
Photo Michael Zumstein / Agence Vu
Un de nos membres a souhaité réagir à propos d’un commentaire déposé par un intermittent du spectacle sur lesinrocks.com, suite à un article qui faisait état de la mobilisation des professionnels de la culture à Avignon. Au regard du contexte actuel particulièrement tendu du secteur, l’auteur a choisi de publier son article anonymement afin de ne pas connoter le débat par la seule indication de son nom et de ses fonctions.
—
La réforme territoriale, le désengagement de l’Etat : des sous ! Des sous ! Et les sous de tous les français, s’il vous plait, car nous, nous travaillons pour le Bien Public, dans l’Intérêt Général, on nous le doit, ce fric, et l’argent privé, celui des entreprises, ne fait que des trucs nuls, les pays qui ont un autre système que le notre sont aussi des nuls!
Les professionnels du spectacle ne sont pas unis, car entre l’intermittent qui répond sur le blog et le directeur de l’Opéra de Paris, il y a un océan, mais tous deux diront la même chose :
- On veut être libre de nos choix (de créer, de programmer, de mette en scène, etc…)
- On veut aussi que nos « tutelles », qui le seront donc le moins possible, nous accordent le droit de la prise de risque, dans ces choix. Autant dire d’échec possible.
Cinquante ans que ce système existe, mis en place par l’Etat puis copié par les satellites ( Communes puis département et enfin les Régions, plus jeunes).
Constat au bout de 50 ans :
1 – Tout le monde cotise pour la culture, paye pour la culture, la résidence d’artiste, la prise de risque du metteur en scène, mais le chômeur de Mende a juste une chance sur 100 millions de bénéficier d’un abonnement à l’Opéra.
2 – Un jeune sur deux dit ne pas vouloir aller dans un musée, et sait motiver son refus : parce qu’on s’y ennuie, parce que ce n’est pas bien, parce qu’il préfère autre chose…(cf étude J et Sport 2006).Et ce, malgré trente bonnes années de collaboration et d’efforts financiers entre la culture, les musées et l’éducation nationale.
3 – Les plus déshérités, par l’isolement, la pauvreté, le handicap, sont très loin de fréquenter régulièrement les grands festivals du pays, très loin aussi d’aller de temps en temps dans les musées, les CDN, ou d’étudier 3 ou 5 ans dans les écoles d’art (cf étude 2003).Les expériences pour les « attirer » deviennent d’ailleurs de plus en plus pathétiques, au vu des moyens consacrés par rapport au budget culturel global du secteur public .
Le système de culture publique, quasiment soviétique, qui ne repose que sur la foi de lendemains meilleurs, « Continuons ainsi, on finira bien par démocratiser, dit-on chaque jour pour faire patienter les cotisants…» est tout de même la Bible partagée de l’intermittent et du directeur de l’Opéra.
Et l’Amérique ?
N’a-t-elle pas de bons artistes ? De bons musées ? De bons cinéastes ? De bons écrivains ? Et le Royaume-Uni ? Sa production artistique est-elle nulle, mauvaise? Ses lieux cultuels sont –ils rasants, vides, insipides ? Eh bien non.
Aucun autre système culturel, dans le monde, n’est financé, comme en France, par l’ensemble des contribuables, (L’URSS autrefois ? ). Même si, dans ces pays les financements publics existent aussi, mais ne prennent pas la même forme (celle de subventions directes et souvent reconductibles). Simplement, les professionnels de la culture, ailleurs, acceptent le jeu des acteurs « Si j’ai de l’argent public je dois avoir une fréquentation optima ») ainsi que l’évaluation de leur travail.
Cette Culture que le monde entier nous envie !
En France, nous avons une expression fétiche : « Cette Culture, mais aussi cette Justice, Médecine, Université, Education nationale…, au choix) que le monde entier nous envie !»
Et oui, évidemment, et on comprend pourquoi : nulle part ailleurs les professionnels ne sont aussi gâtés, petites corporations qui se tiennent les coudes à l’abri de l’Intérêt Général, leur parapluie préféré, et qui, au quotidien, ont droit à l’erreur, à prendre des risques, à revendiquer des tutelles les plus légères possibles, une fois l’argent et les moyens alloués, ou à échapper à l’évaluation, à considérer qu’une forte fréquentation est suspecte, à un régime spécial de chômage, ou à imposer à 200 000 habitants leur thèse de troisième cycle sous forme d’expo temporaire, avec le vocabulaire qui va avec ! Thèse ou encore leur auteur-fétiche, leur petite passion perso, mais « C’est l’avenir qui jugera de ma valeur, comme pour les Impressionnistes ! » Autre expression-paravent sacrée, avec celles du Bien Public et de l’Intérêt Général, celle, plus romantique, de l’artiste maudit, le producteur maudit, etc.. .
Dans le milieu professionnel de la culture, on revendique le cool, mais on accepte mal le jugement du peuple (démagogie, populisme). C’est symptomatique, on fustige même ce qu’il mange, comme cette phobie anti Mac Do, la nourriture des plus pauvres d’entre-nous, pourtant. (Au passage : Mac Do a remplacé le Coca Cola d’autrefois). Ou ce qu’il aime (Block busters du cinéma).
Les jugements qui comptent : comme on « enseigne » et on « fait découvrir » aux plus pauvres, on ne peut attendre d’eux un jugement. Seul le jugement de ses pairs compte, avec qui on fait un match permanent du « Je suis meilleur que toi ! ». A la rigueur, on veut bien faire un deal en acceptant un compromis (un artiste, un producteur…) avec l’Etat, et l’un de ses chouchous imposés, car l’Etat reste le seul juge, prestigieux dans un CV, une conversation entre amis. L’Etat est le Garant de l’Intérêt Général, on y reviendra. Mais pas plus….
Les entreprises ? Satan ! Les mécènes ? Tous des riches, donc des ripoux ! Exit donc le jugement du peuple, des plus pauvres et celui des entreprises… Nous sommes des professionnels, nous savons ce qui est bon pour vous, même si vous ne le savez pas, et basta ! La preuve ? Notre public habituel, les profs et, en général, toute la bonne petite bourgeoisie qui s’abonne dès l’ouverture de la saison théâtrale, nous suivent! Vous avez dit élitiste ?
Attendons ! Attendons, tout cela va porter ces fruits, cette profusion, tous ces moyens, ces conditions de travail super, cette liberté, ces subventions, cette absence d’évaluation qui pourrait devenir une sanction. La démocratisation va bien arriver un jour, non ???
OK, mais SEULEMENT si on change ces pratiques corporatistes et si on réfléchit au lieu de réciter un catéchisme, si on redonne la parole aux élus, parce que ce sont eux, en démocratie, qui représentent les gens. Si on se contente de l’intérêt commun, sans invoquer l’Intérêt Général et la République, car le Pen est républicain et Sarkozy aussi. Fermons les parapluies et regardons le chantier.
Par où commencer, d’ailleurs ?
…
WordPress:
J’aime chargement…
Filed under: Analyses, Politiques culturelles, Action artistique et culturelle, Démocratisation de la culture, Développement culturel, Politique culturelle, Réforme des collectivités territoriales, RGPP
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.