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Depuis quelques années, on voit fleurir en France les termes de « Ville créative », de « Métropole créative » ou de « Région créative », où la culture joue un rôle tout particulier pour ces territoires. Ces termes (issus du terme anglais « creatvie cities ») trouvent leur source dans de nombreuses formes et théories, notamment celles de la gouvernance économique des territoires. Elles ont été remises au goût du jour par les livres de Richard Florida, ouvrages qui ont remporté un succès considérable auprès des écoles de sciences économiques et de sociologie, ouvrages qui ont aussi eu trop tendance à éclipser toutes les autres contributions du fait d’une « mode Florida ».
Mais en réalité de quoi parle-t-on ? A chaque fois qu’une étude (souvent anglo-saxonne) met en évidence que l’impact économique direct et indirect de la culture sur un territoire est très positif, elle est immédiatement reprise par nombre de politiques ou des acteurs territoriaux dans des discours ou des projets plus ou moins heureux alors qu’au même moment on trouve des contre-arguments qui font plus que pondérer la question.
Le problème restera entier en France tant qu’on n’établira pas des critères d’évaluation pertinents et tant qu’on considérera la culture comme une politique sectorielle. Sur ces deux questions, il y a une grande effervescence intellectuelle et des mouvements de fond qui sont désormais bien engagés, avec de nombreux exemples d’expériences et d’initiatives qui pourraient bien, dans un contexte de RGPP et de réforme des collectivités territoriales, faire hésiter plus d’un politique pour investir ou investir à nouveau dans la culture et la créativité alors qu’elles sont des clés de leur avenir.
Du champ de l’analyse au champ du marketing territorial, il n’y a qu’un pas lorsqu’on se situe dans une concurrence de plus en plus forte et qu’il faut trouver des concepts, des stratégies, des expérimentations qui permettent de se distinguer du lot. Or, comme pour la culture, personne n’est véritablement d’accord sur la définition à donner aux « Villes créatives », c’est en fonction de la spécificité du territoire, de ses objectifs et de sa prospective qu’on voit des initiatives se prendre et des stratégies se mettre en œuvre, initiatives et stratégies qui ont un impact majeur sur le rayonnement et l’attractivité de ces villes.
On trouve donc autant d’appropriations du terme que de situations locales et il nous est apparu utile de mettre en évidence les typologies et les enjeux d’abord sur le plan technique et affectif, pour ensuite décrire les pratiques du genre en France et ailleurs lors de prochains articles.
Quelques aspects « techniques »
Eléments de définition
Le terme « creative cities » vient de la sédimentation de plusieurs thèses depuis les années 60 qui traitent de la créativité en milieu urbain (de Jane Jacobs à Richard Florida en passant par Pier Luigi Sacco, pour résumer). Au départ il s’agissait de définir un modèle de planification urbaine centré sur la créativité et l’innovation. Depuis, l’approche s’est diversifiée et fortement élargie pour prendre des formes très différentes et donner lieu à une impressionnante palette de possibilités pour la gourvernance, la dynamique et l’attractivité territoriales.
Les « creative cities » sont multiples dans leurs formes et leurs organisations mais elles se distinguent toutes par une place centrale accordée à la culture, à la créativité ou à l’innovation, susceptibles de stimuler, contribuer et/ou piloter au développement de plusieurs secteurs d’activité (tourisme, recherche et enseignement, événementiel, développement économique, action sociale, etc.).
Les formes les plus connues sont de trois types :
- les « creatives cities » qui visent d’abord des enjeux économiques et des retombées par la culture ou la créativité, on parle les districts territoriaux (ou clusters, ou grappes) : terme désignant l’organisation d’une filière d’activité sur un territoire donné, filière qui doit « conduire » une part importante de la dynamique économique et de l’attractivité du territoire. Historiquement, ces districts étaient plutôt industriels (le textile et la chaussure en Italie, l’horlogerie dans la vallée de l’Arve, etc.), on parle aussi pour certains de Systèmes Productifs Locaux (SPL), puis sous l’effet conjoint de la révolution des industries culturelles (massification des moyens de création, production et diffusion) et de la mutation de l’économie vers le tertiaire, ils ont fortement pris d’assaut les domaines des industries dites « créatives », de l’innovation et des nouvelles technologies. Par exemple à Montréal, il existe une grappe des acteurs du numérique et des nouvelles technologies. L’exemple le plus connu étant bien entendu la Silicon Valley en Californie. En France aujourd’hui, on fait aussi l’amalgame avec les pôles de compétitivité, pour de bonnes et de mauvaises raisons d’ailleurs. Mais dans tous les cas, cette catégorie s’appuie sur des stratégies d’investissements relativement importants au niveau des équipements et des infrastructures.
- les « creative cities » qui ont une visée plus large, une politique d’amélioration de la qualité de vie, de l’image et/ou du rayonnement territorial : elles se fondent d’abord sur des stratégies qui visent à faire converger plusieurs secteurs vers des principes d’actions horizontaux (transversalité). Elles s’appuient fortement sur les logiques de marques ou de labels (au sens du marketing territorial). Elles sont en général assez prospectives (misent sur un plein impact à moyen terme) et sont très entraînantes pour les acteurs du territoire. Ces villes sont de plus en plus nombreuses et il faut bien reconnaître que chaque ville est son propre modèle, modèle qui relève d’une étude approfondie et stratégique de leurs forces, de leurs atouts, de leurs perspectives leur permettant de se différencier fortement. En général ces villes misent sur un ou deux fer(s) de lance pour fédérer le maximum d’acteurs et d’énergies et bénéficier des meilleures retombées possibles. Cela peut être notamment un événement, voire un très grand événement (jeux olympiques, un grand festival, etc.), qui amène des investissements en infrastructures et en services et leur permettent de se projeter dans l’avenir (Londres, Barcelone, Copenhague, Berlin, Venise, etc.), mais dans tous les cas, c’est la recherche d’une singularité et d’une pertinence (parfois d’une avant-garde) ou la culture et les arts peuvent jouer un rôle structurant pour une position de leadership. De nombreuses villes dans le monde rentrent dans cette catégorie, elles ont toutes un élément différenciant et surtout savent le mettre en avant.
- les « creatives cities » qui ont choisi de se constituer en réseau : il existe de nombreux réseaux de villes dans le monde qui possèdent en leur sein des « creatives cities » mais certains réseaux existent et sont totalement dédiés. Nous pensons notamment à l’Unesco qui a initié et parraine un projet de réseau de villes créatives, se focalisant sur l’excellence développée dans certaines villes dans un domaine artistique et/ou culturel spécifique (littérature, film, musique, arts traditionnels, design, arts médiatiques, gastronomie) et qui contribue à la qualité de vie, à l’économie locale et au développement social (en l’occurrence un réseau de 24 villes).
Il faut noter que les « creative cities » sont des concepts qui ont émergé et mûri en même temps que les « Global cities » ou les « Cities of opporunity » notamment et qui ensemble témoignent aujourd’hui de la grande concurrence que se mènent les territoires que ce soit au niveau de l’économie locale, de l’économie interrégionale et de l’économie mondiale. Chacune d’elle rivalise d’ingéniosité pour faire bonne figure au regard des indicateurs des grands palmarès internationaux, qui sont en soit des « notations » (comme dans le monde financier). Elles sont à la recherche des prix, des labels qui illustrent le mieux l’histoire, les valeurs, les spécificités et les principes qu’elles défendent et pour les plus aguerries, elles vont jusqu’à développer les logiques de type « agenda 21 de la culture » ou équivalent. Elles tentent d’être à la pointe de tout ce qui peut les valoriser et la culture et la créativité constituent des éléments de visibilité et de sens particulièrement avantageux.
Les « creative cities » utilisent donc la culture comme un élément structurant de l’aménagement de l’espace public et de la vie de l’espace public. Elles sont en train de muter. Les nouvelles formes que l’on voit apparaître sont encore expérimentales mais elles intègrent les concepts de « troisième lieu » ou de « living lab » par exemple.
Pour chacune d’elle, Il faut bien entendu trouver un modèle qui lui est propre. En France, il n’existe en effet que des territoires qui tentent de donner leur propre définition de la ville créative. Dans la plupart des cas, ce sont des métropoles ou des territoires en quête d’identité ou de renforcement de leur identité (Communautés d’agglomération ou intercommunalités plus ou moins récentes). Aussi construite leur vision peut parfois être, elle est en réalité assez peu structurée ou organisée, elle est fondée d’abord sur un discours et des objectifs fédérateurs que chacun s’approprie et auxquels chacun tente de contribuer le plus positivement possible. Le produit et les résultats sont alors récupérés et recyclés dans le discours initiateur et alimentent le capital attractif du territoire.
Même si les coûts ne sont pas négligeables, il n’est pas nécessaire d’avoir la folie des grandeurs et d’endetter la collectivité sur 20 ans pour jouer dans cette catégorie ultra concurrentielle. Tout est une affaire d’ambition et de terme (court, moyen, long) mais des choses simples sont possibles, le tout est préalablement de :
- bien connaître les atouts, les faiblesses et les perspectives de son territoire et des acteurs qui l’animent ;
- se doter d’une vision et définir une stratégie assortie d’un « schéma directeur » et/ou d’une feuille de route qui favorise une dynamique capable de fédérer et d’inciter des énergies à travailler ensemble.
Quelques aspects relavant du registre affectif
Il est également important de ne pas négliger les ressorts relevant de l’affectif sur lesquels ces villes tentent de s’appuyer. La perception que l’on a et les émotions que l’on ressent à vivre ou visiter une ville sont essentielles et contribuent très fortement à son aura.
- Les « creative cities » portent une forte attention sur l’image, l’impression et la réaction qu’elles suscitent auprès des habitants et des touristes.
- Elles misent beaucoup sur la première impression (les infrastructures d’accueil et de transport). C’est le cas de Liège, Bilbao, Singapour, Melbourne.
- Elles misent beaucoup sur la triade « curiosité, exploration et découverte » (les circuits de visites possibles) où l’émerveillement est le maître-mot, comme c’est le cas notamment d’Istanbul, Bangkok, Séoul, Venise, Naples, Saint Petersbourg ou Stockholm.
- Elles misent beaucoup sur un effet mémorable, frappant et puissant (les architectures, les événements, le patrimoine, etc.) comme Tokyo, Trinidad ou Rio.
- Elles cherchent à créer des lieux où l’on peut se rencontrer, parler, échanger, interagir et jouer, elles veulent de l’interculturel.
- Elles aiment à donner l’impression créative et imaginative qu’on peut tout y faire (qualité du cadre de vie, dynamique économique) et qu’il très facile de s’y plaire ou de s’y acclimater. Pour cela elles travaillent fortement les espaces publics : les espaces doivent devenir de lieux (des espaces incarnés) à l’échelle humaine, uniques et de qualité : the place to be, la ville où l’on peut tomber amoureux, etc.
- Elle essaient de proposer l’environnement le plus positif possible au public, avec le moins de nuisances et le plus de sécurité possible, tout étant les plus « vibrantes » possibles.
- Elles réfléchissent sur les temps, les usages, la mobilité, l’accessibilité et tout ce qui renforce leur pratique et leur convivialité.
- Enfin, elles se focalisent sur les jeunes générations qui vont hériter un jour ou l’autre de ces espaces publics, de ce patrimoine, de ces infrastructures, etc.
Dans de nombreux cas aujourd’hui, elles font de ces caractéristiques des éléments de discours à l’attention du citoyen, de l’entrepreneur, de l’investisseur ou du touriste. Mais il est important de noter que :
- le discours et l’image ne suffisent pas (combien de labels se superposent de manière assez stérile aujourd’hui ?) ;
- si la question de la gouvernance se pose a priori ou a posteriori de la campagne de communication, du slogan, de la « marque » ou du projet électoral, elle est incontournable pour la soutenabilité et la durabilité de l’impact des actions pour le territoire et pour la capacité de ce dernier de capter et développer les conditions de son avenir.
Fin de la première partie.
Philippe Gimet.
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