Dans un récent article paru dans Al-Ahram Weekly, Nevin El-Aref témoigne de l’évolution grandissante des « palais culturels » et des bibliothèques publiques en direction du public en Egypte. Il cite le ministre de la Culture Farouk Hosni en les qualifiant d’élément vital pour la culture en Egypte et en les comparant aux vaisseaux sanguins du corps humain.
Hosni poursuit en insistant sur ces palais qui jouent aujourd’hui un rôle important dans la société égyptienne car ils renforcent et améliorent la performance de la richesse et la créativité des zones urbaines et rurales grâce à l’appropriation des technologies.
« Construire et rénover un palais culturel est un mouvement de culture créant un lien entre le palais et le peuple » déclare-t-il. L’Organisation Générale pour les Palais Culturels (GOCP), un des départements pilote du ministère de la Culture, accompagne la réalisation de deux axes majeurs pour la politique culturelle de l’Eygpte : la préservation l’identité nationale et l’éducation culturelle et citoyenne. Il apparaît désormais que tout le ministère et le gouvernement vont se servir de ces deux axes pour structurer et planifier l’ensemble des politiques culturelles à venir.
Il faut rappeler que ces palais qui ont été construits depuis 1945 ont rempli un rôle de dissémination culturelle parmi l’ensemble des segments de la population égyptienne et ce malgré de nombreux rebondissements et réorientations.
Dans les années 40 la population comptait un taux d’illettrisme de 80% (aujourd’hui environ 10%) et seulement l’élite recevait une éducation. À partir de la Révolution de 1952 et de l’établissement du ministère de la Culture, la mission du GOCP évolua vers un dispositif de guidance culturelle ciblant les valeurs et le sens de l’identité du pays. Désormais, avec la démocratie, la mondialisation et l’accélération technologique, le GOCP ne peut plus fournir la même politique appliquée depuis 50 ans et doit se définir une nouvelle mission et un nouveau rôle à jouer pour répondre aux besoins et aspirations de la jeunesse, jeunesse qui est le cœur de la société égyptienne.
Pour cela, le gouvernement compte bien miser sur les nouvelles technologies, dont le taux de pénétration auprès des jeunes est très élevé. La première décision qui fut prise pour cette rénovation est un programme de publications mensuelles en direction des jeunes et traitant des enjeux liés aux nouvelles technologies. Ce programme a été mis en place en parallèle des publications habituelles du GOPC.
Il convient de préciser ici le particularisme d’une politique culturelle basée sur une politique de publications. La culture égyptienne est une culture de l’écrit. Il s’agit d’un vecteur d’apprentissage et d’éducation qui est très fortement soutenu par ces publications ministérielles, beaucoup plus qu’ailleurs. Les publications hebdomadaires sont légion et toutes ont une spécialité : histoire, art, enfance, critique, littérature, folklore, patrimoine. Plus de quinze publications au total en parallèle desquelles il existe les dispositifs provinciaux qui contribuent fortement à la diffusion de l’écrit. Le GOCP a notamment donné 500 000 livres dans le cadre de l’opération « Un million de livres » de Suzanne Mubarak au début de l’année.
Le GOCP gère 540 lieux culturels (palais inclus) et bibliothèques publiques mais intervient aussi auprès de nombreux acteurs culturels et artistiques, notamment dans les domaines des arts folkloriques, de la musique, du théâtre et de la littérature.
Ce mois-ci est commémoré le troisième anniversaire de la tragédie de Beni Sweif, maison de la culture où trente comédiens périrent par les flammes en pleine représentation, mettant en exergue l’état désolant de certaines infrastructures culturelles égyptiennes. Pour que ce drame ne se répète pas, le GOCP a pris de nouvelles mesures pour assurer la sécurité des sites autant que le déroulement des performances. Près de la moitié des sites culturels du GOCP ont été fermés pour cause de non-respect des normes de sécurités. L’Autorité de Défence Civile est en train de les mettre aux normes indique-t-on mais cela implique également des modifications importantes sur le plan architectural. Le GOCP espère que les budgets nécessaires seront trouvés.
Si fermer autant de sites semble générer des contraintes importantes, le GOCP a imaginé redéployer ses activités en direction des parcs et jardins publics, des amphithéâtres universitaires, des maisons de la jeunesse et les écoles et voit en ces nouveaux lieux une opportunité pour répondre à l’urgence de la situation et pour faire de la culture « autrement ».
En revanche ces fermetures mettent en évidence la lourdeur du GOCP (14 000 employés) dont la gestion de l’administration centrale nécessite la part la plus importante de son budget au détriment des activités et des sites culturels et artistiques. Ce débat est connu en France mais l’approche égyptienne mérite qu’on s’y intéresse plus avant.
En effet le GOCP a mis en place un plan qui passe en revue de tous les effectifs et les budgets en personnels afin de reprogrammer l’ensemble des organigrammes et des services. Un ambitieux plan de formation en direction des priorités d’action (palais et lieux culturels et artistiques notamment) est en train d’être élaboré et la construction d’un seul site pour l’administration centrale (aujourd’hui très atomisée sur le territoire) est en train d’être programmée. Ce site situé sur la corniche d’Al-Gouza se veut d’un nouveau genre puisqu’il conjuguera administration, espaces d’exposition et de diffusion artistique et culturelle.
Ces réformes conjoncturelles et structurelles vont permettre de nouveaux engagements et investissements. Un plan ministériel dont l’objectif est d’ériger quarante bibliothèques publiques supplémentaires vient d’être adopté. Dans les dix dernières années, plus de cent bibliothèques publiques ont été construites et une partie d’entre elles (dont la bibliothèque Mubarak) sont le fruit de partenariats public-privé avec des investisseurs et partenaires étrangers.
Un environnement régional marqué par les conflits, des tensions palpables au niveau politique intérieur et extérieur, la corruption et certaines restrictions à l’État de droit caractérisent bien des pays de la rive Sud de la Méditerranée. Ajoutés à un développement économique insuffisant jusqu’à une période très récente, ces traits dessinent a priori un arrière-plan peu favorable à l’épanouissement équipements culturels et plus particulièrement des bibliothèques. Dans le cas de l’Égypte cependant, s’appuyer sur ce simple constat pour tirer des conclusions serait hâtif. Les politiques d’investissement enfantées dans la difficulté par le passé semblent aujourd’hui commencer à porter leurs fruits et le pays peut s’attaquer à de nouveaux défis, défis parmi lesquels figure en bonne position le rayonnement dans l’espace euro-méditerranéen. La situation économique égyptienne est en effet stabilisée. L’Egypte est sortie par le haut de son programme d’ajustement avec le FMI. La situation actuelle est donc très différente de celle des années 80, où le pays était au bord de l’asphyxie financière. Certes, l’Egypte doit faire face aujourd’hui au défi de la réforme de l’Etat. La libéralisation du système financier, une plus grande ouverture de l’économie à la concurrence, la réforme fiscale, l’amélioration des services publics, la réduction des dépenses publiques, sont bien les enjeux majeurs de l’économie égyptienne. Ce sont des défis que nous connaissons bien et qui ne sont pas étrangers, loin s’en faut, à nos préoccupations en France.
L’approche infrastructurelle choisie sur le plan culturel devrait asseoir le rôle stratégique et le rayonnement de l’Egypte sur le Bassin méditerranéen. Le tourisme culturel et patrimonial étant une ressource importante, il est essentiel aujourd’hui et plus encore d’ici 2011 de concilier valorisation du patrimoine et culture pour tous afin que les vœux exprimés lors de la création du GOCP puissent être exhaussés.
Filed under: Analyses, Politiques culturelles, Ingénierie culturelle, Politiques culturelles, Politiques publiques, Tourisme culturel
Recent comments