Ceci est le texte de l’allocution d’un de nos membres les plus émérites, René Villemure, présentée le 27 mars 2012 à Tunis lors du 1er Forum International sur la RSE en Tunisie.
La RSE et son importance dans le contexte mondial actuel
La RSE ? Certes. Mais quelle RSE ?
Il n’y a jamais eu, et il n’y aura jamais, de RSE sans réflexion.
Si cela va sans dire…cela ira encore mieux en le disant…
Bien que le sujet soit sur toutes les lèvres, on utilise la RSE et l’éthique plus souvent qu’autrement afin de justifier des normes. Au lieu d’inspirer, on tente de contrôler le comportement en surveillant, en comparant les conduites avec des textes figés et en punissant, ce qui ne constitue pas, d’emblée, des gestes éthiques. De fait, l’éthique et la RSE, malgré leur notoriété, demeurent mal connues et mal comprises.
Considérant que la notoriété du sujet n’égale pas sa connaissance, j’aimerais vous présenter, en quelque minutes, ce qu’est réellement l’éthique, ce qu’elle n’est pas, puis, enfin de faire le lien avec la RSE, tant la RSE « attendue » que la RSE à inventer dans le cadre de ce Forum.
Même si plusieurs abusent du terme « éthique » et si, en conséquence, celui-ci est de plus en plus « connu », posons la question : malgré sa notoriété, sait-on réellement ce qu’est l’éthique ou ne sommes-nous qu’en mesure d’en déplorer le manque?
L’éthique, et c’est curieux, est l’un de ces sujets que tous semblent vouloir s’approprier sans pour autant en comprendre les exigences ou la portée. Écoutons les conversations et nous pourrons entendre parler de l’éthique du football et même de l’éthique de ceux qui travaillent fort… Tout dire sans rien dire…
Ainsi, et c’est incontestable, le sujet de l’éthique est connu mais, s’y arrête-t-on vraiment ?
L’éthique n’a pas la vie facile, elle est souvent masquée par tout ce qui se prend pour elle…c’est la raison pour laquelle on entend plus souvent parler de « codes d’éthique », c’est-à-dire d’impératifs à suivre absolument sous peine de sanctions. La RSE « attendue » relève de la même logique, celle de la surveillance. Cette conception, fort populaire, est cependant réductrice. Elle réduit le « Bien Faire » à l’obéissance…
Ces codes maladroitement appelés « codes d’éthique » relèvent, au sens strict, de la déontologie, c’est-à-dire d’un « discours sur le devoir ». La déontologie est une pratique normative qui se penche sur son passé, que l’on croit immuable, et qui, souvent, n’aime point son présent. C’est la raison pour laquelle elle propose d’ajuster le comportement présent au passé jugé « idéal ». La RSE « classique » dit la même chose…
En situation de décision, le déontologue ou le spécialiste de la RSE « attendue » tentent patiemment de rapprocher rigoureusement la situation en présence du texte original afin de restituer à la situation actuelle la perfection du texte original sans nécessairement tenir compte du contexte ou de l’irrégularité de la situation. La déontologie est une pratique patiente et mesurée de comparaison avec un texte figé…figé dans le passé, bien sur… La RSE « classique » aussi…
Enfin la déontologie, pour qui n’existent que les cas les plus fréquemment rencontrés, elle inspire par la crainte, elle définit ce qui est « mal », ce qui est interdit, elle recherche la faute par rapport à un texte fondateur jugé parfait. La RSE « attendue » aussi…
L’éthique, de son côté, est une pratique évaluative fondée sur des valeurs en vue de l’atteinte d’une finalité jugée « bonne »; elle est plus soucieuse du « bien dans les circonstances » que de la conformité systématique à une règle figée. L’éthique se soucie de la décision à prendre avec justesse, dans un contexte irrégulier, malgré l’incertitude et tout en considérant que le juste, en soi, est une cible fuyante. « Que nous incombe-t-il donc de faire dans les circonstances » demande l’éthique.
L’éthique doit être comprise comme étant un exercice réflexif qui résulte d’une certaine prise de conscience collective, d’un désir de faire autrement, d’un ambition de faire « mieux » au niveau moral. On pourrait parler ici « d’articulation vertueuse » du développement durable par les entreprises.
L’éthique peut-être comparée à une œuvre d’art qui appartient à une époque ou à un peuple; une décision éthique appartiendra toujours à un contexte, à un moment spécifique dans l’espace et dans le temps. Et tout comme dans le domaine de l’art où les « connaisseurs », nombreux, évaluent la technique, l’éthique a ses faux experts, tout aussi nombreux, qui rédigent des codes standardisés tout en n’ayant peu de souci pour l’éthique en soi ou pour le sentiment artistique de l’éthique. On parle alors « d’éthique irresponsable ».
La RSE qui doit être imaginée et conçue au cours de ce forum devra donc être une « RSE Nord-Africaine » et non pas la reproduction ou une adaptation facile de la RSE « attendue » concept pensé par d’autres, pour d’autres.
* * *
Lorsqu’on évoque l’éthique dans le cadre d’une réflexion sur une RSE Nord-Africaine il faut savoir que l’éthique est affaire de culture, tant celle d’une organisation, d’une société, d’un mouvement ou d’un peuple. Elle doit s’appuyer sur des valeurs communes qui devront être claires, praticables et partagées; ces valeurs devront éclairer et éviter de recouvrir ce qui doit être fait par ce qui peut être dit.
L’éthique et la RSE sont affaire de culture et il faut rappeler qu’une culture ne se change pas, elle ne peut que migrer. Lentement.
La migration culturelle, la migration éthique, ou la migration vers une RSE Nord-Africaine est la prise en compte d’un désir de transformation qui permettra de faire le lien entre « pas de RSE », la RSE « attendue », sans liens culturels réels et la RSE Nord-Africaine. C’est cette RSE Nord-Africaine qui permettra de faire le lien entre le durable et le court terme, la création de valeurs et le gaspillage, le collectif et l’individuel.
Il faut influencer la culture actuelle de vos environnements vers une culture RSE Nord-Africaine parce qu’actuellement la culture de plusieurs organisation ou sociétés présente en Afrique du nord ne se démarque pas, ainsi, on ne la remarque pas… on n’en remarque que les manquements. Ce qui est déplorable et insuffisant pour permettre à vos environnements d’éclore sur le plan éthique.
Et ce sont ces mêmes manquements qui font que l’on ne parle d’éthique qu’en termes de conflits, de fraude ou d’abus; ce sont ces mêmes manquements qui font que l’on parle de RSE en termes de non-conformité, d’abus ou de problème.
Pas très inspirant, il faut l’avouer…
N’auriez-vous pas le goût que l’on fasse référence à la RSE dans un contexte qui lui est propre plutôt qu’à titre de béquille destinée à surveiller et à punir ? Bien Agir me semble plus inspirant que « ne pas mal faire ».
La RSE Nord-Africaine exigera de ses acteurs qu’ils puissent évoluer dans un cadre plus large, qu’ils puissent élever leur regard et apprécier la complexité d’un monde en changement. Le réflexe traditionnel d’automatisme dans les gestes de gestion ou de gouvernance perdra de sa pertinence. Dans le monde de la RSE Nord-Africaine, Voir autrement et penser autrement ne seront plus des alternatives, ce seront des nécessités.
Dans cet effort, plusieurs dangers nous guettent. Je ferai mention du principal danger, celui de la récupération de la RSE par les opportunistes qui seront tentés d’en faire une « RSE de vitrine »… Une éthique de vitrine, une esthétique qui préfèrera le confort de Bien paraître aux exigences de Bien faire. En matière d’éthique et de RSE Nord-Africaine, la vigilance sera de mise.
L’éthique et la RSE Nord-Africaine ne seront jamais l’aboutissement logique de bonnes intentions. Elles seront le résultat de réflexion et de proposition fondées sur le sens et sur des valeurs telles la justesse, le respect et la vigilance.
Ces trois valeurs représentent un horizon moral souhaitable d’une RSE à visage humain, d’une RSE Nord-Africaine…
Les ingrédients mystères ? Le temps et la réflexion… ce que nous sommes à faire ici ce matin…
Nous sommes non ce que nous choisissons d’être une fois pour toutes mais ce que nous choisissons de faire à chaque instant
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Certains concepts nous suivent de si près que l’on oublie parfois, d’en préciser le sens…
Plusieurs d’entre vous m’ont écrit suite à la publication du Bulletin Réflexif « La RSE Nord-Africaine » afin de me demander ce qu’était la « RSE ».
Il est vrai que le terme est surtout utilisé en Europe, en Afrique et très peu au Québec. Les pays anglo-saxons font référence au « CSR », « corporate social responsibility ».
Selon Wikipedia :
« La responsabilité sociétale (ou sociale) des entreprises (RSE) est un « concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales, et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire ».
Énoncé plus clairement et simplement, c’est « la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable ». À noter qu’en 2010 le Ministère français de l’Ecologie, de l’Energie et du Développement Durable emploie le terme de responsabilité « sociétale », jugé plus large et plus pertinent que « responsabilité sociale ».
(…)
La RSE est donc la déclinaison pour l’entreprise des concepts de développement durable, qui intègrent les trois piliers environnementaux, sociaux, et économiques. Elle a été à l’ordre du jour du sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, auquel ont participé de grandes entreprises, en particulier françaises, des secteurs de l’environnement et de l’énergie.
En Belgique, le terme responsabilité sociétale des entreprises est utilisé plutôt que responsabilité sociale des entreprises (traduction directe de l’anglais corporate social responsibility) qui pourrait omettre le pilier environnemental ».
Le Premier forum international sur la RSE en Tunisie a fait l’objet d’une importante couverture média, tant électroniques qu’écrits. Parmi les articles intéressants :
Tunisie : Qu’en est-il de la responsabilité sociétale des entreprises?
Tunisie : Vers la création d’un label « Responsabilité sociale des entreprises ».
Je remercie tous ceux qui ont pris le temps de me demander ces précisions.
René Villemure
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d’éthique appliquée notamment aux domaines de l’innovation, de la culture, de la gouvernance et de la communication.
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