Nouvel article passionnant d’Aude Mathey sur son excellent Culture et Communication. Elle revient sur l’expérience menée dans le hall M du terminal 2E de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, où est ouvert depuis le 15 janvier dernier un « Espace Musées ». C’est avec plaisir que nous relayons cet article.
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Vous l’avez probablement déjà remarqué, soit parce que vous êtes un(e) habitué(e) de Roissy-Charles-de-Gaulle ou tout simplement parce que vous l’avez vu dans la presse, Aéroports de Paris (ci-après ADP) a ouvert un « Espace Musées » dans le hall M (de la « mode ») du terminal 2E le 15 janvier dernier.
L’Espace Musées, initié par Francis Briest, co-président de la maison de vente Artcurial entouré d’ADP bien sûr mais aussi de Serge Lemoine, ancien président du Musée d’Orsay (qui assure la direction artistique de toutes les expositions), Nelson Wilmotte, du cabinet Nelson Wilmotte Architectes (qui a conçu l’architecture du lieu avec l’assistance de l’agence Wilmotte & Associés), a pour vocation de présenter au public au départ ou en transit au Terminal 2E deux expositions par an avec des fonds provenant des musées parisiens.
Cet espace en fait pas suite à un besoin de loisirs particulier exprimé par les passagers selon Jérôme Landras, attaché de presse d’ADP, mais symbolise la touche finale de la transformation de l’espace commercial du terminal. En effet, il y a 2-3 ans, afin de pouvoir raconter une histoire autour de Paris, les espaces commerciaux et de restauration devaient adopter la même forme, la même ambiance. L’Espace Musées, écrin de 250 m², a donc pour but, au milieu de restaurants et de boutiques de luxe, de créer une expérience originale pour un public qui n’aurait pas forcément l’habitude des musées, souligne Catherine Chevillot, directrice du musée Rodin.
UNE EXPÉRIENCE UNIQUE ?
L’Espace Musées, pour sa première exposition, accueille plusieurs oeuvres du musée Rodin, des plus emblématiques au plus méconnues sur le thème des « Ailes de la Gloire ». Les prochaines expositions qui auront lieu tous les 6 mois proviendront de collections aussi bien publiques que privées, mais auront toutes pour trait commun de faire référence à la thématique du voyage et de l’humain ainsi que de pouvoir faire appel à des thèmes universels ou qui, en tout cas, puissent être compris par différentes cultures ajoute Anne de Turenne, chef de projet à l’Espace Musées. Le terminal 2E est en effet un lieu de destination et de départ de longs courriers. La programmation dans tous les cas doit être validée conjointement avec le musée, même si l’intégralité des frais et de la gestion de l’exposition est prise en charge par le fonds de dotation de l’espace (nous n’avons pas réussi à en connaître le budget).
En ce qui concerne la médiation, puisque le public est extrêmement diversifié, l’Espace Musées a souhaité privilégier une borne interactive et des cartels. Une application, au risque d’être trop isolante et donc empêchant les voyageurs de pouvoir suivre les annonces sur leurs vols, n’est pour l’instant pas envisagée. Il ne fat en effet ne pas oublier que nous restons dans un aéroport.
Ce projet, quoique innovant, n’est pourtant pas unique. L’aéroport d’Amsterdam-Schipol a lui aussi son annexe du Rijksmuseum. L’expérience y certes différente puisque seul un musée est concerné, mais il serait intéressant de voir le développement de ce type d’offre sur d’autres aéroports similaires dans de grandes villes à fort potentiel culturel.
L’adhésion d’ADP à ce projet, au-delà de la « mission d’accessibilité et de diffusion de la culture artistique française » comme le dit si bien Augustin de Romanet, président-directeur général d’Aéroports de Paris, s’est également et surtout faite grâce à la valeur ajoutée qu’apporte ce type de projet dans un campagne stratégique et de positionnement.
LA DÉMOCRATISATION CULTURELLE, ARGUMENT MARKETING ?
Ainsi que le soulignait plus haut Jérôme Landras, attaché de presse d’ADP, l’espace Musées est venu apporter la dernière touche à une stratégie de storytelling bien pensée.
Qu’est-ce que le storytelling, tout simplement « raconter des histoires ». Non pas raconter des mensonges, mais apporter un fil conducteur dans le cadre d’une stratégie marketing, mais également dans la rédaction de contenus de médiation ou tout simplement bien sûr dans l’écriture d’un roman. Le storytelling a été adopté depuis plusieurs années déjà par les professionnels du marketing. Il est en effet plus facile de positionner une marque et de faire comprendre son positionnement grâce à l’adoption d’un fil rouge clair, cohérent et répétitif dans les supports de communication.
Aéroports de Paris a tout intérêt à ce que les voyageurs fréquentent assidûment ses aéroports, qu’ils les privilégient plutôt que les gares de train (pour arriver à la même destination lorsque le choix est possible) ou transiter par l’un d’entre eux plutôt que dans un autre aéroport avant d’arriver à sa destination finale. «Soixante-et-un millions de passagers transitent chaque année à Paris-Charles-de Gaulle. Or, confort et réputation d’un aéroport conditionnent le choix de la correspondance. Nous voulons faire préférer Roissy», martèle Pascal Bourgue, directeur Marketing d’ADP. Il est donc important qu’ADP donne envie aux voyageurs de revenir et leur laisser une « bonne impression » selon Jérôme Landras. L’enjeu est important et le fil rouge qui doit être développé est stratégique. C’est ainsi que des travaux ont été développés dans le hall M (comme « Mode ») afin de donner une harmonie à chacune des boutiques et des espaces de restaurations. La plupart d’entre eux sont des commerces de luxe ou haut-de-gamme, ce qui correspond parfaitement à l’image de la France que peut se forger un touriste étranger, mais également au public auquel ADP s’adresse (puisque le terminal 2E propose des vols majoritairement longs-courriers, le pouvoir d’achat de ses voyageurs est donc plus important que pour les autres terminaux). Au-delà de la mode et de la gastronomie, ADP se devait de faire connaître la culture française, via un succédané, une sélection des meilleures oeuvres de musées parisiens. C’est ainsi que les 250 m² de l’Espace Musées, lieu de culture accessible gratuitement, devient le point d’orgue de cette expérience. Jérôme Landras a ainsi remarqué, lors de l’ouverture de l’espace, que les premiers visiteurs étaient ravis et bluffés de découvrir un lieu d’exposition. Le but aura donc été atteint.
Cependant, drainer des voyageurs toujours de plus en plus nombreux ne serait pas le seul but de l’Espace Musées. Bien qu’aucun partenariat n’ait été noué avec le Ministère de la culture et de la communication (peut-être que l’Espace Musées veut préserver son indépendance vis-à-vis d’une grande institution ?), l’enjeu est grand pour les musées sont les oeuvres sont exposées. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, le public fréquentant le terminal 2E a un pouvoir d’achat important, et provient des Amériques, de l’Asie et de l’Afrique. Bref, des zones géographiques dans lesquelles résident un bassin très important d’amoureux de la culture française et potentiellement mécènes. Anne de Turenne ne nous l’a confirmé qu’à demi-mot. Bien que le fonds de dotation bénéficie aujourd’hui de fonds propres (dont on ne sait toujours pas le montant) et d’aucun soutien extérieur, que ce soit de l’Etat ou d’un partenaire privé, il ne ferme pour autant pas la porte à de potentiels mécènes. Cette question doit pour autant être envisagée avec les musées dont les œuvres sont exposées. Peut-être leur en ai-je donné l’idée ? Ils viennent de créer une rubrique « Soutenir le musée »…
Le prochain musée partenaire de l’Espace Musées n’est pas encore communiqué. Mais des informations circuleraient sur une présentation des œuvres du musée Maillo. Plus d’informations à venir au printemps.
Gageons que cela fonctionnera. L’inverse serait fort dommage dans ce lieu particulièrement cosmopolite. À terme, l’Espace Musées espère accueillir 500.000 visiteurs par an.
Pour lire l’article dans son version originale, cliquez ici.
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