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Sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles / 2

Pour prolonger et enrichir le débat, nous avons le plaisir de publier la deuxième partie de la note de Jean-Michel Lucas sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dans le cadre de l’audition du 18 juin à la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale.

jean-michel_lucas_opinionC- Pour dépasser ces difficultés, on doit envisager une autre perpective pour définir l’enjeu culturel public dans les territoires.

1 – Pour cela, il faut certainement éviter de revenir en arrière en renforçant le pouvoir de contrôle et d’expertise des services du ministère de la culture,  pour la raison simple que les collectivités ont progressivement recruté des professionnels aux compétences similaires à celles des agents des Drac.  [3]

2-  La seule perspective de changement est ailleurs  mais elle nécessite une autre approche de l’enjeu culturel public.

Je la formulerai ainsi : la loi devra permettre à chaque collectivité de réaliser, librement, ce qui lui semble conforme à l’intérêt local,  à la condition de respecter des principes communs à toutes les collectivités, au niveau national. Les collectivités, seules ou en partenariat  entre elles, seraient ainsi « autonomes » dans la détermination de leur programme d’actions culturelles mais toutes devront  partager les mêmes valeurs communes définies par la loi.

3 –  Il n’est pas difficile de déterminer ces valeurs partagées garantissant la cohérence de sens de la politique culturelle nationale, sans pour autant brider l’action locale des collectivités et de la société civile. Il suffit que la loi rappelle que la France a approuvé, unanimement, les termes de la « Déclaration universelle sur la diversité culturelle » à l’Unesco en 2001.

4- A cet égard, il ne s’agit que d’actualiser le logiciel de pensée des rédacteurs du projet de loi, en leur rappelant que, depuis les formulations de 1999 que j’ai évoqués plus haut, l’approche des enjeux culturels publics a été fortement modifiée. L’Etat français a approuvé des textes normatifs l’engageant, devant la communauté internationale, à mettre en oeuvre les  valeurs de la diversité culturelle. Une loi sur la modernisation de l’action publique ne peut pas totalement l’ignorer !

J’ajoute que cette évolution est déjà revendiquée par les élus à la Culture fédérés au sein de la FNCC qui a explicitement demandé au gouvernement « d ‘inscrire de nouvelles missions pour les élus : la mise en oeuvre de la Charte de l’Unesco pour la diversité culturelle. » (L’expression la plus juste aurait dû être « la Déclaration Universelle sur la Diversité culturelle »).

5 –  Si cette perspective était retenue, le texte de loi n’aurait qu’à viser, dans ses attendus, la Déclaration de 2001 en précisant que les interventions culturelles des collectivités auront obligatoirement à respecter les principes énoncés par ce texte. Ainsi, chaque collectivité devra assurer que son programme d’actions en matière d’art et de culture contribuera, comme l’indique l’article 2 de la Déclaration  à améliorer le vivre ensemble et à  développer les capacités créatrices de chacun,  dans le respect des droits de l’homme.[4]

6 – Ce changement d’approche met en avant les enjeux humanistes de la politique culturelle sans empiéter sur la capacité d’initiatives locales, en matière de gestion des projets.

On peut ainsi suggérer que, sauf à renoncer aux positions prises par l’Etat français à l’Unesco, le  texte de loi énonce que :

 » Chaque collectivité est  appelée, au titre de sa compétence de développement culturel, à organiser librement ses interventions culturelles dans le cadre d’un schéma de développement qui vise à « assurer  une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles, à la fois plurielles, variées et dynamiques » et à favoriser ainsi « les échanges culturels et l’épanouissement des capacités créatrices qui nourrissent la vie publique ». [5]

7 – Une telle approche humaniste de la responsabilité culturelle publique nécessite évidement de dépasser l’approche sectorielle habituelle, limitée à l’offre de biens culturels et à leur réception par des publics. [6]

Ainsi, lorsque l’élu procède aux choix d’un projet, il est en mesure d’énoncer la valeur culturelle d’intéret général à la fois pour le territoire mais aussi pour la nation toute entière. L’unité de la politique culturelle est assurée par ces valeurs communes d’interactions entre les cultures et d’épanouissement des capacités créatrices, et non par les seuls critères techniques des spécialistes des disciplines artistiques.

Pour saisir la dimension concrète de cette perspective je citerai la mission d’intérêt général confiée  par la collectivité de Newcastle à ses musées ( Tyne and Wear archive and museum) :  » Our mission is to help people determine their place in the world and define their identities, so enhancing their self-respect and their respect for others. »  La valeur culturelle d’intérêt général pour ce territoire est bien la valeur politique des relations entre les identités culturelles, des interactions harmonieuses (dans le respect réciproque des personnes) et les professionnels jouent un role important au sens où ils apportent leurs compétences aux personnes pour qu’elles se situent mieux au monde grâce à leur relation avec l’univers des arts.[7] Résultat : les musées de Newcastle sont fréquentés par 1,8 millions de personnes dans une agglomération de 1 million d’habitants, ce qui devrait impressionner le législateur français pour peu qu’il soit attentif aux taux de fréquentation de nos musées.

 8- Ces exigences de sens pour la culture, au delà des légitimes préoccupations de gestion d’équipements culturels coûteux, nécessitent de renforcer les concertations avec toutes les parties prenantes de la vie culturelle sur les territoires.

Comme l’exprime clairement la FNCC, il s’agit d’imaginer « des politiques culturelles pour les personnes, par les territoires » et, de ce point de vue, cette perspective appelle à élargir  « la participation des citoyens dans les prises de décisions », ce qui est très nouveau pour les politiques culturelles françaises qui ont longtemps résisté à cet impératif.

9 – Dans une société ouverte et soucieuse de proximité avec les citoyens, les politiques culturelles devraient ainsi mieux répondre à la nécessité de permettre aux cultures, dans leur diversité, de faire « humanité ensemble », selon la définition de la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels. [8]

10 –  Il me semble que cette approche  globale de  la politique culturelle est totalement en phase avec l’esprit de la loi de modernisation de l’action publique. En reprenant à son compte les valeurs de la Déclaration de 2001 comme autant de balises partagées par tous les responsables publics, la loi faciliterait les discussions entre les intérêts particuliers, pour mieux aboutir à l’élaboration de schémas régionaux, départementaux, locaux et de pactes de gouvernance adaptés à la réalité du terrain  mais répondant aux mêmes exigences humanistes.

11-  Cette approche conduit à affirmer que l’enjeu culturel public est partout, et pas seulement dans des équipements spécialisés.

Il faut donc en conclure qu’il serait contradictoire  de vouloir simplifier la répartition des compétences culturelles alors qu’aucune responsabilité publique ne peut échapper à l’exigence culturelle du vivre ensemble et de l’épanouissement des capacités créatrices. Il faut surtout accepter que la politique culturelle ne soit plus uniquement composée d’offres culturelles produites et vendues, mais construites à partir des relations entre des personnes qui ont des conceptions du monde différenciées et qu’il faut pourtant faire vivre ensemble  avec un minimum d’harmonie.

En conséquence, chaque collectivité devrait être appelée à élaborer son schéma de développement culturel répondant aux valeurs communes énoncées en terme « d’interactions », de « vivre ensemble » et « d’épanouissement des capacités créatrices ».

12 – On pourrait toutefois considérer que le territoire communal (ou les regroupements) devrait avoir obligation de mettre en place un schéma de développement culturel tandis que les autres collectivités pourraient n’avoir qu’une faculté de concevoir un tel schéma.

Par contre, pour répondre à l’objectif de moderniser en simplifiant, il est concevable que le controle financier soir mobilisé pour refuser tout apport de ressources publiques à des projets culturels  qui ne seraient pas intégrés à un schéma de développement culturel territorial répondant aux valeurs énoncées.

Dans cette logique de mise en cohérence, les financements croisés ne seraient plus définis à partir de projets sectoriels/disciplinaires. Ils ne deviendraient autorisés que si le projet trouve sa place dans les schémas de chacune des collectivités concernées, de telle sorte que l’action réponde à des valeurs culturelles partagées par tous les  parties prenantes.

Exemple : il serait tout a fait concevable qu’une région souhaite organiser, par exemple, un festival de danse. Le financement de ce festival ne serait autorisé  que s’il est intégré au schéma de la région  mais aussi aux schémas de chacune des collectivités où se déroulerai ce festival, ce qui singifierait qu’il apporte sa contribution aux interactions culturelles, au vivre ensemble  et à l’épanouissement des capacités créatrices.

Ce mécanisme réduira le poids des lobbies spécialisés et obligera au moins, au débat public, sur le sens des projets culturels,  au delà de leur qualité disciplinaire.

13  – Dans cette cohérence,  le Haut Conseil des territoires devrait se doter d’une section spécifique permettant collectivement d’évaluer les réponses apportées par les territoires aux enjeux culturels fixés par la loi.

Compte tenu des  finalités de la loi de modernisation et particulièrement de ses préoccupations de voir l’action publique mieux concourir aux objectifs de croissance, la section culturelle du Haut Conseil devra veiller particulièrement à ce que se traduisent dans la réalité des territoires les engagements de faire de la « diversité culturelle un facteur de développement ».

Etant rappelé, ici, l’argument de l’article 3 de la Déclaration Universelle sur la Diversité Culturelle :  « La diversité culturelle élargit les possibilités de choix offertes à chacun ; elle est l’une des sources du développement, entendu non seulement en termes de croissance économique, mais aussi comme moyen d’accéder à une existence intellectuelle, affective, morale et spirituelle satisfaisante. »

13 – Il est certain que nos engagements à l’Unesco sur la diversité culturelle peuvent être mal compris et faire débat s’ils étaient repris in extenso dans un texte législatif concernant la modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

Toutefois, indiquer dans la loi, l’enjeu culturel de la diversité serait ouvrir une voie que nombre d’élus à la culture, dont ceux de la FNCC, accueilleraient avec intérêt, pour que la politique culturelle puisse enfin relier les personnes pour un meilleur vivre ensemble dans la république décentralisée, à l’heure d’une mondialisation croissante.

Jean-Michel Lucas *

Président de Trempolino, docteur d’Etat ès sciences économiques et maître de conférences à l’université Rennes 2 Haute-Bretagne dont il fut le vice-président de 1982 à 1986, Jean-Michel Lucas fut également conseiller technique au cabinet du ministre de la Culture Jack Lang de 1990 à 1992, où il y impulsa notamment le programme « Cafés Musiques ». Nommé Directeur régional des affaires culturelles d’Aquitaine en 1992, il mit en place une politique culturelle d’État en étroit partenariat avec les collectivités locales, et avec comme préoccupation de valoriser la place de la culture dans les politiques de la ville et des territoires ruraux. Ce « militant de l’action culturelle », connu sous le pseudonyme de Doc Kasimir Bisou, a participé à plusieurs projets sur le devenir des politiques culturelles et sur les légitimités dans lesquelles elles s’inscrivent. En Bretagne comme en Aquitaine, il fut par ailleurs à l’origine de nombreuses réalisations concernant les musiques amplifiées (RAMA, festival d’Uzeste, Rencontres Trans Musicales de Rennes…).

____________

Notes

[3] On peut faire l’hypothèse d’un consensus suffisant sur la répartition actuelle des responsabilités concernant les monuments historiques, l’archéologie,  les archives ou les bibliothèques.

[4]  Article 2 de la déclaration Universelle sur la diversité culturelle : « Dans nos sociétés de plus en plus diversifiées, il est indispensable d’assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles à la fois plurielles, variées et dynamiques. Des politiques favorisant l’inclusion et la participation de tous les citoyens sont garantes de la cohésion sociale, de la vitalité de la société civile et de la paix. Ainsi défini, le pluralisme culturel constitue la réponse politique au fait de la diversité culturelle. Indissociable d’un cadre démocratique, le pluralisme culturel est propice aux échanges culturels et à l’épanouissement des capacités créatrices qui nourrissent la vie publique.

[5]  Concernant les métropoles, la formulation de leurs responsabilités culturelles, à l’article L521-2,  pourrait être : La métropole exerce de plein droit, en lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : …… 1° en matière de développement ………… culturel : …………… définition d’un schéma culturel métropolitain visant à assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles, à la fois plurielles, variées et dynamiques » et à favoriser ainsi « les échanges culturels et l’épanouissement des capacités créatrices qui nourrissent la vie publique».

[6]  Il suffit de citer l’article 4 de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle pour s’en assurer  : « La défense de la diversité culturelle est un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine. Elle implique l’engagement de respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales,.. ».

[7] Je n’insiste pas pour comparer cette définition  avec les missions que la loi française confie aux musées qui se contente de qualifier l’offre et d’espérer le « plaisir » des clients.. (« Est considérée comme musée, au sens du présent livre, toute collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public. « 

[8] Déclaration de Fribourg : a. le terme «culture» recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement ; b. l’expression «identité culturelle» est comprise comme l’ensemble des références culturelles par lequel une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité. 

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Sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles /1

Pour prolonger et enrichir le débat, nous avons le plaisir de publier la note de Jean-Michel Lucas sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dans le cadre de l’audition du 18 juin à la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale.

jean-michel_lucas_opinionJ’ai examiné le  projet  de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles sous l’angle des enjeux culturels et je voudrais d’abord vous faire part de ma perplexité, avant de suggérer une perspective qui me parait plus conforme aux ambitions de modernisation  de l’action publique souhaitée par la loi.

A- je note, en premier lieu, que la conception des responsabilités culturelles des collectivités territoriales ne s’appuie sur aucune réflexion innovante.

1- La référence aux langues régionales dans les responsabilités des régions ne fait que prendre en compte une revendication ancienne, très ancienne  qui ne comporte même pas de référence aux « cultures régionales » !

2- Les responsabilités culturelles des métropoles sont formalisées quasiment dans les mêmes termes [1] que dans la loi Chevénement de 1999 :   » Construction ou aménagement, entretien, gestion et animation d’équipements, de réseaux d’équipements ou d’établissements culturels, socioculturels, socio-éducatifs, sportifs, lorsqu’ils sont d’intérêt communautaire ».

Cette formulation réduit la « culture publique » à des batiments et des institutions,  alors que la plupart des élus, notamment des grandes villes, observent que la vitalité culturelle de leur territoire émane d’une multitude d’initiatives qui, de surcroit, déplacent le périmètre traditionnel du domaine culturel. Dans une métropole  ouverte sur le monde,  les initiatives puisant dans les ressources du numérique, les pratiques musicales en particulier nocturnes, les manifestations festives et attractives, les interventions d’artistes dans l’espace public, la  variété des cultures venues d’ailleurs sont à ce point actives et créatives qu’on se demande pourquoi les rédacteurs du projet de loi sont restés figés sur les catégories culturelles de la fin du  siècle précédent.

3 – Le projet aurait pu, par exemple emprunter à l’article L4433-27  du Code général des collectivités territoriales qui préfère énoncer que la collectivité a la responsabilité de « définir un programme des actions qu’elle entend  mener en matière culturelle ». Pour qu’elle s’exerce pleinement, une telle responsabilité suppose une large concertation et une forte mobilisation des parties prenantes  du territoire,  ce qui me parait être plus conforme aux aspirations du présent  projet de loi.

Je trouve dommage que cette approche culturelle n’ait pas été retenue et qu’elle demeure limitée à certaines  régions  – Guadeloupe, Guyane,  Martinique, Mayotte et Réunion  – comme si la république décentralisée considérait que la responsabilité culturelle là-bas ne pouvait pas s’appliquer dans les grandes cités métropolitaines ou dans les  régions de l’hexagone. [2]

B – Je voudrais aussi exprimer ma perplexité devant le retour à l’identique de la clause de compétence générale pour les régions et les départements.

1 – Il faut reconnaitre que cette disposition répond à une revendication qui avait été l’un des axes forts de l’opposition des élus et des professionnels culturels à la loi de décembre 2010.

Je ne reviendrai pas sur les atouts positifs de ce retour  à la compétence générale, dont on sait qu’elle a permis à nombre de collectivités d’innover par rapport aux  politiques culturelles de l’Etat, notamment en renforçant la cohérence territoriale des actions culturelles.

Malgré l’unanimité du milieu dit culturel en faveur de la compétence générale, je crois nécessaire d’observer que l’approche proposée par le texte de loi est insatisfaisante. En effet, le statu quo de la compétence générale comporte plusieurs risques majeurs.

2 – Le premier  est évidemment la segmentation de  l’action culturelle publique nationale.  Chaque collectivité a sa propre temporalité et élabore à son gré sa propre politique culturelle. Si chaque territoire reste indépendant dans la détermination de ses finalités et de ses actions culturelles, l’idée même d’une politique culturelle ayant une dimension nationale disparaît.

L’idée de « Pacte de gouvernance » (article 5 du projet  de loi) confirme cette acceptation de la segmentation de la responsabilité publique culturelle par la république décentralisée. En effet, le  projet ne prévoit pour la culture aucun chef de file et les schémas territoriaux pourront, ou non, inclure une dimension culturelle, laquelle sera donc  à géométrie très variable.

Il est manifeste que pour les concepteurs du projet de loi, l’enjeu culturel a si peu d’importance qu’il n’y a aucune nécessité de définir des règles nationales communes aux collectivités. Si l’on en reste là, chacune des collectivités mettra dans sa politique culturelle les valeurs et pratiques qui lui semblent bonnes, dans l’indifférence de la loi commune.

3- L’absence de cadrage de la compétence générale appliquée à la culture porte en elle un autre risque :  au vu de l’histoire de la politique culturelle dans notre pays,  il sera bien difficile pour les élus d’éviter les effets des clientélismes locaux qui resteront toujours aussi dominants dans le choix des équipements culturels prioritaires sur le territoire.  De ce point de vue,  si des garde-fous ne sont pas introduits dans le  projet de loi, la répartition socio économique actuelle des  bénéficiaires des équipements et établissements culturels publics demeurera ce qu’elle est depuis longtemps.

4 – J’ajouterai  que le projet  de loi ne précisant pas qu’elles pourraient être les valeurs culturelles à partager sur l’ensemble du territoire national, les collectivités s’appuieront sur leurs réseaux de professionnels culturels  pour énoncer les critères de sélection des projets.

Je précise ce risque du point de vue de l’Etat de droit : certes, aujourd’hui les élus définissent les valeurs d’intérêt général qu’ils confient à chacun de leur  équipement culturel et, sur cette base, ils choisissent les professionnels les mieux placés pour mettre en oeuvre ces valeurs. On dira par exemple que l’établissement devra proposer une offre de qualité artistique et travailler en partenariat  avec le milieu scolaire et les quartiers,  assurer un rayonnement régional ou contribuer à l’attractivité touristique. La valeur culturelle d’intérêt général sera alors associée à des valeurs économiques et sociales, jugées bonnes pour le territoire par les élus. Toutefois, dans cette configuration, le politique n’a pas de responsabilité dans le choix des valeurs culturelles d’intérêt général car elles sont déterminées exclusivement par les professionnels de chaque  discipline artistique. Elles sont fondées sur des critères qui appartiennent seulement aux spécialistes de la discipline et auxquels les citoyens et les élus n’ont pas accés, et ont, encore moins, la légitimité d’en discuter. L’intérêt général culturel est sous controle de la compétence d’expertise des professionnels ( ce que l’on appelle en pratique la « qualité » du projet culturel).

Tant que les services spécialisés du Ministère de la culture controlaient les recrutements des professionnels, la République pouvait encore croire que tous ces choix relatifs et techniques des spécialistes des disciplines des arts concuurraient à enrichir la Nation d’une même valeur culturelle de référence, puisque la mission confiée par l’Etat au ministère etait de sélectionner parmi toutes les activités artistiques uniquement celles qui avaient une valeur de référence pour toute l’humanité (les oeuvres capitales de l’humanité dans le décret instituant le ministère).

Mais avec la compétence générale, cette fiction du référentiel commun des valeurs culturelles n’est plus recevable. Les choix culturels des élus n’ont plus qu’une valeur locale puisque  l’Etat n’a jamais envisagé de confier aussi aux collectivités la mission de ne choisir que des projets culturels de référence ayant « valeur capitale pour l’humanité », tout juste les collectivtés territoriales peuvent -elles faire des choix qui répondent aux « besoins des habitants ».

En conséquence, si la loi ne fixe pas des valeurs culturelles communes pour tous les  territoires, l’élu fera des choix de valeurs culturelles qui n’auront qu’une valeur locale, avec tous les dangers du repli culturel que l’on connait (la culture entre soi). Ou alors l’élu s’en remettra empiriquement aux valeurs des  réseaux de professionnels qu’il connait et apprécie. Il continuera à se retrouver en situation de dépendance vis à vis des critères de « qualité » énoncés par ces réseaux, avec la relativité de leurs choix artistiques qui affaiblit la crédibilbité des politiques culturelles publiques.

L’observation est banale et les élus à la culture en témoignent de plus en plus souvent: la responsabilité de l’expert  culturel s’impose trop souvent à la responsabilité du politique. De ce point de vue, le projet de loi n’apporte aucune perspetive de modernisation de l’action  publique.

5 – Enfin, sans vigilance particulière du législateur, il est fort probable que la tendance des politiques culturelles locales sera de privilégier les projets  ayant un impact déterminant sur la vie économique du territoire. La compétence générale acentuera cette tendance d’autant plus nettement qu’elle n’est assortie d’aucune ressource publique particulière. Beaucoup de territoires se positionnent déjà en concurrence culturelle avec les autres et il est difficile de penser que la loi de décentralisation, même légitimement préoccupée par l’enjeu de croissance,  puisse accorder des vertus à cette rude compétition culturelle entre les collectivités.

A l’heure où la France revendique l’exception culturelle, il est particulièrement curieux de constater que le projet de loi oublie d’en rappeler les règles aux  « territoires créatifs » et autres « clusters culturels » qui évaluent leurs objectifs publics à  la seule rentabilité marchande des acteurs culturels !

Jean-Michel Lucas*.

Président de Trempolino, docteur d’Etat ès sciences économiques et maître de conférences à l’université Rennes 2 Haute-Bretagne dont il fut le vice-président de 1982 à 1986, Jean-Michel Lucas fut également conseiller technique au cabinet du ministre de la Culture Jack Lang de 1990 à 1992, où il y impulsa notamment le programme « Cafés Musiques ». Nommé Directeur régional des affaires culturelles d’Aquitaine en 1992, il mit en place une politique culturelle d’État en étroit partenariat avec les collectivités locales, et avec comme préoccupation de valoriser la place de la culture dans les politiques de la ville et des territoires ruraux. Ce « militant de l’action culturelle », connu sous le pseudonyme de Doc Kasimir Bisou, a participé à plusieurs projets sur le devenir des politiques culturelles et sur les légitimités dans lesquelles elles s’inscrivent. En Bretagne comme en Aquitaine, il fut par ailleurs à l’origine de nombreuses réalisations concernant les musiques amplifiées (RAMA, festival d’Uzeste, Rencontres Trans Musicales de Rennes…).

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Notes

[1] Dans le projet  de loi,  il est question de « fonctionnement » et non « d’animation » : c) Construction, aménagement, entretien et fonctionnement d’équipements culturels, socio-culturels, socio-éducatifs et sportifs d’intérêt métropolitain ; »

[2] Je voudrais aussi faire observer que  dans le texte des compétences des métropoles, le projet de loi prétend pouvoir dissocier les « équipements culturels » des « équipements socio culturels  » ou « socio éducatifs. Je n’ose dire que le législateur est bien présomptueux de vouloir ainsi discriminer entre des théâtres et des centre sociaux quand les uns travaillent régulièrement avec des associations de quartier et quand les autres sont engagés avec des artistes pronant « l’art participatif » ! Il est dommage que la loi opère de tels découpages, aussi mal justifiés, entre équipements culturels, socio culturels, socio éducatifs dont la raison d’être répond moins à l’intérêt collectif du territoire qu’aux intérêts particuliers de différents groupes professionnels concernés.

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Décentralisation : acteurs culturels, réveillez-vous ! / 4

La décentralisation est un cauchemar ? Vous n’y comprenez rien ? La Culture est en danger ? Et pourquoi ? Voici un petit article pour tenter de vous résumer sur quoi repose actuellement notre système culturel, ce qu’il produit comme « effets » – dont trois gros rapports récents [1] (Syndicats, Cour des Comptes et Premier Ministre) qui dressent un état des lieux – et pour vous faire part de nos propositions pour renouveler de toute urgence, même à la marge, ce « système que le monde entier nous envie ! ». Oui mais voilà, personne ne l’a copié – nous sommes bien le pays de l’exception culturelle ! – et d’autres chemins existent, nous les avons repérés, pour revivifier ce système. Ce que nous souhaitons ? Une Culture plus jeune, moins inégalitaire, plus en phase avec la société, plus agile et mieux adaptée aux territoires et qui rejoindrait, aussi, le grand cercle de la culture créative internationale.

Quatrième partie : propositions

1)    A défaut de décentralisation, pourtant bien pratique comme méthode et outils, cessons au moins de maintenir, de gré ou de force, sincèrement ou en faisant semblant, des postures conservatrices ! La défense de l’exception culturelle est certes indispensable (si tant est qu’on sache de quelle exception culturelle on parle) mais elle ne peut servir de politique, d’abri à une réelle impuissance à « repenser l’appareil culturel aujourd’hui » dans son ensemble. Il faut redonner du sens à l’action culturelle actuelle et future et ralentir, peut-être, la frénésie de commémorations, célébrations, faits de mémoire, rétromanies, « C’était mieux avant »…, pour davantage s’occuper du présent et de l’avenir.

  • Les inégalités culturelles se creusent toujours en temps de crise, alors il faut en priorité repérer, aider et encourager les plus démunis, les talents aujourd’hui invisibles (pour prendre au pied de la lettre les ultra-libéraux, on n’est jamais plus créatif qu’en temps de crise). Et les encourager au risque de réduire la voilure de l’offre vers les toujours plus écoutés, toujours plus gâtés, d’années en année, que sont les classes moyennes et supérieures en France, principal appui des politiques traditionnelles et de leur reconduction. Ces classes avides de reproduction, comme le disait avec justesse Pierre Bourdieu en 1964, mais qui, aujourd’hui, sont sur la défensive, comme si elles étaient avides, aussi, de conserver leurs privilèges acquis, dont l’offre culturelle fait grandement partie. Le peuple fait peur, laissons-lui la tentation du populisme mais sans que cela devienne incontrôlable, bien sûr…
  • L’urgence, pour cette absolue priorité, serait plutôt de lutter contre les inégalités constatées, de s’entourer de points de vue extérieurs, de redonner la parole à ceux qui ne l’ont pas, ceux qui sont hors du cercle, invisibles talents et compétences ignorés par la plupart des médias qui sont souvent (et parfois malgré eux) la task force de notre immobilisme.
  • Et que l’on ne vienne pas nous montrer quelques chiffres-alibis : les crédits alloués sur la carte de notre territoire national parlent d’eux-mêmes, avec 1% tout au plus des crédits pour la politique culturelle des villes « pauvres » et des lieux qui en sont au ban. Rappelons enfin que l’accessibilité des lieux culturels, pour les personnes souffrant de handicap physique, est une idée généreuse et bien mise en œuvre en France. Mais que cela ne nous dédouane pas, non plus, de bien comprendre que les personnes pauvres ou souffrant d’un handicap profitent rarement de notre culture publique, tout comme les personnes n’ayant jamais fait d’études et qui souffrent aussi de l’inadéquation, en terme de médiation, de la plupart de nos établissement, très « codés » et toujours trop indéchiffrables pour eux.

2)    La défense systématique de nos procédures, si peu évaluées, n’ouvre aucun avenir. Pensons « territoire  et usagers » avant de refaire nos Viollet-Le Duc en rédigeant une nouvelle « Loi de 1913 ». La réécriture d’une loi sur le patrimoine est-elle une réelle, indispensable, incontournable urgence ? Ne peut-on pas seulement réajuster le Code du patrimoine et la loi actuelle, ce qui fonctionne bien depuis plus d’un siècle ?

3)    Enfin le réflexe du défensif à tout prix nous isole des grands courants de création et d’ingénierie culturelle du monde : taxer tout ce qui bouge et vient de l’étranger créée-t-il du neuf ? Assurément, non !

Pensons local lorsqu’il s’agit d’éviter les face-à-face et l’entre-soi institutionnels. Par exemple, l’habituel duel entre l’Education nationale et la Culture, toujours là et toujours mortifère, vient encore de laisser l’éducation artistique des jeunes en rade…

Tous les Rapports et Haut Conseils « en interne » ne changent rien, même s’ils flattent leurs auteurs ! Il faut prendre l’attache des pratiques et réflexions européennes et du monde, en permanence, car le monde collabore, de plus en plus, en ligne, et la Culture ne peut louper un dialogue instantané et de plus en plus fréquent entre les pays du monde ! Pour l’éducation artistique et culturelle, , en lieu et place du 20ème rapport sur le sujet – qui a permis, de plus, à l’Education Nationale de se passer de la présence forte de la Culture à ses côtés, pendant la durée du rapport puis en attendant les résultats, les décisions, etc…  il aurait été plus incitatif, plus intelligent (choisir) de s’atteler à une réelle écoute des acteurs des bonnes pratiques actuelles  – du local au global – , de mieux les diffuser en aidant les territoires défavorisés par l’absence d’ingénierie, la plupart du temps ou des raisons financières, parfois, et seulement parfois.

4)    Arrêtons de considérer l’évaluation comme une insulte à la chose culturelle et sachons tirer le meilleur parti du foisonnement d’idées et de projets dont on ne perçoit que la face émergée de l’iceberg tant qu’on ne généralise pas la démarche d’évaluation.

5)   Culture, éducation populaire, éducation artistique et économie créative doivent être des préoccupations intégrées à l’aménagement des territoires et de l’espace public sans quoi le triomphe de la « culture de la chambre » et la culture des écrans auront fini de consommer l’oxygène restant encore dans la sphère de l’action publique.

6)    Sachons transmettre les dynamiques, les expériences, les bonnes pratiques ET le meilleur de notre héritage de politique culturelle et de politique éducative car sans références claires et appréhendable, aucune solution permettant de construire de façon soutenable et durable n’est viable.

7)    Soyons offensifs pour construire une nouvelle politique culturelle, et puisque nous n’avons su créer ni Google, ni Facebook, ni Twitter, utilisons ces moyens plutôt que de critiquer sans cesse les USA, à tort, ou de critiquer les villes et pays créatifs, qui évaluent tout ce qu’ils font !

Le camp retranché de l’exception culturelle peut résister, certes, mais pas sans de nouvelles propositions. Il nous faut gagner en agilité, en co-création réelle, avec des propositions qui réduiront les inégalités que produit notre système culturel : la loi et les règlements, l’absence de forte incitation à produire différemment dans chaque territoire (politique de la Ville, en milieu rural…) empêchent les jeunes talents d’émerger et conforte les créateurs ou concepteurs de projets médiocres, moyens, mais dans la ligne et qui connaissent sur le bout des doigts les mécanismes et méandres de notre très compliquée administration culturelle.

Il nous faut gagner aussi, avant de lancer tout débat, en transparence : pour repenser les politiques culturelles, mettons à disposition et en ligne de toutes les données disponibles. Certaines régions ou villes ont une politique de data ouvertes, mais elles sont trop peu nombreuses.

8)    Utilisons aussi l’expérimentation, possible dans le cadre de notre République décentralisée, car toute incartade ou sortie des chemins déjà tracés est particulièrement difficile voire  impossible aujourd’hui.

9)    Renouvelons les générations, osons donner la parole autrement aux acteurs culturels et faisons en sorte que ce ne soit pas les mêmes sujets qui sont posés aux mêmes personnes qui viennent parler devant les mêmes personnes à longueur d’années.

10)  Laissons aux plus jeunes, surtout,  le rôle de faire des propositions et le soin d’animer le grand débat culturel, qui a quitté les instances officielles depuis trop longtemps et qui est la proie depuis quelques temps des forum dits « ouverts ». Si un débat doit être collectif et très libre, il doit être dialogue intergénérationnel et interculturel sûr de ses fondements pour être véritablement constructif et productif.


Evelyne Lehalle et Philippe Gimet*.

*Evelyne Lehalle est membre historique de Cultural Engineering Group. Consultante senior spécialisée dans les instituions muséales, les stratégies culturelles et touristiques, dont le parcours est particulièrement riche, Evelyne Lehalle a notamment été responsable culture d’Odit France (aujourd’hui Atout France), responsable à la direction des musées de France et au ministère de la culture, responsable à la direction des musées de la Ville de Marseille. Elle dirige depuis 2009 Nouveau Tourisme Culturel, dont le blog est également partenaire de Cultural Engineering Group.

*Philippe Gimet est fondateur de Cultural Engineering Group, membre de l’Institut de Coopération pour la Culture, consultant et assistant à maîtrise d’ouvrage.


[1] Les trois textes sont :

1)      DISCOURS A L’OCCASION DES FESTIVALS D’ETE, 8 juillet 2013 (Fédération CGT du Spectacle-SYNDEAC-PROFEDIM-CIPAC). Ce texte est une déclaration de ce qui ne va pas, selon les syndicats,et sera à la base des revendications de la manifestation prévue le 13 juillet. D’autres actions sont prévues et annoncées si les signataires n’obtenaient pas de réponses satisfaisantes pour leurs revendications.

http://syndeac.org/index.php/politiques-publiques/lutte-pour-les-budgets/actions-mobilisations/1669-discours-a-loccasion-des-festivals-dete-8-juillet-2013

2)      L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ETAT. Rapport public thématique-Cour des Comptes, juillet 2013

http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202889728237-la-cour-des-comptes-epingle-l-organisation-de-l-etat-sur-le-territoire-585194.php?xtor=EPR-101-%5bNL_13h%5d-20130711-%5bs=461370_n=2_c=201_%5d-1622909@2

La Cour des comptes invite les pouvoirs publics à faire évoluer en profondeur l’organisation de l’État sur le territoire afin de répondre aux évolutions économiques et sociales.(Voir des extraits pour la Culture  ci-dessous).

3)      LA STRATEGIE D’ORGANISATION A 5 ANS DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT, Rapport à Monsieur le Premier ministre,Juin 2013 –  Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss

4)      POUR EN SAVOIR PLUS : suivre le très bon dossier « Actes III de la décentralisation, la réforme pas à pas », et le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Ce  dossier  élaboré et tenu à jour par La Gazette des Communes :  http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/acte-iii-de-la-decentralisation-la-reforme-pas-a-pas/

 

 

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Décentralisation : acteurs culturels, réveillez-vous ! / 3

La décentralisation est un cauchemar ? Vous n’y comprenez rien ? La Culture est en danger ? Et pourquoi ? Voici un petit article pour tenter de vous résumer sur quoi repose actuellement notre système culturel, ce qu’il produit comme « effets » – dont trois gros rapports récents [1] (Syndicats, Cour des Comptes et Premier Ministre) qui dressent un état des lieux – et pour vous faire part de nos propositions pour renouveler de toute urgence, même à la marge, ce « système que le monde entier nous envie ! ». Oui mais voilà, personne ne l’a copié – nous sommes bien le pays de l’exception culturelle ! – et d’autres chemins existent, nous les avons repérés, pour revivifier ce système. Ce que nous souhaitons ? Une Culture plus jeune, moins inégalitaire, plus en phase avec la société, plus agile et mieux adaptée aux territoires et qui rejoindrait, aussi, le grand cercle de la culture créative internationale.

Troisième partie : ce modèle Français que le monde entier nous envie !

Il est une évidence, aujourd’hui, qui change profondément la donne : non seulement les « modèles » de nombreux pays et ceux, à venir, des pays émergents interrogent le nôtre, mais, qui plus est, une bonne  douzaine de villes, de départements et de région ont décidé, en France, de faire comme bon leur semblait, de ne pas perdre trop de temps en circonvolutions administratives et financières. Des petites impertinentes, qui simplifient l’inextricable écheveau administrativo-financier, toutes seules comme des grandes ! Le modèle que le monde entier soi-disant nous envie serait-il en train de muter sous nos yeux ? Sans aucun doute, oui. Dans notre système qui a tant de mal à se réformer et à décentraliser, les territoires n’ont pas attendu l’Etat. Résultat : une complexité que personne ne nous envie, mais une richesse, une diversité, des compétences, des dynamiques foisonnantes qui gagneraient en simplicité et lisibilité pour être plus encore enviées, appréciées et prescriptrices.

D’autres pays ont pris ce qu’il faut nommer une avance considérable sur notre confortation des circuits existants, et cela depuis plus de 10 ans, à titre d’exemples non exhaustifs :

  • Alors qu’en 1999 le musée national des Arts décoratifs de Londres  (V§A) demandait l’aide des internautes du monde entier pour poursuivre l’enrichissement de ses collections ;
  • Alors que, en 2004, le Musée canadien national des droits de l’Homme faisait de même, en s’appuyant, pour sa future programmation, sur les témoignages des internautes volontaires du monde entier ;
  • Alors que les Pays émergents (BRICS, Asie,  Corée du Sud, Pays du Golfe…) se tournent en priorité vers la culture anglo-saxonne ou espagnole pour leurs futurs modèles culturels, via, en particulier, un encouragement sans précédent des relais du consulting et de l’ingénierie privée (USA ; R.U ; Pays du Nord de l’Europe ; Espagne..) ;

…En France, rien de tel n’avait commencé et il n’est toujours pas urgent, semble-t-il, de revisiter et d’évaluer une à une quelques vieilles missions centralisatrices ou encore les dépenses chronophages de la réunionnite.

L’idée forte d’animer le débat culturel plutôt que de le produire entre institutionnels et de le diriger n’est même pas une priorité. L’idéal républicain, qui confie, il est vrai, à l’élite de la nation l’avenir du pays est certes un bon « mot d’excuse ». Mais ceux qui nous gouvernent doivent-ils continuer à se méfier toujours et encore du peuple ? Peuvent-ils continuer à produire ce qui leur semble bon pour nous, à faire notre bonheur pour nous sans nous y associer ? Et nous, de quoi avons-nous peur ? « Tous au  Château !» pour nous protéger, comme au Moyen-Age ? Les énarques veillent au grain, en bonne élite, et davantage de démocratie n’est pas la toute priorité de leurs décisions. Mais ils ne peuvent souffrir d’ignorance ? Non, et c’est la bonne nouvelle : les pratiques collaboratives, chers énarques, c’est déjà hier dans d’autres pays, alors il va être difficile de ne pas pour demander l’avis des citoyens et de ne pas les laisser causer entre eux. Vite ! Ouvrez ce chantier ! Autrement vous prendrez non seulement un retard considérable mais aussi la lourde responsabilité de voir la France disparaître des écrans-radars des pays avancés !

D’autres villes, départements et régions, en France, ont défini des politiques culturelles très différentes, très fortes, avec des stratégies, des objectifs, des critères très éloignés de la Culture définie par thèmes (patrimoine, création, diffusion…) depuis le ministère Malraux.

La culture, dans ces nouvelles expériences de gouvernance locale, prend plutôt sa place dans l’économie créative, dans les croisements de la culture avec les autres secteurs d’activité, dans l’urbanisation à venir, dans les politiques internationales de ces territoires. En bref, les équipes culturelles y sont moins isolées et plus liées aux autres politiques territoriales. Ces territoires avancent donc à grands pas depuis 5 ou 6 ans (certains depuis plus longtemps encore), et ont en quelque sorte laissé loin derrière eux le peloton de ceux qui perdent leur temps en constantes réunionites, Haut-Conseils, Commissions permanentes, Comités de pilotages et autres rencontres chronophages et où l’on ne prend pas toujours une décision. Ces villes ont en commun de faire davantage appel aux compétences locales, d’une part,  et symétriquement à commander et à interroger directement de bons experts et consultants, d’autre part.

Nous citerons, tant ils sont évidents, les exemples de Nantes et de la Loire Atlantique, de Lyon et de son intercommunalité (Grand Lyon), ou encore celui de Lille, de la conurbation Lille/Roubaix/Tourcoing et des départements du Nord-Pas-de-Calais. Ou encore celui la ville de Strasbourg ainsi que ceux d’autres villes et régions transfrontalières de l’ouest, du nord et du sud (Bretagne, Catalogne et Pays Basque) qui empruntent également de nouveaux chemins de traverse.

Vus de près, en tous cas, ces changements de pied et de braquet frappent l’observateur par une très haute qualité de ce qui est produit, par une certaine radicalité et un grand vent de nouveaux partenariats, bien rodés, via les crédits européens, en particulier, ou des formes de mécénat atypiques (Expo des vidéos de PPR à Lille 3000). Ces villes ont avancé pour la réduction des inégalités culturelles en forgeant leurs propres analyses et outils, comme le fit d’ailleurs la Ville de Bilbao en son temps (1985). Et le dialogue avec les habitants, en particulier les plus jeunes, y est « organisé » (Réseaux sociaux ; sites institutionnels ET collaboratifs; prise de pouls régulière de la demande, via par une expertise ad hoc ; études sur des points précis, etc…).

Ces territoires défrichent mais en même temps, ils commencent tout juste à exister autrement sur la carte. Nos chers touristes étrangers qui viennent depuis toujours en France plus qu’ailleurs dans le monde et notamment pour notre Culture, y trouveront sûrement encore plus de raisons de venir mais en attendant, nous nous reposons sur nos lauriers et nos images d’Epinal. On aura beau (enfin !) s’attaquer à l’amélioration de l’accueil des touristes, c’est aussi dans les nouvelles formes de présence de la culture et de la vie culturelle dans le cadre de vie que le territoires trouveront des leviers supplémentaires de rayonnement et d’attractivité. Alors pourquoi faire en sorte que cela tourne à l’exacerbation de la concurrence entre territoires ? Nous allons tout droit vers des gouvernances polycentriques, avec des organisations différentes d’un territoire à l’autre et la fracturation des territoires tels que nous les avons toujours connus qui en résulte ne se résoudra pas par de simples incantations sur rôle d’un Etat garant de l’égalité républicaine et l’accès à la culture pour tous. Faut-il vraiment attendre le troisième texte de loi pour prendre acte ?

Evelyne Lehalle et Philippe Gimet*.

*Evelyne Lehalle est membre historique de Cultural Engineering Group. Consultante senior spécialisée dans les instituions muséales, les stratégies culturelles et touristiques, dont le parcours est particulièrement riche, Evelyne Lehalle a notamment été responsable culture d’Odit France (aujourd’hui Atout France), responsable à la direction des musées de France et au ministère de la culture, responsable à la direction des musées de la Ville de Marseille. Elle dirige depuis 2009 Nouveau Tourisme Culturel, dont le blog est également partenaire de Cultural Engineering Group.

*Philippe Gimet est fondateur de Cultural Engineering Group, membre de l’Institut de Coopération pour la Culture, consultant et assistant à maîtrise d’ouvrage.

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[1] Les trois textes sont :

1)      DISCOURS A L’OCCASION DES FESTIVALS D’ETE, 8 juillet 2013 (Fédération CGT du Spectacle-SYNDEAC-PROFEDIM-CIPAC). Ce texte est une déclaration de ce qui ne va pas, selon les syndicats,et sera à la base des revendications de la manifestation prévue le 13 juillet. D’autres actions sont prévues et annoncées si les signataires n’obtenaient pas de réponses satisfaisantes pour leurs revendications.

 http://syndeac.org/index.php/politiques-publiques/lutte-pour-les-budgets/actions-mobilisations/1669-discours-a-loccasion-des-festivals-dete-8-juillet-2013

2)      L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ETAT. Rapport public thématique-Cour des Comptes, juillet 2013

http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202889728237-la-cour-des-comptes-epingle-l-organisation-de-l-etat-sur-le-territoire-585194.php?xtor=EPR-101-%5bNL_13h%5d-20130711-%5bs=461370_n=2_c=201_%5d-1622909@2

La Cour des comptes invite les pouvoirs publics à faire évoluer en profondeur l’organisation de l’État sur le territoire afin de répondre aux évolutions économiques et sociales.(Voir des extraits pour la Culture  ci-dessous).

3)      LA STRATEGIE D’ORGANISATION A 5 ANS DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT, Rapport à Monsieur le Premier ministre,Juin 2013 –  Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss

POUR EN SAVOIR PLUS : suivre le très bon dossier « Actes III de la décentralisation, la réforme pas à pas », et le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Ce  dossier  élaboré et tenu à jour par La Gazette des Communes :  http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/acte-iii-de-la-decentralisation-la-reforme-pas-a-pas/

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Décentralisation : acteurs culturels, réveillez-vous ! / 2

La décentralisation est un cauchemar ? Vous n’y comprenez rien ? La Culture est en danger ? Et pourquoi ? Voici un petit article pour tenter de vous résumer sur quoi repose actuellement notre système culturel, ce qu’il produit comme « effets » – dont trois gros rapports récents [1] (Syndicats, Cour des Comptes et Premier Ministre) qui dressent un état des lieux – et pour vous faire part de nos propositions pour renouveler de toute urgence, même à la marge, ce « système que le monde entier nous envie ! ». Oui mais voilà, personne ne l’a copié – nous sommes bien le pays de l’exception culturelle ! – et d’autres chemins existent, nous les avons repérés, pour revivifier ce système. Ce que nous souhaitons ? Une Culture plus jeune, moins inégalitaire, plus en phase avec la société, plus agile et mieux adaptée aux territoires et qui rejoindrait, aussi, le grand cercle de la culture créative internationale.

Deuxième partie : tout va très bien, Madame la Marquise !

Ce silence s’explique sans doute par le consensus exprimé très régulièrement par les instances officielles de la culture : Il faut renforcer les partenariats informels entre l’Etat et les collectivités ! Mais ce cri du cœur est une sorte de paravent, car ces partenariats existent depuis fort longtemps. En fait il s’agit surtout de « continuer comme avant », de ne rien changer ou presque, ou pire, de faire beaucoup de bruit, de mobiliser beaucoup d’énergie, de susciter beaucoup d’espoirs et de craintes pour rien. Dernière trouvaille de communication : Il faut à co-créer tous  ensemble – très mode, le co- quelque chose ! – les politiques culturelles ! Et donc conserver  la clause générale des compétences « Culture » des quatre niveaux des collectivités territoriales (régions ; départements ; communes et métropoles), sans vrai chef de filat, sans recenser les doublons (sans attendre le rapport de la Cour des comptes à paraître ce jeudi), sans faire des économies que permettent leur suppression ou une simplification des procédures ! Bien entendu les arguments pour que rien ne change sont chaque année plus subtils, toujours pensés, officiellement, dans l’« Intérêt Général et pour le meilleurs service des citoyens ».

Qui peut répondre à ce consensus de réunionnite aigüe par un « Pas d’accord ! » ? Personne, bien entendu. Et pourtant…

Si on ajoute à cela le fait qu’on continue d’affirmer, de réaffirmer, d’assurer, de scander que l’Etat sera le garant de l’égalité républicaine alors que l’Etat est absent du texte de loi… Concrètement, aurait-on oublié ce que signifie et ce qu’exige cette garantie, y compris en matière de Culture ? Même dans une loi en trois actes, il faudrait peut-être nous le dire depuis le début, cela permettrait à chaque échelon de mieux s’y articuler. Pour le savoir, il faudra connaître la future stratégie SGMAP et la confronter au cap fixé par le Premier Ministre : « la modernisation de l’action publique est essentielle à la construction d’un nouveau modèle français, alliant solidarité et compétitivité. Elle va de pair avec un objectif exigeant : celui du respect de nos engagements de finances publiques. Cette ambition nous oblige : c’est bien d’une nouvelle action publique, plus juste, plus efficace, et plus simple, dont la France a besoin ».

Or cette stratégie n’existe pas à ce jour (les services du premier ministre viennent tout juste de lancer l’appel d’offres pour être assisté dans sa mise au point). De là à penser que l’Etat se cherche toujours ou tente de se retrouver, cela risque d’arriver un peu tard et il est difficile de comprendre comment dans un système comme le système français, on pose un projet de loi de décentralisation sans avoir poser la stratégie et le rôle de l’Etat une fois réformé de façon claire et pratique pour tous pour que cela produise un changement véritablement opérationnel.

Pourtant les inconvénients de la clause générale de compétence, qui permet donc que toutes les collectivités s’occupent de culture sont bien connues : le doublon et le saupoudrage, avec des financements croisés, ajoutés à  des réunions de trois heures à cinq ou six partenaires, aux aller-venue des dossiers, pendant des mois, ajoutés aux incontournables interventions nécessaires pour accélérer leur validation : tout cela plaît bien et forme un très large consensus, mais, à y regarder de près, les inconvénients sont nombreux. A la chronophagie de cette suite de réunions-fleuve, à la dépense des doublons et du temps de travail ou des sureffectifs, il faut ajouter des critères de validation « à géométrie politiquement variable »  ainsi que des raisons réelles de ce consensus peu reluisantes, que l’on cache sous le tapis mais qui sont bien réelles, comme le constate aussi le texte de la Cour des Comptes :

  • a) Les artistes, mais aussi les concepteurs de projets et les techniciens garantissent à priori, dans ce très souhaité schéma collaboratif d’entente cordiale partagé avec les tutelles et institutions officielles, leur souhait d’une liberté totale d’expression, grâce au foisonnement des critères et des sources de financement des partenaires. La multiplication de partenaires évite, en effet, de n’avoir qu’« un seul patron » qui pourrait influer sur les productions ou demander des comptes. Ce format multi-tutelles rend l’évaluation des actions plus difficile, les objectifs des différentes parties-prenantes étant à la fois nombreux et souvent d’ordre différent.
  • b)  L’Etat y gagne énormément aussi, toujours en difficulté et à l’affût pour savoir ce qui se passe au plus près du terrain, rester informé en permanence, orienter ses directives, mieux  contrôler ce qui relève de ses compétences. Et pour stabiliser son nombre d’emplois nécessaires pour toute l’organisation (Ministère, services déconcentrés… ) ! Bref, pour « garder la main ».
  • c) Enfin ce consensus, en faisant l’économie d’une interrogation des « Pourquoi et comment ? » de l’action culturelle, reconduit tacitement les accords passés depuis l’ère Malraux et son cortège d’affirmations implicites : la liberté totale de la création ; l’offre est première et étudier la demande des citoyens du périmètre de l’action, rapprocher demande et offre, tout cela est horriblement démagogique ! (Variante politique « C’est très FN » !) ; la culture sert à éduquer le citoyen et non pas à le divertir de son quotidien ; l’éducation artistique viendra à bout, un jour, des non-visiteurs et des non-spectateurs ; établir des partenariats avec les entreprises c’est vendre son âme au diable, etc…

En conclusion, dormez tranquilles, bonnes gens, la décentralisation culturelle, qui commence par un questionnement général des procédures, qui continue par le transfert de compétences de l’Etat vers les collectivités territoriales, n’est plus à l’ordre du jour. Aucune proposition n’a été faite en ce sens depuis un an, alors qu’il faut au moins quatre ans pour décider d’une expérimentation, pour répartir les compétences, évaluer les sommes à allouer ou à « compenser », réorganiser les services… On continuera donc à travailler « tous ensemble », Etat et collectivités et collectivités entre elles !

  • Même, et c’est là que le bât blesse, si les crédits de fonctionnement ou ceux des interventions fondent comme neige au soleil de tous les côtés. S’associer en permanence rend moins visible, pour l’Etat, ce déficit de ses moyens, noyés dans un « tout » collectif.
  • Même si tous les Rapports convergent, depuis un mois, pour constater que la dépense inefficiente est grande, que les agents des ministères sont déboussolés et que, faute de « vision » les politiques sont déconsidérées.
  • Même s’il serait urgent, comme nous allons le voir, de remplacer de vielles habitudes par de nouveaux programmes, plus en phase avec le présent et surtout l’avenir ! On verra,  comme exemple de nouveau programme, la culture numérique, qui devrait insuffler le fonctionnement entier des instances de pilotage et de gouvernance et non pas être traitée « à part ». Ce qui serait urgent, par exemple, c’est une culture plus participative, où les acteurs auraient systématiquement droit d’ingérence, via le web participatif.

Poursuivre les partenariats traditionnels dans les formes traditionnelles est, selon nous, pour conclure, une volonté de noyer deux gros poissons : les faibles crédits, d’une part, dont l’Etat dispose aujourd’hui, qui ne lui permettent plus de décider et d’évaluer aussi facilement ses actions et critères d’intervention qu’il y a seulement 10 ou 15 ans. Et une participation plus démocratique de tous les acteurs culturels, d’autre part, impossible il y a encore dix ans. Elle seule permettrait de tout revisiter rapidement, car nous avons pris du retard.

Evelyne Lehalle et Philippe Gimet*.

*Evelyne Lehalle est membre historique de Cultural Engineering Group. Consultante senior spécialisée dans les instituions muséales, les stratégies culturelles et touristiques, dont le parcours est particulièrement riche, Evelyne Lehalle a notamment été responsable culture d’Odit France (aujourd’hui Atout France), responsable à la direction des musées de France et au ministère de la culture, responsable à la direction des musées de la Ville de Marseille. Elle dirige depuis 2009 Nouveau Tourisme Culturel, dont le blog est également partenaire de Cultural Engineering Group.

*Philippe Gimet est fondateur de Cultural Engineering Group, membre de l’Institut de Coopération pour la Culture, consultant et assistant à maîtrise d’ouvrage.

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[1] Les trois textes sont :

1)      DISCOURS A L’OCCASION DES FESTIVALS D’ETE, 8 juillet 2013 (Fédération CGT du Spectacle-SYNDEAC-PROFEDIM-CIPAC). Ce texte est une déclaration de ce qui ne va pas, selon les syndicats,et sera à la base des revendications de la manifestation prévue le 13 juillet. D’autres actions sont prévues et annoncées si les signataires n’obtenaient pas de réponses satisfaisantes pour leurs revendications.

http://syndeac.org/index.php/politiques-publiques/lutte-pour-les-budgets/actions-mobilisations/1669-discours-a-loccasion-des-festivals-dete-8-juillet-2013

2)      L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ETAT. Rapport public thématique-Cour des Comptes, juillet 2013

http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202889728237-la-cour-des-comptes-epingle-l-organisation-de-l-etat-sur-le-territoire-585194.php?xtor=EPR-101-%5bNL_13h%5d-20130711-%5bs=461370_n=2_c=201_%5d-1622909@2

La Cour des comptes invite les pouvoirs publics à faire évoluer en profondeur l’organisation de l’État sur le territoire afin de répondre aux évolutions économiques et sociales.(Voir des extraits pour la Culture  ci-dessous).

3)      LA STRATEGIE D’ORGANISATION A 5 ANS DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT, Rapport à Monsieur le Premier ministre,Juin 2013 –  Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss

POUR EN SAVOIR PLUS : suivre le très bon dossier « Actes III de la décentralisation, la réforme pas à pas », et le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Ce  dossier  élaboré et tenu à jour par La Gazette des Communes :  http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/acte-iii-de-la-decentralisation-la-reforme-pas-a-pas/

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Décentralisation : acteurs culturels, réveillez-vous ! / 1

La décentralisation est un cauchemar ? Vous n’y comprenez rien ? La Culture est en danger ? Et pourquoi ? Voici un petit article pour tenter de vous résumer sur quoi repose actuellement notre système culturel, ce qu’il produit comme « effets » – dont trois gros rapports récents[i] (Syndicats, Cour des Comptes et Premier Ministre) qui dressent un état des lieux – et pour vous faire part de nos propositions pour renouveler de toute urgence, même à la marge, ce « système que le monde entier nous envie ! ». Oui mais voilà, personne ne l’a copié – nous sommes bien le pays de l’exception culturelle ! – et d’autres chemins existent, nous les avons repérés, pour revivifier ce système. Ce que nous souhaitons ? Une Culture plus jeune, moins inégalitaire, plus en phase avec la société, plus agile et mieux adaptée aux territoires et qui rejoindrait, aussi, le grand cercle de la culture créative internationale.

Première partie : pourquoi cette référence à la décentralisation ?

  • Parce que la décentralisation est le seul exercice qui permette de réinterroger toutes nos procédures : est-ce que l’Etat est le bon périmètre pour cette action, le plus pertinent ? Ce dispositif doublonne-t-il avec celui d’une autre collectivité ? Cette mission relève-t-elle de l’Etat ou peut-il la transférer à une autre collectivité ? En a-t-on évalué les effets ? Faut-il la conserver ? La modifier ? La supprimer ?

Et, ce faisant, l’exercice de la décentralisation permet aussi et surtout de faire son deuil de vieilles procédures, qui ne correspondent plus à la réalité du terrain, et d’en inventer de nouvelles. Soit une source précieuse de réflexions et d’économies, qui peuvent redonner du souffle aux politiques culturelles ! Difficile de tricher, de relativiser, avec la décentralisation : elle place l’évaluation en seul mode d’appréciation et, comme la psychanalyse ou les Exercices de Saint Ignace de Loyola, les méthodes de la décentralisation mettent la vérité à nu, afin de reconstruire des projets sur de meilleures bases.

  • Parce qu’une avalanche de gros mensonges sont régulièrement publiés par l’ensemble de la presse. Citons dans le désordre « Le MUCEM, un musée parisien décentralisé », ou Le Louvre, dont des chefs d’œuvres de la collection sont décentralisés à Lens, tout comme celles de Pompidou, « Premier musée d’art moderne et contemporain décentralisé à Metz ! ». Alors que ces trois musées sont simplement « délocalisés ». Une décentralisation impliquerait en effet, du point de vue juridique, un transfert de propriété (Collections et/ou bâtiments) et les compétences qui vont avec (Personnels) accompagnées des transferts financiers adéquats. Ce qui n’est pas le cas pour les trois nouvelles antennes. L’Etat (MUCEM) et les établissements publics (Le Louvre et le Centre Georges Pompidou) n’ont pas transféré la propriété des collections, les personnels et les moyens aux trois villes concernées. Ce sont donc des antennes, délocalisées en régions.
  • Parce que, surtout, trois textes importants sont sortis en « salve » entre juin et juillet, juste avant l’examen du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles qui débutait hier à l’Assemblée nationale, qui présentent tous un état des lieux de la décentralisation de nos politiques et que, il faut le constater avec les syndicats (SYNDEAC, CIPAC, Fédération CGT Spectacle et PROFEDIM), la Culture n’est pas du tout « dans le coup », absente de ces rapports, ou presque… Par cette absence dans les projets à 5 ou 10 ans, la Culture risque fort, le SYNDEAC a raison, de céder la place à d’autres compétences, jugées prioritaires par les collectivités territoriales, à l’avenir.
  • Parce que, enfin, les acteurs de la culture, d’habitude si prompts à grimper aux rideaux, ne disent mot, publiquement, sur les avis et propositions de ces trois textes. A l’exception de la manif’ d’Avignon du 13 juillet qui vient en réaction aux propositions de modernisation de l’actuel Gouvernement, aucune réaction des « tutelles », celles de l’Etat ou des collectivités territoriales, n’est venu infirmer les quelques très douloureux constats de ces textes. Pourtant, pendant les vacances, les débats et les votes des lois continuent !
Evelyne Lehalle et Philippe Gimet*.

*Evelyne Lehalle est membre historique de Cultural Engineering Group. Consultante senior spécialisée dans les instituions muséales, les stratégies culturelles et touristiques, dont le parcours est particulièrement riche, Evelyne Lehalle a notamment été responsable culture d’Odit France (aujourd’hui Atout France), responsable à la direction des musées de France et au ministère de la culture, responsable à la direction des musées de la Ville de Marseille. Elle dirige depuis 2009 Nouveau Tourisme Culturel, dont le blog est également partenaire de Cultural Engineering Group.

*Philippe Gimet est fondateur de Cultural Engineering Group, membre de l’Institut de Coopération pour la Culture, consultant et assistant à maîtrise d’ouvrage.


[i] Les trois textes sont :

1)      DISCOURS A L’OCCASION DES FESTIVALS D’ETE, 8 juillet 2013 (Fédération CGT du Spectacle-SYNDEAC-PROFEDIM-CIPAC). Ce texte est une déclaration de ce qui ne va pas, selon les syndicats,et sera à la base des revendications de la manifestation prévue le 13 juillet. D’autres actions sont prévues et annoncées si les signataires n’obtenaient pas de réponses satisfaisantes pour leurs revendications.

 http://syndeac.org/index.php/politiques-publiques/lutte-pour-les-budgets/actions-mobilisations/1669-discours-a-loccasion-des-festivals-dete-8-juillet-2013

2)      L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ETAT. Rapport public thématique-Cour des Comptes, juillet 2013

http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202889728237-la-cour-des-comptes-epingle-l-organisation-de-l-etat-sur-le-territoire-585194.php?xtor=EPR-101-%5bNL_13h%5d-20130711-%5bs=461370_n=2_c=201_%5d-1622909@2

La Cour des comptes invite les pouvoirs publics à faire évoluer en profondeur l’organisation de l’État sur le territoire afin de répondre aux évolutions économiques et sociales.(Voir des extraits pour la Culture  ci-dessous).

3)      LA STRATEGIE D’ORGANISATION A 5 ANS DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT, Rapport à Monsieur le Premier ministre,Juin 2013 –  Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss

POUR EN SAVOIR PLUS : suivre le très bon dossier « Actes III de la décentralisation, la réforme pas à pas », et le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Ce  dossier  élaboré et tenu à jour par La Gazette des Communes :  http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/acte-iii-de-la-decentralisation-la-reforme-pas-a-pas/

 

 

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En Espagne, la crise frappe durement la culture

Démonstration dans les rues de Bilbao, près du Musée Guggenheim, du collectif basque Berri-Otxoak contre les politiques d’austérité, lundi 27 mai. La baisse des subventions publiques se révèle la première cause des difficultés du secteur culturel en Espagne

Démonstration dans les rues de Bilbao, près du Musée Guggenheim, du collectif basque Berri-Otxoak contre les politiques d’austérité, lundi 27 mai. La baisse des subventions publiques se révèle la première cause des difficultés du secteur culturel en Espagne

Dans la capitale madrilène, le milieu culturel tente de faire face aux baisses des subventions publiques.

Tous les secteurs artistiques sont touchés, et de multiples institutions régionales sont en grande difficulté.

À Madrid, dans son café littéraire du quartier de Chueca, réputé pour sa vie nocturne, Julian Herrais Martinez a du vague à l’âme. Avant la crise, ce lieu qui propose une riche programmation de concerts, de soirées poétiques et de contes, était très prisé. Mais ce vendredi soir, devant le comptoir décoré d’azulejos, les tables peinent à se remplir. « Autrefois, la ville était pleine de monde, tous les soirs. Aujourd’hui la plupart des rues sont vides, déplore-t-il. Nous avons perdu un tiers de nos clients, surtout des jeunes. »

Pour tenir, Julian Herrais Martinez a réduit le cachet des artistes d’environ 25 %. Il a licencié un de ses cinq salariés et sacrifié ses marges. « Je vis avec moins, c’est tout. Que puis-je faire d’autre ? Il faut bien essayer de continuer », confie-t-il stoïquement.

Essayer de continuer : face à la crise économique qui frappe le pays depuis 2008, c’est le leitmotiv de la scène culturelle madrilène. Première cause des difficultés, la baisse des subventions publiques imposées par les politiques d’austérité. « En six ans de crise, nous avons perdu 30 % de nos aides publiques », décrit Gabriele Finaldi, directeur adjoint du célèbreMusée du Prado, pour qui l’année passée « est la pire que nous ayons connue ».

DIMINUTION D’UN TIERS DES SUBVENTIONS DE L’ÉTAT

Chez son voisin, le Musée national Reine Sofia, dédié à l’art du XXe siècle, la situation est comparable. « Ces trois dernières années, notre budget a diminué de 45 % du fait du retrait de l’État, indique Manuel Borja-Villel, directeur du musée. Nous n’avons plus aucun budget d’acquisition. »

Au-delà de ces deux fleurons de la capitale, tout le secteur est touché.« Les subventions de l’État aux musées ont baissé de 35 % ces deux dernières années », confirme Jesus Prieto, directeur du département musées et bibliothèques au secrétariat d’État à la culture. Le théâtre, la danse, la musique ont été confrontés à des restrictions comparables,« mais nous n’avons procédé à aucun licenciement, ni à des baisses de salaire », précise Miguel Angel Recio, autre directeur chargé de ce secteur.

Si la situation est rude à Madrid, où l’offre culturelle est l’une des plus riches du pays, la ville est cependant moins durement touchée que le reste de l’Espagne. Ailleurs, de nombreuses institutions culturelles régionales et municipales sont en grande difficulté, dans un pays où la culture est essentiellement soutenue par les collectivités locales. « Nous avons vécu vingt ans dans une bulle culturelle. Toutes les villes, toutes les régions voulaient leur grand centre d’exposition, leur auditorium, leur musée, leur théâtre…, rappelle Enrique Subiela, agent d’artistes et organisateur de tournées dans le domaine de la musique classique. L’Espagne a inauguré une multitude d’institutions sans penser à la pérennité de cette offre, reposant uniquement sur l’argent public. »

L’illusion de cette situation apparaît. « Partout des festivals disparaissent, des musées régionaux sont quasi vides. C’est le cas à Saint-Jacques-de-Compostelle, à Leon… », déplore Enrique Subiela. De nombreux auditoriums locaux n’ont plus l’argent pour faire venir des orchestres d’un niveau international.

RECOURS AU PRIVÉ POUR RENFLOUER LES CAISSES

Pour aider les théâtres municipaux, qui représentent 90 % de l’offre théâtrale en Espagne, le gouvernement prévoit de lancer un programme de soutien. Mais cette aide ne se fera pas sans contrepartie. « En échange, nous leur demandons de changer leurs mentalités, explique Miguel Angel Recio. Nous souhaitons désormais que le prix des places intègre davantage le coût réel des représentations. Il faut passer à une gestion plus moderne, plus proche du vrai marché. »

Le recours au privé fait partie des réponses privilégiées pour renflouer les caisses. Dernièrement, le Prado a élargi son cercle de financeurs privés. Le Musée Reine Sofia envisage de créer une fondation de mécènes.« Qu’importe d’où vient l’argent aujourd’hui, si nous pouvons maintenir un service public de la culture », reconnaît Manuel Borja-Villel, directeur du Musée Reine Sofia. Ces pratiques sont neuves en Espagne et les outils fiscaux manquent encore pour inciter les entreprises à la générosité.

 « Depuis des années, on parle de voter une loi sur le mécénat qui n’existe toujours pas chez nous », soupire Enrique Subiela. Le secteur culturel sait aussi que ce nouveau modèle de financement ne pourra remplacer le soutien public et qu’il accroîtra les inégalités. « Pour les grands musées, il est facile de trouver des sponsors, mais ce n’est pas le cas des petites structures, avertit Manuel Borja-Villel. Il faudra imaginer un réseau de solidarité. »

TAXER LA CULTURE À 21 %, « UNE DÉCISION LAMENTABLE »

L’heure est partout aux économies. Au Teatro Real, l’opéra national de Madrid, qui a perdu plus de la moitié de ses subventions publiques cette année, le directeur Gérard Mortier a coupé dans les frais fixes en se séparant de 25 techniciens. Il a aussi diminué de 30 % son budget de production, en réduisant sévèrement l’enveloppe pour les décors et les costumes.

Face à cette situation inédite, le directeur de la prestigieuse institution a développé une « philosophie de vie ». « Dans un univers de consommation permanente, cette obligation de réduire nos dépenses n’est pas un exercice complètement négatif », souligne-t-il. Comme de plus en plus de musées et de théâtres, il se tourne davantage vers la coproduction. « Il est décadent de multiplier les productions des mêmes opéras, chaque théâtre voulant, par exemple, “sa” Traviata pour l’année Verdi, juge-t-il. Il vaut mieux coopérer à trois ou quatre maisons pour monter une magnifique Traviata. »

Si le secteur culturel préfère se mobiliser plutôt que de se lamenter face à la crise, il juge sévèrement la politique du gouvernement espagnol, notamment la décision, prise en 2012, de taxer la culture comme les autres biens de consommation, qui a fait bondir la TVA de 8 % à 21 %.« C’était une décision lamentable, il n’y a pas d’autre mot, s’indigne Gérard Mortier. On ne doit pas frapper l’art et la culture, car c’est grâce à eux que l’on sortira de cette crise qui n’est pas d’abord une crise d’argent mais une crise des valeurs. »

Pour Enrique Subiela, cette décision est caractéristique d’un état d’esprit qui réduit la culture à « un divertissement », selon les mots du ministre des finances espagnol. « En Espagne, l’idée que la culture doit être protégée disparaît, au même titre que la santé et l’éducation. C’est inquiétant. »

 ———————————

 Le public face à la crise

Depuis le début de la crise, la fréquentation des musées, soutenue par une politique de gratuité, est en hausse. À Madrid, le Musée Reine Sofia a doublé le nombre de ses visiteurs en cinq ans, passant de 1,5 à 3 millions de visiteurs. À Matadero, centre dédié à la création contemporaine à la périphérie de Madrid, la fréquentation a doublé depuis 2010. La situation est plus inquiétante dans le secteur des arts vivants.  « Le nombre de spectateurs a diminué de 10 à 20 % dans le théâtre et la musique »,  indique Miguel Angel Recio, directeur de ce département au secrétariat d’État à la culture.

D’autres observateurs évoquent des baisses plus fortes pouvant atteindre 25 %. Pour Enrique Subiela, agent d’artistes, il existe une  « vraie crise de la demande culturelle en Espagne. Elle a été artificiellement soutenue par des prix très bas, liées aux subventions publiques. Mais l’on n’a pas mené de politiques éducatives suffisantes pour la consolider. » 

 Source : La Croix – ÉLODIE MAUROT (à Madrid)

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A propos de « l’infarctus culturel »

Un livre publié en Allemagne en mars 2012 (Der Kulturinfarkt « l’infarctus culturel ») soulève une polémique dont s’est fait écho le n° 1129 du Courrier International (semaine du 21 au 27 juin 2012) en en publiant des extraits traduits. Ecrit par 4 professionnels de la culture, plutôt gestionnaires, Pius Knusel directeur de la fondation culturelle suisse Pro Helvetia, Stephan Opitz haut fonctionnaire de la culture dans le Land de Schleswig-Holstein, Dieter Haselbach, consultant culturel, et Armin klein, professeur de management de la culture, il a soulevé une « bronca » de l’intelligentsia artistique et culturelle allemande. Pourtant que ne pourrait-on avoir un tel débat en France tant les constats faits par les auteurs sur le monde culturel germanique sont proches de ceux que nous observons tous les jours dans notre pays à propos de la politique culturelle ?

Qu’on en juge en déroulant leur diagnostic :

  • la culture ne peut échapper à la réduction des dépenses publiques et le fait que « la culture n’est pas une marchandise » n’y changera rien
  • « la culture subventionnée est un malade alité dans sa chambre qui ne s’intéresse à rien de ce qui se passe hors de ses quatre murs »
  • « la culture subventionnée, au nom de la culture pour tous revient à assurer la pérennité des privilèges et des acquis » (des acteurs et des publics)
  • tout le système est de fait basé sur un marketing de l’offre (plus de musées, plus d’institutions culturelles tout comme en France) souvent ignorant de la demande : l’offre augmente, le gâteau de la demande doit se partager entre des acteurs de plus en plus nombreux et de fait ce sont toujours les mêmes (5 à 10 % disent les auteurs ; en France plutôt 5 % selon les études d’Olivier Donnat sur les « Forts Pratiquants Culturels ») qui « s’intéressent à l’offre culturelle avec un grand C »
  • le fait de s’affranchir de la demande « au nom de la liberté artistique » se traduit par des institutions dont le taux d’autofinancement ne dépasse pas 15 %
  • au passage, un effet ciseau fait que « tout le monde vit au paradis » grâce aux subventions, des coûts de production qui s’envolent et une baisse constante du prix des billets (en raison de la concurrence féroce entre institutions et des ambitions pédagogiques); cet argument revisite à l’époque contemporaine l’explication du nécessaire subventionnement du spectacle vivant qu’avait mis en évidence l’économiste Baumol dans les années 60 en montrant que les séries courtes de diffusion et l’avant-garde entraînaient une inflation des coûts de production qui générait une économie subventionnée
  • « les politiques préfèrent inaugurer un nouveau musée ou créer un énième festival plutôt que de s’interroger sur sa finalité (d’où les justifications actuelles par le tourisme, les retombées économiques, ou l’économie créative qui profiterait à l’ensemble de l’économie)
  • à l’appui de leur thèse les auteurs citent un ancien directeur du musée de Hambourg, Uwe Schneede, qui résume ainsi « Les structures sont obsolètes, il y a trop de paperasserie, trop d’ingérences des politiques et de l’administration, il n’y a pas assez d’ouverture vers le public, pas assez d’autonomie, de contrôle des résultats, pas assez d’initiatives à destination des mécènes et des collectionneurs privés »
  • la subvention paralyse dans les institutions culturelles le risque nécessaire pour innover et en cela, se frotter au marché, à la concurrence privée est essentiel pour « éprouver les conséquences de leurs échecs et de leurs succès sur le marché »

Mais bizarrement, face à un diagnostic si juste, tout à fait adaptable à la France (on pourrait même rajouter en France, pays centralisé à la différence de l’Allemagne, le déséquilibre entre les institutions parisiennes et celles de Province), les conclusions tirées par les auteurs sont peu crédibles : ils proposent en effet pour le bien du système de diminuer drastiquement le nombre d’institutions par deux, pour recentrer les aides publiques sur « ceux qui le méritent, sur de nouvelles formes et supports de production et de diffusion culturelle, la culture amateur , l’enseignement artistique et une formation artistique véritablement inter-culturelle ». C’est vraisemblablement ces conclusions extrêmes, et non le diagnostic, qui à juste titre ont fait qualifier ce livre de « simpliste » « néolibéral », « vague », « de la provocation gratuite ».

Pour notre part, et nous sommes quelques-uns dans le secteur culturel à le penser depuis des années, nous disons qu’il faut graduellement inciter les institutions culturelles à compter plus sur leurs propres forces et moins sur les subventions, à augmenter leur taux d’autofinancement en recrutant plus de nouveaux publics non acquis à la culture, par des formes nouvelles et décalées collant aux tendances contemporaines, par des horaires élargis, par des communications efficaces (non destinées au seul milieu culturel et ne reposant pas uniquement sur le web social), et tout autant à les faire dépenser plus, pas seulement en augmentant les prix, mais aussi en générant de nouveaux services lucratifs (librairies-boutiques, restaurants, audioguides, locations de salles…). Faire croire aux acteurs culturels que le mécénat remplacera les subventions est tout autant dangereux, car il est fortement soumis à la conjoncture et au « fait du prince », et surtout cela retardera la nécessaire prise de conscience que la bataille principale pour les institutions culturelles est l’augmentation du taux d’autofinancement issu des visiteurs et des spectateurs (dans un marché). Plutôt que, comme nos collègues allemands, proposer de « couper dans le vif », disons qu’au cas par cas, il faut que partout au niveau de l’Etat et des Collectivités Locales se généralisent des contrats d’objectifs graduels visant à faire sortir toutes les institutions culturelles des zones « malsaines » des taux d’autofinancement à 15-20 % vers des zones à négocier selon les établissements entre 30 et 50 %. Et pas au-delà, car sauf rarissime exception, la culture a un prix que le service public doit assumer mais pas systématiquement, par confort et par habitude, à plus de 80 %.

Jean-Michel Puydebat*

*Jean-Michel Puydebat est consultant spécialisé en management de la culture, directeur de PV2D, président du réseau de consultants CPIP et membre de CEG.

Sur le même sujet, lire notre article paru au moment de la publication de l’ouvrage en question :

 Pour votre complète information, Pius Knusel a tout récemment quitté ses fonctions.

Du même auteur :

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Aides des collectivités territoriales et droit communautaire : la culture menacée ?

Le groupe de travail sur l’influence du droit communautaire sur le financement des services culturels par les collectivités territoriales a rendu ses conclusions au Sénat au début du mois d’avril. Le communiqué de presse qui nous est parvenu avec la synthèse du rapport du président du groupe de travail Monsieur Vincent Eblé témoigne de la complexité et de l’importance du sujet.

En effet, le droit communautaire évolue. Le paquet Monti-Kroes, datant de juillet 2005, a été remplacé par le paquet Almunia, adopté par la Commission européenne le 20 décembre 2011 et applicable en France depuis le 1er février 2012. S’adressant à l’ensemble des pouvoirs publics, nationaux et locaux, il émet un principe général d’interdiction des aides d’État, tout en autorisant certaines compensations notamment pour la fourniture de « services d’intérêt économique général » (SIEG). Au-delà d’un certain seuil de subvention, le seuil de minimis, qui devrait prochainement être fixé à 500 000 euros sur trois ans, toute compensation fait l’objet d’une notification.

Ceci est lourd de conséquences pour la culture et plus généralement pour l’écosystème culturel. Des mutations profondes s’annoncent. Plusieurs de nos membres sont très mobilisés sur cette question et nous aurons l’occasion d’y revenir très prochainement en détail.

La synthèse du rapport est téléchargeable dans notre box ressources.

Le communiqué :

Aides des collectivités territoriales et droit communautaire :

mieux prendre en compte les spécificités du secteur de la culture

Le mercredi 4 avril 2012, la commission de la culture, présidée par Mme MarieChristine Blandin (Groupe écologiste – Nord), a adopté les conclusions du groupe de travail sur l’influence du droit communautaire sur le financement des services culturels par les collectivités territoriales, présidé par M. Vincent Eblé (SOC – Seine‑et‑Marne).

Après avoir entendu une trentaine de personnes et rencontré les cabinets des commissaires européens concernés par ce sujet, le groupe de travail dresse le constat d’un risque d’insécurité juridique, lié à la complexité du droit des aides d’État et de la commande publique et à la difficulté de leur mise en œuvre. En outre, acteurs culturels et collectivités territoriales sont confrontés à un enchevêtrement de normes nationales et européennes parfois contradictoires. Enfin, le corpus juridique encadrant le financement des services culturels ne tient pas suffisamment compte du caractère spécifique de la culture pourtant réaffirmé par la convention de l’Unesco.

Certaines pistes sont à explorer :

  • l’analyse des marges de manœuvre existantes (procédure adaptée pour les projets culturels, subventionnement des associations);
  •  la mobilisation des acteurs culturels et des pouvoirs publics pour entamer des négociations avec la Commission européenne afin que soient mieux prises en compte les spécificités culturelles (notifications de régimes d’aides ou d’aides compatibles au sens de l’article 107-3-d du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, incorporation de secteurs culturels dans un règlement général d’exemption) ;
  • un meilleur accompagnement, par l’État, du secteur culturel et des administrations territoriales (formation des personnels des directions régionales des affaires culturelles au sein desquelles serait désigné un référent, présentation claire et fiable des règles de financement, qu’il s’agisse d’un guide ou de la mise à jour de la circulaire du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations).

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La Slovénie supprime son ministère de la Culture

Le nouveau Premier ministre conservateur slovène, Janez Janša, a supprimé le ministère de la Culture et intégré celle-ci dans un ministère global de l’Education, des Sciences, de la Culture et du Sport. Lors de la présentation de son gouvernement samedi, Janša a justifié cette suppression par l’intention de faire des économies, ce dont doute toutefois l’essayiste Miha Jenko dans le quotidien de centre-gauche Delo : « Reste à savoir ce qui est le plus raisonnable pour le petit pays qu’est la Slovénie, soumise aux règles culturelles et financières mondiales. C’est aux créateurs de la culture eux-mêmes d’en décider. Mais c’est seulement dans les prochaines années que nous saurons qui des partisans ou des opposants à la suppression a raison. En tant qu’auteur qui se penche sur les questions de budget et autres thèmes financiers, je ne peux que constater que la fusion du secteur de la culture avec d’autres domaines n’apportera aucune économie notable. »

Source : BpB

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FRANCE : LE MONDE QUI SE FAIT SE FAIT AILLEURS !

"OPHELIA" materials : taxidermy lion, ceramic, glass. In collection : National museum, Oslo.Idiots.Nl, 2005.

L’enquête montrant que la France fait partie des pays dont la population est la plus pessimiste sur l’avenir, loin derrière les pays européens, les pays en développement et même des pays en guerre doit avoir une réponse politique et non pas simplement une forme d’étonnement médiatique : tiens ! Ça alors, ah ! Ces français jamais contents, etc….

C’est en fait le signe que les français sont parfaitement conscients que le pays s’enfonce dans un appauvrissement général et que demain sera pire qu’aujourd’hui. Leur piètre opinion des politiques montre qu’ils n’attendent rien de ce côté-là et qu’ils ne voient rien d’autre à faire qu’à se protéger bec et ongles et pas à pas sur le chemin de cette descente. Les manifestations sur la retraite en sont une éclatante illustration. Chacun sait bien que avec l’allongement de la durée de la vie et celle des études, on ne peut pas conserver en l’état un système qui a été crée quand il y avait deux ou trois fois plus d’actifs que de retraités, mais chacun se dit et dit : « encore une minute Monsieur le bourreau ! », Ou bien, « Mais la France est riche ! Il faut prendre l’argent là où il est ! »

Pour se convaincre que la politique de l’autruche n’est plus possible, il suffit de regarder la carte que vient de sortir Eurostat sur le PIB des régions françaises par rapport à celles de l’Europe. Sur 25 régions, seules trois, l’Ile de France, Rhône Alpes et Provence Côte d’Azur ont un P.I.B. par habitant supérieur à la moyenne des Régions européennes à 27 ! Quand on sait en plus que l’élargissement de l’Union a eu pour effet de baisser de 10% le P.I.B. moyen, on mesure, en se souvenant de la place de la France dans l’Europe des 15, la vitesse et l’ampleur de la descente.

Bref, la France est en train de rater la nouvelle révolution économique, comme la Chine ou l’Espagne au 19° siècle avaient raté la première, et l’Angleterre la deuxième au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Quand on regarde pourquoi certains pays ont réussi ces mutations et pourquoi d’autres ont échoué, on s’aperçoit, sans être un marxiste forcené, que tous ceux qui ont échoué, ont eu en commun que leurs structures sociales, crispées sur leurs « positions », ont bloqué le développement des forces productives nouvelles.

Au contraire les pays qui ont su adapter leurs rapports sociaux pour laisser s’exprimer les nouvelles forces productives se développent rapidement, soit parce qu’ils ne sont pas bridés par des groupes sociaux qui n’existaient pas (ah ! Ah ! En Asie !), soit parce qu’ils ont su en Europe du Nord ou en Allemagne évoluer avec les nouvelles donnes.

Et on peut lire ce qui se passe en ce moment dans les pays arabes comme le seul moyen qui reste aux jeunes et aux nouvelles couches modernistes pour réformer, y compris par la Révolution, des rapports sociaux qui empêchent ces pays de s’adapter aux nouveaux modes de productions qui permettraient de les développer.

Est-ce trop tard pour la France ? Montrera-elle une nouvelle fois que ses rapports sociaux trop rigides ne lui permettent de se développer que par la Révolution ? Pas forcement, quoique chaque année qui passe nous rapproche du point de non retour de l’exclusion et rendra l’exercice plus difficile.

Il nous faut faire à nouveau une véritable « nuit du 4 août » de toutes les situations acquises des plus petits jusqu’aux plus riches et adopter ce qui marche ailleurs, ou dire, comme les dockers de Marseille : « si notre métier est mort, que tout le monde meurt avec nous ! ».

Attention aux démagogues et aux populistes : Voici venu à nouveau le temps nécessaire du courage politique. Qui osera prendre le flambeau la gauche ou la droite ?

Pierre Lehalle*

 

*Pierre Lehalle, ingénieur ETP et MBA de l’IAE,  a dirigé plusieurs entreprises dans le domaine du Logement. Il a participé aux Bureaux des Clubs Convaincre et Convictions.

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