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Résister au corporatisme pour moderniser l’action publique culturelle

A propos de l’article 2 de la loi de modernisation de l’action publique et de l’affirmation des métropoles et de l’amendement « d’exception culturelle »

La loi sur la modernisation de l’action publique et l’affirmation des métropoles comporte un article 2 qui rend possible la délégation de certains services de l’Etat aux collectivités  territoriales. Dans une République décentralisée, (article 1 de la Constitution) cette possibilité de délégation n’a rien pour scandaliser, d’autant que la délégation n’adviendra qu’après négociations entre l’Etat et la collectivité. Sauf à être nostalgique de la centralisation,  étatique et parisienne, il n’y a pas de quoi perdre les pédales.

Pourtant, on a vu, le 11 décembre dernier à l’Assemblée Nationale, certains députés de la majorité monter sur leurs grands chevaux contre cette possibilité de délégation dès lors qu’elle s’appliquerait à la « culture » et, plus précisément, aux services de l’Etat chargés du spectacle vivant !

D’où la question : pourquoi ces députés ont-ils tenu à refuser cette possibilité d’innover dans la gestion des affaires culturelles de l’Etat, alors qu’ils ont fort bien accepté le principe de la délégation pour tous les autres domaines prévus par la loi ?

La réponse est sans ambiguïté. Les amendements 35 et 65 déposés par ces députés de la majorité n’avaient qu’un objectif : faire passer l’intérêt sectoriel de certaines organisations professionnelles du secteur culturel pour l’intérêt général de la Nation. Les députés Bloche et Grandguillaume –  comme le député Travert un peu plus tôt –  se sont déplacés en séance pour faire droit à ces organisations culturelles unies (par courriers) contre l’article 2. En somme pour faire la courte échelle aux intérêts particuliers de ces offreurs de produits culturels subventionnés. ( particulièrement agités par le PROFEDIM 1 )

Je voudrais d’abord m’intéresser aux 5 arguments de fond développés par le député Grandguillaume.

J’aurais aimé les prendre au sérieux, surtout quand son plaidoyer dramatise les risques pour la démocratie locale. Selon le député Grandguillaume  :  » Si l’État délègue l’une de ses compétences à une collectivité, comment ne pas craindre que là où les services déconcentrés exerçaient une fonction de régulation, la collectivité délégataire ne tente d’imposer ses orientations à d’autres collectivités ? »

Mais j’ai rapidement observé que l’argument avait été formulé exactement dans les mêmes termes par les organisations culturelles professionnelles ! Dans leur lettre aux députés, il est écrit : « si l’Etat  délègue l’une de ses compétences à une collectivité, comment ne pas craindre que, là  où les  services déconcentrés avaient une fonction de régulation, la collectivité délégataire ne tente d’imposer ses orientations à d’autres collectivités. « 

Fascinant : le député Grandguillaume n’a fait que du copier coller !  Pour lui, défendre l’intérêt général de la Nation revient à faire le perroquet en reprenant, mot pour mot, le texte que lui a dicté le secteur culturel professionnel organisé en groupe de pression. Je dis bien le « secteur culturel » car aucun député ne s’est autorisé à douter que  les organisations signataires – dont je rappelle la longue liste en annexe – représentent l’ensemble des activités artistiques et culturelles de notre pays ! Aucune hésitation puisque dans cette liste se rassemblent des organisations de salariés mais aussi de  patrons, des défenseurs du lyrique ou du théâtre comme des musiques actuelles et de l’art contemporain, tous unis contre l’article 2 dans un mouvement œcuménique qui en a oublié toutes ses divergences ! Comme les députés n’ont pas eu le moindre doute sur la représentativité de ces organisations, je dois évidemment en faire autant et considérer qu’il s’agit bien du discours du  « lobby des arts ».   En dehors duquel, il ne saurait y avoir la moindre légitimité  publique !

Dans cet esprit, j’ai regardé les 4 autres arguments et j’ai retrouvé exactement les mêmes formulations que celles du lobby : pour la question des moyens humains inadaptés,  pour celle du réseau des drac, celle des décrets d’application, celle de la place de l’article 2 dans le code général des collectivités. Copie conforme ! Mots identiques !  Même raisonnement ! L’amendement a donc été pensé dans les bureaux des organisations prétendant représenter démocratiquement tous les  professionnels. En langage ordinaire de la négociation publique on dira sans nuance que l’amendement a été rédigé par les « professionnels » !

Je  mets en note de bas de page la démonstration de ce psittacisme systématique qui pourrait laisser pantois sur l’inféodation du député aux intérêts de ce que je dois bien appeler maintenant le « lobby des arts » 2. A ce stade, les organisations professionnelles ont trouvé un déguisement de député  pour exprimer leur opposition au  principe politique de la délégation.

Cette situation parait pourtant étrange.  Il apparaît,  en effet, que le député Grandguillaume  fait  juste semblant de reprendre l’argumentaire du lobby. Il n’échappe à personne que ces 5 arguments re-copiés à l’identique ne sont pas du tout spécifiques au secteur culturel. S’ils avaient été pris en compte par l’Assemblée, ils auraient dû l’être pour tous les domaines de l’Etat concernés par les délégations prévues à l’article 2. En conséquence, si le député Grandguillaume avait cru sérieusement à ces arguments, il se serait retrouvé en situation d’opposition manifeste vis à vis du principe même de la délégation ! Il aurait dû logiquement manifester son opposition globale aux orientations fondamentales du gouvernement en faveur d’un peu plus de décentralisation. Il est clair que le député Grandguillaume n’a jamais eu l’intention de prendre ce risque politique anti gouvernemental pour les seuls beaux yeux des membres du lobby des arts.

Alors,  pourquoi évoque -t-il  ces arguments de principes anti-délégations puisqu’il y croit si peu ?

Je ne peux imaginer qu’une réponse : se dédouaner sans risque auprès de ces professionnels de la culture dont on redoute le pouvoir médiatique. En recopiant leurs arguments, on laisse penser que leur position était juste !  Autrement dit, le copier coller n’était qu’un marché de dupes, habile vis à vis du lobby des arts mais peu reluisant puisque le député n’a pas osé défendre la position  d’intérêt général du gouvernement face à ces intérêts particuliers du secteur culturel.

Devant une situation aussi absurde, pour ne pas dire ridicule, il faut appeler à plus de raison : les organisations, en tout cas leurs technocrates, ne peuvent décemment pas, comme elles viennent de le faire pour l’amendement, dicter la loi à la place de la représentation nationale  –  ce qui définit  au sens strict le corporatisme.

Pas plus que les députés ne doivent abandonner leurs prérogatives en se contentant de faire chauffer la machine à photocopier ; il leur revient de fixer,  à travers la loi, les finalités d’intérêt général,  notamment  pour  l’action culturelle publique.

Il revient maintenant à Madame la  ministre de la réforme de l’Etat de rattraper ce mauvais coup en indiquant que les négociations sur les « délégations » devront respecter les règles générales du Débat Public. Après tout, la loi l’exige depuis 1995 sur les questions d’environnement  ; étendons là au dispositif de négociation des délégations culturelles  et autres !

Nul doute que le projet de délégation prévu pour la Bretagne sera un excellent banc d’essai pour ces débats démocratiques, sur les finalités, les enjeux, les dispositifs, les moyens, les actions et l’évaluation des initiatives culturelles publiques. Dans ce cadre transparent, les interrogations des professionnels s’exprimeront comme celles de bien d’autres acteurs, sans la dramatisation excessive que le lobby des arts a orchestré autour de l’article 2.

Ce qui aura, au moins, pour avantage d’amener les organisations professionnelles à débattre en interne avant de signer des courriers intempestifs aux députés (et au Président de la République de surcroît) et à débattre avec leur base avant de définir leur position dans la négociation ! On mesurera mieux à cette occasion la part de fantasme et les doses de vérité des objections évoquées par le lobby des arts.

Reste maintenant  à entendre les arguments strictement liés aux particularités du secteur culturel.

C’est surtout le député Patrick  Bloche ( avec l’appui du député  Marc Dolez) qui s’est collé à la démonstration. Il a ouvertement plaidé pour que la République continue de prôner le corporatisme en matière de politique publique du spectacle vivant.

Je passe sur l’argument nostalgique de l’histoire glorieuse  de la politique culturelle française qui doit tant à l’Etat, ( de Malraux à Lang, en remontant à Louis XIV rappelle ironiquement M. Patrick Devedjan qui a certainement lu le bréviaire de madame de Saint Pulgent). On peut certes rendre hommage à l’histoire mais, en ces temps de crise mondialisée où les changements sont plus rapides que les erreurs de prévision, il ne s’impose pas que la République soit trop nostalgique d’un Etat culturel central et systématiquement parisien.

Doivent, alors, être appréciés trois arguments contenus dans un seul paragraphe du discours de Monsieur Bloche, (dont il est inutile que je redise qu’il reprend, lui aussi, le texte que lui ont envoyé les organisations professionnelles)   :  » La décentralisation culturelle, dans un pays comme la France, ne vaut que si l’État culturel existe, non seulement au nom de l’égalité des territoires, non seulement parce que la République est une et indivisible, mais aussi parce qu’il y a une nécessité pour l’État d’exercer son contrôle scientifique. »

Il y a donc :

EN 1 : la garantie de l’égalité des territoires qui disparaîtrait si les services culturels de l’Etat étaient délégués à des collectivités.

Pour ceux qui ont eu à gérer une DRAC  comme je l’ai fait, l’argument est presque risible. Depuis le temps que les crédits consacrés au spectacle vivant restent proportionnellement focalisés sur Paris, sans que rien ne change d’année en année, il ne faut pas trop essayer de faire croire que le ministère de la culture est, depuis cinquante ans, un modèle de lutte contre les inégalités territoriales.

Au mieux, dans les DRAC, de valeureux volontaires ont essayé de songer au milieu rural ou aux quartiers en difficulté, mais avec un militantisme dont la réussite tient moins à la volonté des services centraux qu’à la détermination de certaines collectivités (celles en tout cas qui ne voulaient pas devenir avant tout « capitales culturelles » dans leur territoire). Et d’ailleurs, cela n’a pas échappé au député socialiste Marcel Rogemont qui a dénoncé en 2009 devant la commission des finances de l’Assemblée la régression de la situation :  « S’agissant plus spécifiquement du programme « Création », le même constat s’impose : finançant aujourd’hui principalement les grandes institutions souvent parisiennes, les crédits centraux restent majoritaires puisqu’ils représentent 56 % du programme, contre 44 % des crédits gérés par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Une fois encore, la situation ne s’est pas améliorée entre 2007 et 2010. » 

Ou, un peu plus loin :  » On ne peut donc pas dire, contrairement à ce qu’affirme le ministère dans son dossier de presse, qu’il y a « poursuite du rééquilibrage entamé en 2009 en faveur des territoires », du moins s’agissant du spectacle vivant. De même, indiquer que l’objectif du ministère est « de cibler l’effort sur les institutions en région » est un peu léger, lorsque l’on précise ensuite que « les crédits de fonctionnement courant gérés en centrale sont maintenus à 53 millions d’euros, hors subvention allouée à l’association de préfiguration de la Philharmonie de Paris », c’est-à-dire qu’en réalité les crédits gérés en central et à destination de Paris ne sont pas maintenus, mais augmentés, puisque la Philharmonie se situe sur le territoire de la capitale. « 

Je sais bien qu’en 2009 le député Rogemont était dans l’opposition et que depuis le changement a eu lieu. Mais je crains que le député Bloche ait du mal à faire valoir que le ministère parisien de la culture a été chamboulé au point d’apporter la garantie d’être devenu l’arme absolue  de  l’égalité  territoriale… surtout avec les investissements colossaux dans la Philharmonique.

Pour ne pas être plus ironique, j’aurais apprécié que monsieur Bloche dise à ses collègues : « Puisque le ministère (l’Etat culturel) n’a jamais réussi son rééquilibrage territorial, les délégations devront faire mieux et donc comporter une clause de soutien plus élevé aux collectivités qui sont en situation d’inégalités. » C’est l’esprit même de ces délégations prévues à l’article 2 de permettre des négociations adaptées à chaque territoire, dans le cadre de débats publics ouverts et documentés sur la répartition des moyens à affecter aux collectivités délégataires. Par expérience pratique, je dirai que ces débats publics préalables aux délégations seront de toute façon plus transparents que le dispositif actuel de répartition des crédits déconcentrés entre les Dracs, où là aussi, il vaut mieux être riche et bien doté en équipements culturels que l’inverse.

EN 2 , Monsieur le député Bloche s’alarme sur le risque que feront porter les  délégations culturelles à la République Une et Indivisible. L’argument est évidemment repris du catalogue « clés en main » du lobby des professionnels du spectacle vivant et des arts plastiques.  D’où mon étonnement : qu’est ce qui a bien pu germer dans la cervelle des technocrates de ce lobby pour imaginer sérieusement que les produits artistiques des scènes nationales et autres opéras  avaient un rapport avec l’Unité de la République ?

On peut toujours croire à la magie de la relation entre l’artiste et son public, mais elle n’est que l’illusion du « faire  ensemble » et engage rarement au delà de l’émotion personnelle. C’est bien le drame de la politique culturelle qui espère l’émancipation par l’art mais qui, dans son rapport docile à l’économie du quotidien, ne sait plus organiser que la pratique de la consommation individuelle. Je dirais plus durement que, dans notre  vie commune, ces offres de spectacles ou d’expositions ( en tout cas, les offres de ce lobby actif auprès des députés) sont devenues au fil de notre temps des produits destinés à  des consommateurs qui les apprécient comme ils apprécient leur voiture ou leur repas au restaurant. En plus,  ces clients sont en grande majorité  des consommateurs urbains et bardés de diplômes !  Par quelle prouesse intellectuelle, ces produits culturels sur les étals, mêmes subventionnés,  poseraient -ils plus de problèmes à l’unité de la république que la consommation de chemises ou de meubles ?

Pour être plus direct encore, l’argument de  l’unité et de l’indivisibilité de la république me semble malhonnête car les signataires, du Syndeac jusqu’aux directeurs d’opéra, savent très bien que leurs activités ne concernent qu’une petite minorité de la population de notre vaste république ! Où se niche l’enjeu de l’unité de la république  dans les spectacles d’opéra auxquelles ne sont jamais allés  96 % des français ( 81 %  pour le théâtre!). De surcroît, il faut aussi rappeler que plus le temps passe, plus les écarts se creusent entre les catégories sociales consommant ces produits  de spectacles vivants !  3

Le moins que l’on puisse  dire est qu’il faudrait faire autrement. L’idée de délégation doit répondre à la nécessité de rénover les missions publiques confiées aux professionnels des arts. Avec une « bonne » délégation, les professionnels des arts devraient pouvoir s’intéresser un peu mieux aux  parcours culturels d’émancipation des personnes, pour contribuer au développement de leurs capabilités, en interaction avec les autres. Autrement dit, dans une « bonne » délégation, le consommateur individuel de produits culturels ne peut pas être l’alpha et l’oméga de l’action culturelle publique, pas plus pour les collectivités que pour l’Etat. La République, une et indivisible, a surtout « besoin » que les personnes qui vivent sur son sol fassent culture ensemble, dans le respect réciproque des libertés (dont celle des artistes – pour le redire encore une fois) et des dignités des personnes ( artiste compris évidemment) 4.

EN 3, selon le député Bloche  – et le lobby dont il s’est fait le mandataire – il est nécessaire pour l’intérêt général de la Nation que l’Etat exerce son contrôle scientifique sur le spectacle vivant. L’argument est fréquent mais néanmoins étrange s’agissant d’activités artistiques.

Car pour imaginer un contrôle scientifique pertinent de la part des services de l’Etat, il faudrait d’abord qu’il y ait « science » ! On peut éventuellement l’admettre pour quelques pratiques patrimoniales qui empruntent à des disciplines scientifiques connexes, mais pour le spectacle vivant et l’art contemporain, ce discours scientiste déclenche l’ironie. Voilà donc des professionnels des arts vivants qui réclament d’être contrôlés non seulement par l’Etat (détenteur du monopole de la violence légitime, rappelons-le !) mais, en plus, par la raison scientifique et sa capacité à énoncer l’objectivité du réel ! Qui a oublié de dire aux organisations du lobby des arts que la raison d’être des artistes étaient au contraire de nous apporter les ressources infinies, incertaines,  inconnues, ineffables de l’imaginaire humain, dans toutes ses diversités ? L’humanité a certes besoin de la raison scientifique mais elle se perdrait elle-même si elle en faisait un instrument de « contrôle » de notre liberté d’expression symbolique, « inextricable et imprévisible » dirait Glissant.

Comme le milieu artistique n’ignore rien de cette évidence, il y a donc quelque chose de suspect dans le rôle que les organisations professionnelles de la culture veulent faire jouer au « contrôle scientifique », surtout que, dans les écritures excessives du lobby, ce contrôle est justifié par un « pouvoir régalien » du ministère de la culture qui, pour le spectacle vivant,  n’a aucun fondement, et surtout, aucun sens en pays de liberté.

Que cache d’inavouable cette revendication de l’objectivité scientifique des choix artistiques des services de l’Etat ?

Le milieu artistique sait que le terme « contrôle scientifique » est un abus de langage. Ce qui importe pour lui,  c’est uniquement que la sélection des projets financés par l’argent public soit contrôlée par des « connaisseurs » de la discipline. Ce que l’on appelle humblement « privilégier la qualité artistique ».

Nul ne conteste que les choix de ces connaisseurs sont subjectifs et ne peuvent prétendre avoir l’objectivité procurée par des protocoles d’évaluation scientifique. Mais, au moins, le classement opéré par ces connaisseurs doit répondre aux conventions du moment qui hiérarchisent la valeur artistique dans chaque discipline. Ces conventions font « convictions » mais jamais « certitudes », comme le montre l’oubli dans lequel on tient des oeuvres « magnifiques » de la période précédente dans les réserves des Frac ou ailleurs,  et ce, jusqu’à ce que les convictions changent.  Pour se prémunir de la critique que la sélection des créations artistiques est subjective et arbitraire, donc ne respecte en rien l’exigence de neutralité imposée à l’Etat, on comprend qu’il soit plus habile d’habiller  en « jugements scientifiques » les avis des connaisseurs.

Mais le mot ne suffit pas à cacher que la désignation de ce que l’Etat considère comme de la création artistique relève exclusivement d’un pouvoir accordé sans réserve à des acteurs du secteur professionnel. Le corporatisme est ici totalement institué dans la pratique, même s’il n’a jamais été fondé en droit. Pour être honnête intellectuellement, il faudrait donc dire que l’Etat sert de parapluie au système de sélection des projets artistiques contrôlés par des réseaux de connaisseurs. Autrement dit, quand le lobby des arts évoque la figure de l’Etat, il faut surtout comprendre qu’il attend que des amis de chaque discipline fassent le bon choix au sein de l’administration publique.

La meilleure preuve de ces connivences disciplinaires se lit dans le principe continuellement affirmé par les services de la culture : personne ne doit savoir sur quels critères les connaisseurs ont  fait le choix entre les projets des créations artistiques ! Absence totale de transparence.  La République a accepté que les choix artistiques de l’Etat soient régis par « le strict secret des délibérations » 5 au sein des commissions. Alors qu’il s’agit de décisions prises au nom de l’intérêt public,  non pas pour satisfaire les goûts privés des spécialistes.

Je ne rajoute pas qu’à ce secret des débats vient s’ajouter l’opacité totale des critères de désignation des connaisseurs !

Autant dire que la revendication du contrôle scientifique est une paravent pour naïfs qui permet de maintenir la main mise du corporatisme disciplinaire sur les choix publics des créations artistiques.

Les députés retrouveront ce même problème du secret, de l’arbitraire, de l’absence de transparence quand ils examineront le projet de loi sur la création artistique. Recopieront-ils les souhaits du lobby, comme celui ci s’y attend déjà ?

A ce jeu du corporatisme institué, certaines disciplines ont organisé de bien belles féodalités comme l’Opéra, le théâtre « intelligent » ou la musique « contemporaine » ( je n’évoque ici que les rois de l’institutionnalisation disciplinaire, les autres acteurs acceptant finalement leur position d’invisibilité publique) ! Elles savent pouvoir compter sur leurs nombreux amis placés au sein des services du ministère. On comprend que ces organisations professionnelles souhaitent conserver ce privilège de l’Etat central, puisque c’est le leur, et enragent contre le principe de la délégation. Par contre, on comprend moins que d’autres champs disciplinaires à peine considérés comme artistiques et qui ont eu tant de mal à placer des représentants de leurs disciplines  dans les bureaux du ministère,  aient associé, à la légère, leur signature aux barons du corporatisme culturel ! Car ces organisations – du théâtre de rue, des musiques actuelles  ou des compagnies de théâtre non labellisées – sont, pour tout dire, les cocus de la politique culturelle étatique depuis quarante ans- je peux en témoigner à qui voudra.  Sans doute, a- t-on là une autre figure du « Portrait du colonisé »,  pour rappeler Albert Memmi.

Pour autant, il faut bien avouer que la loi sur la modernisation de l’action publique et l’affirmation des métropoles n’a pas posé de contre feux suffisants à ces tendances corporatistes de la politique culturelle.

En acceptant le retour de la compétence générale dans toutes les collectivités, le gouvernement et le parlement ont donné des gages aux intérêts sectoriels de tout poil, puisque la loi ne fixe aucune responsabilité culturelle commune à toutes les  collectivités. Ce sera donc le « chacun pour soi » et faute de responsabilités publiques incrustées dans l’Etat de droit, donc imposées par  la loi  à toutes les collectivités, les rapports de force locaux continueront de nourrir le contenu des actions culturelles publiques. Les députés n’ignorent pourtant pas les critiques sur les potentats locaux qu’ils soient élus ou barons de la culture. De surcroît, comme le rappelle le président de la Fncc,  » en temps de crise, on peut craindre une indexation progressive de l’attention à la culture sur ses indéniables apports économiques et sur la voie d’une concurrence accrue entre territoires. C’est déjà le chemin de l’Europe avec son budget 2014/2020 dit “Europe créative” 6.

Il est donc urgent que la puissance publique affirme les principes communs à respecter par toutes les  politiques culturelles, tant de l’Etat que des collectivités. J’avais indiqué au député Travert 7 la voie à suivre pour éloigner le spectre du corporatisme culturel. Il suffisait d’affirmer les finalités culturelles d’intérêt général que la France s’est engagée à défendre en adoptant les textes normatifs de l’Unesco. Le député Travert n’a pas tenu compte de ces valeurs culturelles universelles que nous avons pourtant pris la responsabilité de défendre aux yeux du monde. Il a préféré s’en tenir à l’approche sectorielle, donc corporatiste de la culture.

Malgré cela, dans le climat d’opposition introduit par le lobby des arts, il s’impose aujourd’hui que le dispositif de délégation soit rendu transparent et public et qu’il repose pour tous les acteurs de la négociation sur les valeurs culturelles universelles négociées à l’Unesco. Ce sera un cadre incontestable pour le débat public autour de la délégation culturelle,  au sens où refuser de se référer tant à la Déclaration universelle sur la diversité culturelle qu’à la Convention sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel serait nous déjuger collectivement sur la scène mondiale.

Conclusion : si, en matière culturelle, le gouvernement veut vraiment faire des délégations le fer de lance de la modernisation de l’action publique, il lui faudra vite profiter de la délégation prévue pour la Bretagne pour affirmer de tels principes de discussion.

Il lui faudra aussi éviter de présenter au Parlement une loi sur la création artistique qui continue de privilégier les pratiques archaïques du corporatisme culturel.

A l’inverse, il serait temps que les organisations culturelles professionnelles apprennent à rester à leur juste place : elles sont les indispensables ressources du développement de l’imaginaire humain mais elles ne sauraient, dans notre République, espérer penser l’intérêt général en lieu et place du législateur.

Jean-Michel LUCAS / Doc Kasimir Bisou*

Notes :

1 : Le contact donné par la trentaine d’organisations sectorielles signataires est Claire Guillemin PROFEDIM ( syndicat professionnel des producteurs, festivals, ensembles, diffuseurs indépendant de musique/) claire.guillemein@profedim.org

: Question A – texte des organisations « Au-‐delà de ces raisons tenant aux principes fondateurs de l’organisation des pouvoirs publics, cette disposition soulève des difficultés pratiques évidentes et notamment concernant la mobilisation des moyens humains nécessaires à l’exercice des compétences déléguées. »

présentation Grandguillaume : « ‘Au-delà de ces raisons tenant aux principes fondateurs de l’organisation des pouvoirs publics, cette disposition pourrait soulever des difficultés pratiques évidentes, notamment au regard de la mobilisation des moyens humains nécessaires à l’exercice des compétences déléguées. »

Question B- texte des organisations professionnelles : Cette disposition pourrait conduire, entre autres, à la destruction du réseau cohérent des directions régionales des affaires culturelles, celui–‐là même qui permet de mener une politique nationale de soutien à la culture tout en participant à la mise en oeuvre des projets et financements croisés avec les collectivités. »

textes Grandguillaume : « cette disposition pourrait mettre gravement en difficulté le réseau cohérent des directions régionales des affaires culturelles, qui permet de mener une politique nationale de soutien à la culture et de contribuer à la mise en œuvre des projets et financements croisés avec les collectivités. »

Question C- texte des organisations : « l’actuelle rédaction de ces alinéas va inéluctablement soulever des difficultés d’interprétation, notamment lorsqu’il s’agira d’examiner les lois d’application venant définir les compétences pouvant être déléguées. »
texte Grandguillaume :  » l’actuelle rédaction de ces alinéas va inéluctablement soulever des difficultés d’interprétation, notamment lorsqu’il s’agira d’examiner les décrets d’application venant définir les compétences pouvant être déléguées ».

Question D- texte des organisations : « d’un point de vue méthodologique, on ne peut que s’étonner de voir cette proposition s’insérer dans le chapitre du code général des collectivités territoriales relatif à la libre administration de ces dernières. On perçoit mal en quoi ce texte participe de la mise en oeuvre de ce principe  »

texte Grandguilaume : « Aussi, d’un point de vue méthodologique, l’on ne peut que s’étonner de voir cette disposition s’insérer dans le chapitre du code général des collectivités territoriales relatif à la libre administration de ces dernières ; l’on perçoit mal, en effet, en quoi ce texte participe, par cet alinéa, à la mise en œuvre de ce principe. »

3 : Etudes 2001 -7 du DEPS. Olivier Donnat : Pratiques culturelles, 1973-2008 Dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales .page 25

4 : Remerciements aux sept écrivains qui ont publié « le manifeste pour les « produits » de haute nécessité » qui donne le ton pour l’avenir : « Toute vie humaine un peu équilibrée s’articule entre, d’un côté, les nécessités immédiates du boire-survivre-manger (en clair : le prosaïque) ; et, de l’autre, l’aspiration à un épanouissement de soi, là où la nourriture est de dignité, d’honneur, de musique, de chants, de sports, de danses, de lectures, de philosophie, de spiritualité, d’amour, de temps libre affecté à l’accomplissement du grand désir intime (en clair : le poétique). Comme le propose Edgar Morin, le vivre-pour-vivre, tout comme le vivre-pour-soi n’ouvrent à aucune plénitude sans le donner-à-vivre à ce que nous aimons, à ceux que nous aimons, aux impossibles et aux dépassements auxquels nous aspirons.  »

5 : Exemple : Arrêté du 13 octobre 2005 relatif à la procédure d’aide aux ensembles de musique professionnels porteurs de création et d’innovation , article 12 :Les membres des commissions et les personnes qui participent aux séances ou qui sont invitées à y assister sont tenus au strict secret des délibérations !!!

6 : Editorial de la lettre d’échanges N° 117 de la FNCC

7 : Audition du 18 juin 2013/:Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale / Note de Jean Michel Lucas sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles ; 

Annexe :

Liste des organisations qui ont tenu à exprimer leur courroux contre l’article 2, même auprès du Président de République par lettre du 25 octobre 2013 :

  • CFE–‐CGC Spectacle– Pôle fédéral CGC spectacle et action culturelle et ses syndicats (SNACOPVA
  • CFE–‐CGC, SNAPS CFE–‐CGC, SNCAMTC CFE–‐CGC)
  • CGT Culture –   Union syndicale des personnels  des affaires culturelles 
  • CGT Spectacle– Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l’audiovisuel et
  • de l’action culturelle CGT et ses syndicats (SFA, SNAM, SNAP, SYNPTAC)
  • CIPAC – Fédération des professionnels de l’art contemporain
  • CPDO  –  Chambre professionnelle des directions d’opéras
  • F3C CFDT – Fédération communication conseil culture CFDT
  • FASAP-‐FO – Fédération des arts, du spectacle, de l’audiovisuel et de la presse Force Ouvrière
  • et ses syndicats (SNLA–‐FO, SNM–‐FO, SNSV–‐FO)
  •  FRAAP – Fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens,
  • PROFEDIM  –  syndicat professionnel des producteurs, festivals , ensembles, diffuseurs indépendants de musique
  • SCC – Syndicat du cirque de création
  • SMA – Syndicat des musiques actuelles
  • SNSP – Syndicat national des scènes publiques
  • SPI – Syndicat des producteurs indépendants
  • SYNAVI – Syndicat national des arts vivants
  • SYNDEAC – Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles
  • SYNOLYR – Syndicat national des orchestres et théâtres lyriques.

*Président de Trempolino, docteur d’Etat ès sciences économiques et maître de conférences à l’université Rennes 2 Haute-Bretagne dont il fut le vice-président de 1982 à 1986, Jean-Michel Lucas fut également conseiller technique au cabinet du ministre de la Culture Jack Lang de 1990 à 1992, où il y impulsa notamment le programme « Cafés Musiques ». Nommé Directeur régional des affaires culturelles d’Aquitaine en 1992, il mit en place une politique culturelle d’État en étroit partenariat avec les collectivités locales, et avec comme préoccupation de valoriser la place de la culture dans les politiques de la ville et des territoires ruraux. Ce « militant de l’action culturelle », connu sous le pseudonyme de Doc Kasimir Bisou, a participé à plusieurs projets sur le devenir des politiques culturelles et sur les légitimités dans lesquelles elles s’inscrivent. En Bretagne comme en Aquitaine, il fut par ailleurs à l’origine de nombreuses réalisations concernant les musiques amplifiées (RAMA, festival d’Uzeste, Rencontres Trans Musicales de Rennes…).

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Sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles / 2

Pour prolonger et enrichir le débat, nous avons le plaisir de publier la deuxième partie de la note de Jean-Michel Lucas sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dans le cadre de l’audition du 18 juin à la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale.

jean-michel_lucas_opinionC- Pour dépasser ces difficultés, on doit envisager une autre perpective pour définir l’enjeu culturel public dans les territoires.

1 – Pour cela, il faut certainement éviter de revenir en arrière en renforçant le pouvoir de contrôle et d’expertise des services du ministère de la culture,  pour la raison simple que les collectivités ont progressivement recruté des professionnels aux compétences similaires à celles des agents des Drac.  [3]

2-  La seule perspective de changement est ailleurs  mais elle nécessite une autre approche de l’enjeu culturel public.

Je la formulerai ainsi : la loi devra permettre à chaque collectivité de réaliser, librement, ce qui lui semble conforme à l’intérêt local,  à la condition de respecter des principes communs à toutes les collectivités, au niveau national. Les collectivités, seules ou en partenariat  entre elles, seraient ainsi « autonomes » dans la détermination de leur programme d’actions culturelles mais toutes devront  partager les mêmes valeurs communes définies par la loi.

3 –  Il n’est pas difficile de déterminer ces valeurs partagées garantissant la cohérence de sens de la politique culturelle nationale, sans pour autant brider l’action locale des collectivités et de la société civile. Il suffit que la loi rappelle que la France a approuvé, unanimement, les termes de la « Déclaration universelle sur la diversité culturelle » à l’Unesco en 2001.

4- A cet égard, il ne s’agit que d’actualiser le logiciel de pensée des rédacteurs du projet de loi, en leur rappelant que, depuis les formulations de 1999 que j’ai évoqués plus haut, l’approche des enjeux culturels publics a été fortement modifiée. L’Etat français a approuvé des textes normatifs l’engageant, devant la communauté internationale, à mettre en oeuvre les  valeurs de la diversité culturelle. Une loi sur la modernisation de l’action publique ne peut pas totalement l’ignorer !

J’ajoute que cette évolution est déjà revendiquée par les élus à la Culture fédérés au sein de la FNCC qui a explicitement demandé au gouvernement « d ‘inscrire de nouvelles missions pour les élus : la mise en oeuvre de la Charte de l’Unesco pour la diversité culturelle. » (L’expression la plus juste aurait dû être « la Déclaration Universelle sur la Diversité culturelle »).

5 –  Si cette perspective était retenue, le texte de loi n’aurait qu’à viser, dans ses attendus, la Déclaration de 2001 en précisant que les interventions culturelles des collectivités auront obligatoirement à respecter les principes énoncés par ce texte. Ainsi, chaque collectivité devra assurer que son programme d’actions en matière d’art et de culture contribuera, comme l’indique l’article 2 de la Déclaration  à améliorer le vivre ensemble et à  développer les capacités créatrices de chacun,  dans le respect des droits de l’homme.[4]

6 – Ce changement d’approche met en avant les enjeux humanistes de la politique culturelle sans empiéter sur la capacité d’initiatives locales, en matière de gestion des projets.

On peut ainsi suggérer que, sauf à renoncer aux positions prises par l’Etat français à l’Unesco, le  texte de loi énonce que :

 » Chaque collectivité est  appelée, au titre de sa compétence de développement culturel, à organiser librement ses interventions culturelles dans le cadre d’un schéma de développement qui vise à « assurer  une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles, à la fois plurielles, variées et dynamiques » et à favoriser ainsi « les échanges culturels et l’épanouissement des capacités créatrices qui nourrissent la vie publique ». [5]

7 – Une telle approche humaniste de la responsabilité culturelle publique nécessite évidement de dépasser l’approche sectorielle habituelle, limitée à l’offre de biens culturels et à leur réception par des publics. [6]

Ainsi, lorsque l’élu procède aux choix d’un projet, il est en mesure d’énoncer la valeur culturelle d’intéret général à la fois pour le territoire mais aussi pour la nation toute entière. L’unité de la politique culturelle est assurée par ces valeurs communes d’interactions entre les cultures et d’épanouissement des capacités créatrices, et non par les seuls critères techniques des spécialistes des disciplines artistiques.

Pour saisir la dimension concrète de cette perspective je citerai la mission d’intérêt général confiée  par la collectivité de Newcastle à ses musées ( Tyne and Wear archive and museum) :  » Our mission is to help people determine their place in the world and define their identities, so enhancing their self-respect and their respect for others. »  La valeur culturelle d’intérêt général pour ce territoire est bien la valeur politique des relations entre les identités culturelles, des interactions harmonieuses (dans le respect réciproque des personnes) et les professionnels jouent un role important au sens où ils apportent leurs compétences aux personnes pour qu’elles se situent mieux au monde grâce à leur relation avec l’univers des arts.[7] Résultat : les musées de Newcastle sont fréquentés par 1,8 millions de personnes dans une agglomération de 1 million d’habitants, ce qui devrait impressionner le législateur français pour peu qu’il soit attentif aux taux de fréquentation de nos musées.

 8- Ces exigences de sens pour la culture, au delà des légitimes préoccupations de gestion d’équipements culturels coûteux, nécessitent de renforcer les concertations avec toutes les parties prenantes de la vie culturelle sur les territoires.

Comme l’exprime clairement la FNCC, il s’agit d’imaginer « des politiques culturelles pour les personnes, par les territoires » et, de ce point de vue, cette perspective appelle à élargir  « la participation des citoyens dans les prises de décisions », ce qui est très nouveau pour les politiques culturelles françaises qui ont longtemps résisté à cet impératif.

9 – Dans une société ouverte et soucieuse de proximité avec les citoyens, les politiques culturelles devraient ainsi mieux répondre à la nécessité de permettre aux cultures, dans leur diversité, de faire « humanité ensemble », selon la définition de la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels. [8]

10 –  Il me semble que cette approche  globale de  la politique culturelle est totalement en phase avec l’esprit de la loi de modernisation de l’action publique. En reprenant à son compte les valeurs de la Déclaration de 2001 comme autant de balises partagées par tous les responsables publics, la loi faciliterait les discussions entre les intérêts particuliers, pour mieux aboutir à l’élaboration de schémas régionaux, départementaux, locaux et de pactes de gouvernance adaptés à la réalité du terrain  mais répondant aux mêmes exigences humanistes.

11-  Cette approche conduit à affirmer que l’enjeu culturel public est partout, et pas seulement dans des équipements spécialisés.

Il faut donc en conclure qu’il serait contradictoire  de vouloir simplifier la répartition des compétences culturelles alors qu’aucune responsabilité publique ne peut échapper à l’exigence culturelle du vivre ensemble et de l’épanouissement des capacités créatrices. Il faut surtout accepter que la politique culturelle ne soit plus uniquement composée d’offres culturelles produites et vendues, mais construites à partir des relations entre des personnes qui ont des conceptions du monde différenciées et qu’il faut pourtant faire vivre ensemble  avec un minimum d’harmonie.

En conséquence, chaque collectivité devrait être appelée à élaborer son schéma de développement culturel répondant aux valeurs communes énoncées en terme « d’interactions », de « vivre ensemble » et « d’épanouissement des capacités créatrices ».

12 – On pourrait toutefois considérer que le territoire communal (ou les regroupements) devrait avoir obligation de mettre en place un schéma de développement culturel tandis que les autres collectivités pourraient n’avoir qu’une faculté de concevoir un tel schéma.

Par contre, pour répondre à l’objectif de moderniser en simplifiant, il est concevable que le controle financier soir mobilisé pour refuser tout apport de ressources publiques à des projets culturels  qui ne seraient pas intégrés à un schéma de développement culturel territorial répondant aux valeurs énoncées.

Dans cette logique de mise en cohérence, les financements croisés ne seraient plus définis à partir de projets sectoriels/disciplinaires. Ils ne deviendraient autorisés que si le projet trouve sa place dans les schémas de chacune des collectivités concernées, de telle sorte que l’action réponde à des valeurs culturelles partagées par tous les  parties prenantes.

Exemple : il serait tout a fait concevable qu’une région souhaite organiser, par exemple, un festival de danse. Le financement de ce festival ne serait autorisé  que s’il est intégré au schéma de la région  mais aussi aux schémas de chacune des collectivités où se déroulerai ce festival, ce qui singifierait qu’il apporte sa contribution aux interactions culturelles, au vivre ensemble  et à l’épanouissement des capacités créatrices.

Ce mécanisme réduira le poids des lobbies spécialisés et obligera au moins, au débat public, sur le sens des projets culturels,  au delà de leur qualité disciplinaire.

13  – Dans cette cohérence,  le Haut Conseil des territoires devrait se doter d’une section spécifique permettant collectivement d’évaluer les réponses apportées par les territoires aux enjeux culturels fixés par la loi.

Compte tenu des  finalités de la loi de modernisation et particulièrement de ses préoccupations de voir l’action publique mieux concourir aux objectifs de croissance, la section culturelle du Haut Conseil devra veiller particulièrement à ce que se traduisent dans la réalité des territoires les engagements de faire de la « diversité culturelle un facteur de développement ».

Etant rappelé, ici, l’argument de l’article 3 de la Déclaration Universelle sur la Diversité Culturelle :  « La diversité culturelle élargit les possibilités de choix offertes à chacun ; elle est l’une des sources du développement, entendu non seulement en termes de croissance économique, mais aussi comme moyen d’accéder à une existence intellectuelle, affective, morale et spirituelle satisfaisante. »

13 – Il est certain que nos engagements à l’Unesco sur la diversité culturelle peuvent être mal compris et faire débat s’ils étaient repris in extenso dans un texte législatif concernant la modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

Toutefois, indiquer dans la loi, l’enjeu culturel de la diversité serait ouvrir une voie que nombre d’élus à la culture, dont ceux de la FNCC, accueilleraient avec intérêt, pour que la politique culturelle puisse enfin relier les personnes pour un meilleur vivre ensemble dans la république décentralisée, à l’heure d’une mondialisation croissante.

Jean-Michel Lucas *

Président de Trempolino, docteur d’Etat ès sciences économiques et maître de conférences à l’université Rennes 2 Haute-Bretagne dont il fut le vice-président de 1982 à 1986, Jean-Michel Lucas fut également conseiller technique au cabinet du ministre de la Culture Jack Lang de 1990 à 1992, où il y impulsa notamment le programme « Cafés Musiques ». Nommé Directeur régional des affaires culturelles d’Aquitaine en 1992, il mit en place une politique culturelle d’État en étroit partenariat avec les collectivités locales, et avec comme préoccupation de valoriser la place de la culture dans les politiques de la ville et des territoires ruraux. Ce « militant de l’action culturelle », connu sous le pseudonyme de Doc Kasimir Bisou, a participé à plusieurs projets sur le devenir des politiques culturelles et sur les légitimités dans lesquelles elles s’inscrivent. En Bretagne comme en Aquitaine, il fut par ailleurs à l’origine de nombreuses réalisations concernant les musiques amplifiées (RAMA, festival d’Uzeste, Rencontres Trans Musicales de Rennes…).

____________

Notes

[3] On peut faire l’hypothèse d’un consensus suffisant sur la répartition actuelle des responsabilités concernant les monuments historiques, l’archéologie,  les archives ou les bibliothèques.

[4]  Article 2 de la déclaration Universelle sur la diversité culturelle : « Dans nos sociétés de plus en plus diversifiées, il est indispensable d’assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles à la fois plurielles, variées et dynamiques. Des politiques favorisant l’inclusion et la participation de tous les citoyens sont garantes de la cohésion sociale, de la vitalité de la société civile et de la paix. Ainsi défini, le pluralisme culturel constitue la réponse politique au fait de la diversité culturelle. Indissociable d’un cadre démocratique, le pluralisme culturel est propice aux échanges culturels et à l’épanouissement des capacités créatrices qui nourrissent la vie publique.

[5]  Concernant les métropoles, la formulation de leurs responsabilités culturelles, à l’article L521-2,  pourrait être : La métropole exerce de plein droit, en lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : …… 1° en matière de développement ………… culturel : …………… définition d’un schéma culturel métropolitain visant à assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles, à la fois plurielles, variées et dynamiques » et à favoriser ainsi « les échanges culturels et l’épanouissement des capacités créatrices qui nourrissent la vie publique».

[6]  Il suffit de citer l’article 4 de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle pour s’en assurer  : « La défense de la diversité culturelle est un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine. Elle implique l’engagement de respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales,.. ».

[7] Je n’insiste pas pour comparer cette définition  avec les missions que la loi française confie aux musées qui se contente de qualifier l’offre et d’espérer le « plaisir » des clients.. (« Est considérée comme musée, au sens du présent livre, toute collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public. « 

[8] Déclaration de Fribourg : a. le terme «culture» recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement ; b. l’expression «identité culturelle» est comprise comme l’ensemble des références culturelles par lequel une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité. 

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Sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles /1

Pour prolonger et enrichir le débat, nous avons le plaisir de publier la note de Jean-Michel Lucas sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dans le cadre de l’audition du 18 juin à la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale.

jean-michel_lucas_opinionJ’ai examiné le  projet  de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles sous l’angle des enjeux culturels et je voudrais d’abord vous faire part de ma perplexité, avant de suggérer une perspective qui me parait plus conforme aux ambitions de modernisation  de l’action publique souhaitée par la loi.

A- je note, en premier lieu, que la conception des responsabilités culturelles des collectivités territoriales ne s’appuie sur aucune réflexion innovante.

1- La référence aux langues régionales dans les responsabilités des régions ne fait que prendre en compte une revendication ancienne, très ancienne  qui ne comporte même pas de référence aux « cultures régionales » !

2- Les responsabilités culturelles des métropoles sont formalisées quasiment dans les mêmes termes [1] que dans la loi Chevénement de 1999 :   » Construction ou aménagement, entretien, gestion et animation d’équipements, de réseaux d’équipements ou d’établissements culturels, socioculturels, socio-éducatifs, sportifs, lorsqu’ils sont d’intérêt communautaire ».

Cette formulation réduit la « culture publique » à des batiments et des institutions,  alors que la plupart des élus, notamment des grandes villes, observent que la vitalité culturelle de leur territoire émane d’une multitude d’initiatives qui, de surcroit, déplacent le périmètre traditionnel du domaine culturel. Dans une métropole  ouverte sur le monde,  les initiatives puisant dans les ressources du numérique, les pratiques musicales en particulier nocturnes, les manifestations festives et attractives, les interventions d’artistes dans l’espace public, la  variété des cultures venues d’ailleurs sont à ce point actives et créatives qu’on se demande pourquoi les rédacteurs du projet de loi sont restés figés sur les catégories culturelles de la fin du  siècle précédent.

3 – Le projet aurait pu, par exemple emprunter à l’article L4433-27  du Code général des collectivités territoriales qui préfère énoncer que la collectivité a la responsabilité de « définir un programme des actions qu’elle entend  mener en matière culturelle ». Pour qu’elle s’exerce pleinement, une telle responsabilité suppose une large concertation et une forte mobilisation des parties prenantes  du territoire,  ce qui me parait être plus conforme aux aspirations du présent  projet de loi.

Je trouve dommage que cette approche culturelle n’ait pas été retenue et qu’elle demeure limitée à certaines  régions  – Guadeloupe, Guyane,  Martinique, Mayotte et Réunion  – comme si la république décentralisée considérait que la responsabilité culturelle là-bas ne pouvait pas s’appliquer dans les grandes cités métropolitaines ou dans les  régions de l’hexagone. [2]

B – Je voudrais aussi exprimer ma perplexité devant le retour à l’identique de la clause de compétence générale pour les régions et les départements.

1 – Il faut reconnaitre que cette disposition répond à une revendication qui avait été l’un des axes forts de l’opposition des élus et des professionnels culturels à la loi de décembre 2010.

Je ne reviendrai pas sur les atouts positifs de ce retour  à la compétence générale, dont on sait qu’elle a permis à nombre de collectivités d’innover par rapport aux  politiques culturelles de l’Etat, notamment en renforçant la cohérence territoriale des actions culturelles.

Malgré l’unanimité du milieu dit culturel en faveur de la compétence générale, je crois nécessaire d’observer que l’approche proposée par le texte de loi est insatisfaisante. En effet, le statu quo de la compétence générale comporte plusieurs risques majeurs.

2 – Le premier  est évidemment la segmentation de  l’action culturelle publique nationale.  Chaque collectivité a sa propre temporalité et élabore à son gré sa propre politique culturelle. Si chaque territoire reste indépendant dans la détermination de ses finalités et de ses actions culturelles, l’idée même d’une politique culturelle ayant une dimension nationale disparaît.

L’idée de « Pacte de gouvernance » (article 5 du projet  de loi) confirme cette acceptation de la segmentation de la responsabilité publique culturelle par la république décentralisée. En effet, le  projet ne prévoit pour la culture aucun chef de file et les schémas territoriaux pourront, ou non, inclure une dimension culturelle, laquelle sera donc  à géométrie très variable.

Il est manifeste que pour les concepteurs du projet de loi, l’enjeu culturel a si peu d’importance qu’il n’y a aucune nécessité de définir des règles nationales communes aux collectivités. Si l’on en reste là, chacune des collectivités mettra dans sa politique culturelle les valeurs et pratiques qui lui semblent bonnes, dans l’indifférence de la loi commune.

3- L’absence de cadrage de la compétence générale appliquée à la culture porte en elle un autre risque :  au vu de l’histoire de la politique culturelle dans notre pays,  il sera bien difficile pour les élus d’éviter les effets des clientélismes locaux qui resteront toujours aussi dominants dans le choix des équipements culturels prioritaires sur le territoire.  De ce point de vue,  si des garde-fous ne sont pas introduits dans le  projet de loi, la répartition socio économique actuelle des  bénéficiaires des équipements et établissements culturels publics demeurera ce qu’elle est depuis longtemps.

4 – J’ajouterai  que le projet  de loi ne précisant pas qu’elles pourraient être les valeurs culturelles à partager sur l’ensemble du territoire national, les collectivités s’appuieront sur leurs réseaux de professionnels culturels  pour énoncer les critères de sélection des projets.

Je précise ce risque du point de vue de l’Etat de droit : certes, aujourd’hui les élus définissent les valeurs d’intérêt général qu’ils confient à chacun de leur  équipement culturel et, sur cette base, ils choisissent les professionnels les mieux placés pour mettre en oeuvre ces valeurs. On dira par exemple que l’établissement devra proposer une offre de qualité artistique et travailler en partenariat  avec le milieu scolaire et les quartiers,  assurer un rayonnement régional ou contribuer à l’attractivité touristique. La valeur culturelle d’intérêt général sera alors associée à des valeurs économiques et sociales, jugées bonnes pour le territoire par les élus. Toutefois, dans cette configuration, le politique n’a pas de responsabilité dans le choix des valeurs culturelles d’intérêt général car elles sont déterminées exclusivement par les professionnels de chaque  discipline artistique. Elles sont fondées sur des critères qui appartiennent seulement aux spécialistes de la discipline et auxquels les citoyens et les élus n’ont pas accés, et ont, encore moins, la légitimité d’en discuter. L’intérêt général culturel est sous controle de la compétence d’expertise des professionnels ( ce que l’on appelle en pratique la « qualité » du projet culturel).

Tant que les services spécialisés du Ministère de la culture controlaient les recrutements des professionnels, la République pouvait encore croire que tous ces choix relatifs et techniques des spécialistes des disciplines des arts concuurraient à enrichir la Nation d’une même valeur culturelle de référence, puisque la mission confiée par l’Etat au ministère etait de sélectionner parmi toutes les activités artistiques uniquement celles qui avaient une valeur de référence pour toute l’humanité (les oeuvres capitales de l’humanité dans le décret instituant le ministère).

Mais avec la compétence générale, cette fiction du référentiel commun des valeurs culturelles n’est plus recevable. Les choix culturels des élus n’ont plus qu’une valeur locale puisque  l’Etat n’a jamais envisagé de confier aussi aux collectivités la mission de ne choisir que des projets culturels de référence ayant « valeur capitale pour l’humanité », tout juste les collectivtés territoriales peuvent -elles faire des choix qui répondent aux « besoins des habitants ».

En conséquence, si la loi ne fixe pas des valeurs culturelles communes pour tous les  territoires, l’élu fera des choix de valeurs culturelles qui n’auront qu’une valeur locale, avec tous les dangers du repli culturel que l’on connait (la culture entre soi). Ou alors l’élu s’en remettra empiriquement aux valeurs des  réseaux de professionnels qu’il connait et apprécie. Il continuera à se retrouver en situation de dépendance vis à vis des critères de « qualité » énoncés par ces réseaux, avec la relativité de leurs choix artistiques qui affaiblit la crédibilbité des politiques culturelles publiques.

L’observation est banale et les élus à la culture en témoignent de plus en plus souvent: la responsabilité de l’expert  culturel s’impose trop souvent à la responsabilité du politique. De ce point de vue, le projet de loi n’apporte aucune perspetive de modernisation de l’action  publique.

5 – Enfin, sans vigilance particulière du législateur, il est fort probable que la tendance des politiques culturelles locales sera de privilégier les projets  ayant un impact déterminant sur la vie économique du territoire. La compétence générale acentuera cette tendance d’autant plus nettement qu’elle n’est assortie d’aucune ressource publique particulière. Beaucoup de territoires se positionnent déjà en concurrence culturelle avec les autres et il est difficile de penser que la loi de décentralisation, même légitimement préoccupée par l’enjeu de croissance,  puisse accorder des vertus à cette rude compétition culturelle entre les collectivités.

A l’heure où la France revendique l’exception culturelle, il est particulièrement curieux de constater que le projet de loi oublie d’en rappeler les règles aux  « territoires créatifs » et autres « clusters culturels » qui évaluent leurs objectifs publics à  la seule rentabilité marchande des acteurs culturels !

Jean-Michel Lucas*.

Président de Trempolino, docteur d’Etat ès sciences économiques et maître de conférences à l’université Rennes 2 Haute-Bretagne dont il fut le vice-président de 1982 à 1986, Jean-Michel Lucas fut également conseiller technique au cabinet du ministre de la Culture Jack Lang de 1990 à 1992, où il y impulsa notamment le programme « Cafés Musiques ». Nommé Directeur régional des affaires culturelles d’Aquitaine en 1992, il mit en place une politique culturelle d’État en étroit partenariat avec les collectivités locales, et avec comme préoccupation de valoriser la place de la culture dans les politiques de la ville et des territoires ruraux. Ce « militant de l’action culturelle », connu sous le pseudonyme de Doc Kasimir Bisou, a participé à plusieurs projets sur le devenir des politiques culturelles et sur les légitimités dans lesquelles elles s’inscrivent. En Bretagne comme en Aquitaine, il fut par ailleurs à l’origine de nombreuses réalisations concernant les musiques amplifiées (RAMA, festival d’Uzeste, Rencontres Trans Musicales de Rennes…).

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Notes

[1] Dans le projet  de loi,  il est question de « fonctionnement » et non « d’animation » : c) Construction, aménagement, entretien et fonctionnement d’équipements culturels, socio-culturels, socio-éducatifs et sportifs d’intérêt métropolitain ; »

[2] Je voudrais aussi faire observer que  dans le texte des compétences des métropoles, le projet de loi prétend pouvoir dissocier les « équipements culturels » des « équipements socio culturels  » ou « socio éducatifs. Je n’ose dire que le législateur est bien présomptueux de vouloir ainsi discriminer entre des théâtres et des centre sociaux quand les uns travaillent régulièrement avec des associations de quartier et quand les autres sont engagés avec des artistes pronant « l’art participatif » ! Il est dommage que la loi opère de tels découpages, aussi mal justifiés, entre équipements culturels, socio culturels, socio éducatifs dont la raison d’être répond moins à l’intérêt collectif du territoire qu’aux intérêts particuliers de différents groupes professionnels concernés.

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Décentralisation : acteurs culturels, réveillez-vous ! / 4

La décentralisation est un cauchemar ? Vous n’y comprenez rien ? La Culture est en danger ? Et pourquoi ? Voici un petit article pour tenter de vous résumer sur quoi repose actuellement notre système culturel, ce qu’il produit comme « effets » – dont trois gros rapports récents [1] (Syndicats, Cour des Comptes et Premier Ministre) qui dressent un état des lieux – et pour vous faire part de nos propositions pour renouveler de toute urgence, même à la marge, ce « système que le monde entier nous envie ! ». Oui mais voilà, personne ne l’a copié – nous sommes bien le pays de l’exception culturelle ! – et d’autres chemins existent, nous les avons repérés, pour revivifier ce système. Ce que nous souhaitons ? Une Culture plus jeune, moins inégalitaire, plus en phase avec la société, plus agile et mieux adaptée aux territoires et qui rejoindrait, aussi, le grand cercle de la culture créative internationale.

Quatrième partie : propositions

1)    A défaut de décentralisation, pourtant bien pratique comme méthode et outils, cessons au moins de maintenir, de gré ou de force, sincèrement ou en faisant semblant, des postures conservatrices ! La défense de l’exception culturelle est certes indispensable (si tant est qu’on sache de quelle exception culturelle on parle) mais elle ne peut servir de politique, d’abri à une réelle impuissance à « repenser l’appareil culturel aujourd’hui » dans son ensemble. Il faut redonner du sens à l’action culturelle actuelle et future et ralentir, peut-être, la frénésie de commémorations, célébrations, faits de mémoire, rétromanies, « C’était mieux avant »…, pour davantage s’occuper du présent et de l’avenir.

  • Les inégalités culturelles se creusent toujours en temps de crise, alors il faut en priorité repérer, aider et encourager les plus démunis, les talents aujourd’hui invisibles (pour prendre au pied de la lettre les ultra-libéraux, on n’est jamais plus créatif qu’en temps de crise). Et les encourager au risque de réduire la voilure de l’offre vers les toujours plus écoutés, toujours plus gâtés, d’années en année, que sont les classes moyennes et supérieures en France, principal appui des politiques traditionnelles et de leur reconduction. Ces classes avides de reproduction, comme le disait avec justesse Pierre Bourdieu en 1964, mais qui, aujourd’hui, sont sur la défensive, comme si elles étaient avides, aussi, de conserver leurs privilèges acquis, dont l’offre culturelle fait grandement partie. Le peuple fait peur, laissons-lui la tentation du populisme mais sans que cela devienne incontrôlable, bien sûr…
  • L’urgence, pour cette absolue priorité, serait plutôt de lutter contre les inégalités constatées, de s’entourer de points de vue extérieurs, de redonner la parole à ceux qui ne l’ont pas, ceux qui sont hors du cercle, invisibles talents et compétences ignorés par la plupart des médias qui sont souvent (et parfois malgré eux) la task force de notre immobilisme.
  • Et que l’on ne vienne pas nous montrer quelques chiffres-alibis : les crédits alloués sur la carte de notre territoire national parlent d’eux-mêmes, avec 1% tout au plus des crédits pour la politique culturelle des villes « pauvres » et des lieux qui en sont au ban. Rappelons enfin que l’accessibilité des lieux culturels, pour les personnes souffrant de handicap physique, est une idée généreuse et bien mise en œuvre en France. Mais que cela ne nous dédouane pas, non plus, de bien comprendre que les personnes pauvres ou souffrant d’un handicap profitent rarement de notre culture publique, tout comme les personnes n’ayant jamais fait d’études et qui souffrent aussi de l’inadéquation, en terme de médiation, de la plupart de nos établissement, très « codés » et toujours trop indéchiffrables pour eux.

2)    La défense systématique de nos procédures, si peu évaluées, n’ouvre aucun avenir. Pensons « territoire  et usagers » avant de refaire nos Viollet-Le Duc en rédigeant une nouvelle « Loi de 1913 ». La réécriture d’une loi sur le patrimoine est-elle une réelle, indispensable, incontournable urgence ? Ne peut-on pas seulement réajuster le Code du patrimoine et la loi actuelle, ce qui fonctionne bien depuis plus d’un siècle ?

3)    Enfin le réflexe du défensif à tout prix nous isole des grands courants de création et d’ingénierie culturelle du monde : taxer tout ce qui bouge et vient de l’étranger créée-t-il du neuf ? Assurément, non !

Pensons local lorsqu’il s’agit d’éviter les face-à-face et l’entre-soi institutionnels. Par exemple, l’habituel duel entre l’Education nationale et la Culture, toujours là et toujours mortifère, vient encore de laisser l’éducation artistique des jeunes en rade…

Tous les Rapports et Haut Conseils « en interne » ne changent rien, même s’ils flattent leurs auteurs ! Il faut prendre l’attache des pratiques et réflexions européennes et du monde, en permanence, car le monde collabore, de plus en plus, en ligne, et la Culture ne peut louper un dialogue instantané et de plus en plus fréquent entre les pays du monde ! Pour l’éducation artistique et culturelle, , en lieu et place du 20ème rapport sur le sujet – qui a permis, de plus, à l’Education Nationale de se passer de la présence forte de la Culture à ses côtés, pendant la durée du rapport puis en attendant les résultats, les décisions, etc…  il aurait été plus incitatif, plus intelligent (choisir) de s’atteler à une réelle écoute des acteurs des bonnes pratiques actuelles  – du local au global – , de mieux les diffuser en aidant les territoires défavorisés par l’absence d’ingénierie, la plupart du temps ou des raisons financières, parfois, et seulement parfois.

4)    Arrêtons de considérer l’évaluation comme une insulte à la chose culturelle et sachons tirer le meilleur parti du foisonnement d’idées et de projets dont on ne perçoit que la face émergée de l’iceberg tant qu’on ne généralise pas la démarche d’évaluation.

5)   Culture, éducation populaire, éducation artistique et économie créative doivent être des préoccupations intégrées à l’aménagement des territoires et de l’espace public sans quoi le triomphe de la « culture de la chambre » et la culture des écrans auront fini de consommer l’oxygène restant encore dans la sphère de l’action publique.

6)    Sachons transmettre les dynamiques, les expériences, les bonnes pratiques ET le meilleur de notre héritage de politique culturelle et de politique éducative car sans références claires et appréhendable, aucune solution permettant de construire de façon soutenable et durable n’est viable.

7)    Soyons offensifs pour construire une nouvelle politique culturelle, et puisque nous n’avons su créer ni Google, ni Facebook, ni Twitter, utilisons ces moyens plutôt que de critiquer sans cesse les USA, à tort, ou de critiquer les villes et pays créatifs, qui évaluent tout ce qu’ils font !

Le camp retranché de l’exception culturelle peut résister, certes, mais pas sans de nouvelles propositions. Il nous faut gagner en agilité, en co-création réelle, avec des propositions qui réduiront les inégalités que produit notre système culturel : la loi et les règlements, l’absence de forte incitation à produire différemment dans chaque territoire (politique de la Ville, en milieu rural…) empêchent les jeunes talents d’émerger et conforte les créateurs ou concepteurs de projets médiocres, moyens, mais dans la ligne et qui connaissent sur le bout des doigts les mécanismes et méandres de notre très compliquée administration culturelle.

Il nous faut gagner aussi, avant de lancer tout débat, en transparence : pour repenser les politiques culturelles, mettons à disposition et en ligne de toutes les données disponibles. Certaines régions ou villes ont une politique de data ouvertes, mais elles sont trop peu nombreuses.

8)    Utilisons aussi l’expérimentation, possible dans le cadre de notre République décentralisée, car toute incartade ou sortie des chemins déjà tracés est particulièrement difficile voire  impossible aujourd’hui.

9)    Renouvelons les générations, osons donner la parole autrement aux acteurs culturels et faisons en sorte que ce ne soit pas les mêmes sujets qui sont posés aux mêmes personnes qui viennent parler devant les mêmes personnes à longueur d’années.

10)  Laissons aux plus jeunes, surtout,  le rôle de faire des propositions et le soin d’animer le grand débat culturel, qui a quitté les instances officielles depuis trop longtemps et qui est la proie depuis quelques temps des forum dits « ouverts ». Si un débat doit être collectif et très libre, il doit être dialogue intergénérationnel et interculturel sûr de ses fondements pour être véritablement constructif et productif.


Evelyne Lehalle et Philippe Gimet*.

*Evelyne Lehalle est membre historique de Cultural Engineering Group. Consultante senior spécialisée dans les instituions muséales, les stratégies culturelles et touristiques, dont le parcours est particulièrement riche, Evelyne Lehalle a notamment été responsable culture d’Odit France (aujourd’hui Atout France), responsable à la direction des musées de France et au ministère de la culture, responsable à la direction des musées de la Ville de Marseille. Elle dirige depuis 2009 Nouveau Tourisme Culturel, dont le blog est également partenaire de Cultural Engineering Group.

*Philippe Gimet est fondateur de Cultural Engineering Group, membre de l’Institut de Coopération pour la Culture, consultant et assistant à maîtrise d’ouvrage.


[1] Les trois textes sont :

1)      DISCOURS A L’OCCASION DES FESTIVALS D’ETE, 8 juillet 2013 (Fédération CGT du Spectacle-SYNDEAC-PROFEDIM-CIPAC). Ce texte est une déclaration de ce qui ne va pas, selon les syndicats,et sera à la base des revendications de la manifestation prévue le 13 juillet. D’autres actions sont prévues et annoncées si les signataires n’obtenaient pas de réponses satisfaisantes pour leurs revendications.

http://syndeac.org/index.php/politiques-publiques/lutte-pour-les-budgets/actions-mobilisations/1669-discours-a-loccasion-des-festivals-dete-8-juillet-2013

2)      L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ETAT. Rapport public thématique-Cour des Comptes, juillet 2013

http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202889728237-la-cour-des-comptes-epingle-l-organisation-de-l-etat-sur-le-territoire-585194.php?xtor=EPR-101-%5bNL_13h%5d-20130711-%5bs=461370_n=2_c=201_%5d-1622909@2

La Cour des comptes invite les pouvoirs publics à faire évoluer en profondeur l’organisation de l’État sur le territoire afin de répondre aux évolutions économiques et sociales.(Voir des extraits pour la Culture  ci-dessous).

3)      LA STRATEGIE D’ORGANISATION A 5 ANS DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT, Rapport à Monsieur le Premier ministre,Juin 2013 –  Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss

4)      POUR EN SAVOIR PLUS : suivre le très bon dossier « Actes III de la décentralisation, la réforme pas à pas », et le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Ce  dossier  élaboré et tenu à jour par La Gazette des Communes :  http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/acte-iii-de-la-decentralisation-la-reforme-pas-a-pas/

 

 

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Décentralisation : acteurs culturels, réveillez-vous ! / 3

La décentralisation est un cauchemar ? Vous n’y comprenez rien ? La Culture est en danger ? Et pourquoi ? Voici un petit article pour tenter de vous résumer sur quoi repose actuellement notre système culturel, ce qu’il produit comme « effets » – dont trois gros rapports récents [1] (Syndicats, Cour des Comptes et Premier Ministre) qui dressent un état des lieux – et pour vous faire part de nos propositions pour renouveler de toute urgence, même à la marge, ce « système que le monde entier nous envie ! ». Oui mais voilà, personne ne l’a copié – nous sommes bien le pays de l’exception culturelle ! – et d’autres chemins existent, nous les avons repérés, pour revivifier ce système. Ce que nous souhaitons ? Une Culture plus jeune, moins inégalitaire, plus en phase avec la société, plus agile et mieux adaptée aux territoires et qui rejoindrait, aussi, le grand cercle de la culture créative internationale.

Troisième partie : ce modèle Français que le monde entier nous envie !

Il est une évidence, aujourd’hui, qui change profondément la donne : non seulement les « modèles » de nombreux pays et ceux, à venir, des pays émergents interrogent le nôtre, mais, qui plus est, une bonne  douzaine de villes, de départements et de région ont décidé, en France, de faire comme bon leur semblait, de ne pas perdre trop de temps en circonvolutions administratives et financières. Des petites impertinentes, qui simplifient l’inextricable écheveau administrativo-financier, toutes seules comme des grandes ! Le modèle que le monde entier soi-disant nous envie serait-il en train de muter sous nos yeux ? Sans aucun doute, oui. Dans notre système qui a tant de mal à se réformer et à décentraliser, les territoires n’ont pas attendu l’Etat. Résultat : une complexité que personne ne nous envie, mais une richesse, une diversité, des compétences, des dynamiques foisonnantes qui gagneraient en simplicité et lisibilité pour être plus encore enviées, appréciées et prescriptrices.

D’autres pays ont pris ce qu’il faut nommer une avance considérable sur notre confortation des circuits existants, et cela depuis plus de 10 ans, à titre d’exemples non exhaustifs :

  • Alors qu’en 1999 le musée national des Arts décoratifs de Londres  (V§A) demandait l’aide des internautes du monde entier pour poursuivre l’enrichissement de ses collections ;
  • Alors que, en 2004, le Musée canadien national des droits de l’Homme faisait de même, en s’appuyant, pour sa future programmation, sur les témoignages des internautes volontaires du monde entier ;
  • Alors que les Pays émergents (BRICS, Asie,  Corée du Sud, Pays du Golfe…) se tournent en priorité vers la culture anglo-saxonne ou espagnole pour leurs futurs modèles culturels, via, en particulier, un encouragement sans précédent des relais du consulting et de l’ingénierie privée (USA ; R.U ; Pays du Nord de l’Europe ; Espagne..) ;

…En France, rien de tel n’avait commencé et il n’est toujours pas urgent, semble-t-il, de revisiter et d’évaluer une à une quelques vieilles missions centralisatrices ou encore les dépenses chronophages de la réunionnite.

L’idée forte d’animer le débat culturel plutôt que de le produire entre institutionnels et de le diriger n’est même pas une priorité. L’idéal républicain, qui confie, il est vrai, à l’élite de la nation l’avenir du pays est certes un bon « mot d’excuse ». Mais ceux qui nous gouvernent doivent-ils continuer à se méfier toujours et encore du peuple ? Peuvent-ils continuer à produire ce qui leur semble bon pour nous, à faire notre bonheur pour nous sans nous y associer ? Et nous, de quoi avons-nous peur ? « Tous au  Château !» pour nous protéger, comme au Moyen-Age ? Les énarques veillent au grain, en bonne élite, et davantage de démocratie n’est pas la toute priorité de leurs décisions. Mais ils ne peuvent souffrir d’ignorance ? Non, et c’est la bonne nouvelle : les pratiques collaboratives, chers énarques, c’est déjà hier dans d’autres pays, alors il va être difficile de ne pas pour demander l’avis des citoyens et de ne pas les laisser causer entre eux. Vite ! Ouvrez ce chantier ! Autrement vous prendrez non seulement un retard considérable mais aussi la lourde responsabilité de voir la France disparaître des écrans-radars des pays avancés !

D’autres villes, départements et régions, en France, ont défini des politiques culturelles très différentes, très fortes, avec des stratégies, des objectifs, des critères très éloignés de la Culture définie par thèmes (patrimoine, création, diffusion…) depuis le ministère Malraux.

La culture, dans ces nouvelles expériences de gouvernance locale, prend plutôt sa place dans l’économie créative, dans les croisements de la culture avec les autres secteurs d’activité, dans l’urbanisation à venir, dans les politiques internationales de ces territoires. En bref, les équipes culturelles y sont moins isolées et plus liées aux autres politiques territoriales. Ces territoires avancent donc à grands pas depuis 5 ou 6 ans (certains depuis plus longtemps encore), et ont en quelque sorte laissé loin derrière eux le peloton de ceux qui perdent leur temps en constantes réunionites, Haut-Conseils, Commissions permanentes, Comités de pilotages et autres rencontres chronophages et où l’on ne prend pas toujours une décision. Ces villes ont en commun de faire davantage appel aux compétences locales, d’une part,  et symétriquement à commander et à interroger directement de bons experts et consultants, d’autre part.

Nous citerons, tant ils sont évidents, les exemples de Nantes et de la Loire Atlantique, de Lyon et de son intercommunalité (Grand Lyon), ou encore celui de Lille, de la conurbation Lille/Roubaix/Tourcoing et des départements du Nord-Pas-de-Calais. Ou encore celui la ville de Strasbourg ainsi que ceux d’autres villes et régions transfrontalières de l’ouest, du nord et du sud (Bretagne, Catalogne et Pays Basque) qui empruntent également de nouveaux chemins de traverse.

Vus de près, en tous cas, ces changements de pied et de braquet frappent l’observateur par une très haute qualité de ce qui est produit, par une certaine radicalité et un grand vent de nouveaux partenariats, bien rodés, via les crédits européens, en particulier, ou des formes de mécénat atypiques (Expo des vidéos de PPR à Lille 3000). Ces villes ont avancé pour la réduction des inégalités culturelles en forgeant leurs propres analyses et outils, comme le fit d’ailleurs la Ville de Bilbao en son temps (1985). Et le dialogue avec les habitants, en particulier les plus jeunes, y est « organisé » (Réseaux sociaux ; sites institutionnels ET collaboratifs; prise de pouls régulière de la demande, via par une expertise ad hoc ; études sur des points précis, etc…).

Ces territoires défrichent mais en même temps, ils commencent tout juste à exister autrement sur la carte. Nos chers touristes étrangers qui viennent depuis toujours en France plus qu’ailleurs dans le monde et notamment pour notre Culture, y trouveront sûrement encore plus de raisons de venir mais en attendant, nous nous reposons sur nos lauriers et nos images d’Epinal. On aura beau (enfin !) s’attaquer à l’amélioration de l’accueil des touristes, c’est aussi dans les nouvelles formes de présence de la culture et de la vie culturelle dans le cadre de vie que le territoires trouveront des leviers supplémentaires de rayonnement et d’attractivité. Alors pourquoi faire en sorte que cela tourne à l’exacerbation de la concurrence entre territoires ? Nous allons tout droit vers des gouvernances polycentriques, avec des organisations différentes d’un territoire à l’autre et la fracturation des territoires tels que nous les avons toujours connus qui en résulte ne se résoudra pas par de simples incantations sur rôle d’un Etat garant de l’égalité républicaine et l’accès à la culture pour tous. Faut-il vraiment attendre le troisième texte de loi pour prendre acte ?

Evelyne Lehalle et Philippe Gimet*.

*Evelyne Lehalle est membre historique de Cultural Engineering Group. Consultante senior spécialisée dans les instituions muséales, les stratégies culturelles et touristiques, dont le parcours est particulièrement riche, Evelyne Lehalle a notamment été responsable culture d’Odit France (aujourd’hui Atout France), responsable à la direction des musées de France et au ministère de la culture, responsable à la direction des musées de la Ville de Marseille. Elle dirige depuis 2009 Nouveau Tourisme Culturel, dont le blog est également partenaire de Cultural Engineering Group.

*Philippe Gimet est fondateur de Cultural Engineering Group, membre de l’Institut de Coopération pour la Culture, consultant et assistant à maîtrise d’ouvrage.

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[1] Les trois textes sont :

1)      DISCOURS A L’OCCASION DES FESTIVALS D’ETE, 8 juillet 2013 (Fédération CGT du Spectacle-SYNDEAC-PROFEDIM-CIPAC). Ce texte est une déclaration de ce qui ne va pas, selon les syndicats,et sera à la base des revendications de la manifestation prévue le 13 juillet. D’autres actions sont prévues et annoncées si les signataires n’obtenaient pas de réponses satisfaisantes pour leurs revendications.

 http://syndeac.org/index.php/politiques-publiques/lutte-pour-les-budgets/actions-mobilisations/1669-discours-a-loccasion-des-festivals-dete-8-juillet-2013

2)      L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ETAT. Rapport public thématique-Cour des Comptes, juillet 2013

http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202889728237-la-cour-des-comptes-epingle-l-organisation-de-l-etat-sur-le-territoire-585194.php?xtor=EPR-101-%5bNL_13h%5d-20130711-%5bs=461370_n=2_c=201_%5d-1622909@2

La Cour des comptes invite les pouvoirs publics à faire évoluer en profondeur l’organisation de l’État sur le territoire afin de répondre aux évolutions économiques et sociales.(Voir des extraits pour la Culture  ci-dessous).

3)      LA STRATEGIE D’ORGANISATION A 5 ANS DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT, Rapport à Monsieur le Premier ministre,Juin 2013 –  Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss

POUR EN SAVOIR PLUS : suivre le très bon dossier « Actes III de la décentralisation, la réforme pas à pas », et le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Ce  dossier  élaboré et tenu à jour par La Gazette des Communes :  http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/acte-iii-de-la-decentralisation-la-reforme-pas-a-pas/

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Décentralisation : acteurs culturels, réveillez-vous ! / 2

La décentralisation est un cauchemar ? Vous n’y comprenez rien ? La Culture est en danger ? Et pourquoi ? Voici un petit article pour tenter de vous résumer sur quoi repose actuellement notre système culturel, ce qu’il produit comme « effets » – dont trois gros rapports récents [1] (Syndicats, Cour des Comptes et Premier Ministre) qui dressent un état des lieux – et pour vous faire part de nos propositions pour renouveler de toute urgence, même à la marge, ce « système que le monde entier nous envie ! ». Oui mais voilà, personne ne l’a copié – nous sommes bien le pays de l’exception culturelle ! – et d’autres chemins existent, nous les avons repérés, pour revivifier ce système. Ce que nous souhaitons ? Une Culture plus jeune, moins inégalitaire, plus en phase avec la société, plus agile et mieux adaptée aux territoires et qui rejoindrait, aussi, le grand cercle de la culture créative internationale.

Deuxième partie : tout va très bien, Madame la Marquise !

Ce silence s’explique sans doute par le consensus exprimé très régulièrement par les instances officielles de la culture : Il faut renforcer les partenariats informels entre l’Etat et les collectivités ! Mais ce cri du cœur est une sorte de paravent, car ces partenariats existent depuis fort longtemps. En fait il s’agit surtout de « continuer comme avant », de ne rien changer ou presque, ou pire, de faire beaucoup de bruit, de mobiliser beaucoup d’énergie, de susciter beaucoup d’espoirs et de craintes pour rien. Dernière trouvaille de communication : Il faut à co-créer tous  ensemble – très mode, le co- quelque chose ! – les politiques culturelles ! Et donc conserver  la clause générale des compétences « Culture » des quatre niveaux des collectivités territoriales (régions ; départements ; communes et métropoles), sans vrai chef de filat, sans recenser les doublons (sans attendre le rapport de la Cour des comptes à paraître ce jeudi), sans faire des économies que permettent leur suppression ou une simplification des procédures ! Bien entendu les arguments pour que rien ne change sont chaque année plus subtils, toujours pensés, officiellement, dans l’« Intérêt Général et pour le meilleurs service des citoyens ».

Qui peut répondre à ce consensus de réunionnite aigüe par un « Pas d’accord ! » ? Personne, bien entendu. Et pourtant…

Si on ajoute à cela le fait qu’on continue d’affirmer, de réaffirmer, d’assurer, de scander que l’Etat sera le garant de l’égalité républicaine alors que l’Etat est absent du texte de loi… Concrètement, aurait-on oublié ce que signifie et ce qu’exige cette garantie, y compris en matière de Culture ? Même dans une loi en trois actes, il faudrait peut-être nous le dire depuis le début, cela permettrait à chaque échelon de mieux s’y articuler. Pour le savoir, il faudra connaître la future stratégie SGMAP et la confronter au cap fixé par le Premier Ministre : « la modernisation de l’action publique est essentielle à la construction d’un nouveau modèle français, alliant solidarité et compétitivité. Elle va de pair avec un objectif exigeant : celui du respect de nos engagements de finances publiques. Cette ambition nous oblige : c’est bien d’une nouvelle action publique, plus juste, plus efficace, et plus simple, dont la France a besoin ».

Or cette stratégie n’existe pas à ce jour (les services du premier ministre viennent tout juste de lancer l’appel d’offres pour être assisté dans sa mise au point). De là à penser que l’Etat se cherche toujours ou tente de se retrouver, cela risque d’arriver un peu tard et il est difficile de comprendre comment dans un système comme le système français, on pose un projet de loi de décentralisation sans avoir poser la stratégie et le rôle de l’Etat une fois réformé de façon claire et pratique pour tous pour que cela produise un changement véritablement opérationnel.

Pourtant les inconvénients de la clause générale de compétence, qui permet donc que toutes les collectivités s’occupent de culture sont bien connues : le doublon et le saupoudrage, avec des financements croisés, ajoutés à  des réunions de trois heures à cinq ou six partenaires, aux aller-venue des dossiers, pendant des mois, ajoutés aux incontournables interventions nécessaires pour accélérer leur validation : tout cela plaît bien et forme un très large consensus, mais, à y regarder de près, les inconvénients sont nombreux. A la chronophagie de cette suite de réunions-fleuve, à la dépense des doublons et du temps de travail ou des sureffectifs, il faut ajouter des critères de validation « à géométrie politiquement variable »  ainsi que des raisons réelles de ce consensus peu reluisantes, que l’on cache sous le tapis mais qui sont bien réelles, comme le constate aussi le texte de la Cour des Comptes :

  • a) Les artistes, mais aussi les concepteurs de projets et les techniciens garantissent à priori, dans ce très souhaité schéma collaboratif d’entente cordiale partagé avec les tutelles et institutions officielles, leur souhait d’une liberté totale d’expression, grâce au foisonnement des critères et des sources de financement des partenaires. La multiplication de partenaires évite, en effet, de n’avoir qu’« un seul patron » qui pourrait influer sur les productions ou demander des comptes. Ce format multi-tutelles rend l’évaluation des actions plus difficile, les objectifs des différentes parties-prenantes étant à la fois nombreux et souvent d’ordre différent.
  • b)  L’Etat y gagne énormément aussi, toujours en difficulté et à l’affût pour savoir ce qui se passe au plus près du terrain, rester informé en permanence, orienter ses directives, mieux  contrôler ce qui relève de ses compétences. Et pour stabiliser son nombre d’emplois nécessaires pour toute l’organisation (Ministère, services déconcentrés… ) ! Bref, pour « garder la main ».
  • c) Enfin ce consensus, en faisant l’économie d’une interrogation des « Pourquoi et comment ? » de l’action culturelle, reconduit tacitement les accords passés depuis l’ère Malraux et son cortège d’affirmations implicites : la liberté totale de la création ; l’offre est première et étudier la demande des citoyens du périmètre de l’action, rapprocher demande et offre, tout cela est horriblement démagogique ! (Variante politique « C’est très FN » !) ; la culture sert à éduquer le citoyen et non pas à le divertir de son quotidien ; l’éducation artistique viendra à bout, un jour, des non-visiteurs et des non-spectateurs ; établir des partenariats avec les entreprises c’est vendre son âme au diable, etc…

En conclusion, dormez tranquilles, bonnes gens, la décentralisation culturelle, qui commence par un questionnement général des procédures, qui continue par le transfert de compétences de l’Etat vers les collectivités territoriales, n’est plus à l’ordre du jour. Aucune proposition n’a été faite en ce sens depuis un an, alors qu’il faut au moins quatre ans pour décider d’une expérimentation, pour répartir les compétences, évaluer les sommes à allouer ou à « compenser », réorganiser les services… On continuera donc à travailler « tous ensemble », Etat et collectivités et collectivités entre elles !

  • Même, et c’est là que le bât blesse, si les crédits de fonctionnement ou ceux des interventions fondent comme neige au soleil de tous les côtés. S’associer en permanence rend moins visible, pour l’Etat, ce déficit de ses moyens, noyés dans un « tout » collectif.
  • Même si tous les Rapports convergent, depuis un mois, pour constater que la dépense inefficiente est grande, que les agents des ministères sont déboussolés et que, faute de « vision » les politiques sont déconsidérées.
  • Même s’il serait urgent, comme nous allons le voir, de remplacer de vielles habitudes par de nouveaux programmes, plus en phase avec le présent et surtout l’avenir ! On verra,  comme exemple de nouveau programme, la culture numérique, qui devrait insuffler le fonctionnement entier des instances de pilotage et de gouvernance et non pas être traitée « à part ». Ce qui serait urgent, par exemple, c’est une culture plus participative, où les acteurs auraient systématiquement droit d’ingérence, via le web participatif.

Poursuivre les partenariats traditionnels dans les formes traditionnelles est, selon nous, pour conclure, une volonté de noyer deux gros poissons : les faibles crédits, d’une part, dont l’Etat dispose aujourd’hui, qui ne lui permettent plus de décider et d’évaluer aussi facilement ses actions et critères d’intervention qu’il y a seulement 10 ou 15 ans. Et une participation plus démocratique de tous les acteurs culturels, d’autre part, impossible il y a encore dix ans. Elle seule permettrait de tout revisiter rapidement, car nous avons pris du retard.

Evelyne Lehalle et Philippe Gimet*.

*Evelyne Lehalle est membre historique de Cultural Engineering Group. Consultante senior spécialisée dans les instituions muséales, les stratégies culturelles et touristiques, dont le parcours est particulièrement riche, Evelyne Lehalle a notamment été responsable culture d’Odit France (aujourd’hui Atout France), responsable à la direction des musées de France et au ministère de la culture, responsable à la direction des musées de la Ville de Marseille. Elle dirige depuis 2009 Nouveau Tourisme Culturel, dont le blog est également partenaire de Cultural Engineering Group.

*Philippe Gimet est fondateur de Cultural Engineering Group, membre de l’Institut de Coopération pour la Culture, consultant et assistant à maîtrise d’ouvrage.

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[1] Les trois textes sont :

1)      DISCOURS A L’OCCASION DES FESTIVALS D’ETE, 8 juillet 2013 (Fédération CGT du Spectacle-SYNDEAC-PROFEDIM-CIPAC). Ce texte est une déclaration de ce qui ne va pas, selon les syndicats,et sera à la base des revendications de la manifestation prévue le 13 juillet. D’autres actions sont prévues et annoncées si les signataires n’obtenaient pas de réponses satisfaisantes pour leurs revendications.

http://syndeac.org/index.php/politiques-publiques/lutte-pour-les-budgets/actions-mobilisations/1669-discours-a-loccasion-des-festivals-dete-8-juillet-2013

2)      L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ETAT. Rapport public thématique-Cour des Comptes, juillet 2013

http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202889728237-la-cour-des-comptes-epingle-l-organisation-de-l-etat-sur-le-territoire-585194.php?xtor=EPR-101-%5bNL_13h%5d-20130711-%5bs=461370_n=2_c=201_%5d-1622909@2

La Cour des comptes invite les pouvoirs publics à faire évoluer en profondeur l’organisation de l’État sur le territoire afin de répondre aux évolutions économiques et sociales.(Voir des extraits pour la Culture  ci-dessous).

3)      LA STRATEGIE D’ORGANISATION A 5 ANS DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT, Rapport à Monsieur le Premier ministre,Juin 2013 –  Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss

POUR EN SAVOIR PLUS : suivre le très bon dossier « Actes III de la décentralisation, la réforme pas à pas », et le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Ce  dossier  élaboré et tenu à jour par La Gazette des Communes :  http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/acte-iii-de-la-decentralisation-la-reforme-pas-a-pas/

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Décentralisation : acteurs culturels, réveillez-vous ! / 1

La décentralisation est un cauchemar ? Vous n’y comprenez rien ? La Culture est en danger ? Et pourquoi ? Voici un petit article pour tenter de vous résumer sur quoi repose actuellement notre système culturel, ce qu’il produit comme « effets » – dont trois gros rapports récents[i] (Syndicats, Cour des Comptes et Premier Ministre) qui dressent un état des lieux – et pour vous faire part de nos propositions pour renouveler de toute urgence, même à la marge, ce « système que le monde entier nous envie ! ». Oui mais voilà, personne ne l’a copié – nous sommes bien le pays de l’exception culturelle ! – et d’autres chemins existent, nous les avons repérés, pour revivifier ce système. Ce que nous souhaitons ? Une Culture plus jeune, moins inégalitaire, plus en phase avec la société, plus agile et mieux adaptée aux territoires et qui rejoindrait, aussi, le grand cercle de la culture créative internationale.

Première partie : pourquoi cette référence à la décentralisation ?

  • Parce que la décentralisation est le seul exercice qui permette de réinterroger toutes nos procédures : est-ce que l’Etat est le bon périmètre pour cette action, le plus pertinent ? Ce dispositif doublonne-t-il avec celui d’une autre collectivité ? Cette mission relève-t-elle de l’Etat ou peut-il la transférer à une autre collectivité ? En a-t-on évalué les effets ? Faut-il la conserver ? La modifier ? La supprimer ?

Et, ce faisant, l’exercice de la décentralisation permet aussi et surtout de faire son deuil de vieilles procédures, qui ne correspondent plus à la réalité du terrain, et d’en inventer de nouvelles. Soit une source précieuse de réflexions et d’économies, qui peuvent redonner du souffle aux politiques culturelles ! Difficile de tricher, de relativiser, avec la décentralisation : elle place l’évaluation en seul mode d’appréciation et, comme la psychanalyse ou les Exercices de Saint Ignace de Loyola, les méthodes de la décentralisation mettent la vérité à nu, afin de reconstruire des projets sur de meilleures bases.

  • Parce qu’une avalanche de gros mensonges sont régulièrement publiés par l’ensemble de la presse. Citons dans le désordre « Le MUCEM, un musée parisien décentralisé », ou Le Louvre, dont des chefs d’œuvres de la collection sont décentralisés à Lens, tout comme celles de Pompidou, « Premier musée d’art moderne et contemporain décentralisé à Metz ! ». Alors que ces trois musées sont simplement « délocalisés ». Une décentralisation impliquerait en effet, du point de vue juridique, un transfert de propriété (Collections et/ou bâtiments) et les compétences qui vont avec (Personnels) accompagnées des transferts financiers adéquats. Ce qui n’est pas le cas pour les trois nouvelles antennes. L’Etat (MUCEM) et les établissements publics (Le Louvre et le Centre Georges Pompidou) n’ont pas transféré la propriété des collections, les personnels et les moyens aux trois villes concernées. Ce sont donc des antennes, délocalisées en régions.
  • Parce que, surtout, trois textes importants sont sortis en « salve » entre juin et juillet, juste avant l’examen du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles qui débutait hier à l’Assemblée nationale, qui présentent tous un état des lieux de la décentralisation de nos politiques et que, il faut le constater avec les syndicats (SYNDEAC, CIPAC, Fédération CGT Spectacle et PROFEDIM), la Culture n’est pas du tout « dans le coup », absente de ces rapports, ou presque… Par cette absence dans les projets à 5 ou 10 ans, la Culture risque fort, le SYNDEAC a raison, de céder la place à d’autres compétences, jugées prioritaires par les collectivités territoriales, à l’avenir.
  • Parce que, enfin, les acteurs de la culture, d’habitude si prompts à grimper aux rideaux, ne disent mot, publiquement, sur les avis et propositions de ces trois textes. A l’exception de la manif’ d’Avignon du 13 juillet qui vient en réaction aux propositions de modernisation de l’actuel Gouvernement, aucune réaction des « tutelles », celles de l’Etat ou des collectivités territoriales, n’est venu infirmer les quelques très douloureux constats de ces textes. Pourtant, pendant les vacances, les débats et les votes des lois continuent !
Evelyne Lehalle et Philippe Gimet*.

*Evelyne Lehalle est membre historique de Cultural Engineering Group. Consultante senior spécialisée dans les instituions muséales, les stratégies culturelles et touristiques, dont le parcours est particulièrement riche, Evelyne Lehalle a notamment été responsable culture d’Odit France (aujourd’hui Atout France), responsable à la direction des musées de France et au ministère de la culture, responsable à la direction des musées de la Ville de Marseille. Elle dirige depuis 2009 Nouveau Tourisme Culturel, dont le blog est également partenaire de Cultural Engineering Group.

*Philippe Gimet est fondateur de Cultural Engineering Group, membre de l’Institut de Coopération pour la Culture, consultant et assistant à maîtrise d’ouvrage.


[i] Les trois textes sont :

1)      DISCOURS A L’OCCASION DES FESTIVALS D’ETE, 8 juillet 2013 (Fédération CGT du Spectacle-SYNDEAC-PROFEDIM-CIPAC). Ce texte est une déclaration de ce qui ne va pas, selon les syndicats,et sera à la base des revendications de la manifestation prévue le 13 juillet. D’autres actions sont prévues et annoncées si les signataires n’obtenaient pas de réponses satisfaisantes pour leurs revendications.

 http://syndeac.org/index.php/politiques-publiques/lutte-pour-les-budgets/actions-mobilisations/1669-discours-a-loccasion-des-festivals-dete-8-juillet-2013

2)      L’ORGANISATION TERRITORIALE DE L’ETAT. Rapport public thématique-Cour des Comptes, juillet 2013

http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202889728237-la-cour-des-comptes-epingle-l-organisation-de-l-etat-sur-le-territoire-585194.php?xtor=EPR-101-%5bNL_13h%5d-20130711-%5bs=461370_n=2_c=201_%5d-1622909@2

La Cour des comptes invite les pouvoirs publics à faire évoluer en profondeur l’organisation de l’État sur le territoire afin de répondre aux évolutions économiques et sociales.(Voir des extraits pour la Culture  ci-dessous).

3)      LA STRATEGIE D’ORGANISATION A 5 ANS DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L’ÉTAT, Rapport à Monsieur le Premier ministre,Juin 2013 –  Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss

POUR EN SAVOIR PLUS : suivre le très bon dossier « Actes III de la décentralisation, la réforme pas à pas », et le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Ce  dossier  élaboré et tenu à jour par La Gazette des Communes :  http://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/acte-iii-de-la-decentralisation-la-reforme-pas-a-pas/

 

 

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Pour un avenir soutenable

Il n’aura échappé à personne que les finances publiques sont gravement dégradées. On le savait pour ce qui concerne l’Etat depuis plus de 30 ans de par le caractère structurel des déficits mais on le savait moins pour les collectivités locales et territoriales il y a encore 15 ans.

Parmi les cinq principes qui guident l’élaboration des budgets des collectivités figure le principe de régie de l’équilibre réel. Ce principe de régie de l’équilibre réel constituait depuis toujours une véritable règle d’or impliquant l’existence d’un équilibre entre les dépenses et les recettes des collectivités ainsi que les différentes parties du budget (sections de fonctionnement et d’investissement).

Or si on analyse la situation actuelle de très nombreuses collectivités, on ne peut que constater qu’on a tout simplement occulté, ou fait mine d’occulter, souvent publiquement, à quel prix cet équilibre s’obtient, surtout lorsque les recettes enregistrent une baisse structurelle et récurrente. Il a fallu que quelques élus courageux, dont l’actuel président de l’assemblée nationale alors président du conseil général de Seine-Saint-Denis, fassent sensation à leur manière il y a deux ans pour que l’opinion publique découvre plus largement l’ampleur et le caractère critique de la situation.

De nombreux outils sont à la disposition des collectivités pour palier ce type de situation, pour qu’elles maîtrisent leurs dépenses courantes et pour qu’elles poursuivent le mieux possible leurs investissements d’avenir. Les manipuler, même de manière éclairée ou visionnaire, même avec le plus grand souci de justice ou de sécurisation possible, génère un important faisceau de contraintes qui pèse sur la prise de décision, l’engage plus encore lorsque la situation est dégradée et oblige à des arbitrages complexes où la mécanique budgétaire pluriannuelle (les fameux PPI) est sérieusement mise à mal à l’échelle d’un mandat politique, à l’échelle de la responsabilité individuelle et collective.

La crise de 2008 aura agit comme le détonateur d’une bombe à retardement qui s’était lentement mais sûrement assemblée au fil des ans, mais en définitive ce sont ses conséquences descendantes de la sphère purement financière à la sphère économique et sociale qui ont peu à peu révélé la fragilité de nos politiques budgétaires.

L’onde de choc est telle que bon nombre des certitudes du système à la française ont été tout simplement balayées. Ce qu’on appelait notre « bocage normand » ou notre « mille-feuilles administratif », objet de critiques récurrentes, aura eu la vertu de ralentir la progression de la catastrophe, c’est un fait, et les collectivités territoriales ont eu la part belle en s’érigeant en modèle de gestion face à un Etat déresponsabilisé réputé irréformable, ne parvenant pas à assumer la décentralisation et la déconcentration qu’il s’est lui-même infligées sans revoir en profondeur ni ses prérogatives ni son modèle.

Avec cette pression considérable qui s’exerce sur nos décideurs et nos élus, avec cette responsabilisation qui n’a jamais atteint un tel niveau d’exigence et de complexité, le devoir de construire des politiques soutenables pour les générations futures doit participer de toutes les décisions. C’est à cet endroit que le danger bien réel depuis 2002 d’un agrandissement toujours plus grand du fossé entre les citoyens et leurs représentants prend une toute autre tournure. Faute de projet de société clair, faute de consensus suffisamment large autour de ce projet (ou tout simplement d’adéquation de ce projet avec les évolutions et les attentes de la société), c’est dans ce fossé que s’engouffrent tous les extrêmes et les populismes. Les clés d’un vote ne s’obtiennent donc plus simplement par la confrontation d’un projet à un autre mais par un curieux mélange d’écoute de ce qui est considéré comme les attentes et les aspirations des citoyens, d’exaltation d’un supposé élan populaire, d’un discours qui se fonde sur un dire de vérité et de responsabilité. Or c’est sur ce dernier aspect que les principales conditions de la soutenabilité d’une politique se jouent et tant qu’on continue à employer le story telling, on ne remplit aucune exigence de vérité et de responsabilité, on fonde une certaine idée de la responsabilité à partir d’une certaine idée de la vérité.

Au moment de prendre des décisions budgétaires capitales pour l’avenir de l’Etat et des Collectivités, il faut avoir l’estomac sérieusement accroché pour s’engager dans telle ou telle direction mais ce n’est rien comparé aux efforts consentis ensuite si la soutenabilité n’est pas avérée. D’autant plus que nous n’avons plus vraiment le luxe du droit à l’erreur… Les débats sur les arbitrages budgétaires tels que nous les avons connus n’ont plus rien avoir avec ceux d’aujourd’hui et ceux d’aujourd’hui laissent entrevoir l’imminence d’un nécessaire changement profond de la culture politique.

Aujourd’hui la situation est devenue dangereuse au point que quelles que soient les alternatives politiques démocratiques et républicaines, elles semblent de moins en moins audibles et de ce fait, elles nourrissent malgré elles la désorientation, le désarroi et un pessimisme ambiant, elles amplifient la crise de confiance, elles cèdent du terrain dans le débat public et assistent irrémédiablement à la montée des extrêmes qui ne manquent pas d’exploiter l’exaspération, le désespoir et la colère en poussant à une radicalisation et un simplisme qui colonisent chaque jour un peu plus les esprits.

Car maintenant que la réalité et ne peut plus être occultée ou « storytellée », c’est bien sur cette question de la responsabilité dans la gestion du bien public (qui au fond concerne autant le décideur public que le décideur privé, leurs modes de gouvernance, leurs organisations et leurs réseaux) que se focalisent une part importante des formes de rejet de nos élus et de nos dirigeants. Ne nous y trompons pas : cela ne date pas d’hier. Il faut évidemment aller chercher entre autres dans l’alliance gaulliste – communiste au sortir de la seconde guerre mondiale cette « culture » de la gestion publique et privée tout au long de la cinquième République.

Mais avec cette radicalisation de la pensée à droite comme à gauche, le centre gauche et le centre droit paraissent bien pâles, peu lisibles et subissent des tiraillements forts. Ils ont la plus grande des peines à porter haut et fort une parole de raison qui doit pourtant fédérer et occuper le plus possible le débat public.

On a longtemps cru que c’était un déficit de pédagogie de l’action qui ne permettait pas de fédérer suffisamment pour réformer. On a ensuite cru que c’était le contraste saisissant entre être en responsabilité et être dans l’opposition. Puis ce fut le défaitisme paralysant de l’impossibilité de réformer. On a cru par la suite que c’était le manque de vision, de dynamisme ou de volonté pour finalement revenir à l’idée du nécessaire réancrage du politique dans la normalité de choses. Curieuse itinérance. En tout état de cause, nous voici à la fin d’un cycle et la dureté de la réalité à laquelle nous nous confrontons en est très probablement le catalyseur.

Le mur du réel n’est ni droite ni de gauche et chacun a longtemps fait mine de le découvrir à chaque alternance, c’est aussi cela qui affaiblit toute société démocratique.

Beaucoup de crédulité à la fois assumée et subie qui en effet décrédibilise la République et la livre pour partie au premier ou la première qui parvient à se dédiaboliser en s’appropriant de la façon plus superficielle et manipulatrice les valeurs, la morale et l’éthique politique. Ceux-là parviennent à proliférer sur l’illusion qu’ils nourrissent et attisent d’une insurrection à venir. Qui n’a pas entendu le fameux « la révolte gronde » ou le « ça fait péter » ou le « tous pourris » ou encore le « qu’ils s’en aillent »? Tous les sujets passent dans leur machine à broyer le vivre ensemble et ne sert à fabriquer que plus d’exclusion et d’antagonismes, y compris quand ils proposent de la façon la plus décomplexée dans leur propre programme « leur projet » de société.

Quels messages et quelles démarches peut-on mettre aujourd’hui en face pour non pas redonner des raisons d’espérer ou de réenchanter (cela serait assurément fatal) mais pour agir et avancer sur la base de ce qui fait sens, de ce qui fédère et rassemble, de ce qui est possible et de ce qui est souhaitable pour que cela soit soutenable ?

La puissance publique a besoin de nouvelles perspectives d’investissement et de gouvernance associées à une véritable soutenabilité budgétaire, sans quoi elle continuera à s’affaiblir et une puissance publique qui s’affaiblit va de pair avec une détérioration plus grande du lien social, une exacerbation des tensions sociales, terreau fertile des extrêmes qui savent désormais parfaitement racoler en plein jour.

Il faut donc absolument déployer toutes nos énergies et nos intelligences pour se sortir de l’ornière. Le pays n’a plus le temps et n’a plus les moyens d’expérimenter ni d’explorer telle ou telle alternative. Les prochaines échéances électorales seront déterminantes car bon nombre de mandats vont se renouveler. Il faut oser penser que c’est un nouveau cycle qui commence, une nouvelle génération qui surgit et non pas un cycle qui n’en finit pas de se reproduire.

L’enjeu sera très clair : continuer selon les bonnes veilles méthodes ou trouver les leviers, les outils, les méthodes, les démarches, les idées et les projets qui parviendront à concilier utile et éthique tout en étant en capacité de dialoguer avec une société qui a profondément changé et où l’incertitude domine.

Les décisions sont à prendre maintenant avec les solutions dont nous disposons. Ironie du sort, c’est le « ici et maintenant » que nous reprochions comme « non-durable » à d’autres pays, non sans un certaine condescendance d’ailleurs, persuadés que nous étions capables de tenir notre modèle jusqu’au retour d’une croissance salvatrice qui, même molle, nous aurait épargné le serrage de ceinture le plus raide que nous ayons connu depuis longtemps.

Or, il est pour le moins inquiétant (même si c’est humain) de voir s’attiser les antagonismes et les oppositions,  se raviver tous les dogmatismes qui de par leur goût prononcé pour l’hystérie et l’irrationnel en dépit de tout bon sens, entretiennent un état de panique permanent pour peu que cela les légitime toujours un peu plus.

Cela est d’autant plus préoccupant qu’une ligne rouge semble désormais franchie, au point d’entamer ce qui doit pourtant toujours l’emporter en politique : la raison.

De nombreux motifs d’espoir existent, de nombreux outils existent, mais beaucoup d’entre eux sont occultés ou compromis par cette étrange climat qui gagne les esprits un à un. Aucun sujet n’y échappe, montrant ainsi que ce sont les fondements de notre société et tous nos domaines d’activité qui sont ébranlés.

Dans ce moment charnière de notre histoire, et c’est peut-être pour cela qu’il faut le juger comme tel (et non pas pour attirer l’attention des médias), il faut être en mesure de faire face et la raison doit prévaloir. Cette lutte qui prend possession de l’espace public doit se résoudre avant que ce soit l’espace public qui en prenne possession.

C’est aussi pour toutes ces raisons que culural-engineering.com s’engage désormais en tant qu’acteur « ressource » aux côtés d’institutions publiques et privées qui portent cette même volonté d’agir, cette volonté qui se soucie tout autant du « comment mieux faire pour bien faire ? » que du « comment bien faire pour faire mieux ? ».

Parmi nos différentes actions, nous publierons régulièrement avec nos partenaires des exemples très concrets dans de nombreux domaines d’activité pour  tenter d’éclairer ce qui peut rendre le « ici et maintenant » soutenable, c’est-à-dire ce qui se doit désormais d’être porteur d’avenir.

Philippe Gimet

Fondateur de C.E.G.

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Culture et décentralisation : une réelle perspective de changement

Jean-Michel Lucas est sans aucun doute un des plus éloquents empêcheurs de tourner en rond. A peine l’annonce faite de la nomination de Sylvie Robert par Aurélie Filipetti pour conduire une mission pour renforcer les actions entre le ministère de la Culture et les collectivités, c’est avec une efficacité rare qu’il vient nous rappeler dans une tribune parue dans la Gazette des Communes qu’un changement d’approche de la décentralisation culturelle paraît désormais pouvoir être accepté.

Les enjeux culturels ont toujours été négligés dans les lois de décentralisation, notamment du fait de la pression des grandes organisations professionnelles du milieu artistique, soucieuses de conserver leurs relations privilégiées avec l’administration centrale du ministère de la culture.
Mais les temps changent et il est maintenant clair, pour tous, que les collectivités locales sont des acteurs publics majeurs de la politique culturelle, aussi bien en matière de financement que de conception de projets.

Un changement d’approche de la décentralisation culturelle paraît donc maintenant pouvoir être accepté.
Pour s’y engager, il me paraît possible de prendre appui sur les positions prises par toutes les collectivités regroupées dans la FNCC (Fédération nationale des collectivités pour la culture).

Lors des états généraux de la démocratie territoriale, la FNCC a fait des propositions au gouvernement qui me semblent porteuses d’innovations significatives pour la décentralisation culturelle.

Je retiens trois points novateurs de ce texte.

La FNCC considère qu’en matière culturelle, l’intérêt national ne peut pas se réduire aux positions du ministère chargé de la culture (et de ses réseaux professionnels nationaux). « L’intérêt national doit être nourri et assumé tant par le pouvoir national que par les collectivités territoriales, en dialogue attentif et respectueux avec la société civile dont ils sont les représentants. »
A bon droit, cette position vise à limiter la tentation permanente du ministère de la culture à conserver ses pouvoirs « régaliens » dans de nombreux domaines (même sans aucune législation spécifique !).

Pour la FNCC, chaque autorité publique doit pouvoir apporter sa contribution à l’enjeu culturel commun. En conséquence, il convient d’éviter d’attribuer des compétences exclusives à telle ou telle autorité publique. « Il n’y a pas de domaine, en matière de culture, dans lequel la compétence exclusive, que ce soit de l’Etat ou de telle ou telle collectivités, s’impose. Tous, cependant, ne pourraient que bénéficier d’un partenariat plus approfondi »

La FNCC insiste alors pour que soit « préservé la compétence générale pour la culture sans pour autant renoncer à des clarifications concertées ». Cette revendication avait été l’un des axes forts de l’opposition des élus et des professionnels à la loi de décembre 2010 qui a abouti à la rédaction insatisfaisante de l’article 73 où la culture est considérée comme un secteur d’activités.

Il est probable que le futur texte devra confirmer la reconnaissance de la compétence générale pour l’enjeu culturel territorial. Il devra aussi, comme le souhaite la FNCC, laisser ouverte la possibilité d’associer aisément la politique culturelle et d’autres politiques publiques locales, pour renforcer les actions transversales largement expérimentées par les collectivités.

Des clarifications par la loi – Ces positions de la FNCC doivent être prises au sérieux par rapport à la réalité de la vie culturelle française. Pour autant, elles peuvent soulever des problèmes qu’il revient à la loi de résoudre.
 En premier lieu, chaque collectivité a sa propre temporalité et élabore à son gré sa propre politique culturelle. Si chaque territoire reste indépendant dans la détermination de ses finalités et de ses actions culturelles, l’idée même d’une politique culturelle ayant une dimension nationale disparaît. La politique culturelle devient segmentée en une multitude de positions locales prises au nom de la compétence générale de chaque territoire.

On ne pourra pas, de même, éviter les effets des clientélismes locaux qui resteront toujours aussi dominants, compte tenu de la répartition sociale des bénéficiaires des équipements culturels publics !

De surcroît, chaque territoire ayant vocation à agir en faveur de son propre développement, le risque est grand que les acteurs culturels soient principalement soutenus au titre de leur apport à l’économie et à l’attractivité du territoire. Chaque territoire se positionnera en concurrence culturelle avec les autres, si aucune règle de solidarité n’est fixée. Il est difficile de penser que la loi de décentralisation puisse accorder des vertus à cette rude compétition entre collectivités pour développer des « territoires créatifs » qui ne feraient qu’accompagner la concurrence mondiale sur les marchés privés de l’économie créative.

La solution à ces problèmes ne s’impose pas d’emblée.
 L’argument de la FNCC, tourné vers le dialogue et le partenariat entre collectivités, est certes réaliste et à encourager, mais, les temporalités différentes des acteurs publics ne garantissent rien d’autre que des accords possibles, jamais nécessaires, entre collectivités.

De plus, faute d’une position unificatrice au niveau national définissant les critères d’intérêt général, ce sont les groupements professionnels et leurs réseaux qui assureront une certaine homogénéisation des interventions culturelles des collectivités à partir de critères d’intérêts essentiellement sectoriels.

Enfin, il paraît difficile de revenir en arrière en renforçant le pouvoir de contrôle et d’expertises des services du ministère de la culture pour la raison simple que les collectivités ont progressivement recruté des professionnels aux compétences similaires à celles des agents des Drac.

Intérêt local au sein de principes nationaux – La seule perspective de changement est ailleurs ; elle est clairement esquissée par la FNCC. Je la formulerai ainsi : la loi devra permettre à chaque collectivité de réaliser, librement, ce qui lui semble conforme à l’intérêt local, à la condition de respecter des principes communs à toutes les collectivités, au niveau national.

Les collectivités seraient ainsi « autonomes » dans la détermination des actions culturelles mais chacune devra veiller au respect des valeurs communes définies par la loi.

Il n’est pas difficile de déterminer ces valeurs partagées garantissant la cohérence de sens de la politique culturelle nationale, sans brider l’action locale des collectivités et de la société civile. Il suffit que la loi rappelle que la France a approuvé, unanimement, les termes de la « Déclaration universelle sur la diversité culturelle » à l’Unesco en 2001.

C’est la suggestion proposée par les élus à la culture eux-mêmes puisque le texte de la FNCC demande explicitement au gouvernement « d ‘inscrire de nouvelles missions pour les élus : la mise en oeuvre de la Charte de l’Unesco pour la diversité culturelle. » (L’expression la plus juste aurait dû être « la Déclaration Universelle sur la Diversité culturelle »).

Si cette suggestion était retenue, le texte de loi n’aurait qu’à viser dans ses attendus la Déclaration de 2001 et à préciser que les interventions culturelles des collectivités auront à respecter les principes énoncés par ce texte. Ainsi, chaque collectivité devra assurer que son programme d’actions en matière d’art et de culture contribuera à améliorer le vivre ensemble et à développer les capacités créatrices de chacun , dans le respect des droits de l’homme.

La formulation la plus simple serait de reprendre dans le texte de loi une partie des termes de la Déclaration de 2001 en indiquant, par exemple, que « les collectivités au titre de leur mission de développement culturel du territoire organisent librement leur politique culturelle pour « assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles à la fois plurielles, variées et dynamiques », pour favoriser « les échanges culturels et l’épanouissement des capacités créatrices qui nourrissent la vie publique ».

En définitive, la FNCC incite le gouvernement à affirmer une approche globale (politique au sens propre) des enjeux culturels et artistiques locaux, et non plus une approche sectorielle limitée à l’offre de biens culturels et à leur réception par des publics.

Dans une société ouverte et soucieuse de proximité avec les citoyens, les politiques culturelles devraient ainsi mieux répondre à la nécessité de permettre aux cultures, dans leur diversité, de faire humanité ensemble, selon la définition de la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels.

Ces exigences de sens pour la culture devront être associées à la nécessité de rendre la gouvernance des politiques culturelles plus partenariales entre les collectivités et avec les services de l’Etat.
Elles nécessiteront, de même, le développement de concertations ouvertes sur la politique culturelle (Le texte cite l’Agenda 21 de la culture). La FNCC appelle ainsi à promouvoir « la participation des citoyens dans les prises de décisions », ce qui est très nouveau pour les politiques culturelles françaises qui ont longtemps résisté à cet impératif.

Dans la mesure où les conventions Unesco sur la diversité culturelle prévoient toutes la mobilisation de la société civile, nous ne pouvons faire moins en France que ce que nous avons applaudi à l’Unesco, d’autant que les élus locaux de la FNCC réclament, eux-mêmes, ce renforcement nécessaire de la concertation démocratique pour mieux apprécier les enjeux culturels territoriaux.

Il est certain que nos engagements à l’Unesco sur la diversité culturelle peuvent faire débat s’ils étaient repris in extenso dans un texte législatif concernant la décentralisation. Toutefois, indiquer dans la loi de décentralisation, l’enjeu culturel de la diversité serait ouvrir une voie que les élus de la FNCC accueilleraient avec intérêt, pour que la politique culturelle puisse enfin relier les personnes pour un meilleur vivre ensemble dans la république décentralisée, à l’heure d’une mondialisation croissante.

Du même auteur sur cultural-engineering.com :

Président de Trempolino, docteur d’Etat ès sciences économiques et maître de conférences à l’université Rennes 2 Haute-Bretagne dont il fut le vice-président de 1982 à 1986, Jean-Michel Lucas fut également conseiller technique au cabinet du ministre de la Culture Jack Lang de 1990 à 1992, où il y impulsa notamment le programme « Cafés Musiques ». Nommé Directeur régional des affaires culturelles d’Aquitaine en 1992, il mit en place une politique culturelle d’État en étroit partenariat avec les collectivités locales, et avec comme préoccupation de valoriser la place de la culture dans les politiques de la ville et des territoires ruraux. Ce « militant de l’action culturelle », connu sous le pseudonyme de Doc Kasimir Bisou, a participé à plusieurs projets sur le devenir des politiques culturelles et sur les légitimités dans lesquelles elles s’inscrivent. En Bretagne comme en Aquitaine, il fut par ailleurs à l’origine de nombreuses réalisations concernant les musiques amplifiées (RAMA, festival d’Uzeste, Rencontres Trans Musicales de Rennes…).

Vous pouvez retrouver toutes ses contributions en cliquant ici et n’hésitez pas à réagir et à contribuer au débat !

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Une mission pour renforcer les actions entre ministère de la Culture et collectivités

Aurélie Filippetti a chargé Sylvie Robert, élue rennaise, d’une mission sur le renforcement des actions du ministère de la Culture avec les collectivités territoriales. Il s’agit d’une « mission de contact et de recueil d’avis auprès des élus ». Sylvie Robert, vice-présidente de Rennes métropole déléguée à la culture et vice-présidente de la région Bretagne chargée de la jeunesse, a entamé sa mission le 6 novembre et remettra son rapport définitif en novembre 2013.
 »L’Etat doit travailler avec les collectivités locales dans un nouveau système de partenariat basé sur un rapport de confiance », avait déclaré Aurélie Filippetti, le 8 juillet dernier, au Festival d’Avignon. Considérant que « l’Etat culturel a été très affaibli pendant les dernières années », la ministre de la Culture avait reconnu que « les collectivités ont pris l’espace laissé vacant » et, faisant référence à « l’entretien de notre réseau très dense de structures et de compagnies sur l’ensemble du territoire », elle avait estimé que l' »on peut être très heureux de cet héritage de la décentralisation culturelle ».
Le lendemain, toujours en Avignon, onze associations d’élus* avaient présenté leur déclaration « Pour une république culturelle décentralisée ». « Les collectivités entre elles et avec l’Etat doivent travailler dans une culture nouvelle du contrat, une culture de la négociation », avait notamment déclaré Philippe Laurent, président de la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC), s’inscrivant dans la lignée du rapport Bouët de janvier 2011.

* Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), Assemblée des départements de France (ADF), Association des maires de France (AMF), Association des régions de France (ARF), Association des maires de grandes villes (AMGVF), Assemblée des communautés de France (ADCF), Fédération des villes moyennes (FVM), Association des petites villes de France APVF), Association des maires ruraux de France (AMRF), Communautés urbaines de France (Acuf), Ville et Banlieue.

Source : Localtis, Valérie Liquet

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« L’avenir, c’est la co-construction des politiques culturelles »

Alors que la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti vient de présenter son budget 2013, le président de la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC), Philippe Laurent, évoque les craintes des collectivités territoriales pour le financement du patrimoine et du spectacle vivant notamment. Il revient sur le rôle de l’Etat et des collectivités dans les politiques culturelles. Et évoque les enjeux de l’Acte III de la décentralisation.

Quelle est votre position sur le budget 2013 du ministère de la Culture ?

Philippe Laurent. La ministre a affirmé que l’Etat abandonnerait un certain nombre de projets pour que les moyens des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) puissent être préservés. Autrement dit, pour maintenir les moyens d’intervention sur les territoires.

Mon sentiment est que l’on ne parviendra même pas à cela. Abandonner des projets qui, pour l’instant, n’ont pas coûté grand-chose, étant à l’état de projet, n’entraîne pas d’économie immédiate. Dans le même temps, le projet de grande salle philharmonique à Paris va coûter 380 millions d’euros d’investissement. Puis, presque 20 millions d’euros de fonctionnement.

Nos inquiétudes concernent surtout le patrimoine et le spectacle vivant. Des budgets diminuent fortement dans le patrimoine. Le crédit d’acquisition des œuvres des musées, par exemple, devrait être divisé par deux. Pour réaliser des économies, c’est commode, et indolore sur le moment. Mais, une fois que l’on franchit une marche, qu’il s’agisse d’accroître le budget ou, en l’occurrence, de le réduire, il est difficile de revenir en arrière.

Qu’en est-il du spectacle vivant ?

— P. Laurent. C’est le secteur le plus fragile. Le spectacle vivant n’est pas reproductible, comme le sont la musique ou la littérature. Il ne permet pas de gains de productivité, d’une certaine manière. Par conséquent, il y a un choix majeur à faire.

Soit on allège le budget dédié au réseau des scènes nationales, des scènes conventionnées, etc, construit depuis 30 ans sur le territoire par l’Etat et les collectivités.
C’est-à-dire que l’Etat déciderait par exemple de limiter ses subventions à 50 des 70 scènes nationales.

Soit il décide de réduire les financements à la création. Ce qui obligerait à réduire le nombre de spectacles, à les mutualiser et à les rentabiliser davantage.

Malheureusement, je crains que le choix se fasse sans être suffisamment exprimé et assumé par l’Etat et qu’en définitive cela créé des malentendus, non seulement avec le monde des artistes, mais aussi entre les collectivités territoriales et l’Etat.

Sur le partage budgétaire entre création et diffusion, que préconisez-vous ?

— P. Laurent. Il faut certainement intervenir sur les deux volets : la diffusion et la création. La FNCC penche pour favoriser le budget de la diffusion, plutôt que celui de la création. Cette position risque de nous couper des artistes, alors que le ministère, de son côté, a affiché le soutien à la création comme étant son rôle premier.

Le « lieu » est important en matière culturelle. C’est un facteur d’identification, un centre de ressources… Ma position est donc qu’il faut maintenir le réseau des lieux de diffusion en état de marche. S’il s’étiole, le jour où les finances iront mieux, il ne renaîtra pas de ses cendres. Et la création en pâtira aussi.

Les salles de ces réseaux – plus largement les écoles de musique, d’art, etc. – datent souvent des années 1970-80. Elles nécessitent beaucoup d’investissements de maintenance, ce qui pèse sur les budgets provenant des collectivités. Donc, quoi qu’il en soit, ces salles devront revoir leur organisation.

Malgré l’ampleur des politiques culturelles des collectivités, on a le sentiment que l’Etat reste le moteur de ces politiques…

— P. Laurent. Pendant longtemps, l’Etat n’a pas tenu compte des collectivités territoriales, qui, pourtant, ont fait beaucoup de choses. Il considérait avoir, seul, le savoir-faire pour définir les politiques publiques culturelles.  Aujourd’hui, on ne parle pas encore de « co-construction » des politiques publiques culturelles… Mais on y arrive. La ministre a tout intérêt à aller dans ce sens. L’avenir du ministère de la Culture est là. Sans un travail de co-construction avec les collectivités, il risque de s’isoler.

En même temps, les collectivités ont besoin de l’Etat. L’Etat soutient, labellise… et légitime ainsi l’action des élus qui ont besoin de convaincre de l’importance des politiques culturelles locales. Par ailleurs, sa présence sur le territoire assure un rôle d’impulsion et de péréquation indispensable. C’est pour cela que nous souhaitons le maintien des DRAC, quand certains prônent leur disparition.

La culture profite particulièrement de la clause générale de compétence et des financements croisés. Comment abordez-vous l’Acte III de la décentralisation ?

— P. Laurent. A partir du moment où vous êtes élus d’un territoire ou d’une institution, il est très difficile de s’interdire toute action dans le domaine de la culture, aussi fort en termes d’identité.

D’ailleurs, si nous avions des compétences limitées, segmentées, pourrions-nous continuer à nous considérer comme des collectivités ? Aurions-nous encore besoin d’élus au suffrage universel ? Nous ne serions finalement que les exécutants locaux d’une politique nationale. La clause générale de compétence doit donc être maintenue et accompagnée d’une véritable autonomie fiscale. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Il n’empêche que, naturellement, du fait de l’assèchement des ressources publiques, les collectivités cherchent à se répartir des compétences. La loi doit continuer de permettre ces pratiques volontaires.

Quant aux « financements croisés », nous préférons parler de « cofinancement ». Celui-ci n’implique pas une maîtrise d’ouvrage partagée et des doublons. Une commune, un département, etc .contrôle son propre projet et en assume les conséquences. C’est l’inverse du gaspillage.

Philippe Laurent, président de la FNCC, est maire de Sceaux (Hauts-de-Seine) et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale

Propos recueillis par Marion Esquerré

Photo : © S. Gautier

 

Source : Le Courrier des Maires

Retrouvez l’intégralité de l’interview ici.

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Culture et territoires 2030

Dans le cadre du séminaire national du 18 octobre dernier « Culture et média 2030 : quelles perspectives territoriales ? », la FNCC a publié dans sa Lettre d’Echanges n°75 des réflexions et des contributions sur l’étude « Culture et Médias 2030 » réalisée par le Département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture et de la Communication (DEPS). Nous publions ici le point de vue développé par Vincent Rouillon, rédacteur de la revue électronique de la FNCC.

Culture et Média 2030 identifie trois grandes mutations qui, chacune à sa manière mais aussi de façon conjuguée, déstabilisent le principe même d’une politique nationale de la culture. Pour autant, la vivacité de l’interrogation des chercheurs ne serait-elle pas en elle-même une manifestation de la légitimité d’une approche nationale des politiques de la culture, même si (et surtout si) leurs principales modalités sont territoriales ?

Déclin, débordement et désaffection de l’horizon national de la culture

Selon le DEPS, nos sociétés subissent trois grandes mutations : la globalisation, la mutation numérique et la modification des rapports entre l’individu et le groupe. Or, la globalisation (mondialisation des échanges et des centres de production) semble ouvrir un déclin de l’horizon national, la mutation numérique induit le débordement de cet horizon et la montée de l’individualisme ainsi que de ses corollaires communautaristes en signale une certaine désaffection. En somme, la production, la circulation et la fonction sociale de la culture ne feraient plus nation : elles ne participeraient plus (ou beaucoup moins) à l’identification d’un groupe d’individus partageant un certain nombre de valeurs sur un territoire commun et sous une gouvernance commune. Au contraire, elles instaureraient un monde fait de communautés éparses d’individus singuliers dominés par des forces économiques supra nationales insoucieuses de l’intérêt général. Rien là qui corresponde à l’autorité et à la compétence du ministère de la Culture, du moins tel qu’il s’est pensé jusqu’à présent.

Historiquement, notre ministère s’est donné comme mission principielle celle de la démocratisation culturelle. Un objectif que Malraux définissait ainsi : « Rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France. » A quoi il ajoutait cette précision : le ‘‘plus grand nombre” évoqué ici est « le plus grand nombre possible de Français ». Le ministère porte ainsi, dès l’origine, une mission profondément nationale, et ce naturellement en lien avec une guerre qui avait violemment menacé l’unité, l’autonomie et l’existence même de la nation française.

C’est toute la force de la prospective du DEPS que de signaler au ministère dont il est pourtant l’un des organes le danger d’obsolescence qui, de ce point de vue, le guette dans les décennies à venir. Ce qui explique peut-être, par ailleurs, l’accueil circonspect qu’a reçu l’étude Culture et Médias 2030 au sein même du ministère et dans les structures dont il a la tutelle. Le déclin, le débordement et la désaffection de l’horizon national de la culture sont, de fait, des données tendancielles difficilement digérables pour un ministère ‘‘national’’ de la culture.

Territorialisation

Un autre enseignement de l’étude du DEPS concerne le rapport du ministère avec les territoires. En 50 ans, ce lien est passé de la centralisation à la déconcentration (les DRAC – on peut noter, de ce point de vue, que parmi les quatre scénarios chargés d’éclairer le ministère dans ses choix pour les prochaines décennies, trois entérinent leur disparition), puis à la décentralisation (avec en particulier les associations départementales et régionales).

Quelle pourrait être la quatrième phase ? Mis à part le premier scénario, appelé « l’exception continuée » (une sorte de statu quo évolutif du fonctionnement actuel des politiques culturelles nationales, sous le signe d’une décentralisation qui conserverait, voire renforcerait, le rôle centralisateur de l’Etat), les autres font entrevoir une évolution différente : la territorialisation.

En effet, si la globalisation renforce la concentration oligarchique de la production de biens culturels à un niveau international et donc impose une uniformisation planétaire de l’imaginaire, elle génèrera inévitablement des revendications de la différence et de la diversité qui, elles, fonctionneront à une échelle infra nationale. Ce qui implique notamment une validation des politiques de proximité dont les acteurs politiques majeurs sont les collectivités territoriales.

De même, la mutation numérique pourrait entraîner ce que l’étude appelle une « migration numérique » : « A partir de 2020, le tissu industriel se renouvelle de façon dynamique par les franges », via une multitude de projets associatifs et individuels disséminés sur le territoire. Certes, cette « démographie dynamique des entreprises culturelles » suppose un ensemble de règlementations (pour favoriser l’initiative de PME et TPE culturelles) que seul l’Etat est en mesure d’instaurer. Mais, par la force des choses, ce foisonnement opèrera de fait une ‘‘territorialisation” de la culture.

Enfin, la troisième mutation – celle de la montée de l’individualisme – se doublera d’une sorte d’individualisme collectif, c’est-à-dire de communautarisme (qui peut être associatif et/ou virtuel, ethnique, religieux, générationnel, ou opérant selon des convergences de centres d’intérêt politique, professionnel, etc.), dont une part sera d’ordre territorial.

Dès lors, l’appel récurrent à un approfondissement de la décentralisation (voir la Déclaration d’Avignon 2010 des associations d’élus) instaurant les conditions d’une réelle autonomie et reconnaissance des politiques culturelles territoriales et, réciproquement, conviant les pouvoirs locaux à prendre leurs décisions à l’aune nationale, semble étroitement correspondre aux grandes évolutions de notre société décrites par le DEPS.

Un Etat qui se pense lui-même

Bien entendu, l’étude du DEPS ne prétend pas deviner l’avenir. Elle se revendique même d’une prospective « exploratoire » et non « descriptive ». Elle envisage les décisions qui pourraient être prises et non une succession déterministe de données subies. C’est en cela qu’elle est politique et non scientifique.

Or cette prospective politique est celle d’un outil de recherche ministériel travaillant au bénéfice de son ministère et à celui de l’Etat. Pour ainsi dire, le déclin de l’horizon national et l’accroissement de la pertinence des échelons de proximité sont des perspectives décrites de l’intérieur, pour renforcer le rôle et la place de l’Etat dans la vie culturelle de notre société et non pour le mettre en péril ou prévoir son déclin. La question traitée est : quel peut être le rôle de l’Etat culturel dans un monde où l’horizon national est en déclin et où celui de la proximité semble promis à une pertinence accrue ?

L’un des éléments de réponse est peut-être celui-ci : de la même manière que l’actuelle crise économique exige le renforcement du rôle des Etats pour que s’édifie une gouvernance économique européenne fédérale dans laquelle leurs prérogatives seraient moindres, de même, les politiques culturelles nationales pourraient renforcer les conditions de leur territorialisation. Cette fonction d’accompagnement plus que de décision n’exprime pas un retrait de l’Etat mais, tout au contraire, le renforcement de ses fonctions de réglementation, d’incitation et d’encadrement de l’ensemble des acteurs culturels ainsi que de lui-même. Pour ainsi dire, seul l’Etat possède la légitimité et les compétences pour se penser lui-même, pour se recadrer, pour s’autolimiter au bénéfice d’une nation qui ne se définirait plus comme transcendant les particularités individuelles, communautaires et territoriales, mais comme organisant leur développement et leurs échanges artistiques et culturels.

Qui d’autre que le ministère de la Culture est en mesure d’assumer une telle fonction autorégulatrice ? La globalisation, par nature commerciale, ne peut penser au-delà de son intérêt propre. Les acteurs de la mutation numérique, eux non plus, ne sont pas en mesure d’exercer une pensée réflexive en vue d’un intérêt supérieur au leur. Pas plus que ne le peuvent les communautés et les individus par définition préoccupés d’eux-mêmes et non des autres communautés ou individus.

Quant aux collectivités, n’est-ce pas en lien avec l’Etat qu’elles ont aussi la légitimité de penser au-delà d’elles-mêmes, c’est-à-dire d’inclure l’intérêt local (communal, communautaire, départemental ou régional) dans le cadre d’un dessein plus vaste ? N’est-ce pas si elles sont ensemble, entre elles et avec l’Etat, que l’horizon national peut résister à son déclin, à son débordement et à sa désaffection ? Curieusement, l’inquiétude palpable générée par la lecture de Culture et Médias 2030 provoque, in fine, un optimisme dont on ne se sentait plus capable.

Vincent Rouillon

Rédacteur de la Fédération des collectivités territoriales pour la culture (FNCC)

Texte paru dans la Lettre d’Echanges n°75, revue électronique de la FNCC

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Politiques et pratiques de la culture

Une fois franchi, en 2009, le cap symbolique du cinquantenaire, une phase de réformes profondes s’est ouverte pour le ministère de la Culture, que la stricte application des principes de la LOLF et de la RGPP a résolument placé au premier rang de la réforme de l’État. Dans un contexte de transformations accélérées du champ culturel, cette mutation administrative soulève l’interrogation récurrente sur le rôle des politiques publiques de la culture. Au-delà d’une perspective purement institutionnelle, l’étude des politiques et des pratiques de la culture, qui mobilise l’histoire, la sociologie et l’économie, nourrit le débat sur les spécificités du « modèle culturel français ».

  • Introduction (Philippe Poirrier)
  • Les politiques culturelles : de nombreux acteurs
  • La construction historique de l’État culturel (Philippe Poirrier)
  • Focus : La démocratisation culturelle : une évaluation à construire (Jean Caune)
  • Le ministère de la Culture au fourneau des réformes (Claude Patriat)
  • Focus : Les échanges culturels extérieurs, réseaux et acteurs (Alain Lombard)
  • L’effort public pour la culture (Jean-François Chougnet)
  • Focus : Culture et management (Xavier Dupuis)
  • Mécènes et pouvoirs publics : des relations ambivalentes (Sabine Rozier)
  • Les collectivités territoriales et la culture : des beaux-arts à l’économie créative (Philippe Poirrier)
  • Focus : Les enjeux des intercommunalités (Emmanuel Négrier)
  • Domaines des politiques culturelles
  • Le patrimoine (Pierre Moulinier)
  • Les archives (Vincent Duclert)
  • Les musées (Frédéric Poulard)
  • Focus : Les centres d’interprétation du patrimoine (Serge Chaumier)
  • Le théâtre et les spectacles (Emmanuel Wallon)
  • Focus : Les chiffres du spectacle vivant (Emmanuel Wallon)
  • Des politiques et des musiques (Anne Veitl)
  • Focus : La danse (Marianne Filloux-Vigreux)
  • Les politiques de soutien au marché de l’art (Alain Quemin)
  • Les bibliothèques (Anne-Marie Bertrand)
  • Politiques publiques et industries culturelles : les enjeux (Philippe Bouquillion)
  • Focus : L’audiovisuel public et la culture (François Jost)
  • Enjeux économiques et sociaux
  • Sociologie des pratiques culturelles (Olivier Donnat)
  • Focus : Les publics des festivals (Emmanuel Négrier, Aurélien Djakouane)
  • Industries culturelles, mondialisation et marchés nationaux (Françoise Benhamou)
  • Focus : Les biens culturels, une exception économique ?
  • Les médias et la vie culturelle
  • Focus : Les enjeux de la révolution numérique (Emmanuel Hoog)
  • Emploi artistique et culturel et formations (Jean-Pierre Saez)
  • Les professions culturelles : un système incomplet de relations sociales (Pierre-Michel Menger)
  • Un modèle en question
  • Politiques culturelles : les enjeux de la diversité culturelle (Serge Regourd)
  • L’éducation artistique (Emmanuel Wallon)
  • Les politiques culturelles en Europe : modèles et évolutions (Pierre-Michel Menger)
  • Pour une politique culturelle européenne ? (Anne-Marie Autissier)
  • Quelle politique culturelle pour une société créative ? (Xavier Greffe)

Philippe Poirrier (dir.), Politiques et pratiques de la culture, Paris, La Documentation française, 2010, 304 p.

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/catalogue/9782110081452/index.shtml

Sources : Philippe Poirrier et La documentation française.

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Pourquoi je suis de gauche et j’aime l’appel au secteur privé

Photo Michael Zumstein / Agence Vu

Un de nos membres a souhaité réagir à propos d’un commentaire déposé par un intermittent du spectacle sur lesinrocks.com, suite à un article qui faisait état de la mobilisation des professionnels de la culture à Avignon. Au regard du contexte actuel particulièrement tendu du secteur, l’auteur a choisi de publier son article anonymement afin de ne pas connoter le débat par la seule indication de son nom et de ses fonctions.

La réforme territoriale, le désengagement de l’Etat : des sous ! Des sous ! Et les sous de tous les français, s’il vous plait, car nous, nous  travaillons pour le Bien Public, dans l’Intérêt Général, on nous le doit, ce fric, et l’argent privé, celui des entreprises, ne fait que des trucs nuls, les pays qui ont un autre système que le notre sont aussi des nuls!

Les professionnels du spectacle ne sont pas unis, car entre l’intermittent qui répond sur le blog et le directeur de l’Opéra de Paris, il y a un océan, mais tous deux diront la même chose :

  • On veut être libre de nos choix  (de créer, de programmer, de mette en scène, etc…)
  • On veut aussi que nos « tutelles », qui le seront donc le moins possible, nous accordent le droit de la prise de risque, dans ces choix. Autant dire d’échec possible.

Cinquante ans que ce système existe, mis en place par l’Etat puis copié par les satellites ( Communes puis département et enfin les Régions, plus jeunes).

Constat au bout de 50 ans :

1 – Tout le monde cotise pour la culture, paye pour la culture, la résidence d’artiste, la prise de risque du  metteur en scène, mais le chômeur de Mende a juste une chance sur 100 millions de bénéficier d’un abonnement à l’Opéra.

2 – Un jeune sur deux dit ne pas vouloir aller dans un musée, et sait motiver son refus : parce qu’on s’y ennuie, parce que ce n’est pas bien, parce qu’il préfère autre chose…(cf étude J et Sport 2006).Et ce, malgré trente bonnes années de collaboration et d’efforts financiers entre la culture, les musées et l’éducation nationale.

3 – Les plus déshérités, par l’isolement, la pauvreté, le handicap, sont très loin de fréquenter régulièrement les grands festivals du pays, très loin aussi d’aller de temps en temps dans les musées, les CDN, ou d’étudier 3 ou 5 ans dans les écoles d’art (cf étude 2003).Les expériences pour les « attirer » deviennent d’ailleurs de plus en plus pathétiques, au vu des moyens consacrés par rapport au budget culturel global du secteur public .

Le système de culture publique, quasiment soviétique, qui ne repose que sur la foi de lendemains meilleurs, « Continuons ainsi, on finira bien par démocratiser, dit-on chaque jour pour faire patienter les cotisants…» est tout de même la Bible partagée de l’intermittent et du directeur de l’Opéra.

Et l’Amérique ?

N’a-t-elle pas de bons artistes ? De bons musées ? De bons cinéastes ? De bons écrivains ? Et le Royaume-Uni ? Sa production artistique est-elle nulle, mauvaise? Ses lieux cultuels sont –ils rasants, vides, insipides ? Eh bien non.

Aucun autre système culturel, dans le monde, n’est financé, comme en France, par l’ensemble des contribuables, (L’URSS autrefois ? ). Même si, dans ces pays les financements publics existent aussi, mais ne prennent pas la même forme (celle de subventions directes et souvent reconductibles). Simplement, les professionnels de la culture, ailleurs,  acceptent le jeu des acteurs «  Si j’ai de l’argent public je dois avoir une fréquentation optima ») ainsi que l’évaluation de leur travail.

Cette Culture que le monde entier nous envie !

En France,  nous avons une expression fétiche : « Cette Culture, mais aussi cette  Justice, Médecine, Université, Education nationale…, au choix) que le monde entier nous envie !»

Et  oui, évidemment, et on comprend pourquoi : nulle part ailleurs les professionnels ne sont aussi gâtés, petites corporations qui se tiennent les coudes à l’abri de l’Intérêt Général, leur parapluie préféré, et qui, au quotidien, ont droit à l’erreur, à prendre des risques, à revendiquer des tutelles les plus légères possibles, une fois l’argent et les moyens alloués, ou à échapper à l’évaluation, à considérer qu’une forte fréquentation est suspecte, à un régime spécial de chômage, ou  à imposer à 200 000 habitants leur thèse de troisième cycle sous forme d’expo temporaire, avec le vocabulaire qui va avec ! Thèse ou encore leur auteur-fétiche, leur petite passion perso, mais « C’est l’avenir qui jugera de ma valeur,  comme pour les Impressionnistes ! » Autre expression-paravent sacrée, avec celles du Bien Public et  de l’Intérêt Général, celle, plus romantique, de l’artiste maudit, le producteur maudit, etc.. .

Dans le milieu professionnel de la culture, on revendique le cool, mais on accepte mal le jugement du peuple (démagogie, populisme). C’est symptomatique, on fustige même ce qu’il mange, comme cette phobie anti Mac Do, la nourriture des plus pauvres d’entre-nous, pourtant. (Au passage : Mac Do a  remplacé le Coca Cola d’autrefois). Ou ce qu’il aime (Block busters du cinéma).

Les jugements qui comptent : comme on « enseigne » et on « fait découvrir » aux plus pauvres, on ne peut attendre d’eux un jugement.  Seul le jugement de ses pairs compte, avec qui on fait un match permanent du « Je suis meilleur que toi ! ». A la rigueur, on veut bien faire un deal en acceptant un compromis (un artiste, un producteur…) avec l’Etat, et l’un de ses chouchous imposés, car l’Etat reste le seul juge, prestigieux dans un CV, une conversation entre amis. L’Etat est le Garant de l’Intérêt Général, on y reviendra.  Mais pas plus….

Les entreprises ? Satan ! Les mécènes ? Tous des riches, donc des ripoux ! Exit donc le jugement du peuple, des plus pauvres et celui des entreprises… Nous sommes des professionnels, nous savons ce qui est bon pour vous, même si vous ne le savez pas, et basta ! La preuve ? Notre public habituel, les profs et, en général, toute la bonne petite bourgeoisie qui s’abonne dès l’ouverture de la saison  théâtrale,  nous suivent! Vous avez dit élitiste ?

Attendons ! Attendons, tout cela va porter ces fruits, cette profusion, tous ces moyens, ces conditions de travail super, cette liberté, ces subventions, cette absence d’évaluation qui pourrait devenir une sanction. La démocratisation va bien arriver un jour, non  ???

OK, mais SEULEMENT si on change ces pratiques corporatistes et si on réfléchit au lieu de réciter un catéchisme, si on redonne la parole aux élus, parce que ce sont eux, en démocratie, qui représentent les gens. Si on se contente de l’intérêt commun, sans invoquer l’Intérêt Général et la République, car le Pen est républicain et Sarkozy aussi. Fermons les parapluies et regardons le chantier.

Par où commencer, d’ailleurs ?

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Culture et collectivités territoriales : sous le voile de la réforme, un nouveau paysage reste à dessiner

La récente « levée de boucliers » des seuls milieux culturels contre l’éventuelle suppression de la clause de compétence générale est révélatrice de l’absence de vision politique du rôle de la culture, de l’asthénie des professionnels, du désintérêt de nos concitoyens pour le sujet.

Ce débat est dangereux car il enferme l’art et la culture dans un espace strictement institutionnel alors qu’il s’agit d’une véritable question politique. Quelle société voulons-nous pour nous-même et nos enfants : le libre – échange à visée purement commerciale ou un espace régulé qui offre le plus juste équilibre possible entre activités marchandes et non –marchandes ? Un espace public réduit aux seules fonctions de sécurité et de justice ou la promotion d’un nouveau vivre ensemble fondé sur le respect mutuel ? Avant d’être une simple « compétence », le soutien à l’art et à la culture est d’abord affaire de désir, de volonté et d’engagement.

Ce débat est dangereux car il évacue la société civile et ignore le rôle des hommes. Avant d’être objet institutionnel, la culture est d’abord affaire de désir individuel et de volonté collective. Depuis le milieu des années 80, une mécanique infernale s’est mise en mouvement qui exclut progressivement les citoyens de la gestion du service public culturel. Or, c’est précisément l’engagement de militants et de bénévoles qui avait conduit les Collectivités à soutenir des projets et des établissements culturels. Est-il exagéré de regretter que ce lien ce soit progressivement distendu à la faveur du mouvement de professionnalisation des établissements culturels ? N’est-il pas surprenant que des organisations professionnelles prennent la défense des élus locaux, leur reconnaissant ainsi une « compétence » qu’ils contestaient hier encore pour cause d’ignorance ou de populisme ? Quelle part d’opportunisme et de corporatisme dans ce soudain revirement ?

Enfin, cette polémique est inutile car nul ne peut imaginer un seul instant que le Président de la République aille au bout de ce projet sans le consentement des associations d’élus. L’ex – Maire de Neuilly et Président du Conseil Général des Hauts de Seine sait pertinemment que ceci reviendrait à contrevenir fortement au principe de libre administration des collectivités territoriales. Alors pourquoi ce débat ? Il s’agit une fois de plus d’un tour de passe-passe. Tandis que la main gauche menace de supprimer la clause de compétence générale, la main droite fouille les poches des Collectivités. Le gouvernement finira par lâcher sur la compétence tout en les muselant via la réforme de la fiscalité locale. Les Collectivités pourront continuer à financer la culture, mais avec de moins en moins de moyens. Comment l’expliqueront-elles alors aux professionnels venus réclamer leur dividende de la victoire ?

Cette polémique met avant tout cruellement en lumière le manque d’intérêt de nos élites pour l’art et de la culture et le décrochage d’avec une grande partie de la société. Remettre cette question au cœur des préoccupations des Français et aux premiers rangs des enjeux politiques suppose de dépasser le simple cadre institutionnel. Il est urgent de refonder notre rapport aux citoyens, en sommes-nous encore capables ?

Denis Declerck*

*Denis Declerck est directeur de l’action culturelle à la communauté d’agglomération d’Evry Centre Essonne. Avant cela, il a été directeur de théâtres à Vienne (1989-1992) puis à Béziers (1992 – 1999) avant de rejoindre le ministère de la culture : conseiller théâtre et action culturelle à la DRAC Nord Pas de Calais (1999 – 2004) puis inspecteur (2004 – 2009). Il a notamment été le coordonnateur et le rapporteur général des Entretiens de Valois. Denis Declerck est titulaire du Master 2 “Direction de projets culturels” délivré par l’Observatoire des Politiques Culturelles  et Sciences – Po Grenoble (1997).

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Le financement de la création artistique (provisoirement) sauvé

L’assemblée nationale a adopté mercredi 12 mai 2010, en commission des Lois, un amendement visant  à assurer une compétence plus exclusive des compétences des départements et des régions.

Cet amendement, lié à la réforme des collectivités territoriales, vise à limiter la « clause générale des compétences » qui permet à une collectivité d’intervenir dans tout domaine dès lors qu’il y a un intérêt local.

La suppression de la notion d’intérêt départemental ou d’intérêt régional est donc fortement réaménagée : les trois catégories de collectivités territoriales (commune, département, région) demeurent compétentes en matière de patrimoine, de création artistique et de sport.

Les départements et les régions seront donc dotés de compétences exclusives et de compétences partagées dans ces domaines spécifiques.

Cette disposition devrait donc rassurer le monde associatif, de la culture et du sport, qui avait manifesté de fortes inquiétudes ces derniers mois.

Reste la question centrale de l’encadrement des cofinancements : l’article 35 du projet de Loi prévoit l’interdiction du cumul des subventions départementales et régionales sur un même projet local. Une exception est prévue pour les communes de moins de 3.500 habitants et dans le cadre des contrats de plan Etat-Région.

Bien d’autres questions restent à trancher, dont celle imposant aux communes de financer au moins 50% des opérations qui les concernent.

Le projet de Loi sera examiné en séance à partir du 25 mai, et son adoption définitive est prévue avant l’été 2010 : les cinquante heures de débat en séance plénière ne risquent pas d’être de trop…

Vincent Sallé*

Lire aussi par Vincent Sallé :

*Consultant en finance, Vincent Sallé a occupé différents postes en entreprises, en tant qu’ingénieur d’études chez Suez, puis au sein du cabinet Ernst&Young comme directeur de mission senior secteur public. Ses quinze ans d’expérience professionnelle l’ont conduit à réaliser des missions de conseil auprès de plusieurs grands groupes, en France et en Europe. Il a ensuite accompagné près d’une centaine d’organisations publiques et privées en conseil opérationnel. Il travaille sur des thématiques liées à la mise en œuvre de projets (études d’opportunité, analyses de faisabilité économique, analyse financière), à la définition de stratégies d’établissement (plan directeur, études de projet), à la réalisation de projets d’investissement immobiliers ou mobilier en montage complexe de type PPP (BEH, CP,…) ou de systèmes d’information (schémas directeur des SI, études de faisabilité, implémentation de solutions).

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Jérôme Bouet nommé pour étudier l’avenir des relations entre Etat et collectivités

Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, confie à Jérôme Bouet une mission de réflexion et de propositions sur le renouvellement des partenariats entre l’Etat et les collectivités territoriales. 50 ans après la création du Ministère de la Culture et de la Communication, alors que le paysage des collectivités territoriales connaît de fortes mutations, le Ministre souhaite conduire une grande réflexion autour des relations partenariales entre l’Etat et les collectivités, dans le champ culturel.

La future réforme des collectivités territoriales va dessiner un nouveau paysage institutionnel, qui implique de mener une réflexion approfondie sur les rôles des différents partenaires publics tout en tenant compte de la volonté exprimée par le Président de la République de maintenir les compétences culturelles de toutes les collectivités.

Dans ce contexte, Jérôme Bouet, administrateur civil (ancien directeur d’administration centrale, ancien directeur régional des affaires culturelles et ancien membre du cabinet de ministre) aura pour mission de mener à bien cette réflexion en s’inscrivant dans une large concertation et en associant à ses travaux les services du Ministère (centraux et déconcentrés), les établissements publics et les élus locaux tant par l’intermédiaire des directions régionales des affaires culturelles que par le biais du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel.

Cette mission débouchera sur la présentation au Ministre, en septembre prochain, d’un plan d’action pour une nouvelle étape des relations entre le ministère et les collectivités territoriales.

(Communiqué du 4 mai 2010)

Source : NTC / ministère de la Culture et de la Communication.

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