Didier Rykner de La Tribune de l’Art nous fait l’amitié de nous autoriser à diffuser dans son intégralité une interview un peu particulière de Frédéric Mitterrand. Il s’agit d’une interview qui n’a pas encore eu lieu mais qui a le mérite de poser des questions qui témoignent des préoccupations et des menaces qui pèsent aujourd’hui et plus que jamais sur le patrimoine, au moment où le tout récent ministre de la culture tente de retrouver un peu de sérénité après une rentrée pour le moins agitée, rentrée qui n’aura servi ni la politique culturelle, ni le ministère.
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Nous avons salué en son temps la nomination de Frédéric Mitterrand (voir brève du 23/6/09). Momus aussi, dont on connaît la dent dure et l’absence de compromission. Nous sommes d’ailleurs en complet accord avec l’éditorial que l’association vient de consacrer à ce sujet. Le ministre travaille beaucoup, comme en témoigne l’emploi du temps que son service de presse nous envoie toutes les semaines. On l’a cependant fort peu entendu sur le patrimoine et les musées. Depuis sa nomination, nous avons à plusieurs reprises cherché à l’interviewer. Il fallait attendre. Attendre la rentrée puisqu’il devait prendre connaissance des dossiers. Attendre la présentation du budget puisqu’il devait savoir de quels moyens il disposerait. Le budget est venu, un budget plutôt sérieux et où le patrimoine est mieux pris en compte que d’habitude. Mais l’interview, elle, est repoussée à une date non précisée. Pas pour l’instant nous est-il répondu. Nous ne sommes d’ailleurs pas seuls dans ce cas, tout entretien demandé par les grands médias, dès lors qu’il ne s’agit pas de généralités ou de la loi Hadopi est également systématiquement refusé. Or, nous avons beaucoup de questions pour le ministre tant les problèmes sont nombreux et urgents. S’il ne veut pas, pour le moment, s’exprimer, nous pouvons toujours les lui poser. Nous sommes à sa disposition pour publier ses réponses, le jour où il acceptera de s’exprimer devant les 6000 visiteurs quotidiens de La Tribune de l’Art.
Vous avez créé une commission chargée de se prononcer sur la suppression de l’avis conforme des ABF dans les ZPPAUP (voir article). Quelle est votre opinion à ce sujet ? Partagez-vous l’opinion du sénateur Yves Dauge, et de beaucoup d’observateurs et de parlementaires, que des intérêts particuliers avaient prévalu (il citait le cas de la ZPPAUP de Provins) ?
Les éoliennes se multiplient de manière anarchique dans le pays, menaçant de nombreux paysages et monuments historiques, jusqu’au Mont-Saint-Michel. Quelle est votre position sur ce sujet et que comptez-vous faire ?
Grâce au plan de relance, on se rapprochera en 2010 du budget minimum nécessaire pour la restauration des monuments historiques (400 millions d’euros). Qu’allez-vous faire pour pérenniser ces ressources avec lesquelles on a joué au yoyo depuis quelques années ? Où en est-on de l’idée d’un loto consacré au patrimoine, ou d’une taxe sur les jeux existants ?
L’Etat, dans une course désespérée à l’argent, se sépare de nombreux bâtiments classés ou inscrits monuments historiques. L’un des cas les plus graves et les plus emblématiques est l’Hôtel de la Marine (voir article) pour lequel il est prévu un bail emphytéotique et dont on ne sait pas ce que deviendra le mobilier qu’il renferme. Quelle est votre position à ce sujet ?
Beaucoup d’églises de petites communes ne sont plus entretenues et certaines sont menacées de démolition (voir article). Que comptez-vous faire pour aider le patrimoine non protégé ?
L’argent n’est pas tout : si certains chantiers menés par les monuments historiques sont de belles réussites (citons récemment la cour vitrée de l’Ecole des Beaux-Arts à laquelle nous allons consacrer un article), d’autres sont très critiquées par les historiens de l’art : rénovation trop poussée (château des ducs de Bretagne à Nantes), restitutions hasardeuses (Versailles), voire pire (Quartier Henri IV à Fontainebleau – voir article) . Quelle est votre position à ce sujet ? Les contrôles sont-ils suffisants ? Le ministère de la Culture ne devrait-il pas engager un grand débat à ce sujet ?
Pour l’Hôtel Lambert, la justice a tranché une première fois. Pourquoi le ministère de la Culture s’acharne-t-il alors qu’on se trouve assez proche d’une solution de compromis (voir éditorial) ? Y-a-t-il une honte à discuter avec les historiens de l’art et à négocier avec les associations de protection du patrimoine ? Ne peut-on sortir de ce dossier par le haut ?
Le Palais de la Porte Dorée va être affublé l’année prochaine d’une construction de Tadashi Kawamata qui va dénaturer sa façade et cacher une partie des sculptures d’Alfred Janniot (voir brève du 4/10/09). Pourtant, ce monument est entièrement classé. A quoi sert une telle protection, et à quoi sert la Commission nationale des monuments historiques lorsqu’elle autorise ce type de vandalisme ? Quelle est votre opinion à ce sujet, sachant que les promoteurs de ce projet ont fait croire qu’il était temporaire, alors qu’il était en réalité pérenne ?
La Tribune de l’Art a dénoncé une action de vandalisme d’une mairie (à Wintzenheim) sur un monument inscrit (la chapelle Herzog) et a démontré que les règlements n’avaient pas été respectés (voir article). Pourquoi le ministère de la Culture (via la DRAC) ne prend-il aucune sanction et ne porte-t-il pas plainte dans un cas comme celui-ci (voir article) ? Y-a-t-il une impunité des élus lorsqu’il ne respectent pas le patrimoine ?
La législation de l’affichage publicitaire à proximité des monuments historiques n’est pas respecté dans de très nombreuses villes, dont Paris ? Les préfets ferment les yeux. Comptez-vous agir pour faire simplement respecter la loi dans ce domaine ?
Plus globalement, trouvez-vous normal que les défenseurs du patrimoine aient le sentiment que le plus grand adversaire du patrimoine est l’Etat et les collectivités locales ? Soit directement, soit par laisser-faire ?
La Direction des Musées de France et la Direction du Patrimoine vont être regroupées en une seule direction, suite à la réorganisation du ministère dont vous n’êtes pas à l’origine, mais que vous avez approuvée. Comment comptez-vous donner de véritables moyens d’action à cette nouvelle Direction ?
L’Agence France-Muséums, chargée du Louvre Abou-Dhabi et composée de conservateurs français sous la direction du président du Musée du Louvre, achète des œuvres pour un musée étranger, parfois contre l’intérêt des musées français (tentative d’achat d’un tableau de Géricault qui pouvait intéresser le musée de Lyon – voir brève du 3/4/09, achat d’une fibule wisigothique que le Louvre avait longtemps souhaité acheter – voir brève du 8/6/09– …). Trouvez-vous cela normal ?
Le ministère de la Culture revendique un fragment du Jubé de la Cathédrale de Chartres appartenant à un antiquaire parisien (voir article). Cet objet avait disparu depuis la Révolution. Soit l’Etat perd et l’objet est définitivement perdu pour la France, soit l’Etat gagne, et l’on imagine les conséquences sur les pour les musées dont les collections se sont en partie constituées sur les confiscations révolutionnaires. Vous n’êtes pas responsable de cette action qui a été entamée avant votre arrivée. Quelle est votre position à ce sujet ? Ne serait-il pas plus prudent – et surtout plus juste – de retirer cette demande ?
Les musées de province ont un budget d’acquisition très réduit et les œuvres d’art importantes continuent à sortir de France. L’Etat ne pourrait-il pas être plus généreux envers ces musées de province ? Tous les chefs-d’œuvre doivent-ils finir dans les musées parisiens ?
Les procédures d’acquisition sont très longues et il n’est pas possible pour les musées d’acquérir rapidement une œuvre réapparue et passant aux enchères. Ne faudrait-il pas prévoir un fonds de roulement qui permettrait d’acheter rapidement pour les musées ?
La Tribune de l’Art a démontré, dans une longue enquête (voir article), que les dépôts des musées nationaux hors des musées, dans des bâtiments officiels, étaient illégaux et nombreux. Comment le ministère de la Culture peut-il accepter une telle situation. La loi n’est-elle valable que pour les particuliers ?
Propos (non) recueillis par Didier Rykner
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