Israël en France.

Un site Internet dédié à cet événement a été créé pour que vous puissiez vous y inscrire et retrouver tous les détails concernant ce colloque : programme, inscription en ligne, liste des intervenants, informations pratiques,…

Pour y accéder et confirmer votre participation, veuillez cliquez ici.

Attention, les inscriptions sont à renvoyer au plus tard le 25 septembre 2009.

Source : Ministère de la Culture et de la Communication.

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Clôture des Entretiens de Valois

logoMCCFrédéric Mitterrand a clos le jeudi 9 juillet dernier les Entretiens de Valois, hélas sans qu’un écho suffisant n’ait été donné à cette réunion. Il s’agissait de dresser un bilan des résultats obtenus sur toute la période où les Entretiens de Valois se sont déroulés, à savoir entre le 11 février 2008 et le 30 janvier 2009.

Suite aux réformes annoncées en Conseil des ministres le 18 février 2009, les Entretiens se sont poursuivis sous la forme de réunions du « comité des Entretiens » pour s’achever jeudi 9 juillet 2009.

Lors de la réunion de cette clôture, trois mesures importantes ont été annoncées :

  • un partenariat refondé avec les collectivités territoriales et les professionnels : des « Conférences du Spectacle vivant » vont être instituées de façon à ouvrir un espace de concertation sur les politiques publiques dans le domaine du spectacle vivant au niveau régional ;
  • une clarification de l’action de l’Etat à travers ses dispositifs de financement et ses réseaux : Tous les textes cadre précisant les missions et les engagements de chaque établissement labellisé ont été revus ;
  • une meilleure prise en compte des questions d’emploi et de formation : les actions de structuration et de professionnalisation vont se poursuivre.

Les prochains chantiers. L’ensemble des participants à la réunion du « comité des Entretiens » du 9 juillet se sont accordés sur la nécessité de pérenniser le procédé pour aborder notamment les chantiers suivants :

  • des instances régionales de régulation et de coordination qui fonctionnent ;
  • des engagements réciproques entres structures et collectivités publiques ;
  • des spectacles mieux diffusés ;
  • des crédits davantage consacrés à favoriser l’émergence des talents et l’épanouissement de la création ;
  • une approche européenne du secteur ;
  • une prise en compte volontariste des questions relatives à l’emploi et à la formation.

Reste à savoir désormais dans quelle mesure ceci peut être intégré dans le contexte actuel de mise en œuvre de la RGPP pour le ministère, car cela ne nous est pas expliqué.

Par ailleurs, pour faire un parallèle avec l’excellente analyse de Xavier Greffe et de Sylvie Pflieger récemment parue à la documentation française, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence des mesures qui visent transférer des compétences tout en maintenant l’omniprésence régalienne et normative du ministère alors que celui-ci procède à un recentrage budgétaire et stratégique sans précédent.

Il faudrait notamment s’interroger sur l’avenir de la fameuse sanctuarisation du spectacle vivant (sanctuarisation relative pour 2010 vu que la baisse des budgets accordés au spectacle vivant est d’au moins 35 millions d’euros) puisque d’un côté nous avons des professionnels qui veulent aller plus loin et de l’autre un ministère qui tente d’initier courageusement une meilleure articulation entre les différentes compétences en jeu à tous les échelons. Au final tout ceci pourrait bien aller dans le même sens mais attention au risque de parallélisme porteur de dissonance cognitive et quiproquos potentiels lourds de conséquences.

On peut enfin se demander si la consultation des différents échelons territoriaux à compétence culturelle (tout au moins leurs instances) n’aurait pas été un meilleur moyen de gagner du temps, notamment si on veut aborder sereinement la « clarification de l’action de l’Etat à travers ses dispositifs de financement et ses réseaux ». En effet, refonder le partenariat avec les collectivités territoriales et les professionnels avec des « Conférences du Spectacle vivant » à l’échelon régional peut sembler insuffisant pour aboutir rapidement à cette clarification. Mais dans cette affaire le ministère de ne pèche pas par excès de prudence, la méthode choisie a permis de désamorcer une situation très tendue et de préparer la phase suivante avec les collectivités. La Région étant l’échelon qui vise à jouer un rôle de coordination de plus en plus important, il est utile d’être au clair sur ce niveau avant d’entrer dans le détail des nombreuses problématiques liées au financements croisés. Espérons notamment que ceci soit débattu sur le fond lors du colloque « Culture, politique et politique culturelle » qui sera bientôt annoncé dans le cadre de l’année du cinquantenaire du ministère. En tout état de cause, espérons au moins que ce sera le moment pour enfin nous expliquer ce qui est véritablement en jeu, en cours et en devenir.

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Dépense culturelle en 2006/2

Nouveau-logo-FORUMLe 16 juin dernier un point presse était organisé par le Forum pour la gestion des villes afin de présenter les résultats de l’étude réalisée par l’observatoire SFL-FORUM pour le Ministère de la Culture et de la Communication : « Les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2006 : près de 7 milliard d’euros pour la culture », menée en 2008 auprès de tous les départements et régions, des échantillons représentatifs des communes de plus de 10 000 habitants et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.

Au moment de la publication de l’étude en avril dernier, le Ministère de la Culture et de la Communication avait indiqué que si, en 2006, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales avait encore une incidence limitée sur les transferts de compétences aux différents échelons territoriaux, elle a pu favoriser le transfert des compétences culturelles aux groupements de communes. La commande et le calendrier de l’étude ne permettaient pas en effet de couvrir la période la plus récente mais les indications sont tout de même extrêmement significatives. En résumé :

  • Les collectivités locales sont les premières sources de financement public de la culture (4,4 milliards d’euros pour les communes, 1,3 milliard pour les départements, 840 millions pour les groupements à fiscalité propre et 556 millions pour les régions) ; à titre de comparaison, le budget 2009 du Ministère de la Culture s’élève à environ 3 milliards d’euros.
  • L’intercommunalité culturelle monte en puissance dans les domaines traditionnels d’action des communes (bibliothèques, théâtres…).
  • Les dépenses départementales restent assez stables (+3% par an entre 2002 et 2006).
  • Les dépenses régionales sont en augmentation (+12% par an entre 2002 et 2006).
  • Les communes et les intercommunalités s’imposent comme des acteurs de proximité (école de musique et de danse, bibliothèque et médiathèque, musée…). Il s’agit essentiellement de dépenses culturelles directes (dépenses de personnel et charges à caractère général).
  • Les départements et régions sont les principales sources de financement d’équipements culturels via leur politique de subventionnement avec des volumes de subventions identiques pour les deux niveaux de collectivités.

Afin de valoriser les résultat de cette étude, le Forum devrait également entreprendre à l’automne un Tour de France (8 étapes prévues dans toute la France) dans le but d’engager le débat au sein des collectivités sur le rôle de la Culture et des politiques qui y sont consacrées.

D’un point de vue plus général, il convient de noter que la comparaison est intéressante avec le premier dossier qui avait été publié en 2000 par le Ministère. En termes d’évolution, l’analyse comparée est très parlante.

Il convient d’ajouter quelques éléments par rapport au contexte dans lequel se publie cette étude.

S’il n’est pas étonnant d’un point de vue quantitatif que les dépenses culturelles des collectivités soient près de deux fois supérieures à celles du Ministère, les perspectives sont tout de même relativement incertaines dans un terme de 3 à 4 ans. En effet, depuis fin 2007 et tout au long de l’année 2008, les transferts de compétences se sont fortement accélérés. La relative accalmie pour les Communes, due au lancement effectif des projets de début des mandats municipaux, ne doit pas occulter que les transferts de compétence correspondent à des transferts de charges dont l’impact ne tardera pas à se faire sentir sur les capacités d’investissement des collectivités, à moins qu’une meilleure redistribution des compétences et des moyens ne s’opère dans de nouvelles logiques où le partenariat devient une mécanique incontournable.

Il est également important de ne pas négliger que la plupart des Communes ont engagé des réductions importantes de dépenses qui se répercutent aussi sur leur dépense culturelle. Pour ne prendre que l’exemple de Paris, c’est une économie de 400 millions d’euros qui doit être faite pour boucler la mandature. Toutes les directions y compris la culture sont évidemment appelées à contribuer à l’effort. Mais point de défaitisme car la culture est une source de dynamique territoriale dont la valeur ajoutée est de mieux en mieux prise en compte.

En tout état de cause, la récente crispation des dépenses culturelles des collectivités ne doit pas occulter les trois enjeux majeurs se profilent :

  • le renforcement de la dimension intercommunale (dont le transfert de la compétence « culture » est optionnel et pose tout de même la question de la gouvernance d’un point de vue technique comme d’un point de vue politique) ;
  • le retour en force attendu de certains Conseils Généraux (il est évident qu’en matière de politique culturelle, il s’agit probablement de l’échelon administratif, territorial et politique le plus délicat et le plus menacé. Ceux qui ont une tradition forte dans ce domaine vont prendre des initiatives significatives et ambitieuses dans un très court terme, pour les autres il est à craindre qu’il soit trop tard) ; n’oublions pas tout de même que sur la période de cette étude le flux le plus important part des départements en direction des communes : 93,7 millions d’euros, soit 40,60% des 230 millions de subventions intercollectivités ;
  • l’impact de la RGPP sur la réorganisation du Ministère, de ses orientations, de ses moyens et de son action, quels que soient les choix futurs du nouveau ministre.

Même si cette étude remarquable fera date, notamment par la qualité de la mission du Forum pour la gestion des villes et du travail de Nicolas Laroche et David Pereira, on ne peut s’empêcher (effet psychologique de la crise oblige) de craindre qu’elle constitue le témoignage d’une situation donnée à un instant t que beaucoup regrettent déjà. En revanche, elle tombe à pic car elle confirme pour l’Etat que la réforme engagée va dans le bon sens, à condition que les nouveaux paradigmes qui s’annoncent soient bien ceux visés et assumés. Or la concrétisation de ceux-ci n’est pas encore aboutie.

Certains hurleront à la manipulation politique de l’Etat pour légitimer certains choix mais nous nous garderons de commenter ces aspects là pour le moment. L’histoire, le contexte et la genèse des réformes sont à la fois plus complexes et plus simples que cela, nous aurons l’occasion d’y revenir.

Ce qui est certain, c’est que cette étude est un instrument salutaire, une contribution importante qui vient combler un manque en la matière. L’Etat et les Collectivités sauront en faire bon usage. Indubitablement, il conviendrait d’en faire un baromètre plus récurrent, à l’heure où la contribution de la culture dans l’économie nationale et locale est de plus en plus grande (et souhaitée comme telle). Il pourrait ainsi être mis en comparaison avec les études sur l’impact économique et social des politiques culturelles, sujet sur lequel nous aurons également l’occasion de revenir prochainement.

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Partenariat à réinventer

OPCUne nouvelle réforme de la décentralisation est annoncée par les travaux conduits par la commission Balladur. Cette annonce vient cependant ajouter une inquiétude supplémentaire à un moment où la crise financière mondiale et les lourdes charges qui pèsent sur les collectivités fragilisent le devenir des politiques culturelles territoriales. Les collectivités ont montré jusqu’à aujourd’hui leur capacité à construire de véritables politiques culturelles. Une nouvelle étape de décentralisation peut-elle être une opportunité pour inventer un nouveau partenariat entre l’État et les collectivités territoriales et entre les collectivités territoriales elles-mêmes ?

C’est ce que propose d’aborder le 17 juillet prochain l’Observatoire des Politiques Culturelles, en partenariat avec la FNCC et le Festival d’Avignon.

Pour s’inscrire, cliquez ici.

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